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Le roller derby, un sport féminin spectaculaire et impertinent

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Le roller derby, un sport féminin spectaculaire et impertinent

Match de roller derby entre les Cherry Bombs (vertes) et les Rhinestone Cowgirls (rouges) le 27 août 2011 à Austin, Texas. Earle MacGehee, CC BY
Orlane Messey, Université de Franche-Comté – UBFC

Apparu il y a une quinzaine d’années en France, le roller derby est une discipline à part, qui tient autant des sports de glisse que de la culture punk. Sur une piste oblongue, en patins à roulettes, les joueuses (ce sont essentiellement des femmes) doivent réussir à dépasser les joueuses adverses sans se faire projeter au sol ni sortir de la piste, dans un laps de temps donné.


Les Jeux olympiques ont permis de mettre en lumière des sports bien souvent méconnus du grand public comme le pentathlon moderne, le tennis de table ou le tir. Une médaille d’or ou un champion charismatique assurent aux fédérations et à des clubs en manque de licenciés une reconnaissance et, bien souvent, des retombées économiques.

Pour une discipline sportive, rejoindre le programme olympique et bénéficier de sa couverture médiatique peut apparaître comme un véritable accomplissement. Pourtant, aux marges des mega-événements que sont les JO, d’autres sports essayent de survivre à l’absence de reconnaissance et médiatisation et cherchent même parfois à s’organiser contre les valeurs portées par le sport de compétition. C’est le cas du roller derby, un sport de glisse un peu particulier, apparu en France il y a près d’une quinzaine d’années.

Avant lui, d’autres pratiques telles que le quadball (anciennement quidditch), le sport d’Harry Potter ou encore la culture punk, ces pratiques se sont, à un moment donné de leur histoire, opposées aux instances culturelles et sportives dominantes. Par là, elles donnent à voir d’autres manières d’envisager le sport ou le monde des arts. Décentrer le regard et étudier les rapports sociaux depuis ses marges offre dès lors une autre manière d’appréhender notre société du spectacle.

Inscrite dans le cadre du projet de recherche Aiôn, socioanthropologie des sports alternatifs, cette recherche sur le roller derby s’est intéressée aux « alternatives » que cette activité de glisse avait à nous proposer. En effet, le derby nous invite-t-il à envisager une autre manière de faire du sport, loin d’une quête de records et de performance ? Pour tâcher de répondre à cette question, j’ai mené des entretiens avec une centaine de membres d’équipes européennes et suis devenue moi-même joueuse de roller derby. Suivez-moi désormais pour une rencontre sportive des plus « badass »…

Le revival roller derby : une révolution sportive

À l’origine, le roller derby est une pratique mixte nord-américaine, populaire entre les années 1930 et 1970. Dans les années 2000, il réapparaît sous la forme d’un spectacle désormais exclusivement féminin et résolument impertinent. Logos provocants, « derby name » (pseudos de jeu) suggestifs, musique punk rock et mises en scène délurées constituent les ingrédients d’une pratique qui s’implante progressivement aux quatre coins des États-Unis.

Très vite, une partie des derby girls cherche à structurer l’activité. Elles mettent de côté les mises en scène pour réglementer la pratique et en faire un sport. Entraînements, tournois et recrutements intensifs vont dès lors rythmer leur quotidien. En 2004, elles créent l’instance de gestion du roller derby : la Women’s Flat Track Derby Association (WFTDA). L’ambition de ces nouvelles équipes est double. D’abord, elles veulent hisser l’activité au rang des sports rois aux États-Unis, comme le basket-ball ou le football américain. Ensuite, elles revendiquent un renversement des rapports de domination dans un monde historiquement dominé par les hommes, le sport de compétition. Géré par et pour les patineuses, indépendamment des structures sportives historiques, le milieu du roller derby entend bien révolutionner le monde sportif.

En France, de la débrouille et de la provocation

En 2009, l’Europe découvre, sur grand écran, l’existence de ce sport, grâce au film Bliss. Ce teen-movie relate l’histoire d’une jeune femme jouée par Eliott Page qui préfère se rendre à des matchs de roller derby plutôt que de participer à des concours de beauté. En France, l’effet Bliss est immédiat. Entre 2010 et 2014, 90 collectifs se créent pour faire vivre l’activité. Cette pratique offre alors l’occasion à des sportives ou à des non sportives d’être à l’initiative de leur propre collectif : le do it yourself est plus que jamais à l’honneur. Véritable élan créatif, le DIY se présente ici comme une posture visant à « faire par soi-même » plutôt qu’à consommer une offre sportive déjà existante. Obtenir des lieux d’entraînement, recruter des joueuses, construire une équipe en mesure de jouer un match, ou encore, traduire les règles marquent ainsi les débuts du roller derby sur le territoire métropolitain.

Associant débrouille et système D, cette période de structuration de l’activité se caractérise également par une réappropriation du « folklore » délaissé des gymnases américains. Durant les matchs, déguisements et mises en scène burlesques permettent aux joueuses de se moquer des conventions sportives. Puisant leurs références dans la pop culture ou les séries B, les logos et les affiches de matchs renouvellent les imaginaires sportifs. Lors des matchs, déguisements et maillots déchirés, floqués à la main, remplacent les habituels t-shirts en jersey.

Quant aux speakers, ils jouent parfois le rôle de « fou du roi » ou de Monsieur Loyal, n’hésitant pas à associer commentaires de matchs et blagues hilarantes. Associés au sport, la créativité et l’humour permettent de créer un espace-temps de pratique provocant et résolument permissif à travers lequel tout était permis : « À l’époque, c’était punk dans le sens où on s’en foutait d’offenser » (Dédé, joueuse depuis 2011).

Une structuration sportive alternative ?

Derrière cette image d’un sport provocant et anticonformiste, deux visions du monde entrent rapidement en conflit. Dès 2011, des équipes vont chercher à obtenir le soutien des institutions sportives. D’autres en revanche défendent l’indépendance de la pratique. Portées par des idéaux d’inspiration libertaire, ces collectifs refusent de rejoindre les instances de pouvoir du sport de compétition, « gérée par de vieux mecs blancs qui ne comprendraient pas les enjeux de notre sport » (Monsterious, joueuse depuis 2011). Entre 2012 et 2014, ces idéaux alternatifs guident le fonctionnement du derby français. Comme aux États-Unis, l’activité fonctionne alors en dehors des instances du pouvoir sportif.

