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Végétaliser notre alimentation : des légumineuses dans le yaourt

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Végétaliser notre alimentation : des légumineuses dans le yaourt

Valérie Gagnaire, Inrae

Comment diminuer l’apport de produits d’origine animale sans trop changer les habitudes alimentaires des consommateurs ? De nouvelles recherches visent à développer des yaourts en mélangeant du lait de vache et de la farine de lupin.


La transition alimentaire vers une alimentation plus durable et plus respectueuse de l’environnement est en marche depuis une dizaine d’années. Elle consiste notamment à augmenter la part de végétaux dans notre alimentation et à réduire celle des produits d’origine animale. Pour bon nombre de personnes, changer leurs habitudes alimentaires demande de gros efforts. En France, en 2023, seuls 15 % des personnes se déclarent flexitariens, c’est-à-dire mangeant occasionnellement de la viande et du poisson, 4 % des personnes ont un régime végétarien et 3 % un régime vegan.

Pour aider cette transition alimentaire et assurer sa réussite, un moyen est de rallier de manière progressive et raisonnée bon nombre de gens. C’est pourquoi, plutôt que de proposer un produit 100 % végétal qui serait peu apprécié et donc peu accepté, nous avons choisi de mélanger les sources de produits d’origine animale et végétale. Nous avons décidé de mélanger du lait de vache et une légumineuse, le lupin, en différentes proportions. Le lupin est en effet riche en protéines (environ 40 g de protéines/100 g de farine), a une composition proche de celle du soja et est produit en France. Il est mangé souvent à l’apéritif en « pickles » ou inclus sous forme de farine en viennoiseries.

Nous exploitons ainsi la complémentarité de composition des deux sources pour équilibrer au mieux les apports nutritionnels. Pour conduire vers des goûts et des textures appréciés, tout en apportant des bénéfices pour la santé, nous avons choisi la fermentation du mélange lait-lupin, dont les protéines sont extraites à partir de la farine de lupin, avec des bactéries lactiques. Cela permet de rester dans l’univers familier des produits laitiers fermentés, que sont les boissons fermentées et les produits de type yaourts. Ces derniers représentent ¼ de notre apport journalier en protéines.

Une nouvelle fermentation

Les bactéries lactiques utilisent les différents composés du lait et ont été choisies depuis longtemps pour produire de nombreux produits laitiers fermentés : laits fermentés (comme le kéfir en synergie avec des levures), yaourts, fromages, crème fraîche et beurre. De nombreuses recherches ont été menées pour déterminer comment les bactéries lactiques sont capables d’utiliser le sucre (lactose), les protéines et la matière grasse du lait afin de produire de nombreux composés assurant la conservation (transformation du lactose du lait en acide lactique), la texture, le goût et les arômes des différents produits laitiers fermentés. Grâce à ces connaissances, le procédé de fermentation du lait est parfaitement maîtrisé pour fabriquer, par exemple, de multiples fromages divers et variés.

Par contre, la composition des légumineuses est différente de celle du lait et les bactéries lactiques usuellement utilisées pour fermenter le lait ne savent pas utiliser les sucres des légumineuses car elles n’ont pas les enzymes spécifiques pour cela. En effet, en plus du saccharose, sucre souvent majoritaire dans les légumineuses, il existe des variétés de sucres, appelés alpha-galacto-oligosaccharides (raffinose, stachyose, verbascose), qui entraînent des troubles intestinaux, telles les flatulences bien connues des mangeurs de haricots blancs ou de pois cassés. Il est donc nécessaire de trouver de nouvelles souches de bactéries lactiques capables de dégrader les sucres et aussi capables de transformer ces protéines de légumineuses en peptides et acides aminés libres.

Pour cela, nous avons mis en place un moyen de sélectionner de nouvelles souches, capables pour certaines de dégrader les sucres et pour d’autres les protéines des légumineuses, car une seule souche ne peut pas tout faire.

Une végétalisation du lait

Pour relever ce challenge, nous avons tiré parti des capacités de fermentation complémentaires des souches capables de fermenter le lait et/ou le lupin, pour les associer afin de fermenter les mélanges lait et lupin. L’objectif était de fabriquer des produits analogues aux yaourts. Nous avons ainsi végétalisé le lait en remplaçant une partie du lait par du lupin. Le procédé de fabrication du yaourt se prête bien à ce mixte.

Le procédé de fabrication d’un yaourt est simple car il nécessite juste du lait et l’ajout des bactéries lactiques pour transformer le lait liquide en un gel acide directement dans le pot de yaourt. La fermentation se fait pendant quelques heures à la température de croissance des bactéries lactiques : 40-42 °C pour Streptococcus thermophilus et Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus les deux espèces de bactéries « classiques » du yaourt ou 30 °C pour Lactococcus lactis, bactérie utilisée dans le cas du mixte lait-lupin.

De la poudre de lait qui est en fait des protéines de lait séchées, est souvent ajoutée pour enrichir le lait et donner une texture plus ferme au yaourt (étape de poudrage dans la figure ci-dessus). C’est à cette étape que peuvent être facilement ajoutées des protéines de légumineuses pour végétaliser le lait et créer le mixte lait-lupin.

Les mixtes lait-lupin contenant 33 % de protéines de lupin sont considérés comme lactés et plaisants. Nous avons montré qu’il est difficile de dépasser 50 % en protéines de lupin, pour que le produit soit acceptable sensoriellement par les consommateurs, car ceux avec 50 % de protéines de lupin, sont considérés comme ayant des goûts métalliques ou des notes « herbacées » voire amers.

Ce résultat est en accord avec d’autres études scientifiques sur d’autres légumineuses. C’est tout de même un bon pourcentage de végétalisation. Il reste maintenant à convaincre les consommateurs des bienfaits de ce nouveau concept d’aliments mixtes fermentés. Une façon est de leur donner les informations sur les qualités nutritionnelles et santé nécessaires pour continuer à faire évoluer les habitudes alimentaires.

Les mixtes laits et végétaux fermentés sont plus qu’une combinaison des deux ingrédients, ce sont de nouveaux aliments fermentés. Élargir ce concept à d’autres mixtes lait-végétaux voire à des mixtes végétaux-végétaux fermentés est une voie prometteuse pour aider à diversifier l’offre alimentaire et aller vers de nouvelles habitudes alimentaires. D’autres matrices pourraient être fermentées selon d’autres critères comme des effets probiotiques bénéfiques pour la santé par ex. Cela ne peut se faire qu’avec une connaissance accrue d’une part du potentiel de diverses bactéries et d’autre part de la composition en sucres et protéines du végétal.

Valérie Gagnaire, Directrice de Recherche en science des aliments, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Affaire P.Diddy : le silence complice lors des violences sexuelles en débat

Sean Combs lors d'un événement à Atlanta en août 2023. Paras Griffin/Getty Images
Zoe D. Peterson, Indiana University; Mary P. Koss, University of Arizona et RaeAnn Anderson, University of Missouri-Kansas City

Pourquoi tant de témoins de violences sexuelles gardent-ils le silence ? L’affaire P.Diddy interroge les dynamiques de pouvoir et les comportements d’omission ou de soutien aux agresseurs.


