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Lutter contre l’obésité avec des fibres

Un pain développé par une équipe de recherche permet de lutter contre l'obésité. WESUAL CLICK/Unsplash, CC BY
Isabelle Savary-Auzeloux, Université Clermont Auvergne (UCA)

Au niveau mondial, l’obésité a triplé depuis 1975. Selon les derniers chiffres de l’organisation mondiale de la santé, presque 2 milliards d’adultes étaient en surpoids ou obèses, et parmi eux, 650 millions obèses – soit 13 % de la population mondiale. Un surpoids est défini par un indice de masse corporel (IMC) compris entre 25 et 30, une obésité lorsque ce dernier dépasse 30.

En 2020, la prévalence de surpoids et de l’obésité est de 47,3 % dans la population française (17 % de personnes obèses), avec une tendance à la hausse. Du fait que l’occurrence de nombreuses pathologies chroniques est plus élevée chez des populations obèses ou en surpoids (diabète de type 2, pathologies cardiovasculaires…), de nombreuses politiques publiques se sont mises en place pour enrayer cette augmentation constante de l’obésité et du surpoids,notamment le PNNS (Programme national nutrition santé en France).

Parmi les repères nutritionnels et les objectifs du PNNS, il est recommandé d’augmenter la part des fibres dans notre alimentation pour prévenir l’occurence de l’obésité et des pathologies associées mais aussi pour lutter contre l’obésité installée. Cela passe notamment par une augmentation de l’ingestion des fruits et légumes, des céréales complètes ou des légumineuses par exemple.

En effet, il existe un écart important entre la consommation de fibres alimentaires dans la population française et les recommandations du PNNS (30 g). Or, une consommation accrue de fibres alimentaires est connue pour être inversement corrélée avec la prévalence des pathologies chroniques associées à l’obésité.

Du pain enrichi en fibres fermentescibles

L’augmentation de l’ingestion de fibres, en particulier fermentescibles (celles dégradées par le microbiote intestinal) ont montré, dans des études cliniques contrôlées, un effet bénéfique sur l’insulino-sensibilité et donc la diminution de l’apparition du diabète et des pathologies cardiovasculaires. Les fibres fermentescibles sont présentes dans les légumineuses, les céréales complètes, les fruits et les graines en particulier.

Pour corriger cette déficience, nous avons mis au point un pain enrichi en fibres fermentescibles potentiellement capable d’augmenter la sensibilité à l’insuline et donc limiter le développement du diabète. Un mélange de fibres fermentescibles a été développé sur une base de 20 % d’inuline, 20 % de pectine et 60 % d’amidon résistant.

Ainsi, la consommation de 250g (soit environ une baguette) de ce pain apporte 25g de fibres et permet d’atteindre, voire de dépasser, les recommandations du PNNS dans le cadre d’une alimentation saine.

Nous avons testé ce pain sur un modèle animal en cours de développement de l’obésité et nous sommes intéressés à la courbe de prise de poids des animaux en présence ou non du pain enrichi en fibre. Nous avons par ailleurs montré des effets métaboliques intéressants de ce pain enrichi en fibres sur le métabolisme de muscle et en particulier sur son métabolisme énergétique.

Nous avons utilisé comme modèle animal le mini porc, car ce dernier présente la particularité d’être relativement proche de l’humain du point de vue de la taille, la physiologie digestive, la composition de son microbiote intestinal et surtout de la réponse de nombreux paramètres physio-métaboliques à la surnutrition et à l’obésité.

Des résultats prometteurs chez l’animal

Ces mini porcs sont ainsi nourris afin qu’ils développent de l’obésité : ingestion de 800g d’un régime enrichi en graisse et sucre (apport énergétique largement supérieur à leurs besoins). Les mini porcs reçoivent de plus : soit 250 g de pain à base d’une farine raffinée pauvre en fibres, celle que l’on retrouve dans les baguettes blanches (T = Témoin) soit 250g d’un pain enrichi en fibres fermentescibles (F = Fibres).

Les fibres fermentescibles ont été choisies, car elles sont dégradées dans le colon par le microbiote intestinal, générant des molécules appelées acides gras à chaînes courtes (butyrate et propionate en particulier) connues pour avoir des effets bénéfiques sur la santé, en particulier sur la santé métabolique et la sensibilité à l’insuline. Nous avons choisi un mélange de fibres pour permettre la synthèse d’une grande variété d’acides gras à chaînes courtes.

Schéma des résultats de l’expérience chez le mini porc. Fourni par l'auteur

Le pain enrichi en fibres a permis de limiter la prise de poids induite par le régime riche en graisse et sucre (-15 % de prise de poids chez les animaux F relativement à T). Ceci s’est également traduit par un moindre stockage des graisses dans leur foie. Par ailleurs, les fibres fermentescibles présentes dans le pain des animaux F ont aussi permis de stimuler, dans le muscle, l’expression de nombreux gènes impliqués dans la dégradation complète des acides gras (graisses) ainsi que dans l’activité mitochondriale (la centrale énergétique de nos cellules). En plus des enzymes impliquées directement dans la dégradation et l’utilisation des lipides dans les mitochondries, l’expression génique de nombreux facteurs de régulation des activités mitochondriales est également augmentée chez les animaux F, suggérant là encore une limitation du stockage des graisses et une augmentation de leur utilisation.

Parmi les éléments pouvant expliquer l’effet des fibres fermentescibles sur l’utilisation des graisses à des fins d’oxydation plutôt que de stockage dans le muscle, nous supposons l’action des acides gras à chaînes courtes (butyrate et propionate) connus pour limiter le diabète et augmenter l’insulino-sensibilité. En effet, sur ces mêmes animaux, nous avons vu, une augmentation du butyrate et du propionate dans les fécès ainsi que dans le sang émis par l’intestin en veine porte chez les animaux ayant eu le pain supplémenté en fibres fermentescibles. Par ailleurs, une augmentation de l’expression de récepteurs de ces mêmes acides gras dans le colon a également été montrée, suggérant une augmentation de la sensibilité des animaux supplémentés en fibres vis-à-vis acides gras à chaînes coutes.

L’ingestion de quantités raisonnables de pain enrichi en fibres fermentescibles est donc un moyen efficace de se rapprocher des apports recommandés en fibres par le PNNS, mais aussi de limiter la prise de poids en favorisant le catabolisme musculaire des lipides. Les effets de la supplémentation en fibres ne se limitent donc pas à la prise de poids mais ont des effets majeurs sur l’utilisation des lipides dans l’organisme, en particulier au niveau musculaire. Ce pain pourrait être recommandé pour les personnes en surpoids afin qu’elles puissent, sans régime amaigrissant, éviter de prendre du poids. La mise à disposition de ce type de pain pourrait également limiter l’arrivée de perturbations métaboliques associées à l’obésité comme le développement de l’insulino-résistance puis du diabète sur le long terme.

Isabelle Savary-Auzeloux, Chercheuse en nutrition, Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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La revanche sucrée des pâtissiers

Nathalie Louisgrand, Grenoble École de Management (GEM)

Depuis une dizaine d’années, et tout particulièrement depuis l’avènement des réseaux sociaux, les pâtissiers attirent le grand public et font parler d’eux. Ils misent de plus en plus sur les médias, les réseaux sociaux et le marketing pour cultiver la dimension « cool » voire « sexy » de la pâtisserie – si photogénique – et pour être reconnus en France et à l’international. C’est ainsi que sur Instagram Cédric Grolet est suivi par 8,8 millions de « followers », Cyril Lignac 3,3 millions, Christophe Michalak 1 million, Yann Couvreur près de 500 000, Nina Métayer 265 000, Claire Heizler 184 000 et Jessica Prealpalto près de 100 000. Leurs créations, qui mettent nos cinq sens en éveil, nous offrent des parenthèses régressives et réconfortantes dans un quotidien souvent anxiogène.