Face à l’appel de la compétition et aux difficultés à dynamiser une communauté de plus en plus élargie, l’autogestion paraît insuffisante et surtout éprouvante. Parvenir à faire vivre une association au niveau local, ainsi qu’un sport au niveau national est chronophage. Les membres sont nombreux à parler de burn-out derby pour qualifier cette période. En 2014, le roller derby rejoint la Fédération française de roller et skateboard (FFRS). Considérée comme facilitatrice, cette décision est contestée par des pionnières qui, pour certaines, choisissent de quitter les rangs de la communauté : « L’évolution ne me convenait pas du tout. Ça rentrait trop dans les clous. C’était un sport qui, à la base, était hors catégorie, hors case et là, rentrer dans la fédé officielle, faire des championnats, créer des compétitions, ça n’allait pas avec l’idée de base » (Disaster Uppercut, créatrice d’équipe en 2010).

La fin de l’autogestion et l’organisation du championnat national vont participer à déplacer l’intérêt des joueuses (et des joueurs, de plus en plus nombreux) pour le roller derby, du folklore vers le sport. Progressivement, l’impertinence se résorbe et la permissivité de ce sport s’essouffle. L’élan révolutionnaire du roller derby n’est-il plus qu’un lointain souvenir ?

Un sport oui, mais inclusif !

Quinze ans après le tout premier match de roller derby qui a vu s’affronter les Petites Morts de Bordeaux et la Nothing Toulouse (personne ne se souvient d’ailleurs du score), le roller derby français est au sommet.

Juillet 2023, l’équipe de France Junior remporte le titre de vice-championne du monde, derrière les États-Unis. Juin 2024, le Roller Derby Toulouse et le Nantes Roller Derby occupent respectivement les deuxième et troisième places du championnat européen WFTDA. Les équipes Élite, ainsi que les équipes nationales bleu/blanc/rouge sont les vitrines d’une activité en quête de légitimité. Au plus haut niveau, le burlesque a disparu et les logos se sont assagis. Peu reconnues par les municipalités et le grand public, les équipes de derby défendent désormais leur place sur les terrains du sport mainstream : « Moi j’admire beaucoup le travail de l’élite sur l’image globale du sport, ça fait du bien de montrer qu’il y a le folklore pour les gens qui veulent déconner, mais c’est du sport, du vrai sport, violent, dur » (Trump’axe, joueuse depuis 2015). Si cette recherche de reconnaissance passe par un lissage de l’activité, les joueuses n’entendent pas se plier à toutes les règles du milieu sportif.

Qu’il s’agisse de lutter contre les discriminations, de penser l’intégration des minorités de genre ou de s’opposer au racisme, le milieu du roller derby s’attaque aux dysfonctionnements du milieu sportif traditionnel. S’il est, à ses débuts, un modèle de pratique permissif, détournant les codes sportifs, c’est désormais un sport qui se veut inclusif. L’inclusion se réfère ici à l’attention portée aux rapports de domination, que les équipes vont chercher à éradiquer. Par là, elles continuent à marquer leur distance vis-à-vis du modèle sportif traditionnel, jugé sexiste et inégalitaire. Certains collectifs n’hésitent, en outre, pas à profiter de la médiatisation de leur sport pour faire passer des messages politiques extra sportifs. Qu’il s’agisse de tourner en dérision les élites politiques lors de la très contestée réforme des retraites en 2023 ou de contrer le Rassemblement national, le roller derby continue à proposer un modèle sportif surprenant, faisant désormais dialoguer compétition, art et militantisme.

Orlane Messey, Docteure en STAPS, Université de Franche-Comté – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Comment faire l’analyse politique d’un film ?

Le Joker, icône contestataire ? C’est l’avis du public, mais pas celui de l’auteur. Warner Bros. Entertainment Inc.
Raphaël Jaudon, Université de Caen Normandie

Engagé ou militant, le cinéma peut l’être de mille façons : par le choix d’un sujet, la politique de production, le type de montage choisi, voire en fonction de l’équipe qui l’a écrit ou le réalise. Mais entre les intentions qui président à la fabrication d’un objet cinématographique et la façon dont il est reçu, il y a parfois des écarts considérables.


Même les cinéastes les plus précautionneux n’échappent pas au risque de l’incompréhension : ce fut le cas, en 1925, du Soviétique Sergueï Eisenstein, pourtant connu pour s’intéresser de près aux effets de ses films sur le public (par des calculs, des expérimentations, etc.).

La

de La Grève montre la répression d’un mouvement populaire par l’armée tsariste, alternée avec des plans d’abattage de bovins. Cet exemple, devenu canonique, est souvent utilisé pour illustrer le « montage parallèle », c’est-à-dire le fait d’entrelacer deux séries d’images sans lien apparent pour produire un sens métaphorique (les ouvriers sont massacrés comme des animaux). Or, un an après la sortie du film, Eisenstein confesse n’avoir pas obtenu l’effet escompté, en particulier sur les paysans, habitués à égorger eux-mêmes le bétail, qui n’ont donc pas perçu la signification politique du montage.

Montage parallèle : le massacre des grévistes suggéré par l’abattage des bovins.

Face à ce genre d’exemple, on aurait tort de se contenter d’un constat relativiste – du type « chacun comprend ce qu’il veut ». La mésentente elle-même peut devenir un objet d’étude. Pour cela, on peut s’en référer au modèle proposé par le sémiologue Roger Odin, qui théorise la notion de mode de lecture : il s’agit, en substance, de faire apparaître la diversité des manières d’analyser, des cadres de pensée et des regards possibles sur une même œuvre.

Odin répertorie jusqu’à neuf modes de lecture (spectaculaire, fabulisant, esthétique, etc.), en rappelant que la lecture prévue par l’auteur du film est rarement égale à celles adoptées ensuite par les spectateurs. Cette hypothèse fournit un début d’explication dans les cas où les écarts d’interprétation sont importants : ainsi, on peut dire qu’Eisenstein avait conçu sa séquence sur un mode « persuasif » (le spectateur tire des leçons de ce qu’il voit), là où le public populaire a mis en œuvre une lecture « documentarisante » (le spectateur suppose que les images renvoient à une réalité), voire « privée » (le spectateur rapporte ce qu’il voit à sa propre existence – en l’occurrence leur quotidien d’éleveurs).

Définir le « cinéma politique »

Cette approche me semble pouvoir être élargie à la question, plus générale, du « cinéma politique » – de ce qu’il est et de ce qu’il doit être. Disons-le d’emblée : bien que souvent posée, cette question n’a jamais reçu de réponse définitive. Mais là encore, si l’on ne dispose pas d’une définition claire et unique du cinéma politique, ce n’est pas simplement parce que « chacun a son avis » ; c’est parce que les cadres de pensée mobilisés pour le comprendre sont eux-mêmes incompatibles.