Le producteur de hip-hop milliardaire Sean « Diddy » Combs (également connu sous les noms de P.Diddy ou Puff Daddy), a été mis en examen pour « trafic sexuel » et une série d’autres crimes et délits en septembre 2024. De nouvelles plaintes ont depuis été déposées, plus de cent vingt victimes présumées accusant désormais P.Diddy de violences sexuelles (contrainte physique, menace, abus d’autorité, exploitation de l’incapacité causée par la drogue ou l’alcool, etc.).

L’un des éléments les plus frappants de cette affaire est le nombre élevé de personnes qui ont été témoins des crimes et délits présumés. La plupart de ces actes se seraient produits lors d’événements sociaux et de fêtes très fréquentées depuis au moins 2001.

Le procès de Combs devrait débuter en mai 2025. Cette affaire soulève d’importantes questions sur les personnes qui sont témoins de violences sexuelles et sur la manière dont elles réagissent – ou gardent le silence.

La recherche nous apprend que de nombreuses personnes ne font rien lorsqu’elles sont témoins de violences sexuelles (harcèlement sexuel, agressions sexuelles ou viols).

Souvent, les gens ne se rendent pas compte que leur inaction peut contribuer à aggraver les violences sexuelles.

Pourquoi les gens ne font souvent rien lorsqu’ils sont témoins de violences sexuelles ? Nous avons constaté qu’il existe trois grandes catégories : les personnes qui permettent les violences, les personnes qui sont complices de celles-ci et celles qui participent activement à l’acte répréhensible.

Thalia Gates, une des victimes présumées de Sean Combs (à droite) et son avocate lors d’une conférence de presse à Los Angeles le 24 septembre 2024. Rodin Eckenroth/Getty Images

Ceux qui facilitent les violences

Les chercheurs en sciences sociales, nous trois comprises, savent depuis longtemps qu’il est typique pour les personnes qui voient ou savent qu’il y a violences sexuelles de réagir en les ignorant, en les rationalisant ou en les minimisant.

Ces personnes, que l’on pourrait qualifier de facilitateurs, ne participent pas directement aux violences. Mais leur silence et leur passivité contribuent à la poursuite ou à l’aggravation de celles-ci.

Cette façon de permettre les violences est parfois due à une dynamique de pouvoir ou à la crainte de répercussions sociales ou professionnelles néfastes de la part de l’agresseur. D’autres personnes qui ne font rien peuvent ne pas réaliser qu’il s’agit de violences, ou se convaincre que ce qu’elles voient n’est pas grave – ou que ça ne les regarde pas.

En n’agissant pas pour prévenir les violences, ces témoins commettent une faute par omission.

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Ceux qui sont complices des violences

D’autres témoins participent aux violences sexuelles en aidant l’agresseur à les commettre d’une manière ou d’une autre. Ils sont directement complices.

La complicité peut consister à encourager l’agresseur à commettre des violences sexuelles ou à dissimuler les preuves de ces actes. Elle peut aussi se manifester par des tentatives de réduire la victime au silence ou de lui faire honte.

La complicité peut prendre la forme d’un membre de fraternité qui aide son ami à faire boire une femme pour qu’il puisse « profiter d’elle », ou d’un coéquipier qui persuade une victime de ne pas dénoncer les violences sexuelles commises par une star de l’équipe de football américain, sous prétexte qu’elle risquerait de perdre sa bourse d’études.

Beaucoup ignorent qu’en agissant de la sorte, ils peuvent être accusés de complicité du crime ou d’infractions moins graves impliquant néanmoins une responsabilité légale.

Certaines formes de complicité ne sont pas punies par la loi, mais, de notre point de vue, même lorsqu’elles ne sont pas répréhensibles pénalement, elles représentent un échec à contribuer à une société sûre et respectueuse d’autrui.

Ceux qui participent aux violences

Le type de non-intervention le plus flagrant est commis par des personnes qui participent activement à la perpétration de violences sexuelles. Cela se produit souvent lorsque les victimes sont incapables d’agir en raison de l’alcool ou de la drogue. Plusieurs des allégations formulées à l’encontre de Combs mentionnent des victimes qui étaient apparemment en état d’ébriété et pour lesquelles il y avait des coauteurs présumés.

Lorsque plusieurs personnes se livrent à des actes sexuels avec une personne inconsciente à cause de la drogue ou de l’alcool, on parle parfois de viol collectif. Le plus souvent, la co-persécution implique deux auteurs, mais il arrive qu’il y ait plus de personnes impliquées.

Nos récentes recherches montrent que parmi les Américains qui ont été victimes de violences sexuelles, 19 % ont déclaré qu’au moins un des crimes sexuels commis à leur encontre impliquait plus d’un auteur.

Des agents de la Homeland Security Investigation devant la maison de Sean Combs à Miami Beach, en Floride, le 24 mars 2024. Giorgio Viera/AFP

La première étape pour changer les choses

Tous ces comportements contribuent activement aux violences sexuelles, protègent les auteurs des conséquences négatives, découragent les victimes d’obtenir de l’aide ou la justice. Ils servent en fin de compte à maintenir des niveaux alarmants de violences sexuelles.

Nous savons que les individus sont beaucoup plus susceptibles d’intervenir pour aider une personne blessée ou en situation d’urgence médicale qu’une personne victime de violences sexuelles.

Les violences sexuelles sont une urgence à part entière à laquelle il faut réagir lorsqu’on en est témoin. En prendre conscience est la première étape pour lutter contre les violences sexuelles.

Zoe D. Peterson, Director of the Sexual Assault Research Initiative at the Kinsey Institute and Professor of Applied Psychology in Education and Research Methodology, Indiana University; Mary P. Koss, Regents' Professor of Public Health, University of Arizona et RaeAnn Anderson, Assistant professor in health sciences, University of Missouri-Kansas City

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Pourquoi boire de l’alcool donne-t-il mal à la tête ?

Qu'il soit luxueux, nature ou biologique, le vin donnera toujours mal à la tête. Carolina Heza/Unsplash, CC BY
Christophe Lavelle, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Quand votre tête vous rappelle les excès de la veille. La qualité de la boisson a-t-elle un impact sur la douleur ? Existe-t-il des remèdes approuvés par la science ? Peut-on prévenir une gueule de bois ?


Depuis quand a-t-on la gueule de bois (ou « vésalgie » pour les scientifiques) ? Vraisemblablement depuis bien plus longtemps que le vin et autres boissons fermentées ont été inventés. En effet, il y a 10 millions d’années déjà, nos ancêtres auraient pu consommer des fruits tombés au sol, potentiellement pourris et donc chargés d’alcool. Or, si cette consommation présente un avantage du fait de la richesse en calories de l’éthanol, avec ses 7kcal/g contre seulement 4 pour les glucides ou les protéines, elle ne vient pas sans un contre-coût dont nos prédécesseurs se sont sans doute rapidement rendu compte : l’alcool rend d’abord gai… puis malade.

En effet, notre organisme n’est pas bien adapté pour cette consommation, et l’alcool reste toxique, même si l’évolution a fait ce qu’elle a pu en stabilisant dans notre génome une mutation dans le gène codant pour l’enzyme ADH4 (alcool déshydrogénase 4), la rendant 40 fois plus performante pour réaliser la première étape de détoxification de l’alcool.