Ces pâtissiers travaillent dans des palaces, dans des restaurants étoilés ou ont leurs propres boutiques en France ou à l’étranger, et voyagent dans le monde entier. Ils revisitent les classiques de la pâtisserie avec de nouvelles recettes originales et savoureuses, publient des livres de recettes ou leurs mémoires.

Certains se sont fait connaître grâce à des émissions culinaires comme Qui sera le prochain grand pâtissier ? d’autres grâce à des concours comme La coupe du monde de pâtisserie. Le 25 octobre dernier, lorsque la Française

est devenue la première femme à recevoir le titre de meilleure pâtissière du monde par l’union internationale des boulangers et pâtissiers, tous les médias ont salué cet exploit.

L’engouement autour de la profession est incroyable et transforme les pâtissiers en stars. Cela sonne comme une revanche, tant ces derniers sont restés longtemps au second plan de la gastronomie française.

qu’il n’y a pas si longtemps, ils n’avaient pas leur place dans le monde des cuisiniers et qu’ils se faisaient traiter de « mange-farine ». Le chef Michel Guérard, MOF pâtissier, ajoute qu’on les surnommait aussi les « gnoleux », en référence à la gnole, une planche de bois sur laquelle ils étalaient les pâtes au Moyen Âge, avant de se remémorer le dédain partagé par de nombreux cuisiniers à leur égard.

Or, l’histoire des pâtissiers est constituée de moments d’ombre et de lumière, et de personnages qui ont, de tout temps, contribué à son excellence et à son rayonnement international.

Une mauvaise réputation au Moyen Âge

Si les tout premiers pâtissiers sont appelés les « obloyers » ou « oubloyers », du nom de « l’oublie » petite pâtisserie cérémonielle, c’est au XIIIe siècle que des textes font référence au terme « pâtissier » – celui qui fait la pâte – même si la profession n’est pas encore officiellement reconnue. À l’époque et jusqu’au XIXe siècle, la pâtisserie comprend des pâtes cuites, salées ou sucrées, pouvant être garnies de viande, d’abats, de poisson, de fromage, de fruits, mais aussi des préparations à base de lait, d’œufs, de crème. C’est en 1440 que les premiers statuts de la corporation sont déposés. La réputation des pâtissiers d’alors n’est pas très bonne, car ils sont soupçonnés d’utiliser des ingrédients de mauvaise qualité. Patrick Rambourg explique d’ailleurs que plusieurs articles des statuts interdisent l’usage d’aliments non consommables :

« Les flans doivent se préparer avec du lait non tourné et non écrémé, les tartes et les tartelettes avec du bon fromage, non puant et non moisi. »

Cependant, il faudra encore de nombreuses années aux pâtissiers pour donner une image positive de leur profession.

Nouvelles techniques et création des classiques de la pâtisserie

Dès le XVIIIe siècle, les pâtissiers – qui travaillaient jusqu’alors dans les grandes maisons aristocratiques – s’établissent, principalement à Paris, où ils ouvrent des établissements, élégants et raffinés, qui attirent la bonne société parisienne. Dans les décennies qui suivent, leur nombre et leur renommée vont croissants, et leurs techniques progressent de façon spectaculaire. Au siècle suivant, de nombreux gâteaux, comme l’éclair, le Saint-Honoré ou la religieuse sont inventés et deviendront des classiques de la pâtisserie française. Parmi les pâtissiers les plus renommés de l’époque, on peut citer Nicolas Stohrer, célèbre pour ses babas, ou plus tard, Chiboust, créateur de la crème éponyme.

Mais le plus célèbre et le plus inventif d’entre eux reste sans conteste Antonin Carême (1784-1833). Considéré comme le premier véritable théoricien de la pâtisserie moderne – qu’il a simplifiée – grâce à son ouvrage Le pâtissier royal parisien (1815), il a créé les premières pièces montées en choux, pâte d’amande et sucre, ornementales, parfois monumentales, inspirées de sa passion pour l’architecture et qui ont contribué à sa renommée internationale. Il formera par la suite Jules Gouffé (1807-1877), inventeur du livre de cuisine moderne avec des recettes indiquant les ingrédients à utiliser, leur quantité et les temps de cuisson. C’est cette codification qui permit la diffusion et la reconnaissance de la pâtisserie française.

Les fantasques compositions d’Antonin Carême, dessinées par Jules Gouffé.

Alors que les chefs sortent peu à peu de leur cuisine dès la seconde moitié du XXe siècle, les pâtissiers demeurent les grands oubliés. De plus, les journalistes et critiques gastronomiques n’accordent que peu d’importance à leur travail. Pour eux, un bon repas s’arrête au fromage et ils ne voient pas la nécessité de s’intéresser aux desserts. Il est vrai qu’alors la pâtisserie française demeure figée dans des codes très classiques avec des gâteaux riches en sucre, en crème et en beurre.

Deux grands pâtissiers vont alors se distinguer dans les années 70.

(1920-2009) surnommé « le pâtissier du siècle », est le premier pâtissier à devenir une véritable vedette en France. Créateur visionnaire de la pâtisserie moderne, il a supprimé les desserts trop gras et sucrés, utilisé des matières premières de qualité, innové avec l’usage des mousses, de la meringue et des fruits ce qui a apporté fraîcheur et légèreté à ses desserts comme en témoigne son Schuss, créé en 1968 à l’occasion des JO de Grenoble et qui demeure un de ses desserts les plus célèbres.

Le second est moins connu du grand public mais sa contribution à l’évolution de la pâtisserie française n’en demeure pas moins importante. Yves Thuries, est compagnon du Tour France et double MOF Pâtisserie-Traiteur et Glacier-Confiseur en 1976. Désireux de transmettre son savoir au plus grand nombre, son encyclopédie en 12 volumes Le livre de recettes d’un compagnon du tour de France, publiée à partir de 1977, est devenue un ouvrage de référence pour les pâtissiers du monde entier. Il est aussi fondateur de la célèbre revue professionnelle Thuries Magazine en 1988, dans lequel les recettes sont expliquées « pas à pas ».

L’ère de la reconnaissance

Par la suite, Philippe Conticini révolutionne en 1994 les desserts avec l’invention de la verrine permettant la construction verticale des desserts. Mais Pierre Hermé va encore plus loin. Il est le premier à faire appel à des spécialistes du design, du marketing et de la communication. Grâce à ses recettes originales et esthétiques, il a permis aux desserts d’adapter les codes des créations « haute couture » avec des saisons, des collections et a créé un véritable empire avec ses célèbres gâteaux signature comme l’Ispahan.

Depuis le début du XXIe siècle, le succès des grands pâtissiers ne se dément plus. Ils rivalisent de talent aussi bien dans les accords de saveurs que dans l’esthétique de leurs créations. Restée longtemps parent pauvre de la gastronomie, la pâtisserie française est désormais connue, reconnue et plébiscitée à travers le monde et l’histoire de ses chefs nous montre qu’ils n’ont cessé de l’améliorer au fil du temps.