Non seulement il y a des cinémas politiques, mais ils reposent sur des conceptions du cinéma et de l’engagement parfois très éloignées les unes des autres.

Il faudrait alors accepter de déplacer les termes de la question : plutôt que de se demander ce qu’est le cinéma politique, se demander ce qui est politique dans un film. Un rapide coup d’œil à l’histoire de la critique et de la théorie du cinéma nous apprend que les réponses divergent. Pour les uns, ce qui est politique dans un film, c’est seulement son contenu, le « sujet » ou les thèmes abordés ; pour d’autres, ce sera la manière dont il a été produit, son modèle économique ou la position de son auteur dans le paysage intellectuel de l’époque ; d’autres enfin préféreront valoriser politiquement l’originalité formelle de l’œuvre plutôt que son sens explicite. En somme, il existe plusieurs modes de lecture de la politique au cinéma… parfois incompatibles les uns avec les autres. C’est ce que l’on a vu, exemplairement, avec la sortie récente de Barbie (Greta Gerwig, 2023) : là où une partie de la critique a salué les thématiques féministes abordées par le film, d’autres lui ont reproché une facture classique qui finit par faire la promotion d’un modèle hollywoodien capitaliste, inégalitaire et patriarcal. Entre ces deux interprétations opposées, on ne trouve pas une différence d’idéologie (les deux se revendiquent féministes), mais de mode de lecture (l’une s’intéresse au contenu du film, l’autre à sa forme).

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L’analyse du contenu (ou, pour utiliser un terme très critiqué par les spécialistes de cinéma, du

) n’est qu’une manière parmi d’autres d’analyser politiquement un film – peut-être simplement la plus courante aujourd’hui. Il faut se souvenir que ça n’a pas toujours été le cas : dans l’après-68, par exemple, l’essor du cinéma militant et la redécouverte d’expériences plus anciennes de collectivisation de la production cinématographique ont plutôt contribué à imposer une lecture des films en termes de financement et d’organisation du travail. Et auparavant, certains commentateurs des « nouvelles vagues » défendaient une conception du cinéma dans laquelle la qualité subversive d’un film résidait prioritairement dans la puissance de sa forme (montage, son, couleurs…) – une approche que l’on retrouve ensuite dans les recherches sur le cinéma expérimental. En somme, tout dépend des éléments que l’on valorise comme étant politiques dans les films.

En quoi est-il plus intéressant de poser le problème sous cet angle ? En premier lieu, montrer la diversité des lectures possibles nous invite à contester le privilège des auteurs, auxquels on accorde encore trop souvent le dernier mot sur le sens à donner à leur œuvre. Or, nombreux sont les cas dans lesquels les interprétations faites par le public révèlent une vérité que le cinéaste lui-même n’avait pas perçue : du Joker (Todd Phillips, 2019), transformé en symbole de la lutte anticapitaliste contre l’avis de son auteur, à BAC Nord (Cédric Jimenez, 2020), que l’extrême-droite française a spontanément identifié comme souscrivant à une idéologie raciste, les exemples contemporains ne manquent pas. Ici, une lecture en termes d’esthétique permet de faire apparaître une coloration politique dans des films qui ne le revendiquent pas explicitement : par leur manière de filmer les corps (plus ou moins respectueusement), leur vision enthousiaste ou au contraire méprisante du peuple, d’un événement, d’un groupe social. Preuve que l’« intention » d’un cinéaste ne dit rien de ce qui se joue vraiment dans les images qu’il produit.

Repenser l’analyse politique des films

L’enjeu est aussi de repenser notre manière de faire l’analyse politique des films, et avant tout, en renonçant à l’idée selon laquelle il serait possible d’établir une fois pour toutes le positionnement d’une œuvre. Aucun film, ou presque, n’est simplement « de droite » ou « de gauche » : en plus de réduire la spécificité de l’engagement artistique, ce lieu commun empêche souvent de comprendre comment les modes de lecture se complètent ou se contredisent. C’est en travaillant dans les écarts entre ces propositions contradictoires que l’on peut espérer éclaircir les liens entre cinéma et politique, aussi bien dans le champ du cinéma « d’auteur » que dans celui de la culture populaire.

On remarquera par exemple que le développement d’un discours écologique sur l’art se fait dans plusieurs directions en même temps, tantôt au niveau de la production, tantôt par de nouveaux récits. Mais alors, qui doit-on considérer comme le plus écolo entre, mettons, un Avatar 2 (James Cameron, 2022) reposant sur une vision néolibérale de la nature mais

, et de l’autre côté, le point de vue moderne et écoféministe d’un Mad Max : Fury Road (George Miller, 2015), mais dont le tournage a occasionné des dommages écologiques conséquents dans le désert de Namibie ? On le voit, le positionnement du film dépend ici de ce que l’on valorise comme étant le cœur de l’action politique (contenu ou processus), et la vérité réside moins dans le choix de l’un ou de l’autre que dans l’identification d’un écart, d’une tension entre les deux.

Il en va de même sur la question féministe au cinéma, structurée aujourd’hui autour de revendications qui, si elles paraissent complémentaires, reposent sur des cadres théoriques distincts : reconnaissance des femmes cinéastes, parité dans les équipes techniques, temps de présence à l’écran, écriture différenciée des rôles, mise en scène des corps, etc. Ainsi, l’arrivée d’un féminisme « grand public », compatible avec la logique de l’industrie du divertissement, a relancé les débats sur ce qui mérite ou non d’être qualifié de féministe dans les films, et donc sur les avantages et inconvénients de chaque mode de lecture.

Raphaël Jaudon, Cinémas politiques, lecture esthétique : Cinq thèses sur l’engagement des films, Grenoble, UGA Éditions, 2024.

On notera d’ailleurs que le concept de male gaze, théorisé dans les années 1970 par Laura Mulvey et qui connaît un grand succès dans les études féministes, n’est pas sans lien avec la « lecture esthétique » que j’ai développée dans mon propre ouvrage, Cinémas politiques, lecture esthétique (2024) : raisonner à partir du « regard » (et non du discours ou du message), cela revient à valoriser les données sensibles de l’image, qui ne sont jamais simplement traduisibles par des mots ou des concepts.

Enfin, cette approche offre une tentative de réponse à l’éternelle question de savoir si « tout est politique ». Mais elle le fait en déplaçant les termes du problème : que tout soit politique ou non importe peu, ce qui est certain c’est que l’on peut tout politiser – reste à savoir avec quelles attentes et à partir de quelle grille de lecture.