Cette mutation ne nous immunise pas pour autant contre les effets de l’alcool.

Sitôt avalé, l’alcool passe rapidement l’estomac pour arriver dans l’intestin, puis la circulation sanguine (on le détecte dans le sang quelques minutes après ingestion), irriguant alors tous nos organes, dont le cerveau (les premiers effets se font alors sentir) et le foie (les seconds effets arrivent), de manière assez spectaculaire si les doses ingérées sont extrêmes : l’organisme signale alors l’empoisonnement par des nausées, des vomissements… voire un coma éthylique (et la mort) dans les cas les plus graves.


Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions.

N’hésitez pas à nous écrire pour poser la vôtre et nous trouverons la meilleure personne pour vous répondre.

Et bien sûr, les questions bêtes, ça n’existe pas !


Mais revenons au cas, heureusement plus courant, d’un « excès modéré ». Dans le cerveau, d’abord, l’alcool va avoir différents rôles, dont celui de booster la sécrétion de dopamine (d’où l’effet plutôt stimulant et euphorisant en premier lieu), avant que l’effet sédatif prenne le relais et entraîne la phase de somnolence caractéristique. On s’endort alors d’un sommeil plutôt agité… et le réveil nous rappelle douloureusement les excès de la veille, et l’intoxication plus ou moins sévère qui en résulte. Car c’est au foie que revient la décomposition de l’alcool, pour transformer l’éthanol en acétaldéhyde puis en acétate, ces deux composés restant malheureusement encore toxiques pour notre organisme. Or, l’alcool perturbe aussi la production de vasopressine, une hormone antidiurétique qui régule l’activité des reins, ce qui est plutôt une bonne chose, car il faut bien uriner pour éliminer toutes ces toxines : le corps utilise alors de l’eau, beaucoup d’eau pour éliminer l’alcool… entraînant de fait une déshydratation qui est une des causes de migraine.

Ajoutons à cela l’effet vasodilatateur de l’alcool (avec cette petite sensation de « coup de chaud » après les premières gorgées, qui est un vrai piège, car, passée la sensation trompeuse, le corps se refroidit encore plus vite), ainsi que la perturbation de la glycémie, la sécrétion de neurotransmetteurs et le déclenchement d’une réponse inflammatoire, autant d’effets qui contribuent aux maux de tête, sans que les mécanismes soient toujours bien clairs.

À ce sujet, sus aux légendes : oui, même les très bons vins donnent la gueule de bois. Oui, même les vins « nature ». Car non, le souffre n’est pas responsable, mais bel et bien l’alcool. Ou alors seulement chez certaines personnes particulièrement sensibles aux sulfites ; mais d’autres le seront plutôt aux histamines et autres amines biogènes, que certains vins justement peu sulfités contiennent en plus grosse quantité

Enfin, en cas d’excès non évité, y a-t-il des stratégies de soulagement ? Des aliments qui peuvent aider ? Des médicaments ? Seule la diète semble conseillée (pour alléger le foie) et la réhydratation à l’aide de vos meilleures tisanes hivernales, même si ça ne produira pas de miracle sur votre mal de crâne. Quant au marché de la parapharmacie, il a beau être inondé de formules « anti-gueule de bois » (à base de vitamines censées booster l’activité du foie ou de probiotiques censés « capter » l’alcool avant qu’il ne passe dans le sang), aucune étude scientifique digne de ce nom n’a pu prouver l’efficacité de ces pilules. Il ne reste guère que le paracétamol ou l’ibuprofène, pour soulager la douleur. Attention cependant aux effets hépatotoxiques de ces molécules : il ne s’agit pas d’achever votre foie. Et surtout, évitez aussi la tentation de traiter le mal par le mal en reprenant un coup d’alcool, car si l’effet anesthésique et analgésique peut donner l’impression de soulager temporairement votre douleur crânienne, ce ne sera que pour la voir ressurgir de plus belle ensuite !

Christophe Lavelle, Chercheur en biophysique moléculaire, épigénétique et alimentation, CNRS UMR 7196, Inserm U1154, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Où sont passés les bonhommes de neige ? La disparition de la neige, une perte culturelle

Emmanuelle Fantin, Sorbonne Université et Sophie Corbillé, Sorbonne Université

La disparition de la neige n’est pas qu’une affaire de changement climatique. Elle constitue aussi une perte culturelle ; en témoigne la figure récurrente du bonhomme de neige dans les industries culturelles. Avec la raréfaction de la neige, ce sont aussi des moments de transmission intergénérationnelle qui se perdent.


Parmi l’ensemble des transformations liées aux changements climatiques, la disparition de la neige est probablement l’une des plus marquantes. C’est particulièrement le cas en Europe où année après année, on se désole de sa raréfaction et s’interroge sur le devenir des territoires qui en vivent.

C’est que la neige n’est pas seulement une donnée climatique ou météorologique. Elle est aussi un patrimoine culturel constitutif de nos identités, de nos pratiques, et de notre histoire en partage.

La disparition annoncée de cette texture si particulière bouleverse tout autant notre futur que nos souvenirs : perdre la neige, c’est aussi perdre un peu de notre culture.

La neige façonne bien plus que nos paysages

Alain Corbin, pionnier de l’histoire des sensibilités, a montré dans ses travaux que le paysage et le climat sont également sujets à des appréciations esthétiques, culturelles, et donc chargées d’émotions et historiquement situés.

Pour le dire autrement, la neige façonne bien plus que les paysages. Elle affecte également nos pratiques et nos représentations qui, réciproquement, l’investissent en retour. Sa disparition induit donc une perte dans nos manières collectives d’habiter et de traverser les territoires parfois intimes et familiers, nos manières d’être ensemble dans l’espace.

Le paysage enneigé et la neige sont des formes environnementales qui ont été, pendant des siècles, structurantes pour les sociétés européennes. D’abord en tant qu’esthétique environnementale, portée par l’histoire de l’art notamment, qui en a fait un topos paysager.

La Pie, peinture de Claude Monet.

Le « petit âge glaciaire », période de refroidissement du climat entre les XIVe et XIXe siècles, a été abondamment représenté par la peinture européenne qui lui a offert un « type » pictural et d’innombrables chefs-d’œuvre.

Des tableaux de Bruegel à ceux de Monet, les représentations artistiques ont cherché à restituer son intensité, son silence, ses couleurs ou cette mélancolie si spécifiquement incarnée par la neige.

De James Bond à Love Actually, la puissance narrative de la neige

Le cinéma a également contribué à travailler la puissance narrative de la neige : quel

n’a pas dévalé une piste de ski à toute allure ?

La tempête de neige est un cliché cinématographique très utile à l’immobilisation des personnages, qu’il s’agisse de déclencher la terreur, comme dans

, ou au contraire d’y trouver là un prétexte scénaristique à l’élaboration
.

La cascade dans la neige est quasiment une figure imposée pour les James Bond. Metro-Goldwyn-Mayer Pictures/Columbia Pictures/EON Productions/IMDB

Par son caractère inattendu (car la neige est un événement au sens propre, elle « surprend toujours »), elle a par ailleurs contribué à rehausser d’innombrables scènes romantiques. La scène des flocons virevoltant autour du visage de deux personnages amoureux est un poncif qui circule indéfiniment, du cinéma d’auteur à la production industrialisée des fameux téléfilms de Noël.

