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Les pluies intenses rechargent-elles les nappes ?
Antoine Sobaga, École normale supérieure (ENS) – PSL et Florence Habets, École normale supérieure (ENS) – PSLCet été, des événements de pluies intenses se sont multipliés, générant des crues impressionnantes et parfois dévastatrices. Est-ce que ces précipitations aident par ailleurs les nappes à se recharger ? Pas si sûr. La recharge des nappes est difficile à observer. Et c’est particulièrement le cas lors des précipitations intenses. Pourtant, c’est une question importante, puisque le changement climatique conduit à un accroissement de l’intensité des événements de précipitations les plus forts.
C’est quoi, une pluie intense ?
L’actualité récente a rapporté plusieurs épisodes avec des quantités de pluie en une heure correspondant au cumul mensuel (en Mayenne, à Bordeaux, dans le Lyonnais…). Il s’agit là de précipitations extrêmes. On considère qu’une pluie est intense dès lors que c’est un épisode de pluie rare, c’est-à-dire qui atteint un niveau de précipitation qui ne se produit qu’un jour de pluie sur 100. Cela conduit à des valeurs de l’ordre de 10 mm/jour dans le nord de la France à près de 100 mm/jour dans le Sud méditerranéen.
La plupart de ces épisodes sont associés à des orages, plutôt en période estivale, même si certains correspondent à des tempêtes, et donc plutôt en période hivernale. Comme la recharge engendrée par ces précipitations intenses arrive avec un certain délai le temps que l’eau pénètre le sol, on analyse ces épisodes en incluant les précipitations des quelques jours précédents et suivants. Ainsi, même si la pluie intense dure un jour, un événement de précipitation intense peut durer plusieurs jours.
Zoom sur un épisode de fortes pluies
Les lysimètres sont des dispositifs qui nous permettent d’observer l’infiltration des précipitations dans le sol, jusqu’à atteindre une profondeur où le flux d’eau ne peut plus être repris par la végétation et va donc recharger la nappe. Nous avons pu observer l’impact des précipitations intenses sur la recharge dans la région du Grand Est grâce aux sites d’observations du Groupement d’intérêt scientifique sur les friches industrielles (GISFI), de l’Observatoire pérenne de l’environnement (OPE) et de Fagnières, dans la Marne.
On constate que l’infiltration n’est pas la même en été et en hiver, illustré par l’exemple ci-dessous de deux épisodes intenses en 2016 atteignant 20 mm/jour en hiver et jusqu’à 70 mm/jour en été. En hiver, le sol est assez humide avant l’épisode. Or, plus le sol est humide, plus l’eau peut circuler rapidement en son sein. Ainsi, la pluie intense lors de cet épisode s’infiltre rapidement pour générer quasiment 100 % de recharge.
À l’inverse, en été, le sol est plus sec. L’épisode commence avec une journée cumulant près de 10 mm de pluie, qui humidifie à peine les premiers centimètres de sol. Ces pluies se poursuivent à faible intensité jusqu’à une journée diluvienne où les pluies atteignent 70 mm. L’eau s’infiltre alors dans le sol, et est partiellement reprise par la végétation les journées suivantes, pluvieuses, conduisant au final à une recharge correspondant à 30 % de l’épisode de pluie.
En été, l’eau est principalement captée par la végétation
De fait, la végétation joue un rôle crucial dans la capacité des nappes à se recharger lors de précipitations intenses. Sur l’épisode de juin 2016, le blé qui est très développé à cette période de l’année consomme toute l’eau dans le sol, limitant ainsi fortement la recharge. À l’inverse, un sol maintenu nu ou des végétations encore peu développées comme à l’époque la betterave favorise l’infiltration des précipitations jusqu’à la nappe mais aussi, le ruissellement, avec les coulées de boue associées.
On constate ainsi que la végétation réduit fortement la recharge des nappes lors d’épisodes de pluie très intenses. De plus, on voit bien la cohérence entre la recharge observée à travers les lysimètres et le niveau de la nappe la plus proche. Cet épisode a permis au niveau de la nappe de remonter, alors qu’à cette époque de l’année, sa contribution aux débits des rivières conduit son niveau à diminuer.
La majorité des précipitations intenses ne remplissent pas les nappes
Aujourd’hui, nous disposons d’observations sur plus de 50 ans sur le site de Fagnières. On y a recensé 85 événements de précipitations intenses avec des intensités journalières variant de 23 à 72 millimètres. Ces événements représentent un petit nombre de jours de pluie (2 %) mais sont responsables de 15 % des volumes de pluies annuelles. Ils ont majoritairement lieu en été et en automne.
Ainsi, sur ce site, 70 % des épisodes de pluies intenses n’ont engendré aucune recharge, et seulement 10 % des événements de précipitations intenses engendrent une forte recharge (avec plus de 30 mm). Ces précipitations intenses restent donc moins efficaces pour générer une recharge que les événements de précipitations plus faibles : elles représentent 15 % du volume d’eau tombée du ciel mais seulement 10 % de la recharge annuelle. Ces pluies contribuent ainsi à une faible part de la recharge des nappes.
L’évolution de la recharge suite aux pluies intenses
Actuellement, nous n’observons pas sur ce site de réponse marquée du changement climatique sur les pluies intenses et la recharge qu’elles génèrent. Ce résultat peut paraître surprenant, car une atmosphère plus chaude à la capacité de retenir plus d’humidité, qui est amenée à retomber sous la forme de précipitations. Avec l’augmentation des températures, on devrait donc s’attendre à une hausse de ces événements.
Cependant, malgré une stabilité des précipitations annuelles, il y a une tendance significative à la diminution de la recharge, liée à une évaporation et à une transpiration des plantes plus importantes. Cela implique que les événements de précipitations intenses constituent une part de plus en plus importante dans les recharges annuelles.
Comme on l’a vu cet hiver dans le Pas-de-Calais, les précipitations intenses peuvent contribuer fortement à la recharge des nappes. Cependant, cela est moins vrai lors des périodes estivales, principalement du fait que ces précipitations, comme on l’a vu, peuvent être consommées par la végétation lorsqu’elles s’infiltrent dans le sol. Cela est aggravé par une proportion non négligeable des précipitations intenses qui au lieu de s’infiltrer dans le sol va ruisseler, du fait de la topographie, mais aussi de l’imperméabilisation des sols, de leur dégradation, et de l’absence de zones végétalisées permettant de contenir ces flux.
Il devient urgent d’améliorer la compréhension des impacts des éléments du paysage pour réduire les risques inhérents aux précipitations intenses (ruissellement, coulée de boue), et maximiser la recharge des nappes lors de ces épisodes. L’extension d’un réseau lysimétrique national dans le cadre du programme de recherche OneWater – Eau Bien Commun y contribuera.
Antoine Sobaga, Post Doctorant, École normale supérieure (ENS) – PSL et Florence Habets, Directrice de recherche CNRS en hydrométéorologie, professeure, École normale supérieure (ENS) – PSL
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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