Raphaël Jaudon, Maître de Conférences en Études cinématographiques, Université de Caen Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Comment ont évolué les livres de cuisine

Sous l'influence des réseaux sociaux, le design culinaire prend de plus en plus de place dans les livres de cuisine. TCF, CC BY
Nathalie Louisgrand, Grenoble École de Management (GEM)

Depuis plusieurs années déjà, en France, le secteur du livre de cuisine est très dynamique. En tête des ventes se trouvent les stars des fourneaux très présentes à la télévision, la radio et sur les réseaux sociaux comme Cyril Lignac qui a vendu près de deux millions d’exemplaires de sa série Tous en cuisine ou François-Régis Gaudry qui a dépassé le demi-million avec les trois ouvrages de On va déguster.

Or le livre de cuisine représente bien plus qu’un simple objet. Il témoigne aussi de l’évolution de la société, de ses goûts et de ses habitudes de consommation.

Du Moyen Âge à la fin de la Renaissance

Si les premiers exemplaires remontent à l’antiquité, et que les recettes se sont principalement transmises à l’oral jusqu’à l’invention de l’imprimerie, c’est depuis le XIVe siècle que l’on trouve des livres de cuisine. À travers une sélection non exhaustive d’ouvrages qui ont marqué l’histoire culinaire française, nous verrons comment cette évolution s’est caractérisée.

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Rédigé à la fin du Moyen Âge, le Viandier, premier livre de cuisine écrit en français attribué au cuisinier Guillaume Tirel dit Taillevent (1310-1395), est un ouvrage de référence pour la période médiévale. Il contient des recettes de mets servis à la cour royale. Ces dernières, présentées de manière concise, contiennent un bref descriptif du plat sans quantité précise ni temps de cuisson. Les illustrations sont quasi inexistantes car elles sont coûteuses. Il s’agit essentiellement d’un guide pour les professionnels qui doivent être capables de compter sur leur expérience pour interpréter et reproduire les recettes.

On note dans ces dernières une forte utilisation d’épices provenant d’Afrique et d’Asie – signe de distinction sociale – de mélanges sucré-salé et de sauces acides. La plupart des recettes sont à base de viande, comme l’indique le titre – un des éléments caractéristiques de l’alimentation des puissants – parmi lesquelles on trouve des cygnes, des cormorans ou des hérons – réputés plus proches du divin et du pouvoir parce qu’ils évoluent dans les cieux. Les légumes, nourriture de paysans, trop « terre-à-terre » pour les grands de ce monde, sont peu présents.

La cuisine de la Renaissance restera, elle aussi, profondément moyenâgeuse, et jusqu’au XVIIe, les pratiques alimentaires de l’aristocratie européenne sont quasi identiques.

L’avènement de la « nouvelle cuisine »

Après un siècle sans nouvel ouvrage de cuisine, La Varenne, cuisinier du marquis d’Uxelles, rédige, en 1651, Le cuisinier françois. Cet ouvrage capital met en place les grands principes qui feront la grandeur et le rayonnement de la cuisine française. Cette dernière passe dans l’ère moderne et rompt définitivement avec ses composantes médiévales. Les saveurs lourdement épicées laissent place à celles des herbes aromatiques, les saveurs aigres-douces disparaissent, et la nette séparation entre le salé et le sucré, qui arrive désormais en fin de repas, devient une de ses grandes caractéristiques.

Si l’alimentation carnée est toujours dominante sur la table aristocratique, les légumes font leur apparition. La fraîcheur et les saveurs naturelles des aliments sont mises en avant, tout comme les considérations diététiques. La Varenne a aussi apporté de nouvelles techniques culinaires comme l’élaboration de nombreux fonds de cuisson, de sauces dans lesquelles il a introduit le beurre, sans oublier la technique raffinée du feuilletage qui conduira à l’invention du millefeuille.

Les recettes sont désormais organisées selon les catégories du menu de l’époque (potages, entrées…) mais aussi pour les « jours de viande », les « jours maigres », etc., ce qui permet de noter l’importance de la religion catholique dans l’élaboration des repas d’alors, importance déjà présente au Moyen Âge.

D’abord destinées à une élite et à ses cuisiniers, les recettes se diffuseront par la suite aux autres couches de la société. La grande cuisine française qui s’écrit au XVIIe siècle, et qui se transmet grâce à ses recettes est une cuisine dont la renommée et le prestige iront croissants et qui s’imposera en Europe comme la référence culinaire.

Une cuisine de plus en plus normative et accessible

Par la suite, les livres de cuisine ne restent plus uniquement dans l’univers aristocratique. Au XVIIIe siècle, ils touchent aussi la bourgeoisie – témoignage de son importance grandissante au sein de la société française – avec une cuisine de cour simplifiée, moins onéreuse. Avec le Cuisinier royal et bourgeois rédigé par Massialot (1691) les recettes, sont pour la première fois, classées par ordre alphabétique, d’après le principal ingrédient ou la place du mets dans le menu. Les éditions bon marché permettent aussi une plus large diffusion des écrits culinaires à travers la société, consolidant davantage l’aspect normatif et le langage technique des recettes.

Gouffé invente, avec son Livre de cuisine (1867), l’ouvrage culinaire moderne : accessible à tous, du simple débutant au cuisinier aguerri, il précise aussi les quantités et temps de cuisson des ingrédients. Pédagogue, il donne aussi des indications sur les ustensiles de cuisine utilisés. Gouffé a aussi recours, pour la première fois, aux illustrations en couleur, quand il le juge nécessaire pour expliquer une opération comme une découpe ou un détail pratique. Le classement des recettes en jours gras et maigres est, lui, définitivement abandonné.

Au cours du XXe siècle, les livres de cuisine sont de plus en plus accessibles au grand public. Si le Guide Culinaire d’Escoffier (1903) devient la « bible » de la cuisine française classique pour les cuisiniers professionnels, le vrai tournant a lieu dans l’entre-deux-guerres avec des ouvrages qui sont désormais aussi rédigés par des femmes. Ginette Mathiot, avec Je sais cuisiner (1932), propose des recettes simples, avec des produits de base et faciles à suivre, même pour les ménagères peu expérimentées. Son immense succès sur des décennies contribue à la popularité de la cuisine maison.

Dès le dernier quart du XXe siècle, la production d’ouvrages culinaires s’accélère et de nouveaux publics sont ciblés : célibataires ou étudiants, amateurs de cuisines régionales (bretonne, basque) ou internationales (italienne, chinoise) ou ceux avec des régimes alimentaires spécifiques (végétarien, végétalien, sans gluten, etc.). Les livres de chefs renommés comme Paul Bocuse ou Michel Guérard sont aussi très vendeurs. D’autre part, les illustrations des recettes deviennent, peu à peu, quasi indispensables.