Moins de neige naturelle en Europe, plus de neige indoor à Dubaï

La disparition de la neige menace aussi évidemment les pratiques de loisirs et récréatives liées aux sports d’hiver : luge, raquettes, patins à glace, et ski bien entendu. La nouvelle revient chaque hiver dans les médias, avec désarroi ou résignation.

Les conditions neigeuses sont en effet très dégradées pour la plupart des stations de ski européennes. Les études scientifiques annoncent la fermeture de la quasi-totalité des stations de ski européennes d’ici la fin du siècle, laissant présager une crise de l’industrie du tourisme et des loisirs qui viendra bouleverser l’économie des régions montagneuses et leurs habitants.

À vrai dire, la disparition de la neige y est déjà effective, puisque la plupart des stations européennes demeurent skiables aujourd’hui uniquement grâce au développement massif de la neige artificielle, lancée à coups de « canons » spécialement conçus pour cette pratique.

À l’autre bout du globe, en lisière du désert d’Arabie, le Mall of Emirates propose toute l’année de pratiquer le ski et le snowboard, au sein de sa fameuse piste indoor. Une école de ski permet même de prendre des leçons sur place, pour les débutants ou bien pour améliorer ses performances.

Et cela alors que la température moyenne annuelle à Dubaï est de 29 °C. Là-bas, la neige est certes artificielle, mais elle est surtout proposée comme une attraction exotique, une curiosité au sein de l’aire géographique et climatique du Golfe persique. Serait-ce là le destin annoncé de la neige sur terre ?

Des bonhommes de neige en voie de disparition, mais omniprésents dans la culture enfantine

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de constater que la confection des bonhommes de neige est en voie de disparition en France et dans une partie de l’Europe.

Sur la plate-forme Histoires de nature, du Muséum nationale d’histoire naturelle de Paris et de son homologue berlinois, dédiée à la collecte de témoignages sur la façon dont l’anthropocène transforme nos environnements, les récits de disparition des bonhommes de neige que nous avons étudiés sont récurrents – et souvent poignants.

Il faut dire qu’autour de ce rituel hivernal – auquel nous pourrions ajouter celui de la « bataille de boules de neige » – se nouent à la fois des éléments d’ordre temporels et mémoriels : répétitivité annuelle, attente et impatience, symbole de l’hiver. Il existe aussi une forte codification : le bonhomme de neige est figé autour de règles précises qui signalent sa bonne réalisation, comme la carotte en lieu et place du nez.

Tout comme « Le Père Noël supplicié » dont parle l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, il met en jeu le rite comme mécanique initiatique et permet de produire des sentiments d’appartenance à sa famille, sa fratrie, son groupe d’amis, etc. Il offre un moment de joie, d’émerveillement et de célébration du mystère de la vie en plein cœur de l’hiver.

La toute première photographie connue de bonhomme de neige, vers 1853. Llyfrgell Genedlaethol Cymru/The National Library of Wales

La perte du bonhomme de neige en tant que rituel hivernal ne touche donc pas uniquement les enfants, et elle vient questionner la fragilisation des processus de transmission intergénérationnels.

La toute première photo connue de bonhomme montre combien les adultes prennent aussi plaisir à fabriquer cet être qui entretient quelques similitudes avec les humains.

Olaf, l’un des héros de la Reine des neiges. Loren Javier/Flickr, CC BY-NC-SA

Malgré la disparition de la pratique du bonhomme de neige, ce dernier continue, paradoxalement, d’occuper une place fondamentale dans les productions des industries culturelles et créatives à destination des enfants, ainsi que dans la littérature jeunesse.

Les exemples sont fort nombreux, mais il y en a un qui possède désormais une réputation mondiale. Il s’agit évidemment d’Olaf, le gentil bonhomme de neige du film à succès La Reine des neiges, qui s’est imposé en quelques années comme l’un des personnages les plus populaires de l’univers Disney, décliné et reproduit des millions de fois sur des trousses, t-shirts, peluches ou porte-clés.

Où sont passées les neiges d’antan ?

Pour citer le poète François Villon, mais où sont les neiges d’antan ? Il y a plus de 20 ans, le philosophe Glenn Albrecht inventait le concept de « solastalgie » pour désigner la détresse et la nostalgie causée par les bouleversements environnementaux. Plutôt périphérique à l’époque, le terme est aujourd’hui abondamment repris dans les médias et par la recherche en sciences humaines et sociales, qui lui consacrent de nombreux travaux.

La solastalgie est fille de la nostalgie, qui désigne étymologiquement le mal du pays (nostos signifie « retourner chez soi » en grec, et algia « la douleur ») lié par exemple à l’exil, ou à l’impossibilité de rentrer chez soi. À la différence près qu’avec la solastalgie, il n’y a pas d’exil : les paysages ou notre habitat disparaissent d’eux-mêmes sous nos yeux, souvent de façon définitive et irrémédiable, sans même que nous n’ayons à nous déplacer.

Cette disparition conduit à ce que les chercheurs nomment l’amnésie environnementale générationnelle : au fil des dégradations de l’environnement, chaque génération considère l’état dans lequel elle grandit comme le niveau non dégradé, autrement dit de référence.

Les boules à neige ne seront-elles bientôt plus que le vestige de la neige dans nos mémoires ? Guillaume Delabarre/Flickr, CC BY-NC-ND

La neige, matière unique, semble devenir peu à peu le fantôme de l’histoire climatique de la terre. Les boules à neige des boutiques de souvenirs, que l’on secoue pour faire tomber les flocons au-dessus d’un Rio miniature ou des pyramides d’Égypte, n’ont-elles d’ailleurs pas déjà commencé l’opération de déréalisation de ce phénomène météorologique, paysager et culturel, devenu pure fantasmagorie marchande ?

Emmanuelle Fantin, Maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication, Sorbonne Université et Sophie Corbillé, Professeure des universités en sciences de l'information et de la communication, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Une nouvelle théorie explique comment l’eau est arrivée sur Terre

Comment la Terre est-elle devenue la planète bleue ? NASA, CC BY
Quentin Kral, Université Paris Cité

Au tout début de son histoire notre planète était sèche, comment est-elle devenue bleue ? C’est une question absolument fondamentale à laquelle une nouvelle théorie pourrait donner une réponse.


Au moment de sa formation, la Terre était trop chaude pour contenir de la glace d’eau. Toute l’eau présente sur Terre doit donc avoir une origine extraterrestre. L’étude de roches terrestres anciennes montre qu’il y a eu sur notre planète de l’eau liquide très tôt (aux échelles de temps des astrophysiciens en tout cas) vers 100 millions d’années environ après la formation du Soleil. Cette eau a aujourd’hui plus de 4,5 milliards d’années, en vertu d’un cycle maintenant son renouvellement permanent. Avec mon équipe, nous venons de proposer une nouvelle théorie pour expliquer l’arrivée de l’eau sur Terre.