Nathalie Louisgrand, Enseignante-chercheuse, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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« Gender fluid », « non-binaires », « queer » ou bien encore « genre ». La palette des auto-determinations de genre augmente progressivement, jusqu’à épouser des formes jusque-là inconnues. Polina Tankilevitch/Pexels, CC BY-NC-ND

Les adolescents et les jeunes adultes face à leur identité de genre

« Gender fluid », « non-binaires », « queer » ou bien encore « genre ». La palette des auto-determinations de genre augmente progressivement, jusqu’à épouser des formes jusque-là inconnues. Polina Tankilevitch/Pexels, CC BY-NC-ND
Arnaud Alessandrin, Université de Bordeaux

Les jeunes adultes et adolescent·e·s d’aujourd’hui adoptent, vis-à-vis de leur identité de genre, des représentations et des pratiques qui bousculent beaucoup les adultes et les institutions. En témoignent d’ailleurs un nombre important de productions cinématographiques ou littéraires.

Ecole, famille ou espaces de santé : de nécessaires réajustements administratifs, politiques et relationnels sont aussi en cours. Mais que savons-nous de ces « nouvelle » identités de genre ?

« Gender fluid », « non-binaires », « queer » ou bien encore « genre ». La palette des autodéterminations de genre augmente progressivement, jusqu’à épouser des formes jusque-là inconnues. C’est dire combien les identités de genre ont subi depuis quelques décennies d’importantes modifications. Premièrement, elles se sont autonomisées de la médecine ou des catégories mentales.


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Retrouvez l’enquête exclusive « Jeune(s) en France » réalisée en octobre 2023 pour The Conversation France par le cabinet George(s). Une étude auprès d’un échantillon représentatif de plus de 1000 personnes qui permet de mieux cerner les engagements des 18-25 ans, les causes qu’ils défendent et leur vision de l’avenir.

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Du « transsexualisme » d’antan, il ne reste plus grand-chose, au bénéfice d’un terme parapluie plus englobant et moins pathologisant : les transidentités. Deuxièmement, ces notions se sont multipliées. En 2020, une enquête sur la santé des personnes LGBTI porte à 43 le nombre d’identités de genre et de sexualité recensées parmi les réponses auto-administrées dans le questionnaire de l’étude. Mais au fond, de quoi parle-t-on en réalité ?

Pour le dire clairement, il s’agit là de personnes qui ressentent ou expriment une identité de genre non conforme (partiellement ou totalement, définitivement ou momentanément) à ce qui est attendu, du fait de l’attribution de sexe à la naissance, par les normes de genre.

Des « folles » aux queers

Ces « nouvelles » identités de genre rappellent parfois des terminologies anciennes, depuis modifiées. On pense ainsi « aux folles » qui aujourd’hui s’identifient plus à des personnes queers.

Ces identités comportent quelques caractéristiques. D’une part, elles apparaissent plus chez les minorités de sexualité que dans la population hétérosexuelle. Cette déconstruction des catégories de genre au sein des minorités sexuelles est ainsi documentée par des études récentes qui prouvent que les gays et les lesbiennes se sentent respectivement beaucoup moins masculins et féminines que leurs homologues hétérosexuel·le·s et que la part des personnes se déclarant « non-binaires » ou « gender fluide » est principalement concentrée au sein de la population LGBTI.

Mais ces études sont aussi parvenues à démontrer que ces appellations sont fortement générationnelles. Récemment apparues (en France particulièrement), tardivement défendues par des identifications médiatiques positives et reprises par les réseaux sociaux, elles se concentrent principalement chez les mineur·e·s et les jeunes adultes.

Mais de « combien » de jeunes parlons-nous ?

Une question reste en suspens : combien sont-ils ces mineurs « trans » ou ces mineurs « non binaires » ? Avant de répondre à cette question, il faut comprendre que le mode de calcul de cette population n’est pas aisé : d’une part car ce sont des expressions de genre encore bien souvent tues, d’autre part il existe une « boite noire » en matière de mesure, si l’on focalise la quantification à partir des centres hospitaliers – que beaucoup ne fréquentent pas.

Les premières mesures font état d’environ 1 % de la population que l’on pourrait identifier comme « trans » au sens large, mais aussi « non-binaires » ou « gender fluide ». Évidemment, ces identifications ne se superposent jamais parfaitement. Les mineurs trans sont par exemple plus nombreux à avoir recours à des bloqueurs hormonaux que les jeunes non binaires.

Mais d’autres méthodes ont fini par voir le jour, comme le recensement dans des établissements scolaires (ce qui n’est pas réalité en France). Ainsi, aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande, des enquêtes localisées parviennent à fournir des chiffres oscillants entre 1 % et 1,2 % d’un effectif d’élèves et d’étudiant·e·s.

Aux côtés des identités, on trouve également des mineurs qui entament des démarches de changement de prénom ou de genre. En France les centres hospitaliers offrent des protocoles d’accompagnement à ces mineurs et publient régulièrement des résultats issus de leurs cohortes.

En 2022, l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) publie un premier chiffre relatif à la prise en charge des demandes d’ALD (affections longue durée) en concertation avec la CNAM (Caisse nationale de l’Assurance maladie) et relève 294 mineurs bénéficiant d’une prise en charge (principalement pour des hormonothérapies ou des prises de bloqueurs hormonaux).

Cette cohérence des données semble indiquer un part relativement faible de jeunes s’identifiant comme trans ou non-binaires. Nous sommes donc loin d’une épidémie.

Et quand bien même les chiffres augmenteraient, les effectifs restent excessivement faibles. On observe donc qu’entre la mesure statistique d’un phénomène et son traitement médiatique, un gouffre semble se dessiner. Néanmoins, ces faibles pourcentages semblent provoquer « une panique morale ».

Des affirmations de soi diverses

Et si nous expliquions l’expression de ces identités par autre chose que des « troubles », des « confusions d’adolescents », des « erreurs » et des « influences néfastes » ? Et si nous regardions du côté des identifications qui rendent possibles les récits et les affirmations de soi ?

Ceci viendrait alors expliquer d’autres données, obtenues par sondage et dont on pourrait interroger la solidité, mais qui indiquent par exemple que « 11 % des adultes interrogés par YouGov pour L’Obs ne se reconnaissent pas dans la dichotomie de genre femme/homme » ou bien encore qu’« en 2020, selon un sondage Ifop, 22 % des 18-30 ans déclarent ne pas se reconnaître dans le schéma « fille ou garçon ».

Que disent ces éléments chiffrés ? À défaut de révéler des expériences intimes durables ou stabilisées, ils donnent une indication sur la « détraditionnalisation » des identités de genre chez certains jeunes.

Car au-delà des enjeux de chiffrage, ces questions apparaissent aujourd’hui dans de nombreux contextes embarrassés de devoir les traiter (pensons à l’école notamment).

Si la parole se libérée c’est également que des identifications positives, à l’image de l’homosexualité jadis sont aujourd’hui possibles.

Une modification dans les imaginaires

Loin d’un « effet de mode » ou d’un fantasme médiatiquement produit, on assiste plutôt à des modifications dans les imaginaires qui accompagnent les expressions de ces nouvelles identités de genre.