Nouvelles technologies et notoriété des chefs

Aujourd’hui, l’univers des livres de cuisine se partage en trois principales catégories : d’abord les livres pratiques dans lesquels les recettes sont expliquées étape par étape, avec quelques ingrédients, le temps et les étapes de préparation, et même les calories, le tout accompagné de photos, de très belle qualité, comme dans la collection Simplissime. Ensuite il y a le beau livre de chef célèbre comme Le Pré Catelan de Frédéric Anton. Ce dernier, très esthétique et artistique, sert davantage à faire rêver avec ses magnifiques photos qu’à former. La cuisine se doit d’être très belle dans notre monde de l’image. Il y a enfin le développement des livres numériques et des applications mobiles.

Les recettes sont désormais partagées en ligne, accompagnées de photos, de vidéos ou de liens Internet. De nombreux chefs cuisiniers, pâtissiers, youtubeurs, blogueurs ou passionnés, se font remarquer en diffusant leurs recettes sur les réseaux sociaux à l’image de Emmanuelle Jarry ou du site Marmiton.org.

Ces dernières décennies ont donc révélé, suite à l’influence des réseaux sociaux mais aussi des émissions esthétisantes comme Top Chef ou Chef’s table, l’importance grandissante du design culinaire. En effet, les livres de cuisine ont davantage mis l’accent sur la présentation des plats, sur leur mise en scène et les photographies sont devenues plus sophistiquées, les faisant évoluer pour devenir aussi bien des objets visuels autant que des guides culinaires.

Le livre de cuisine a connu des développements notables, aussi bien dans sa forme et son fond que dans son accessibilité, mais en lien avec les évolutions de la société et le développement des technologies et il semble aujourd’hui plus vivant et plus protéiforme que jamais.

Nathalie Louisgrand, Enseignante-chercheuse, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Pourquoi les hommes perdent-ils plus leurs cheveux que les femmes ?

Coralie Thieulin, ECE Paris

Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions.

N’hésitez pas à nous écrire pour poser la vôtre et nous trouverons la meilleure personne pour vous répondre.

Et bien sûr, les questions bêtes, ça n’existe pas !


La calvitie est depuis toujours une source majeure de préoccupation, notamment pour la gent masculine. C’est pourquoi, de l’Antiquité à nos jours, les hommes ont utilisé divers stratagèmes pour la dissimuler.

Pour comprendre ce phénomène, intéressons-nous à la vie du cheveu. Ils naissent dans les follicules pileux, des petites structures situées sous la peau qui se composent chacune d’une racine et d’un bulbe. Les follicules pileux sont en quelque sorte des usines où les cheveux poussent par cycles avant de tomber.

La phase de croissance du cheveu est appelée phase anagène, elle dure environ 2 à 5 ans chez l’homme et 3 à 7 ans chez la femme. Durant cette période, le follicule pileux produit environ un centimètre de cheveu par mois. Dans un deuxième temps, la phase catagène apparaît, marquant la fin de production du cheveu. Enfin, le cycle de vie du cheveu se termine par la phase télogène : le cheveu mort reste fixé au crâne environ trois mois avant de tomber et de laisser la place au suivant. Chaque follicule pileux peut répéter ce cycle entre 20 et 25 fois avant de s’épuiser. Mais parfois ces cycles peuvent être perturbés, notamment sous l’action des hormones.

En moyenne, un individu possède 100 000 à 150 000 cheveux et en perd environ 40 à 100 quotidiennement. À l’automne, il est courant que certaines personnes remarquent une augmentation de la chute de leurs cheveux. Cette chute capillaire saisonnière s’explique en partie par le manque de luminosité qui a un impact direct sur la pousse du cheveu en agissant sur les hormones et la production de vitamine D. Elle peut aussi être accentuée par le stress et la fatigue qui surviennent généralement à cette période.

Lorsqu’une personne perd plus de 100 cheveux par jour pendant une période prolongée, cette chute de cheveu est considérée comme anormale.

L’alopécie androgénétique héréditaire est la forme la plus courante de chute anormale de cheveux (_Nota bene _ : La calvitie correspond à un stade avancé d’alopécie, le fameux crâne dégarni). Outre la génétique, la responsable n’est autre que la dihydrotestostérone ou DHT, aussi appelée « l’hormone de la chute des cheveux ». Cette hormone est produite lors de la rencontre entre la testostérone (hormone mâle) et une enzyme, la 5-alpha réductase, présente au niveau du cuir chevelu.

Chez une personne non atteinte d’alopécie androgénétique, la DHT n’a aucune conséquence sur la vie du cheveu. Cependant, si la concentration de DHT est trop élevée et que les follicules pileux y sont trop sensibles, le cycle des cheveux ralentit et la pousse d’un nouveau cheveu est retardée. En effet, la DHT provoque la diminution de taille des follicules pileux. Les cheveux deviennent ainsi de plus en plus fins, jusqu’à ce que le follicule soit trop petit pour fabriquer un nouveau cheveu.

Les femmes également touchées, mais différemment

On pense souvent à tort que l’alopécie androgénétique est une affaire d’hommes. On estime d’ailleurs qu’un homme de plus de 70 ans sur trois en est atteint. Or, même si elle touche en majorité les hommes, les femmes peuvent être atteintes de calvitie (environ 20 % des femmes vers l’âge de 40 ans et 25 % à partir de 60 ans), puisque les deux sexes produisent des hormones mâles (testostérone). En effet, la DHT n’est pas seulement présente chez l’homme. Elle l’est également en quantité plus faible chez la femme. Ainsi, la calvitie féminine peut apparaître autour de la ménopause, période durant laquelle les hormones féminines diminuent, laissant les effets de la DHT agir sur les follicules pileux.

D’autre part, l’alopécie androgénétique se manifeste différemment chez les hommes et les femmes. Chez l’homme, ce sont d’abord les tempes qui se dégarnissent puis le front et le sommet du crâne. Chez la femme, l’alopécie est plus diffuse et donc passe plus inaperçue. Les cheveux deviennent plus fins et perdent en densité, notamment au niveau de la raie.

Enfin, les hormones ont bon dos mais il ne faut pas oublier le rôle de la génétique dans la chute de cheveux. En effet, en cas d’alopécie androgénétique, on observe fréquemment des cas de perte de cheveux chez l’un des parents ou grands-parents.

Coralie Thieulin, Enseignant chercheur en physique à l'ECE, docteure en biophysique, ECE Paris

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Pourquoi les cheveux bouclent-ils (plus ou moins) en fonction de la météo ?

Coralie Thieulin, ECE Paris

Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions.

N’hésitez pas à nous écrire pour poser la vôtre et nous trouverons la meilleure personne pour vous répondre.