Une question vieille de plusieurs milliards d’années

Les astrophysiciens tentent de répondre à la question de l’arrivée de l’eau sur notre toute jeune planète depuis plusieurs décennies. Une des premières hypothèses considérait que l’eau terrestre était un sous-produit direct de la formation de la Terre, qui pouvait être relâché via le magma lors d’éruption volcanique où la grande majorité du gaz produit est de la vapeur d’eau.

Cependant, en analysant la composition de l’eau terrestre, cette hypothèse a évolué dans les années 90 avec la découverte du rôle potentiel des comètes glacées, suggérant un apport d’origine extraterrestre. Les comètes sont des boules de glaces et de roches qui se forment assez loin dans le système solaire et sont parfois éjectées vers le Soleil. Elles peuvent devenir spectaculaires quand, chauffées par le Soleil, elles forment une queue de poussières que l’on peut observer depuis la Terre. Les astéroïdes, qui sont des objets situés dans la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, sont aussi évoqués comme progéniteurs potentiels de l’eau sur Terre.

L’analyse de roches cométaires et d’astéroïdes, via des météorites (petits fragments d’astéroïdes ou de comètes tombées sur Terre), notamment en mesurant leur rapport D/H (qui est la quantité d’hydrogène lourd, appelé deutérium, par rapport à l’hydrogène standard), a permis de voir que l’eau terrestre correspond davantage à celle des astéroïdes dit « carbonés » (ceux qui contiennent des traces de la présence d’eau passée), orientant ainsi les recherches vers ces derniers.

La ceinture d’astéroïdes se situe entre Mars et Jupiter, la ceinture de Kuiper est, elle, au delà de Neptune. Pline/Wikipedia, CC BY

Les travaux récents se sont donc focalisés sur la recherche du meilleur mécanisme céleste propre à faire venir s’écraser ces astéroïdes sur notre jeune Terre sèche, au début de son histoire, afin de la fournir en eau. Pléthores de scénarios ont ainsi été publiés pour théoriser le « chamboulement » des planétésimaux, c’est-à-dire des gros corps glacés présents dans les ceintures d’astéroïdes (entre Mars et Jupiter) et de Kuiper (au-delà de Neptune) afin qu’ils en soient délogés pour être envoyés vers la Terre. Mais cela sous-tend un jeu de billard gravitationnel qui n’est pas trivial et impose l’idée d’une histoire compliquée du Système solaire. Il est clair qu’il y a dû y avoir des chamboulements et des impacts pour former les planètes. Cependant, il se peut que les choses se soient passées plus sereinement et plus naturellement pour l’apport de l’eau sur Terre.

Une hypothèse « plus simple »

Je suis parti du principe que les astéroïdes sont glacés au sortir de leur cocon de formation (aussi appelé « disque protoplanétaire »). Ce cocon est un disque de gaz massif, principalement composé d’hydrogène et rempli de poussières, dans lequel se forment les planètes et les ceintures initialement. Il englobe donc tout le système planétaire en devenir. Une fois que le cocon initial protecteur disparaît (au bout de quelques millions d’années), les astéroïdes se réchauffent et les glaces fondent, ou plus exactement subliment. Autrement dit, leur glace se transforme en vapeur d’eau. Dans l’espace où la pression est presque nulle, l’eau reste alors sous forme vapeur.

Un disque de vapeur d’eau se superpose alors à la ceinture d’astéroïdes en orbite autour du Soleil. À mesure que les glaces subliment, le disque se remplit de vapeur d’eau et s’étale naturellement vers l’intérieur, c’est-à-dire vers le Soleil, à la suite de processus dynamiques complexes. Au passage, il rencontre les planètes internes qui se retrouvent baignées dans ce disque de vapeur d’eau. En quelque sorte, le disque d’eau « arrose » les planètes telluriques que sont Mars, la Terre, Vénus et Mercure. Le gros de la capture d’eau par les planètes se passe vers 20-30 millions d’années après la formation du Soleil, à un stade où ce dernier a vu sa luminosité augmenter fortement sur un court laps de temps, ce qui a augmenté le taux de dégazage des astéroïdes.

Mise en évidence, étape par étape, d’un nouveau modèle de distribution de l’eau sur les planètes internes du Système solaire, dont la Terre. Cinq millions d’années après la naissance du Soleil, les astéroïdes de la ceinture principale libèrent, sous l’effet de l’énergie solaire, de la vapeur d’eau. Ce bain de vapeur se diffusant peu à peu dans le Système solaire interne, finit par envelopper les planètes qui en capturent une partie au profit de la formation des océans, entre 10 et 100 millions d’années plus tard. Sylvain Cnudde/Observatoire de Paris -- PSL/LESIA, Fourni par l'auteur

Une fois que l’eau est capturée par l’attraction gravitationnelle des planètes, il peut se passer beaucoup de choses. Cependant, sur Terre, il existe un mécanisme protecteur qui explique que la masse d’eau totale n’a pas beaucoup varié, depuis la fin de la capture jusqu’à maintenant. En effet, si l’eau va trop haut dans l’atmosphère, elle condense, forme des nuages, qui se retrouvent un peu plus tard sous forme de pluie à la surface de la Terre : c’est le cycle de l’eau.

Les quantités d’eau passée et présente sur Terre sont donc bien connues. Notre modèle qui, partant de la ceinture d’astéroïdes originelle, et procède au dégazage des glaces, arrive à amener la bonne quantité d’eau, qui sert ensuite à former les océans, les rivières, les lacs, et explique l’eau enfouie en profondeur dans le manteau terrestre. Les mesures fines du rapport D/H de l’eau dans les océans peuvent aussi être expliquées à l’aide de notre modèle. Enfin la quantité d’eau présente dans le passé sur les autres planètes (et même sur la Lune) est aussi bien expliquée avec notre théorie.

On pourrait se demander comment m’est venue l’idée de proposer cette nouvelle théorie. Cela ne sort pas de nulle part et s’appuie sur des observations récentes, notamment avec ALMA, un radiotélescope composé de plus de 60 antennes déployées au Chili, sur un plateau à 5 km d’altitude. En effet, en observant les systèmes extrasolaires qui ont des ceintures similaires à celle de Kuiper, on découvre maintenant que les planétésimaux dans ces ceintures subliment du monoxyde de carbone (CO). Pour des ceintures plus proches de leur étoile comme la ceinture d’astéroïdes, le CO est trop volatil pour être présent et c’est plutôt de l’eau qui devrait s’en dégazer.

Des observations à venir pour étayer l’hypothèse

C’est donc sur la base de ce constat que l’idée initiale s’est forgée. De plus, grâce aux résultats récents issus des sondes Hayabusa 2 et OSIRIS-ReX parties explorer in situ des astéroïdes similaires à ceux qui auraient pu participer à la formation du disque de vapeur d’eau initial, nous avons pu confirmer (car on l’observe aussi depuis longtemps avec les télescopes au sol) la présence de grandes quantités de minéraux hydratés sur ces corps, qui ne peuvent se former qu’au contact de l’eau. Le préalable pour expliquer ces observations est que ces astéroïdes aient été glacés initialement, bien qu’ils ne le soient plus aujourd’hui (à part les plus massifs comme Cérès).

Comment l'eau est-elle arrivée sur Terre ?

