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Sentons-nous le goût des aliments uniquement avec notre langue ?

Si la langue est l’organe où l’on trouve le plus de bourgeons gustatifs, responsables du goût, on les retrouve aussi ailleurs dans le corps. Andriyko Podilnyk/Unsplash, CC BY
Beck Benjamin, Université Libre de Bruxelles (ULB) et Alizée Vercauteren Drubbel, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Pendant le développement dans le ventre de notre mère, nous commençons déjà à percevoir les différents goûts. En effet, la saveur du liquide amniotique varie en fonction de l’alimentation de la mère. Dès le dernier trimestre, le développement du goût est avancé, et le fœtus peut distinguer les cinq grandes saveurs : le sucré, le salé, l’acide, l’amer, l’umami (signifiant « goût savoureux » en japonais). Au cours de l’évolution, le sens du goût nous a aidés à choisir les aliments nutritifs tout en évitant ceux qui pouvaient être toxiques.

Ainsi, en règle générale, le goût sucré indique la présence de glucide, une source d’énergie. Le goût salé signale un apport en sodium, important dans de nombreux processus métaboliques et dans l’équilibre électrolytique. Le goût umami nous informe de la présence d’acides aminés composants les protéines. Les goûts acide et amer nous alertent sur la présence de substances potentiellement toxiques. Enfin, ces saveurs peuvent se combiner afin de former des sensations gustatives plus subtiles.

La mécanique du goût

La langue est l’organe responsable du goût. À sa surface se trouvent de petites aspérités appelées papilles gustatives, dans lesquelles on retrouve les bourgeons gustatifs. Ces bourgeons sont des structures microscopiques en forme d’oignon composées d’une centaine de cellules.

Parmi ces cellules, les cellules réceptrices sont celles chargées de percevoir les molécules du goût, via des récepteurs constitués de protéines auxquelles se lient les molécules associées aux cinq grandes saveurs. Il existe plusieurs dizaines de protéines capables de détecter spécifiquement les molécules associées au goût. De manière intéressante il existe plusieurs dizaines de récepteurs pour les molécules amères, alors que tous les autres goûts ne sont vraisemblablement associés qu’à un seul type de récepteur chacun.

Une fois le signal perçu par les cellules réceptrices, il est transmis par les cellules présynaptiques aux neurones pour stimuler une zone spécifique du cerveau. En plus des cellules réceptrices et présynaptiques, un autre type cellulaire existe dans les bourgeons : les cellules gliales, qui servent de soutien aux cellules réceptrices et présynaptiques.

Schéma d’un bourgeon gustatif avec ses différents types cellulaires, ici dans la paroi de l’œsophage. Benjamin Beck et Alizée Vercauteren Drubbel/Université Libre de Bruxelles, Fourni par l'auteur

Bien que les outils récents tels que les animaux transgéniques ont permis d’approfondir notre compréhension des mécanismes régulant la formation des bourgeons gustatifs, il reste encore beaucoup de questions ouvertes. Comment une cellule réceptrice se forme ? Est-ce que les mécanismes induisant la formation d’une cellule présynaptique sont différents ? Est-ce que toutes les cellules d’un sous-type sont identiques entre-elles ? Ces questions nécessitent d’étudier les bourgeons gustatifs à l’échelle de la cellule unique.

Des bourgeons gustatifs dans l’œsophage

C’est ainsi par hasard, en séquençant les molécules d’ARN présentes dans l’œsophage de souris à l’échelle de la cellule unique pour étudier le développement des cancers, que nous avons découvert des bourgeons gustatifs dans la partie supérieure de l’œsophage. Bien que de telles structures aient été mentionnées chez l’humain, elles n’ont jamais été caractérisées et leur fonction n’a jamais été étudiée. Dans cette étude, nous avons mis en évidence de nombreuses similarités chez la souris entre les bourgeons gustatifs de l’œsophage et ceux de la langue.

Photo au microscope d’un bourgeon gustatif dans l’œsophage de souris. En bleu les noyaux des cellules, en jaune-orange une protéine qui est retrouvée spécifiquement dans les cellules composants les bourgeons gustatifs, ce qui le met en évidence. Benjamin Beck et Alizée Vercauteren Drubbel/Université Libre de Bruxelles, Fourni par l'auteur

Nos résultats ont également permis de mieux comprendre les mécanismes par lesquels ces bourgeons se forment. Jusqu’à présent, on pensait que les cellules de l’œsophage étaient homogènes et formaient simplement la paroi interne. Nous avons maintenant montré que les cellules de l’œsophage peuvent se transformer pour générer les trois types de cellules composant les bourgeons gustatifs, remettant ainsi en cause le dogme établi.