Les films comme Petite Fille de Sébastien Lichshitz (2020) ont très largement participé à une meilleure visibilité de cette question – non sans une polémique importante autour de sa sortie. Sébastien Lifshitz filme alors le quotidien de Sasha, une jeune enfant transgenre, scolarisée en primaire. Au-delà de Sasha, ce sont les membres de sa famille qui sont suivis dans leurs combats quotidiens et notamment de sa mère, Karine, pour que son école reconnaisse son identité de genre.

Petite Fille, Sébastien Lifshitz, 2020.

Le succès télévisuel du documentaire met un coup de projecteur sur l’existence des mineurs trans. Pour autant, de nombreuses zones d’ombres demeurent en matière de connaissance de cette population. Des récits de parents viennent remplir un besoin croissant d’informations sur ce sujet : on pense notamment au livre Mon ado change de genre d’Élisa Bligny (2020).

Au côté des récits de vie, des productions fictionnelles – comme des bandes dessinées – sont publiées à destination du jeune public (on soulignera notamment Appelez-moi Nathan de Catherine Castro et Quentin Zuttion, ou bien encore Léo et Sasha d’Elisa Bligny). Mais il faut également compter sur les séries. Les personnages trans ou non binaires (pensons à la série Heart Stopper) diffusent-ils aussi des imaginaires et des récits positifs, loin de toute honte ou culpabilisation.

Des violences ordinaires récurrentes

Mais pouvons-nous pour autant en conclure que cette visibilité crée moins de stigmatisations ? Une récente enquête de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) souligne « une adhésion globalement faible aux stéréotypes sur les LGBT ».

Pourtant, les chiffres des violences LGBTphobes ne diminuent pas, comme en attestent les rapports de SOS Homophobie. On observe alors que le changement des imaginaires ne donne pas toujours lieu, immédiatement du moins, à un changement dans les pratiques.

Et si les imaginaires de la diversité des genres accompagnent les personnes concernées vers plus d’affirmation, elles touchent encore trop diversement les personnes non concernées.


_L'auteur a récemment publié « Jeunesse : de nouvelles identités de genre? » (Documentation française)_.

Arnaud Alessandrin, Sociologue, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Les cybercriminels agissent en bandes très organisées, et surtout très modulables. Dan Asaki, Unsplash, CC BY

Rançongiciel, une plongée dans le monde de la cybercriminalité

Les cybercriminels agissent en bandes très organisées, et surtout très modulables. Dan Asaki, Unsplash, CC BY
Jean-Yves Marion, Université de Lorraine

Europol vient d’annoncer le démantèlement d’un groupe de rançongiciels en Ukraine. Dans leur forme la plus basique, ces cyberattaques bloquent les systèmes informatiques et exfiltrent les données de la victime, promettant de les restituer contre rançon.

Ainsi, en août 2022, une cyberattaque attribuée au rançongiciel LockBit a paralysé le centre hospitalier sud-francilien en exfiltrant 11 Gigaoctets de données de patients et d’employés. L’hôpital a dû fonctionner en « mode dégradé » pendant plusieurs mois, avec les dossiers médicaux inaccessibles et des appareils de soin inutilisables. En juillet 2023, c’est le port de Nagoya, l’un des plus importants du Japon, qui a été obligé de s’arrêter pendant deux jours à cause d’un rançongiciel.

De l’exfiltration des données à leur revente sur des marchés illicites et aux menaces de rendre publiques les informations volées, jusqu’au fonctionnement très altéré des organisations victimes des attaques, la réalité du terrain est brutale, purement criminelle et vise sans discernement les particuliers, les hôpitaux, les écoles et toutes les organisations et entreprises vulnérables.

Les organisations cybercriminelles sont aujourd’hui bien organisées et leurs façons de procéder évoluent pour plus d’efficacité : l’économie et l’écosystème souterrains à l’origine de ces cyberattaques sont très modulables et se sont même « uberisé », ce qui les rend résilients aux démantèlements et actions en justice.

C’est une plongée dans ce monde de la cyberextorsion que nous vous proposons ici.

Le mode opératoire des cybercriminels utilisant des rançongiciels est en constante évolution. Jean-Yves Marion, Fourni par l'auteur

L’extorsion cyber en constante évolution

Quand on parle de rançongiciel, on pense à un programme malveillant qui va chiffrer (crypter) les données d’un ordinateur et demander une rançon pour rendre ces données. Par exemple, le rançongiciel Wannacry, qualifié de « sans précédent » par Europol, avait compromis environ 5 millions d’appareils en 2017, après avoir exploité une vulnérabilité pour se propager automatiquement.

Aujourd’hui, cette notion a évolué : les rançongiciels sont opérés par des humains qui explorent l’ensemble du système informatique compromis. Les attaques peuvent se déployer sur plusieurs mois, tenir compte des systèmes attaqués et « avancer » à l’intérieur du réseau informatique. Les données sensibles et d’autres informations peuvent être exfiltrées et stockées sur des serveurs contrôlés par les cybercriminels.

Le groupe cybercriminel Royal a par exemple publié en mai 2023 des informations de la ville de Dallas, y compris des informations confidentielles sur la police et sur des affaires pénales.

De fait, des données partiellement rendues publiques permettent déjà de faire pression sur la victime, et l’exfiltration suffit à demander une rançon. Les données peuvent aussi être revendues à un tiers.

Les attaquants peuvent aussi procéder au chiffrement des données sur les serveurs de leur propriétaire. Ce mécanisme est dit de « double extorsion » : exfiltration et chiffrement.

Enfin, le harcèlement sur la victime peut aller jusqu’à une attaque par « déni de service (DDOS) », qui rendent les services web de la victime inaccessibles. On parle alors de « triple extorsion ».

Le gain financier est le principal moteur des campagnes de rançongiciels, et en fait il faudrait plutôt parler aujourd’hui d’« extortion-wares », qui mobilisent toute une économie souterraine.

L’écosystème des rançongiciels s’est ubérisé, avec des services disponibles, dont des fournisseurs de logiciels d’attaques ainsi « facilitées », qui permettent à de la main-d’œuvre relativement peu qualifiée en informatique, les « affiliés », de sous-traiter les attaques des commanditaires. Jean-Yves Marion, Fourni par l'auteur

Un écosystème souterrain

Les organisations souterraines responsables de ces cyberextorsions ont gagné en maturité. Le modèle Ransomware as a Service (RaaS) s’est imposé comme à la fois la structure principale d’organisation et comme modèle économique.

Le RaaS est un ensemble d’acteurs qui monnayent des infrastructures, des services et des savoir-faire à leurs « affiliés » : c’est ainsi que ceux-ci disposent des moyens technologiques et humains pour réaliser concrètement les cyberattaques par rançongiciel.

Nos connaissances sur ce système cybercriminel proviennent d’interviews et des fuites d’information. Les « ContiLeaks » en particulier furent le fait de disputes entre les acteurs. Pour certaines des fuites documentées sur ContiLeaks, les fuites émanent plus précisément de désaccords subséquents à l’invasion de l’Ukraine.

Le monde de la cybercriminalité s’est ubérisé

Dans ce modèle économique du Ransomware as a Service, le recrutement d’« affiliés » est essentiel : ce sont eux qui réalisent les cyberattaques grâce à un certain nombre d’outils et de panneaux de contrôle fournis par l’organisation cybercriminelle à l’initiative de l’attaque. Ces organisations sont assez disparates : il existe à la fois des groupes d’acteurs et des acteurs isolés. Dans tous les cas, ces organisations sont fragmentées – ce qui, on le verra par la suite, leur permet de se reconfigurer, en cas de démantèlement notamment.