Et bien sûr, les questions bêtes, ça n’existe pas !


De nombreuses personnes constatent que leurs cheveux ont tendance à boucler, voire à frisotter, par temps humide, même s’ils sont naturellement raides. Ce phénomène universel varie toutefois en intensité selon le type de cheveux. Pour comprendre les raisons scientifiques qui se cachent derrière ces frisottis, plongeons à l’intérieur du cheveu.

La tige pilaire (nom scientifique donné au cheveu), principalement constituée de kératine (une protéine) est la partie visible du cheveu, autrement dit la partie qui sort du cuir chevelu. Elle est composée de plusieurs couches concentriques, à l’image d’un tronc d’arbre.

La moëlle (ou medulla), la couche la plus interne, permet de retenir l’humidité. Sa présence varie en fonction des types de cheveux et peut être continue, fragmentée ou complètement absente. En particulier, les cheveux blonds, souvent plus fins, ne contiennent pas ou peu de moëlle.

La couche intermédiaire, appelée cortex, représente 80 à 90 % du cheveu, c’est l’équivalent du bois d’un tronc d’arbre. Le cortex est composé de longs filaments torsadés de kératine parallèles à l’axe du cheveu et maintenus ensemble par des liaisons fortes, les ponts disulfure (soufre) et d’autres plus faibles, les liaisons hydrogène. Les ponts disulfures assurent la cohésion et donnent la résistance au cheveu. Lorsqu’on applique des traitements chimiques aux cheveux, ces ponts sont détruits : les cheveux sont fragilisés et se cassent plus facilement.

Les liaisons hydrogène plus facilement altérables sont, quant à elles, à l’origine de la forme des cheveux. Ce sont ces liaisons qui sont altérées temporairement lorsque l’on utilise un fer à lisser et une brosse chauffante pour lisser les cheveux. Une fois ces liaisons brisées, les cheveux peuvent être redressés et, une fois refroidis, les liaisons se reforment dans l’état où elles se trouvent, maintenant temporairement les cheveux dans une position lisse. Avec le temps, notamment avec l’humidité de l’air, les liaisons vont se reconstituer à leur place initiale, redonnant au cheveu sa texture naturelle.

Enfin, le cortex est entouré par la cuticule (les écailles), couche la plus externe du cheveu. La cuticule est comme l’écorce d’un arbre. Son rôle est de protéger le cortex, mais elle est très facilement endommagée par le brossage, les produits chimiques (coloration, permanente…), le vent ou la chaleur (lissage, soleil…).

Maintenant que nous en savons plus sur la structure et composition du cheveu, comment l’humidité interagit-elle avec celui-ci pour provoquer ces frisottis souvent indésirables ?

Revenons sur la notion de liaison hydrogène. Elle est due à l’attraction entre un atome d’hydrogène électropositif (porteur une petite charge positive) et un atome d’oxygène électronégatif (portant une charge négative) présents dans la kératine. Cette liaison, dite faible, est facilement altérée sous l’action de l’eau qui contient justement deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène.

En effet, l’absorption des atomes d’hydrogène de l’eau par le cortex va augmenter le nombre de liaisons hydrogène dans le cheveu. Chaque fibre de kératine aura tendance à se replier sur elle-même au niveau moléculaire, ce qui entraînera une ondulation ou un frisage des cheveux. Ce phénomène est connu sous le nom d’effet de frisage par l’humidité. Les liaisons fortes (ponts disulfure) ne sont, quant à elles, pas affectées par l’humidité dans l’air.

Mais une question demeure, pourquoi certains types de cheveux sont plus sensibles à l’humidité que d’autres ?

Tout dépend de la porosité du cheveu qui traduit sa capacité à absorber et retenir l’humidité présente dans l’air. Plus les écailles du cheveu (sa cuticule) sont serrées, moins le cheveu est poreux et laisse passer l’eau jusqu’au cortex. Ainsi, les cheveux abîmés ou poreux sont davantage susceptibles de frisotter en cas de temps humide. La porosité du cheveu dépend de nombreux facteurs. Par exemple, un cheveu naturellement bouché, frisé ou crépu aura tendance à être plus poreux qu’un cheveu lisse car le mouvement du cheveu aura tendance à écarter les écailles.

D’autre part, les traitements chimiques ou thermiques auront tendance à ouvrir les écailles et rendre le cheveu plus poreux également. C’est pourquoi les cheveux abîmés (coloration, lissage…) ou naturellement bouclés, frisés ou crépus auront plus tendance à frisotter en cas d’humidité. En revanche, les cheveux raides « en bonne santé » sont moins poreux et réagissent moins visiblement à l’humidité, même s’ils ne sont pas à l’abri d’une petite ondulation.

Bonne nouvelle pour ceux qui aimeraient dompter ces mèches rebelles, il existe des solutions afin de réduire les frisottis. Certains produits pour les cheveux (shampoings, après-shampoings ou soins) forment une barrière à l’humidité en imperméabilisant le cheveu afin d’empêcher l’eau de pénétrer la tige pilaire. C’est le cas de ceux qui contiennent des silicones, des huiles ou des agents hydratants, connus pour leurs propriétés hydrophobes (qui repoussent l’eau).

Coralie Thieulin, Enseignant chercheur en physique à l'ECE, docteure en biophysique, ECE Paris

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Au Moyen Âge, l’état amoureux était parfois synonyme de maladie

Dessin du Codex Manesse, XIV? siècle. Universitätsbibliothek Heidelberg
Anna Peirats, Universidad Católica de Valencia

Au Moyen Âge, on définissait l’amour de différentes manières. D’un point de vue religieux, dans les textes bibliques et la littérature édifiante, il était synonyme de voluntas, c’est-à-dire de dévouement à l’autre.

Mais l’amour était aussi synonyme de passion ou d’eros, conséquence de l’idéalisation de la personne aimée.

Un manuel sur l’amour au XII? siècle

Le lien entre amour et passion se trouve déjà dans De amore d’Andreas Capellanus. Ce traité scientifique et pratique du XIIe siècle, qui décrit les règles à suivre dans les relations amoureuses, définit l’amour comme une passion innée, qui naît de la contemplation de la beauté et d’une obsession envers l’être aimé.

Capellanus énumère différents types d’amour : l’amour vrai, entre personnes de même rang social ; l’amour vulgaire, ou charnel ; l’amour impossible ; et l’amour malhonnête (que l’auteur condamne car il est contraire aux préceptes moraux).