Mais le rôle exact de ces bourgeons gustatifs dans l’œsophage reste encore à élucider. Une étude de l’université de Harvard a démontré que des bourgeons gustatifs présents dans le larynx, dans les voies aériennes supérieures, joueraient un rôle dans la déglutition en prévenant les « fausses routes », c’est-à-dire le passage de nourriture ou de boisson dans les voies respiratoires. Cette étude suggère pour la première fois que les bourgeons gustatifs du larynx pourraient être impliqués dans une autre fonction que la détection du goût.

De façon analogue, les bourgeons gustatifs de l’œsophage pourraient, par exemple, servir de dernière barrière pour empêcher l’ingestion d’aliments potentiellement toxiques, ou simplement jouer un rôle dans la déglutition. Nous ne savons pas encore si ces bourgeons sont reliés au cortex gustatif dans le cerveau, et donc s’ils servent aussi à ressentir le goût. Pour le déterminer, d’autres études devront explorer cette question.

Des récepteurs au goût dans d’autres organes inattendus

La situation s’avère donc plus complexe que ce que l’on pouvait penser. En témoigne un nombre croissant d’études rapportant l’existence de récepteurs au goût en dehors de bourgeons gustatifs et plus surprenant encore, hors de la cavité buccale, suggérant qu’ils pourraient être impliqués dans d’autres fonctions.

Par exemple, des récepteurs au goût sont retrouvés dans l’intestin et il a été suggéré que ceux-ci pourraient jouer un rôle régulateur dans les processus digestifs et métaboliques.

Des protéines réceptrices de l’amer ont également été découvertes dans les voies respiratoires, où elles pourraient participer à l’ouverture des bronches, ainsi que dans la cavité nasale où elles pourraient influencer le rythme de la respiration. Plusieurs études ont également démontré la présence de différents récepteurs au goût dans les testicules et les spermatozoïdes humains et murins où ils pourraient agir sur la motilité des spermatozoïdes et la fertilité. Mais malgré ces études, de nombreux aspects concernant les bourgeons gustatifs et les récepteurs au goût restent encore à comprendre.

Protéger ou réparer le sens du goût

Lors de certains traitements contre le cancer, les chimiothérapies entraînent une perte partielle ou totale du goût et créent un réel inconfort chez les patients. Malheureusement, l’état actuel des connaissances ne permet pas encore de contrer efficacement cet effet indésirable. Certaines infections virales telles que le SARS-CoV-2, responsable du Covid-19, sont également connues pour provoquer une perte de goût, et les mécanismes sous-jacents à ce phénomène demeurent encore largement méconnus.

Étudier les bourgeons gustatifs de l’œsophage, comprendre leur rôle et exploiter les mécanismes qui permettent leur formation pourraient donc ouvrir de nouvelles perspectives de recherche chez l’humain. Il serait évidemment crucial de vérifier si les similitudes observées sont totales et s’il est possible d’appliquer à l’humain les stratégies pour maintenir ou restaurer les bourgeons gustatifs identifiés chez la souris. Enfin, comprendre comment les bourgeons gustatifs sont maintenus tout au long de la vie pourrait offrir de nouvelles perspectives pour les protéger afin de prévenir la perte du goût chez certains patients ou envisager des moyens de restaurer ce sens.

Beck Benjamin, Research associate at FNRS - group leader, Université Libre de Bruxelles (ULB) et Alizée Vercauteren Drubbel, Postdoctoral fellow – Plasticity of esophageal cells, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Cloches, lapins, œufs… D’où viennent les symboles de Pâques ?

Décorer des œufs pour la fête de Pâques, une tradition qui perdure. Œufs en marbre (Florence-Italie), Peints : coquilles (Russie, Hongrie), en bois (Russie), pierre (Afrique). Photo Sylvie Bethmont, CC BY
Sylvie Bethmont, Collège des Bernardins

Le temps de Pâques est commun aux religions juives et chrétiennes, et s’accompagne de rites et de traditions festives, dont subsistent aujourd’hui des versions religieuses et païennes, émaillées de nombreux symboles.

La première Pâque, Pessah, citée dans l’Ancien Testament, au livre de l’Exode (https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9der_de_Pessa%27h).