Ce soutien « technique » permet de recruter des exécutants dont le niveau technique n’est pas forcément élevé, car ils bénéficient d’outils relativement faciles à mettre en œuvre. Ironiquement d’ailleurs, un groupe se nomme « Read the Manual ».

Autrement dit, le monde de la cybercriminalité s’est, lui aussi, ubérisé. Les profits sont partagés entre les commanditaires et les affiliés (environ 70 % du paiement de la victime est reversé à l’affilié).

Ventes d’« accès » : comment pénétrer chez la victime

Un des services les plus importants est celui des fournisseurs d’accès (Internet Access Brokers) qui vendent notamment des mots de passe et des cookies provenant de campagnes précédentes, soit de phishing qui cherche à manipuler une victime pour obtenir un mot de passe, soit d’infostealers qui sont des logiciels spécialisés dans le vol d’information, ou enfin à la suite d’une exfiltration de données par une précédente attaque d’un rançongiciel.

En 2021, l’attaque de Colonial Pipeline a forcé l’arrêt de toutes les opérations d’un pipeline qui transporte environ 400 millions de litres d’essence par jour, ce qui a amené le ministère américain de la Justice à élever les attaques par rançongiciel au niveau du terrorisme. En effet, selon l’audition de la commission de la sécurité intérieure de la Chambre des représentants des États-Unis, l’accès initial au réseau s’est fait à partir d’un mot de passe réutilisé.

Ce type de « vente d’accès » se fait dans des marchés souterrains et des forums, comme RaidForums.

Blanchiment des rançons : démêler les flux de cryptomonnaies

Pour faire fonctionner l’écosystème, un autre service important est celui du blanchiment des rançons (en cryptomonnaies, souvent en Bitcoin). Pour cela, des outils informatiques sont utilisés : des « mixeurs » pour rendre les transactions financières intraçables, et des « échangeurs » pour échanger les cryptoactifs.

Afin de démanteler les services de blanchiment et d’arrêter les cybercriminels, les forces de l’ordre essaient de surveiller ces échanges de cryptomonnaies. C’est ainsi qu’une action internationale a permis de démanteler la plate-forme d’échange de cryptoactifs Bitzlato.

Une des limitations à ces actions internationales est que les organisations RaaS s’appuient le plus souvent sur des infrastructures hébergées dans des pays qui ne collaborent pas, ou peu, avec les forces de l’ordre européennes et américaines.

Une économie souterraine résiliente

Le modèle RaaS permet de réduire les risques pour les cybercriminels, comme l’observe le rapport 2022 de l’agence européenne pour la cybersécurité (Enisa). En effet, l’arrestation d’un seul cybercriminel n’est pas suffisante pour stopper les méfaits d’un rançongiciel : les groupes comme Conti se fragmentent et se recomposent en différents autres groupes.

Synthèse chronologique des activités connues du groupe cybercriminel FIN12, illustrant le fait que ce type de gang se désagrège et se reconstitue, ce qui démontre leur adaptabilité et leur résilience. Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) -- septembre 2023. Licence ouverte (Étalab -- v2.0)

Aussi efficaces soient-elles, les actions de justice internationale n’ont parfois qu’un effet limité. Par exemple, le « world’s most dangerous malware », appelé Emotet, a été démantelé en janvier 2021… pour reprendre du service un an plus tard.

Ce constat peut sembler pessimiste mais ne doit pas masquer que les actions de justice secouent de fait le monde cybercriminel, comme l’ont montré l’opération offensive contre le rançongiciel Hive ou le démantèlement de Ragnar Locker (suite notamment à une arrestation à Paris).

D’un point de vue économique, le modèle RaaS optimise le retour sur investissement (ROI). L’économie souterraine RaaS prospère. Elle est basée sur des marchés illicites dans le dark web. En moyenne, un ransomware est vendu pour 56 dollars américains selon l’étude menée entre novembre 2022 et février 2023.

Les marchés souterrains sont très volatils et fragmentés. Cette fragmentation permet aux cybercriminels de poursuivre leurs activités commerciales, même après une saisie par les forces de l’ordre comme celles de DarkMarket et de HydraMarket.

Cyberattaques et conflits armés : la naissance des « cyber-mercenaires » ?

Des organisations clandestines prennent forme, disparaissent et renaissent, parfois instrumentalisées par les États, comme l’a montré le conflit ukrainien. Rien d’étonnant à cela, puisque les moyens d’une cyberattaque sont quasiment les mêmes, que l’objectif soit financier, d’espionnage ou de destruction.

Déjà en 2017, et malgré sa ressemblance avec le rançongiciel WannaCry déjà bien connu, les actions du malware NoPetya ont été destructrices, causant environ 10 milliards de dollars de dommages totaux, et préfigurant les cyberattaques menées pendant le conflit ukrainien à l’aide d’armes avec les « wipers », qui effacent les informations de systèmes compromis.

Les tensions géopolitiques pourraient encourager les acteurs à l’origine des rançongiciels à poursuivre les cyberconflits en cours : en adaptant légèrement leurs comportements, ils peuvent facilement devenir des sources d’espionnage, comme des « cyber-mercenaires ».


Le PEPR Cybersécurité est opéré par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

Jean-Yves Marion, Professeur, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Pourquoi notre ventre gargouille-t-il ?

Andrea Stringer, University of South Australia

Notre ventre produit de temps en temps des bruits un peu bizarres qui peuvent nous mettre mal à l’aise, ces gargouillis peuvent être provoqués par différentes choses.

En général, ces bruits proviennent du fonctionnement normal non seulement de notre estomac, mais aussi de nos intestins. Ces derniers font partie du système digestif, qui se met en marche lorsque l’on mange. Il décompose les aliments, puis les nutriments sont absorbés par l’organisme. Ce qui reste est évacué sous forme de matières fécales.

L’ensemble du système digestif (qui commence par la bouche et se termine par l’anus) est un tube creux. C’est un peu comme les tuyaux d’eau dans une maison, qui peuvent être vides ou dans lesquels l’eau coule. Parfois, le système digestif est vide, parfois il est traversé par des aliments.

Avant de manger, la digestion a déjà commencé

En réalité, le processus de digestion commence avant que l’on mange quoi que ce soit. Lorsque l’on voit, sent ou pense à de la nourriture (en particulier celle que l’on aime), notre cerveau active des nerfs qui stimulent le système digestif, afin qu’il puisse se préparer à l’arrivée de la nourriture.

La première étape consiste à produire de la salive dans la bouche (on dit d’ailleurs qu’on a l’eau à la bouche). Celle-ci se mélangera aux aliments et les rendra plus faciles à mâcher et à avaler.

Ensuite, les cellules de l’estomac et des intestins produisent et libèrent des substances chimiques appelées enzymes pour préparer la décomposition des aliments. L’estomac commence alors à bouger pour mélanger toutes ces substances chimiques. La paroi de l’estomac bouge un peu comme une vague.

C’est à ce moment-là que l’on peut entendre des bruits. L’air contenu dans l’estomac peut se retrouver piégé contre la paroi. Lorsqu’une vague passe, elle peut produire un son similaire à l’éclatement d’une bulle, ou évoquer un grondement que l’on peut entendre et parfois ressentir. Le nom médical de ces bruits est borborygme.