Les bases du modèle étaient en place et il fallait ensuite construire une simulation numérique qui puisse suivre ce dégazage, l’étalement du gaz, puis sa capture par les planètes. En réalisant ces simulations, je me suis tout de suite rendu compte que cela pouvait expliquer la quantité d’eau sur Terre. Pour les autres planètes, j’ai fait quelques petites recherches pour trouver les contraintes sur les quantités d’eau passées sur Mars et les autres planètes telluriques. Cela fonctionnait aussi. Il ne manquait plus qu’à publier le tout !

En tant que chercheur, on ne se contente pas de mettre au point un modèle qui fonctionne et semble tout expliquer ; on se doit d’aller plus loin et de tester la théorie à grande échelle. S’il est maintenant trop tard pour détecter le disque de vapeur d’eau initial (sur lequel tout repose) qui a permis « d’arroser » les planètes telluriques, il convient de se pencher sur des systèmes extrasolaires avec de jeunes ceintures d’exo-astéroïdes pour voir si en effet on distingue ces disques de vapeur d’eau. D’après nos calculs, ces disques d’eau, bien que peu brillants, pourraient être détectables avec ALMA et notre équipe vient d’obtenir du temps sur ALMA pour tester tout cela sur des systèmes bien spécifiques.

Nous sommes peut-être au début d’une nouvelle histoire…

Quentin Kral, Astrophysicien à l'observatoire de Paris-PSL, CNRS, Sorbonne Université, Université Paris Cité

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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The Conversation

Comment MrBeast, le youtubeur le plus suivi du monde, réinvente le divertissement audiovisuel

Visuel officiel des Beast Games de MrBeast. Amazon Prime
Oihab Allal-Chérif, Neoma Business School

Depuis le 19 décembre, MrBeast, le youtubeur suivi par le plus d’abonnés de la planète, propose un jeu hors norme sur Amazon Prime : 1 000 candidats s’affrontent dans 41 épreuves pour gagner 5 millions de dollars. Retour sur le succès d’une superstar de 26 ans qui suscite les polémiques.


MrBeast cumule plus de 338 millions d’abonnés sur sa chaîne YouTube principale en décembre 2024. Cela en fait le youtubeur le plus suivi au monde, le positionnant loin devant la société de production indienne T-Series, seconde avec ses 281 millions d’inscrits. Il vient de lancer ses Beast Games qui combinent les codes de YouTube avec ceux de téléréalités comme Ninja Warrior, de séries comme Squid Game et de films d’action tels que Mission Impossible.

Bande annonce officielle des Beast Games sur Amazon Prime.

Présenté comme « le concours le plus fou que vous ayez jamais vu »,

, ce show conçu et animé par Mrbeast sur Amazon Prime correspond à la vision grandiose qu’il avait déjà exprimée dans certaines interviews : le plus grand nombre de participants avec 1 000 candidats, le plus grand prix à gagner avec 5 millions de dollars, les décors les plus impressionnants, et une tension extrême. Avec ses Beast Games, MrBeast supprime les frontières entre les médias et propose un divertissement innovant et fascinant.

Un succès exceptionnel

Faire des vidéos n’est pas simplement le métier de MrBeast : c’est sa passion depuis qu’il a onze ans.

. Ses collaborateurs les plus proches sont ses meilleurs amis. Adolescent, il passe dix heures par jour à étudier l’algorithme de YouTube, à suivre les tendances et à échanger avec d’autres créateurs sur la façon de faire les meilleures vidéos et d’être recommandé par la plate-forme.

En janvier 2017, il publie une vidéo de lui en train de

qui fera un premier gros buzz. Cinq mois plus tard, pour sa première vidéo sponsorisée, l’application Quidd lui propose 5 000 dollars. Il exige le double et promet de donner les 10 000 dollars à un SDF dans une
. C’est le début de l’escalade des défis et des dons.

Une des premières vidéos virales de MrBeast : “Donner 10 000 $ à un sans-abri au hasard”.

Depuis, MrBeast crée des vidéos de plus en plus spectaculaires avec des sommes considérables à remporter par les participants :

,
, et
(avec des choix géopolitiques très criticables). Il fait gagner des fortunes en billets exhibés dans des mallettes ou d’énormes boites transparentes, une voiture – plus d’une centaine ont été distribuées à ce jour – un bateau, un avion, une maison, et même une île privée… deux fois. La place centrale donnée à l’argent et aux objets de luxe renvoie à une vision très matérialiste du monde. Donner des sommes importantes à des personnes aux revenus modestes pour « faire des clics » interroge aussi sur la générosité donnée en spectacle.

D’autres contenus sont basés sur des défis extrêmes comme :

,
ou
, et posent question en raison de leur promotion de la mise en danger physique.

Aujourd’hui, MrBeast cumule 90 milliards de vues sur ses chaînes : MrBeast, MrBeast Gaming, Beast Reacts ; Beast Philantropy ; et MrBeast 2. Plusieurs chaînes secondaires contribuent à générer plus de capitaux à réinvestir dans la chaîne principale.

MrBeast habite ses propres studios à 10 millions de dollars construits à Greenville où il a grandi et emploie 300 personnes. Il dit travailler tout le temps, du lever au coucher, à l’exception de quelques jours par mois où il se force à se reposer. Tout est fait pour qu’il ne perde pas de temps, car il supervise tout, de l’idéation au montage en passant par la construction des décors.

et prennent des mois à produire, il en tourne quatre ou cinq en parallèle pour maintenir le rythme de publication sur sa chaîne. Quand il collabore avec un autre youtubeur, le studio de celui-ci est entièrement reconstitué sur place pour que MrBeast n’ait pas à se déplacer.

MrBeast a expliqué son approche, son processus créatif et ses méthodes de travail de manière très détaillée, dans de nombreux

. Il donne toutes les astuces pour fournir un contenu spectaculaire et original qui va générer beaucoup d’engagement et encourage tout le monde à le copier. Il travaille particulièrement les dix premières secondes pour qu’elles annoncent tout le contenu et accrochent le spectateur. Comme l’esthétique, la narration est très élaborée avec des surprises et des twists qui réengagent continuellement l’audience afin de maintenir une rétention supérieure à 70 %. L’outro est très rapide, généralement avec une explosion.

MrBeast partage ses meilleurs conseils sur YouTube.

Grâce à toutes ses méthodes, l’une de ses dernières vidéos avec

a atteint 20 millions de vues en 5 heures, battant le record détenu par la bande-annonce de GTA VI qui l’avait fait en 8 heures.

Les Beast games : un projet mûrement réfléchi

Avec les Beast Games, MrBeast souhaite démontrer qu’un youtubeur peut avoir du succès en dehors de YouTube et qu’il n’y est pas limité. Il a consacré une année à concevoir un spectacle qui ne ressemble à aucun des autres jeux déjà diffusés à la télévision ou en streaming. Il ne souhaitait pas travailler avec n’importe quelle plate-forme, exigeant de garder la propriété intellectuelle et d’avoir une liberté créative totale, ce que seule Amazon a accepté. Avec un contrat estimé à plus de 100 millions de dollars, MrBeast a eu les moyens de faire

, avec 41 défis physiques, intellectuels et psychologiques plus fous les uns que les autres.