Au Moyen Âge, on définissait l’amour de différentes manières. Ici, une miniature des Décrétales de Grégoire IX intitulée « Une rencontre amoureuse ». British Library

Cet ouvrage a eu une influence majeure sur la littérature, la médecine et la société médiévales. L’idée que l’amour est une maladie, fondée sur la théorie des quatre humeurs corporelles – le sang, le phlegme, la bile noire et la bile jaune – dont l’équilibre assurait la santé, vient également de là.

La vision des médecins

Dans sa traduction d’un traité sur la mélancolie, le médecin Constantin l’Africain établit en effet un lien direct entre l’excès de bile noire et le mal d’amour. Cet excès expliquait le lien entre les mots « amour » et « amer ». Selon lui, la maladie frappait le cerveau et pouvait provoquer des pensées et des inquiétudes intenses chez l’amant. Dans le même ordre d’idées, la thèse de Boissier de Sauvages associe le mal d’amour à la mélancolie.

Selon le Lilium Medicinae de Bernardo De Gordonio, cette pathologie, causée par « l’amour des femmes », pouvait conduire à la mort du malade. Il était entendu que l’homme était obsédé par les images de sa bien-aimée. Dans ces conditions, la température du corps, le flux sanguin et le désir sexuel augmentaient. Dans son manuel, Gordonio analyse les symptômes, parmi lesquels la couleur jaunâtre de la peau, l’insomnie, le manque d’appétit, la tristesse constante due à l’absence de l’être aimé, etc. Cet état était considéré comme une maladie, appelée amor hereos ou aegritudo amoris.

Rencontre d’Anne et Joachim à la Porte dorée de Jean Hey, fin du XV? siècle. National Gallery

Arnaud de Villeneuve, médecin médiéval, attribuait ce trouble à un jugement erroné de la « mémoire cogitative », située dans le cerveau. Il en résultait une élévation de la température, provoquée par l’anticipation du plaisir sexuel au niveau cérébral.

Selon le Dragmaticon philosophiae de Guillem de Conches (puis, plus tard, pour Gordonius), le cerveau était divisé en trois parties. La première, située dans la partie supérieure du front, recelait la vertu sensible. La deuxième, derrière le front, contenait la conscience sensible, où le malade qualifiait les images de positives ou négatives. Dans la troisième, sous la partie inférieure du cou, se trouvait la mémoire sensible, sorte d’archivage des images. L’homme qui idéalisait l’image de la bien-aimée voyait sa fonction imaginative altérée.

Le mal d’amour dans la littérature

L’amour en tant que maladie est une constante dans les textes littéraires de l’époque. Lucrèce consacre le livre IV du De Rerum Natura au thème de l’amour, le considérant comme une maladie dangereuse pour l’équilibre mental de l’être humain. Pour Garcilaso de la Vega, cet état peut conduire à la folie et à la mort. Dans son sonnet XIV, il explique comment sa passion amoureuse l’a conduit au désespoir, où il ne trouve ni paix ni repos.

On constate aussi que la maladie afflige des personnages littéraires bien connus. Le Livre du Bon Amour de l’archiprêtre de Hita montre la lutte entre l’esprit chrétien et l’amour de Dieu, d’un côté, et « l’ amour fou » qui ronge l’amant, de l’autre. Dans El Corbacho de l’archiprêtre de Talavera, l’« amour fou » est décrit comme la cause directe de l’aliénation mentale et même de la mort.

La Célestine ou tragicomédie de Calixte et de Mélibée_ de Fernando de Rojas. Burgos, 1499. Cervantes Virtual

Leriano, le héros de La Prison d’amour de Diego de San Pedro, souffre lui aussi du « mal d’amour », une passion profonde pour Laureola qui lui fait perdre l’appétit et le sommeil, et manque de le tuer.

Dans La Célestine, Calixte manifeste un désir sexuel démesuré qui le conduit à la folie amoureuse. Sans oublier que l’objectif final du Don Quichotte de Miguel de Cervantes est de faire connaître l’étendue de sa passion à sa bien-aimée, Dulcinée.

Dans Tirant le Blanc de Joanot Martorell, l’attirance du protagoniste pour Carmésine occasionne un manque d’appétit, des crises d’insomnie, des pleurs et des soupirs. De même, dans Espill de Jaume Roig, le sage Salomon diagnostique dans les rêves du protagoniste un maladie d’amour dee à une passion amoureuse démesurée.

Existait-t-il un remède au mal d’amour ?

La guérison passait par une double recommandation : régime alimentaire et discipline morale. Le régime prescriptif consistait à éviter le vin, la viande rouge, le lait, les œufs, les légumes et les aliments de couleur rouge, qui incitent au mouvement du sang et au désir sexuel. Le malade d’amour devait manger de la viande blanche, du poisson et boire de l’eau ou du vinaigre. Il était également nécessaire de bien transpirer et de prendre un bain avant de manger.

Il convenait aussi de dominer ses pulsions charnelles afin de soumettre la volonté, en posant une plaque de fer froid sur les reins (berceau supposé du désir), en dormant sur un oreiller rempli d’orties, en se baignant dans l’eau froide, etc.

Les instincts charnels étaient la cause principale de tous ces maux. Une vie vertueuse, éloignée de la passion excessive, permettait de trouver l’harmonie entre le corps et l’âme, car le mal d’amour pouvait conduire à la mort et, pire encore, à la damnation de l’âme.

Anna Peirats, IVEMIR-UCV, Universidad Católica de Valencia

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Les pluies intenses rechargent-elles les nappes ?

Antoine Sobaga, École normale supérieure (ENS) – PSL et Florence Habets, École normale supérieure (ENS) – PSL

Cet été, des événements de pluies intenses se sont multipliés, générant des crues impressionnantes et parfois dévastatrices. Est-ce que ces précipitations aident par ailleurs les nappes à se recharger ? Pas si sûr. La recharge des nappes est difficile à observer. Et c’est particulièrement le cas lors des précipitations intenses. Pourtant, c’est une question importante, puisque le changement climatique conduit à un accroissement de l’intensité des événements de précipitations les plus forts.

C’est quoi, une pluie intense ?

L’actualité récente a rapporté plusieurs épisodes avec des quantités de pluie en une heure correspondant au cumul mensuel (en Mayenne, à Bordeaux, dans le Lyonnais…). Il s’agit là de précipitations extrêmes. On considère qu’une pluie est intense dès lors que c’est un épisode de pluie rare, c’est-à-dire qui atteint un niveau de précipitation qui ne se produit qu’un jour de pluie sur 100. Cela conduit à des valeurs de l’ordre de 10 mm/jour dans le nord de la France à près de 100 mm/jour dans le Sud méditerranéen.