Un estomac vide peut être plus bruyant

Lorsque l’estomac est pratiquement vide et qu’il se remplit de liquides provenant de la salive, de l’acide et des enzymes, il va s’agiter et émettre du bruit.

Lorsque l’on a faim (et que l’on pense à manger), l’estomac peut « grogner ». Pendant que l’estomac attend la nourriture, il déplace des liquides pour se préparer et crée des poches d’air qui s’écrasent, ce qui crée des bruits.

Plus loin dans le tube digestif, dans l’intestin, des ondes musculaires poussent tout ce qui se trouve dans le tube, en s’assurant qu’il y a de la place pour l’arrivée de nouveaux aliments. Cela peut également créer des bruits.

Au moment du repas, les aliments traversent l’estomac pour passer lentement dans l’intestin, où des mouvements de mélange les décomposent pour que le corps puisse les assimiler. L’air présent dans l’intestin fait du bruit lorsqu’il se déplace, comme il l’a fait dans l’estomac.

Même si ce bruit peut parfois être gênant ou embarrassant, le mélange qui se produit dans l’intestin est important. C’est ainsi que l’on décompose tous les nutriments des aliments (glucides, lipides, protéines, vitamines, minéraux et autres).

Le simple fait de penser à manger peut déclencher des vagues d’anticipation dans notre estomac. Shutterstock

Le mélange (et les bruits) signifie que les aliments se mélangent aux produits chimiques pour décomposer tout ce que l’on a mangé en petites unités, appelées molécules. Une fois que celles-ci sont suffisamment petites, les cellules qui tapissent l’intestin peuvent les absorber.

Une fois que les nutriments se retrouvent dans la circulation sanguine, les organes comme le cœur, les poumons, le cerveau et les reins peuvent les utiliser.

Ce sont les causes les plus courantes des bruits de ventre, mais ils peuvent se produire lorsque l’on avale de l’air en parlant, en buvant ou en mangeant et qu’il se propage dans l’estomac ou les intestins.

Les bruits produits par notre système digestif sont importants – ils signifient qu’il fonctionne correctement. Toutefois, si ces bruits s’accompagnent de douleurs ou de diarrhée, cela peut être le signe d’une intolérance alimentaire ou d’un autre problème digestif et vous devriez en parler à votre médecin.


Diane Rottner, CC BY-NC-ND

Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : tcjunior.theconversation.fr. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre. En attendant, tu peux lire tous les articles « The Conversation Junior ».

Andrea Stringer, Associate professor, University of South Australia

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Photogramme de La Course à la perruque de Georges Hatot, 1906.         

La tour Eiffel, muse du cinéma muet français

Photogramme de La Course à la perruque de Georges Hatot, 1906.
Carole Aurouet, Université Gustave Eiffel

Le 27 décembre 2023 marque le centenaire de la disparition de Gustave Eiffel. De nombreuses études abordent la façon dont la tour qui porte son nom a inspiré les peintres (Bonnard, Chagall, Delaunay, De Staël, etc.) et les poètes (Apollinaire, Cendrars, Cocteau, Queneau, etc.) depuis sa construction en 1889 à l’occasion de l’Exposition universelle du centenaire de la Révolution française. Mais sa présence dans le cinéma muet, contemporain de la construction du monument, est restée dans l’ombre.

Pourtant, quand le cinématographe voit le jour en 1895, six ans donc après la dame de fer, ce nouveau moyen d’expression est d’emblée happé par la tour qui devient sa muse. Dans le catalogue numérisé GP Archives, 121 entrées sur 2 091 sont par exemple proposées pour « tour Eiffel » entre 1895 et le début du parlant en France. Et il s’agit pourtant d’une période pour laquelle beaucoup de bobines ne sont pas parvenues jusqu’à nous, notamment parce que la pellicule 35mm était en nitrate de cellulose, donc inflammable et fragile.

Dans le cinéma documentaire dès 1897

En 1897, un appareil de prises de vue Lumière est embarqué pour la première fois dans l’ascenseur de la tour et nous propose un panorama ascensionnel vertigineux de 42 secondes du palais du Trocadéro, avec en premier plan l’ossature métallique de la tour. Cette première n’est peut-être pas très surprenante de la part des Lumière, friands de capturer des images de lieux emblématiques, mais l’originalité réside dans la forme de la séquence, qui superpose audacieusement premier et deuxième plan pour mieux « embarquer » les spectateurs.

La présence de la tour est plus surprenante dans les créations de Georges Méliès, mieux connu pour ses fééries et ses films à trucs. En effet, Méliès a réalisé une trentaine de films d’environ une minute consacrés à Paris, entre 1896 et 1900, dont certains donnent à voir le Champ-de-Mars et la tour Eiffel durant l’Exposition universelle de 1900.

La même année, les Lumière testent un format expérimental, le 75mm, et mettent à nouveau la tour Eiffel à l’honneur.

Leur idée un peu folle consiste à projeter cette bande sur un gigantesque écran de 720 m2 durant l’Exposition universelle – pour repère, le plus grand écran d’Europe est aujourd’hui le « grand large » du Grand Rex, 282 m2. Malheureusement, la construction du projecteur adéquat n’est pas terminée à temps et la projection n’eut pas lieu.

Conservés aux archives du film du CNC à Bois-d’Arcy, ces négatifs extraordinaires ont été restaurés et numérisés en 8K sur un appareil conçu exprès. Projetés uniquement deux fois depuis 123 ans, ils le seront à l’université Gustave Eiffel le mardi 12 décembre 2023 à 19h, lors de la Soirée Ciné d’époque du Centenaire Eiffel.

Dans la fiction dès 1900

En 1906, Georges Hatot met en scène pour Pathé frères La Course à la perruque, une bande comique de 6 minutes truffée de rebondissements, avec une séquence qui transporte le spectateur devant, puis dans la tour Eiffel.

Tous les genres cinématographiques semblent alors contaminés. Ainsi le pionnier du cinéma d’animation, Émile Cohl, créé en 1910 un film d’animation plein d’imagination et de poésie, Les Beaux-Arts mystérieux, une pépite d’inventivité tournée image par image, dans laquelle la tour Eiffel prend forme via un objet du quotidien… des allumettes !

Photogramme des Beaux-Arts mystérieux de Émile Cohl, 1910.

Quelques années plus tard, l’engouement ne s’est pas éteint. Durant l’été 1923, René Clair, jeune cinéaste proche de l’avant-garde, tourne Paris qui dort, moyen métrage produit par les films Diamant qui se déroule majoritairement dans la tour Eiffel. Son gardien se réveille et découvre que les rues de la capitale sont vides… Et Clair récidivera cinq ans plus tard avec La Tour, 14 minutes d’une sorte de poème cinématographique qui offre des vues aux angles variés sur la dame de fer.

C’est dans les dernières années du muet que sort Le Mystère de la tour Eiffel de Jean Duvivier, film dans lequel le chef d’une mystérieuse organisation internationale de criminels cagoulés, nommée Ku-Klux Eiffel, envoie des signaux, via la tour Eiffel, à ses membres dispersés en Europe.

Photogramme du Mystère de la tour Eiffel de Jean Duvivier, 1928.

La puissance inspiratrice de la tour Eiffel

Ces exemples variés montrent bien à quel point la tour Eiffel inspire les pionniers du cinématographe et les metteurs en scène du muet.