Pour le lancement de l’émission, MrBeast a tourné une

en exclusivité pour sa chaîne afin de sélectionner 1 000 candidats parmi 2 000 qui a atteint 50 millions de vues en 24 heures. Le tournage intensif de deux jours dans un stade de Las Vegas plusieurs semaines avant celui des Beast Games a été suivi d’accusations de harcèlement et de mise en danger.

Comme le montre le making of, les 10 épisodes des Beast Games battent 42 records du monde certifiés par Guinness, dont celui du nombre de participants à un jeu, le plus de câbles utilisés (42 km) et le plus grand nombre de caméras filmant simultanément pour tout type de production audiovisuelle (1107), le plus d’argent gagné en un seul épisode (2 millions de dollars dès le premier), le plus grand gain en cash pour un show et la plus grande île offerte dans un jeu. Tous ces records sont préoccupants en termes d’impact environnemental.

Le making of des Beast Games.

Le premier épisode aurait coûté à lui seul plus de 20 millions de dollars. Une ville entière destinée à héberger tous les candidats durant le tournage a dû être construite, là aussi en un temps record, pour un

.

Un entrepreneur audacieux

A 26 ans, Jimmy Donaldson a également développé un empire avec sa boutique de produits dérivés Mr Beast Store, le restaurant en ligne MrBeast Burger, la marque de chocolat Feastables, la gamme de snacks Lunchly co-créée avec KSI et Logan Paul, et la plate-forme d’analyse de données YouTube Viewstats.

MrBeast s’est attaqué à plusieurs marchés saturés qu’il est parvenu à bousculer. En trois mois, son restaurant virtuel MrBeast Burger a ouvert dans plus de 300 villes, et a vendu plus d’un million de burgers. L’application est devenue la plus téléchargée, faisant crasher l’App Store, et la marque devient une des cinq recherches Google les plus populaires au monde. L’ouverture du premier restaurant physique dans l’immense centre commercial et parc d’attractions American Dream a attiré plus de 10 000 personnes et battu le record de burgers vendus en une journée par un restaurant. Depuis, des problèmes de qualité ont conduit MrBeast à attaquer en justice Virtual Dining Concept, son partenaire dans ce projet.

Avec Feastables, MrBeast est entré en guerre contre Hershey, le leader séculaire du chocolat qu’il critique dans de nombreux posts. Il affirme notamment que ses propres chocolats, Feastables, ont bien meilleur goût et sont meilleurs pour la santé. Lancé en janvier 2022, Feastables est rapidement en rupture de stock chez plusieurs distributeurs. La marque génère 10 millions de dollars de revenus en quelques mois et rapporte

. MrBeast a récemment mis en scène dans une vidéo le
en achetant tous les produits d’un magasin pour les donner à des associations. Il y invite des créateurs de contenu allemands pour l’aider à vider les rayons et faire des happenings.

MrBeast achète l’intégralité d’un supermarché en Allemagne pour le lancement de Feastables en Europe.

MrBeast cherche à faire bouger les lignes dans de nombreux secteurs, quitte à affronter des géants bien établis et à avoir des pratiques sujettes à critique. Les Beasts Games ne sont pour lui qu’un nouveau défi. Il ne cache pas son ambition d’atteindre un jour le milliard de followers : pour une prochaine vidéo, il a privatisé les pyramides d’Égypte pendant 100 heures.

Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Image de frimufilms sur Freepik The Conversation

20 ans après le tsunami de Sumatra, comment les alertes aux séismes et tsunamis font gagner de précieuses secondes

Les dégâts du tsunami à Aceh en Indonésie, vus du ciel en janvier 2005. AusAID, CC BY
Zacharie Duputel, Institut de physique du globe de Paris (IPGP) et Luis Rivera, Université de Strasbourg

Prévenir à l’avance de l’arrivée d’un séisme ou d’un tsunami peut permettre de sauver des vies et d’organiser les secours. Comment détecte-t-on rapidement ces évènements si imprévisibles ? Tour d'horizons des méthodes scientifiques actuelles et en développement.


Il y a 20 ans, le 26 décembre 2004, un mégaséisme frappait la région de Sumatra, provoquant la rupture d’une faille sur une longueur supérieure à 1 300 kilomètres pendant une dizaine de minutes. Ce séisme a généré un tsunami atteignant localement les 30 mètres de hauteur, étendant considérablement la région affectée par le séisme et causé plus de 220 000 victimes dans 14 pays sur le pourtour de l’océan Indien. Bien que le tsunami ait pris plusieurs heures pour atteindre certaines régions comme en Inde ou au Sri Lanka, la plupart des victimes n’ont pas été prévenues du danger.

Vingt ans après cette catastrophe, les systèmes d’alerte permettent aujourd’hui de réduire l’impact des tremblements de terre et des tsunamis.

Les alertes aux séismes et aux tsunamis sont diffusées via des sirènes et des messages sur téléphone, à la radio et à la télévision. Quelques secondes suffisent pour prendre des mesures élémentaires : s’éloigner des fenêtres, se mettre sous une table, freiner les trains pour éviter les déraillements, stopper les opérations chirurgicales, entre autres. En quelques minutes, les côtes exposées peuvent être évacuées avant l’arrivée d’un tsunami. Ces alertes permettent de sauver des vies, mais aussi de réduire l’impact psychologique dans la population.

Les alertes au tsunami opérationnelles aujourd’hui

Le séisme de Sumatra en 2004 a donné un coup d’accélérateur au développement de méthodes d’alerte tsunami : c’était la première fois qu’un tremblement de terre d’une telle ampleur était mesuré par un réseau de sismomètres modernes. La rupture sismique était d’une dimension tellement importante qu’il a fallu plusieurs heures pour déterminer sa magnitude (sa taille). L’océan Indien ne disposant pas de système d’alerte, les zones littorales n’ont pas été évacuées avant l’arrivée du tsunami.

Lorsqu’un séisme a lieu sous l’océan, le plancher océanique se déplace, ce qui peut engendrer un tsunami. Mais les ondes sismiques se propagent beaucoup plus rapidement qu’un tsunami — au moins 40 fois plus vite, si on considère les ondes les plus rapides. On peut donc détecter ces ondes avant que le tsunami n’atteigne la côte, et obtenir rapidement une information sur le caractère « tsunamigénique » du séisme. L’occurrence d’un tsunami peut ensuite être vérifiée par des bouées mesurant la hauteur des vagues en pleine mer.

Au premier ordre, l’ampleur d’un tsunami est contrôlée par la localisation, la taille et la géométrie de la rupture sismique. L’estimation de ces paramètres est paradoxalement complexe pour les très grands séismes, car le signal sismique est fortement influencé par la grande taille de la faille et par la complexité de la rupture sismique. Pour contourner cela, nous avons proposé, depuis 2008, l’utilisation d’un signal sismique appelé phase W, correspondant à des ondes de très grandes longueurs d’onde se propageant rapidement dans la Terre. Nous avons ainsi montré que ce signal permet une estimation très robuste et rapide de la source sismique, même si la rupture est très grande et complexe.