La plupart de ces épisodes sont associés à des orages, plutôt en période estivale, même si certains correspondent à des tempêtes, et donc plutôt en période hivernale. Comme la recharge engendrée par ces précipitations intenses arrive avec un certain délai le temps que l’eau pénètre le sol, on analyse ces épisodes en incluant les précipitations des quelques jours précédents et suivants. Ainsi, même si la pluie intense dure un jour, un événement de précipitation intense peut durer plusieurs jours.

Zoom sur un épisode de fortes pluies

Les lysimètres sont des dispositifs qui nous permettent d’observer l’infiltration des précipitations dans le sol, jusqu’à atteindre une profondeur où le flux d’eau ne peut plus être repris par la végétation et va donc recharger la nappe. Nous avons pu observer l’impact des précipitations intenses sur la recharge dans la région du Grand Est grâce aux sites d’observations du Groupement d’intérêt scientifique sur les friches industrielles (GISFI), de l’Observatoire pérenne de l’environnement (OPE) et de Fagnières, dans la Marne.

On constate que l’infiltration n’est pas la même en été et en hiver, illustré par l’exemple ci-dessous de deux épisodes intenses en 2016 atteignant 20 mm/jour en hiver et jusqu’à 70 mm/jour en été. En hiver, le sol est assez humide avant l’épisode. Or, plus le sol est humide, plus l’eau peut circuler rapidement en son sein. Ainsi, la pluie intense lors de cet épisode s’infiltre rapidement pour générer quasiment 100 % de recharge.

À l’inverse, en été, le sol est plus sec. L’épisode commence avec une journée cumulant près de 10 mm de pluie, qui humidifie à peine les premiers centimètres de sol. Ces pluies se poursuivent à faible intensité jusqu’à une journée diluvienne où les pluies atteignent 70 mm. L’eau s’infiltre alors dans le sol, et est partiellement reprise par la végétation les journées suivantes, pluvieuses, conduisant au final à une recharge correspondant à 30 % de l’épisode de pluie.

Observations acquises sur les événements de février et juin 2016 sur le site expérimentale GISFI. En haut, précipitation journalière, au milieu, teneur en eau du sol exprimé en pourcentage par rapport à la saturation sur les 2 m de profondeurs, en bas, la recharge observée. Antoine Sobaga, Fourni par l'auteur

En été, l’eau est principalement captée par la végétation

De fait, la végétation joue un rôle crucial dans la capacité des nappes à se recharger lors de précipitations intenses. Sur l’épisode de juin 2016, le blé qui est très développé à cette période de l’année consomme toute l’eau dans le sol, limitant ainsi fortement la recharge. À l’inverse, un sol maintenu nu ou des végétations encore peu développées comme à l’époque la betterave favorise l’infiltration des précipitations jusqu’à la nappe mais aussi, le ruissellement, avec les coulées de boue associées.

On constate ainsi que la végétation réduit fortement la recharge des nappes lors d’épisodes de pluie très intenses. De plus, on voit bien la cohérence entre la recharge observée à travers les lysimètres et le niveau de la nappe la plus proche. Cet épisode a permis au niveau de la nappe de remonter, alors qu’à cette époque de l’année, sa contribution aux débits des rivières conduit son niveau à diminuer.

Recharge en fonction de l’occupation du sol et variation du niveau de la nappe lors de l’événement précipitation intense de Juin 2016 sur les lysimètres de Fagnières. Le sol nu permet la meilleur recharge, et lorsqu’il est couvert de culture, les plantes en prélèvent une partie (la betterave, en violet, le moins, l’orge en orange plus, le blé en jaune consomme presque la totalité). Antoine Sobaga, Fourni par l'auteur

La majorité des précipitations intenses ne remplissent pas les nappes

Aujourd’hui, nous disposons d’observations sur plus de 50 ans sur le site de Fagnières. On y a recensé 85 événements de précipitations intenses avec des intensités journalières variant de 23 à 72 millimètres. Ces événements représentent un petit nombre de jours de pluie (2 %) mais sont responsables de 15 % des volumes de pluies annuelles. Ils ont majoritairement lieu en été et en automne.

Ainsi, sur ce site, 70 % des épisodes de pluies intenses n’ont engendré aucune recharge, et seulement 10 % des événements de précipitations intenses engendrent une forte recharge (avec plus de 30 mm). Ces précipitations intenses restent donc moins efficaces pour générer une recharge que les événements de précipitations plus faibles : elles représentent 15 % du volume d’eau tombée du ciel mais seulement 10 % de la recharge annuelle. Ces pluies contribuent ainsi à une faible part de la recharge des nappes.

L’évolution de la recharge suite aux pluies intenses

Actuellement, nous n’observons pas sur ce site de réponse marquée du changement climatique sur les pluies intenses et la recharge qu’elles génèrent. Ce résultat peut paraître surprenant, car une atmosphère plus chaude à la capacité de retenir plus d’humidité, qui est amenée à retomber sous la forme de précipitations. Avec l’augmentation des températures, on devrait donc s’attendre à une hausse de ces événements.

Illustration de l’évolution des événements de précipitations intenses et de la recharges attribuées sur le site de Fagnières. Les tendances sont représentées par des lignes pointillées (non significatives). Antoine Sobaga, Fourni par l'auteur

Cependant, malgré une stabilité des précipitations annuelles, il y a une tendance significative à la diminution de la recharge, liée à une évaporation et à une transpiration des plantes plus importantes. Cela implique que les événements de précipitations intenses constituent une part de plus en plus importante dans les recharges annuelles.

Comme on l’a vu cet hiver dans le Pas-de-Calais, les précipitations intenses peuvent contribuer fortement à la recharge des nappes. Cependant, cela est moins vrai lors des périodes estivales, principalement du fait que ces précipitations, comme on l’a vu, peuvent être consommées par la végétation lorsqu’elles s’infiltrent dans le sol. Cela est aggravé par une proportion non négligeable des précipitations intenses qui au lieu de s’infiltrer dans le sol va ruisseler, du fait de la topographie, mais aussi de l’imperméabilisation des sols, de leur dégradation, et de l’absence de zones végétalisées permettant de contenir ces flux.

Il devient urgent d’améliorer la compréhension des impacts des éléments du paysage pour réduire les risques inhérents aux précipitations intenses (ruissellement, coulée de boue), et maximiser la recharge des nappes lors de ces épisodes. L’extension d’un réseau lysimétrique national dans le cadre du programme de recherche OneWater – Eau Bien Commun y contribuera.

Antoine Sobaga, Post Doctorant, École normale supérieure (ENS) – PSL et Florence Habets, Directrice de recherche CNRS en hydrométéorologie, professeure, École normale supérieure (ENS) – PSL

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