S’ils l’insèrent dans des vues documentaires, c’est pour rendre compte de cette prouesse architecturale, construite en 26 mois, et pour signifier combien elle marque les esprits comme le paysage parisien. Rappelons que la tour ne fit pas l’unanimité et qu’elle n’était pas destinée à rester en place. En effet, sa construction a déclenché une levée de boucliers de la part de certains artistes qui sont allés jusqu’à clamer leur protestation le 14 février 1887 dans le grand quotidien Le Temps, publiant une lettre adressée à M. Adolphe Alphand, directeur des travaux de l’exposition universelle. Parmi ces signataires figurent François Coppée, Charles Garnier ou encore Guy de Maupassant.

Incipit de l’article publié dans Le Temps le 14 février 1887.

Malgré cette opposition, la tour Eiffel a été érigée et a survécu à sa destruction programmée grâce à la dimension scientifique et stratégique insufflée par Gustave Eiffel : installation d’une station météorologique en 1889 et positionnement d’antennes pour la télégraphie sans fil à partir de 1903.

Quant à la présence de la tour dans les films de fiction, elle témoigne de l’impact de son audace architecturale, de son aura esthétique mystérieuse et de sa modernité ; la tour inspire des histoires atypiques, filmées grâce à des plans novateurs, montés de manière ingénieuse.

Un éclairage sur l’histoire du cinéma muet

Si l’on fait si peu état, dans les recherches historiques, de la présence de la dame de fer dans le cinéma muet, c’est sans doute par manque de considération et de légitimation du médium cinématographique lui-même.

Les premiers films, appelés des vues, sont très courts, quelques secondes puis quelques minutes. Ces vues sont projetées dans les foires, sur les places des villes et des villages, dans les cafés et dans certaines salles de théâtre… Le cinématographe est alors un divertissement très populaire, souvent méprisé par l’élite. Les bandes de pellicule sont achetées par des forains qui les usent jusqu’à la corde. Quand elles cassent, ils les coupent, les recollent, si bien que ce ne sont jamais tout à fait les mêmes bandes qui sont projetées.

À partir de 1907 se produit une révolution économique. La puissante société Pathé frères remplace la vente des copies par un système de location. Ce changement modifie l’organisation de la diffusion, et par ricochets la façon de faire et de voir des films. L’exploitation des films donne lieu à une industrie autonome ; des salles dédiées aux projections sont construites et la durée des films s’allonge.

On parle alors de métrage ; de 20 mètres, soit environ 60 secondes, on passe à 740 mètres soit 30 minutes en 1909 ; à 1 500 mètres soit une heure en 1912 ; on atteint même 3 000 mètres soit deux heures en 1913. Les spectacles cinématographiques hybrides mêlent bandes courtes (actualité, comique, animation…) avant ou autour d’un film plus long, noyau dur de la séance. L’ensemble contient des attractions, du jongleur au poète en passant par l’acrobate, et est accompagné de musique, d’un seul instrument à un orchestre, en fonction de l’importance de la salle. Si le cinéma était certes muet (le sonore et parlant n’arrivant qu’à partir de 1927), le cinéma était donc tout sauf silencieux !

Carole Aurouet, Enseignante-Chercheuse en Etudes cinématographiques et audiovisuelles, Université Gustave Eiffel

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Dallas, le 22 novembre 1963. Walt Cisco, Dallas Morning News/Wikipedia

L’assassinat de John Kennedy : 60 ans de théories du complot

Dallas, le 22 novembre 1963. Walt Cisco, Dallas Morning News/Wikipedia
David Colon, Sciences Po

Ce fut l’une des dates les plus marquantes du XXe siècle : le 22 novembre 1963, il y a exactement soixante ans aujourd’hui, John Fitzgerald Kennedy était assassiné à Dallas. Deux jours plus tard, son assassin supposé Lee Harvey Oswald, 24 ans, était abattu à son tour par un patron de boîte de nuit, Jack Ruby, dont les motivations restent à ce jour peu claires.


Aujourd’hui encore, cet épisode historique donne lieu à d’innombrables interrogations que les enquêtes successives diligentées par les autorités américaines, en 1963-1964 puis en 1976-1979 n’ont pas totalement levées. David Colon, professeur agrégé d’histoire et enseignant à Sciences Po, spécialiste des théories du complot, auteur notamment en 2021 de « Les Maîtres de la manipulation. Un siècle de persuasion de masse », répond ici à nos questions sur la diffusion et l’impact des théories complotistes liées à l’assassinat de JFK – des théories, souligne-t-il, largement propagées par les services secrets soviétiques.

Quand les premières théories complotistes sur l’assassinat de JFK apparaissent-elles ?

Pratiquement dès le 22 novembre 1963. Le KGB lance le 26 novembre 1963 l’opération Dragon, qui vise d’abord à détourner de l’URSS les soupçons américains – des soupçons d’autant plus forts qu’Oswald avait vécu en URSS et était un sympathisant communiste.

L’opération, qui implique des investissements importants de la part du KGB, vise ensuite à éroder la confiance des citoyens américains dans leurs institutions en attribuant la mort de leur président à la CIA.

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En 1964, cette thèse est diffusée par le rédacteur stalinien d’un journal britannique contrôlé par le KGB, Labour Monthly, puis par un éditeur new-yorkais secrètement financé par le KGB, Carl Aldo Marzani, qui publie le premier livre popularisant la thèse du complot de la CIA : Oswald : Assassin or Fall Guy?.

Le journaliste américain Victor Perlo, également rétribué par le KGB, rédige une critique élogieuse de cet ouvrage, qui paraît en septembre 1964 dans le New Times, une façade du KGB imprimée secrètement en Roumanie.

Aujourd’hui, il est beaucoup question de « typosquatting », avec Doppelgänger, une opération du renseignement russe qui consiste à imiter des médias occidentaux et à installer ces faux sites sur des adresses URL qui ressemblent aux vraies. C’est une pratique très ancienne, puisque le KGB faisait déjà la même chose, avec les moyens de l’époque, il y a 60 ans.

La désinformation soviétique à destination des pays étrangers liée à l’assassinat de Kennedy s’inscrivait-elle dans une tradition établie ?

Oui. Avant le KGB, il y a eu le NKVD, avant lui la Guépéou, avant encore la Tchéka, et du temps du tsarisme l’Okhrana ; tous ces services avaient eu recours à des méthodes de ce type. Les services du tsar avaient notamment forgé, on s’en souvient, l’un des faux les plus célèbres de l’histoire, Les Protocoles des Sages de Sion, afin d’offrir une justification aux pogroms anti-juifs. Ce texte a d’ailleurs été, quelques décennies plus tard, traduit en arabe par le KGB et diffusé dans les pays arabes dans le cadre de la politique soviétique de la guerre froide. Ce qui est nouveau, avec l’opération Dragon, c’est sa durée et son efficacité.

Sa durée parce que, à ma connaissance, cette opération est toujours active : ceux qui dirigent aujourd’hui la Russie relancent très régulièrement les supputations. Vladimir Poutine en personne, intervenant en 2017 à la télévision américaine, sur NBC, a explicitement mentionné la théorie selon laquelle ce seraient les Américains eux-mêmes qui auraient assassiné leur président. On lui demandait s’il avait interféré dans l’élection présidentielle américaine de 2016, qui s’était soldée par l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche : il a réagi en ressortant cette théorie sur Kennedy, affirmant que puisque les Américains ont pu tuer leur président en 1963, ils auraient aussi bien pu, plus de cinquante ans plus tard, monter de toutes pièces des accusations infondées visant la Russie.