La phase W est aujourd’hui utilisée de façon routinière pour caractériser rapidement les grands séismes et leur potentiel tsunamigène en 20 ou 30 minutes, à l’aide des stations sismologiques du réseau mondial. Si le réseau sismologique est suffisamment dense localement, nous avons montré qu’il est possible d’obtenir des estimations plus rapidement en utilisant des données régionales, en moins de 10 min. Ce type d’application plus rapide est actuellement opérationnel ou en phase de test dans différentes agences au Japon, en Californie et au Chili, par exemple.

Vue aérienne d’Ishinomaki, au Japon, dévastée par le séisme de Tohoku et le tsunami qui s’ensuivit. Lance Cpl. Ethan Johnson/US Marine Corps

Les systèmes d’alerte au tsunami ont véritablement été testés pour la première fois lors du mégaséisme de Tohoku au Japon en mars 2011 : d’une magnitude comparable à celle du séisme de Sumatra, il a aussi généré un tsunami majeur. Une première alerte au tsunami a été déclenchée rapidement par l’agence météorologique du Japon, laissant au moins cinq minutes pour évacuer les côtes les plus proches. Une estimation plus robuste de la taille du séisme a été obtenue en 20 minutes à l’aide de phase W, permettant d’évacuer les côtes sur plusieurs pays autour de l’Océan Pacifique, et l’alerte a permis de réduire l’impact du tsunami.

Les alertes « précoces » opérationnelles aujourd’hui : prévenir de l’arrivée des secousses sismiques en moins d’une minute

Chaque seconde d'avance à l'arrivée d'un tsunami donne une chance de se mettre à l'abri. Ici à Nias, en Indonésie, en 2004. AusAID, CC BY

La disponibilité en temps réel des données sismiques permet le développement de systèmes d’alerte encore plus rapides pour prévenir de l’arrivée de secousses sismiques.

Ces systèmes reposent sur le fait que les ondes les plus destructrices (les ondes de cisaillement, dites « ondes S ») se propagent plus lentement que les ondes compressives (dites « ondes P ») qui sont de plus faible amplitude et donc généralement moins destructrices. Lorsqu’un séisme se produit, et que la région à proximité de la source est bien instrumentée, les vibrations compressives peuvent donc être détectées très rapidement. Cette information peut alors être traitée presque instantanément pour émettre une alerte avant l’arrivée des secousses destructrices.

Comment fonctionnent les alertes précoces pour les séismes ? Les ondes P correspondent aux ondes compressives de faible amplitude. Elles se propagent rapidement et arrivent avant les ondes S cisaillantes, qui sont plus destructrices. USGS, public domain

Ces techniques d’alertes précoces sont opérationnelles, notamment au Japon, au Mexique, en Californie et à Taïwan depuis les années 90 dans certains cas. Elles permettent de recevoir une alerte quelques secondes (quand le séisme est proche, comme c’est souvent le cas en Californie) à une minute avant l’arrivée des secousses (quand le séisme est plus lointain, par exemple au large du Mexique).

Coupler différents types de données pour des alertes plus robustes et parfois plus rapides

Pour améliorer les systèmes d’alerte, un effort important a été effectué dans les 20 dernières années pour exploiter d’autres types d’observations que les données sismiques.

Par exemple, des développements récents permettent une caractérisation rapide plus détaillée de la rupture en combinant des données sismologiques avec des données GPS, permettant de mesurer rapidement le déplacement généré à proximité de la faille. Ces techniques tiennent compte de l’étendue spatiale des ruptures et leurs impacts sur le mouvement du sol.

Une autre manière de gagner du temps est de rapprocher les capteurs de la source des séismes, en particulier lorsqu’ils se situent en mer au large des côtes. Dans ce sens, il y a actuellement des efforts importants pour installer des dispositifs de mesure sous-marins près de grandes fosses océaniques où se produisent les mégaséismes de subduction. Le Japon, par exemple, dispose depuis 2011 d’un dense réseau sous-marin de capteurs sismologiques et barométriques.

On peut également citer le câble sous-marin, dit câble intelligent ou « smart cable ») qui est en cours de déploiement entre la côte continentale portugaise, les Açores et Madeira. Ce câble comporte des capteurs sismologiques et de pression permettant de contribuer aux systèmes d’alerte rapide sismique, tsunami ou encore météorologique.

Une autre approche encore en cours de développement est basée sur la détection de signaux de gravité, liés aux déplacements de grandes masses rocheuses engendrées par un séisme. Ces signaux se propageant quasi instantanément (à la vitesse de la lumière) permettraient donc de caractériser très rapidement la magnitude des grands séismes.

Des travaux récents montrent que l’intelligence artificielle peut jouer un rôle clé dans l’exploitation de ces signaux. En effet, des algorithmes d’apprentissage automatique permettent de détecter et d’analyser rapidement ces perturbations gravitationnelles subtiles pour estimer la magnitude d’un séisme en temps quasi réel. Cette approche est encore exploratoire et bien qu’elle ne soit pour l’instant applicable que pour les plus grands séismes (magnitudes M>8), elle pourrait ouvrir la voie à des systèmes d’alerte encore plus rapides que ceux dont on dispose actuellement.

La limite des alertes sismiques

Avec une telle rapidité, les premières alertes sont souvent déclenchées avant même que la rupture ne soit terminée. Cette durée de rupture, qui peut atteindre plusieurs minutes pour les plus grands séismes, constitue une limite fondamentale.

Cela soulève une question récurrente : peut-on estimer la taille d’un séisme avant la fin de la rupture ? En effet, tous les grands séismes commencent par une petite rupture qui s’étend ensuite sur de grandes distances.

Plusieurs études récentes montrent que la croissance initiale des ruptures est similaire pour les grands et les petits séismes. Cependant, des différences apparaissent après cette phase initiale de croissance, et ce avant que la rupture ne s’arrête totalement. Ces observations suggèrent qu’il serait possible d’estimer la magnitude d’un séisme avant la fin de la rupture.

Détectera-t-on un jour des signaux avant même les séismes ?

L’amélioration des moyens observationnels a révolutionné la compréhension des failles et des séismes. La combinaison de données sismologiques avec la géodésie spatiale (systèmes de positionnement comme le GPS, interférométrie radar) a révélé de nouveaux processus de déformation tectonique. Si les tremblements de terre sont les manifestations les plus visibles de l’activité des failles, il existe des séismes lents, pendant lesquels la faille glisse pendant plusieurs jours voire plusieurs mois sans générer d’ondes sismiques. Ces déformations transitoires sont souvent associées à une multitude de petits séismes détectés par les sismomètres. Dans certains cas, ces évènements lents semblent précéder l’occurrence de grands séismes, suggérant qu’il pourrait être possible de détecter des signaux précurseurs.

Malgré cette lueur d’espoir, tous les signaux précurseurs actuellement débattus dans la communauté scientifique restent identifiés comme précurseurs seulement après l’occurrence du choc principal. En d’autres termes, en l’état actuel, les données ne permettent pas de prédire si une série de petits séismes et un glissement lent seront suivis par l’occurrence d’un grand séisme, rendant donc impossible la prévision à court terme des séismes.

Zacharie Duputel, Sismologue, Chargé de recherche au CNRS, Observatoire Volcanologique du Piton de la Fournaise, Institut de physique du globe de Paris (IPGP) et Luis Rivera, Professeur Universitaire, Sismologie, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.