Quant à son efficacité, elle se mesure à la proportion d’Américains qui adhèrent à cette théorie. En 1963, 52 % des Américains croyaient qu’il avait été victime d’un complot. En 1976, ce chiffre était passé à 81 %. C’est justement en 1976 que le KGB a relancé son opération visant à diffuser l’idée qu’il y aurait aux États-Unis un « deep state » – une sorte de structure parallèle prenant les vraies décisions.

Cette idée de « deep state » avait commencé à être diffusée dès 1957, par les services est-allemands, qui avaient publié dans le Neues Deutschland, le journal officiel de la RDA, une lettre secrète qui aurait prétendument été adressée au président des États-Unis, Dwight Eisenhower, par le président de la Standard Oil Nelson Rockefeller. Il ressortait de cette fausse lettre que la Maison Blanche était l’instrument de puissants instruments capitalistes, et qu’elle leur donnait la priorité au détriment des intérêts du pays.

À la fin des années 1970, une enquête parlementaire américaine a conclu que la commission Warren, qui en 1963 avait décrété qu’Oswald avait été l’unique tireur et avait agi de son propre chef, était allée trop vite en besogne, et que la possibilité d’un complot n’était pas à exclure… sans aller jusqu’à incriminer la CIA.

Effectivement. Mais le narratif soviétique, d’après lequel la CIA a assassiné Kennedy, n’en a pas moins largement imprégné les esprits. Qu’on en juge par le film « JFK », d’Oliver Stone, sorti en 1991. Il reprend totalement les théories diffusées par le KGB dans le cadre de l’opération Dragon, d’après lesquelles le président aurait été la victime d’un vaste complot impliquant le complexe militaro-industriel commandité par nul autre que son vice-président Lyndon Johnson, qui lui a succédé à la Maison Blanche.

Pour autant, cela ne signifie évidemment pas que Stone et les journalistes et autres écrivains colportant ces thèses aient été stipendiés par le KGB ! La bonne désinformation, comme le disait Andropov lui-même, est celle qui trouve dans les sociétés ciblées des relais de bonne foi qui vont l’amplifier.

Le KGB n’a pas créé la théorie du complot, mais il l’a largement amplifiée, si bien qu’elle s’est auto-propagée au point de devenir une sorte de lieu commun aux États-Unis. Et une fois que vous avez convaincu une large partie des Américains que leur président a été tué par leurs propres services de sécurité, vous avez affaibli leur confiance dans leur système, dans leurs institutions, dans la démocratie elle-même. C’est cela, l’objectif. Ce travail de sape, qui avait commencé bien avant 1963, a été démultiplié avec l’assassinat de Kennedy, et s’est poursuivi par la suite, y compris avec la chute de l’URSS, comme on l’a vu avec toutes ces théories sur le 11 Septembre, les Illuminati, le groupe de Bilderberg, le Covid depuis peu, et ainsi de suite.

Des théories dont le mouvement Qanon est un relais actif…

Tout à fait. Ce mouvement est d’ailleurs en partie opéré depuis la Russie. Le fameux « Q » publie sur le forum 8Kun, qui est hébergé sur un serveur à Vladivostok. Et ses théories sont volontiers répétées par les propagandistes russes, et inversement. Ce mouvement reprend tous les thèmes complotistes qui étaient jusqu’ici diffusés par la Russie.

Le rassemblement Qanon à Dallas en 2021 pour accueillir John Kennedy Jr,. supposé réapparaître ce jour-là 22 ans après sa mort et apporter son soutien à Donald Trump, est lié aux théories relatives à l’assassinat de JFK lui-même : son fils, sachant que son père avait été assassiné par « le système » et qu’il était lui-même ciblé, aurait fait croire à son propre décès puis se serait caché pendant plus de deux décennies…

Encore une fois, il y a à la base de cette histoire la croyance profondément ancrée chez de nombreux Américains que Kennedy a été tué suite à un complot ; à partir de là, toutes sortes de théories nouvelles, aussi insensées soient-elles, peuvent naître.

Aujourd’hui, un Américain sur trois dit croire que son gouvernement est contrôlé en secret par un « deep state ». La propagation de ce type de croyances s’explique bien sûr en bonne partie par l’essor des réseaux sociaux ; mais à l’origine, il y a cette défiance envers tout ce qui est « mainstream » qui a été démultipliée depuis 1963.

On constate en effet sur les réseaux sociaux que les croyances complotistes sont souvent associées : les personnes qui épousent le discours russe sur la question de l’Ukraine ont également plus tendance que les autres à se montrer sceptiques sur l’origine humaine du changement climatique ou sur la vaccination, par exemple…

Évidemment. En la matière, il convient de distinguer la propagande authentique de la propagande inauthentique. Cette dernière est celle qui est mise en œuvre par des fermes de trolls et de bots contrôlées par le GRU. La propagande authentique, elle, est diffusée par des gens de chair et de sang assis devant leur ordinateur qui adhèrent à ces théories complotistes. Et celles-ci, effectivement, s’alimentent mutuellement.

Une fois que vous avez réussi à convaincre quelqu’un que Kennedy a été assassiné à l’issue d’un complot impliquant la CIA, le FBI et ainsi de suite, que Ben Laden n’est pas à l’origine du 11 Septembre ou, plus encore, que la Terre est plate, alors vous pouvez lui faire croire n’importe quoi. L’objectif essentiel des services de renseignement russes, mais aussi chinois, est de saper le cadre même sur lequel se construit la vérité, ce que Michel Foucault appelait « le régime de vérité ». Si vous parvenez à détruire cela, à rendre suspects les gens dont le métier est de distinguer le vrai du faux, alors vous encouragez un scepticisme généralisé, et vous instaurez ce que l’on appelle depuis maintenant un certain nombre d’années « l’ère post-vérité ».

Cette ère post-vérité n’est pas, en soi, le produit des ingérences informationnelles russes ou aujourd’hui chinoises. Il n’en reste pas moins qu’elle est le principal véhicule par lequel les États autoritaires fragilisent l’espace du débat dans les régimes démocratiques. À rebours de la formule de l’ancien ambassadeur américain à l’ONU Daniel Patrick Moynihan, on pourrait dire aujourd’hui que chacun a droit non seulement à ses propres opinions, mais aussi à ses propres faits.

Tout cela pourrait contribuer au retour de Donald Trump à la Maison Blanche en 2024…

Oui, mais il n’est pas le seul à bénéficier de cette tendance – il suffit de regarder le résultat de la présidentielle qui vient de se tenir en Argentine. En ce moment, j’aime citer ce passage de L’Étrange défaite de Marc Bloch consacré à la désinformation déployée dans la presse française de l’entre-deux-guerres à la fois par les fascistes et par les communistes :

« Ce peuple français auquel on remettait ainsi ses propres destinées et qui n’était pas, je crois, incapable, en lui-même, de choisir les voies droites, qu’avons-nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n’est possible ? Rien en vérité. »

La question aujourd’hui est de savoir comment donner à nos concitoyens les informations sûres qui leur permettront de faire des choix rationnels pour ne pas être l’objet d’opérations de désinformation de la part d’États hostiles. Nous avons besoin de rétablir un espace public intègre, tant numérique que médiatique, et de préserver le régime de vérité sur lequel reposent nos démocraties.

David Colon, Professeur agrégé d'histoire à l'IEP de Paris, Sciences Po

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.