Pâques, la fête des fêtes pour les chrétiens

Le Christ Jésus est mort à Jérusalem, lors de la Pâque juive, le 14 Nissan (premier mois du printemps du calendrier juif – ce qui correspond au 7 avril de l’an 30 dans nos calendriers). Si le calendrier chrétien de Pâques s’est édifié sur la liturgie juive, à partir du IVe siècle, il s’est constitué de façon autonome.

Le temps de Carnaval-carême, qui dure 40 jours, s’achève par le temps de Pâques, une fête de printemps, dont le nom s’écrit au pluriel car elle correspond à plusieurs temps. Elle est célébrée du dimanche des Rameaux (ou « Pâques fleuries » – une semaine avant Pâques) à celui de la Quasimodo (une semaine après Pâques – le sonneur de cloches de « Notre-Dame de Paris », de Victor Hugo doit son nom au fait qu’il fut recueilli un dimanche de Quasimodo).

Au cours du triduum pascal (les trois jours Saints), les chrétiens célèbrent la Cène (le jeudi), la crucifixion (le vendredi) et la résurrection du Christ (dans la nuit du samedi au dimanche). Au cours des siècles, différentes fêtes populaires ont étoffé ce temps rituel.

Un calendrier visuel des fêtes chrétiennes

Le combat de Carnaval et de Careme, Pieter Brueghel l’Ancien, 1559. Wikimedia

Ce tableau de Pieter Brueghel l’Ancien, intitulé Le Combat de Carnaval contre Carême, peut être lu comme un calendrier commémoratif des coutumes festives de Noël à Pâques. Au centre du tableau, une maison domine la place du village.

Le Combat de Carnaval contre Carême, Pieter Brueghel l’Ancien (1526/1530-1569), Kunsthistorisches Museum, Vienne. Detail de la partie centrale. Dessin SB/Wikimedia, CC BY

Juché devant la croisée de la fenêtre haute, un personnage semblable à un mannequin de paille au visage blanchi observe la scène du point de vue le plus élevé de cette place. Claude Gaignebet voit en lui le Christ, le « Fou de Pâques » selon l’apôtre Paul, pour qui « la croix est une folie », car il semble impensable pour les chrétiens que le salut puisse venir d’un messie crucifié comme un esclave. A gauche de cette maison, un enfant tend un pain (du temps de Pâques) à un lépreux.

Enfant et lépreux, détail du tableau de Brueghel l’Ancien. Wikimedia

En des cercles successifs, Brueghel nous conte les rites et festivités qui, en cette fin du XVIe siècle occupaient les villes et les campagnes tout au long de l’année. Il dépeint un christianisme populaire qui s’est folklorisé, selon les mots de l’historien Robert Muchembled, mais qui conservera jusqu’aux premières décennies du XXe siècle son substrat médiéval.

Au centre, en-dessous de la maison, des femmes préparent des poissons, petits et grands. (détail du tableau de Brueghel. Wikimedia

Au commencement… le poisson

Le « poisson d’eau vive » est le premier être vivant béni par Dieu. Cette « nourriture délicieuse », figure sur la table du Chabbat (ou Shabbat) ce temps de retrait et de repos qui clôt la semaine en monde juif.

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La tradition remontant à l’époque paléochrétienne désigne le poisson comme symbole christique et eucharistique. Tertullien, dans son Traité sur le Baptême (De Baptismo 1, 3), parle des chrétiens comme des petits poissons, pisciculi, parce que « à l’exemple de l’?????, notre Seigneur Jésus Christ, ils sont nés dans l’eau. »

D’après saint Augustin, citant un acrostiche des Oracles sybilins, les lettres composant en grec le mot poisson, ????? (ichthus), pouvaient être un acronyme pour ?????? ??????? ???? ????, ?????/I?soûs Khristòs Theoû Uiós S?t?r (Jésus le Christ (ou l’oint) de Dieu le fils, sauveur). Ce résumé de la foi chrétienne est un signe omniprésent dans l’art funéraire paléochrétien (IVe siècle).

« Poisson des vivants », épitaphe de Licinia (dét.), fin du III? siècle, Musée National des Thermes de Dioclétien, Rome. Sylvie Bethmont, Fourni par l'auteur

Mais il était également présent dans la vie de tous les jours, Clément d’Alexandrie (vers 150-220), cite dans Le Pédagogue les bagues à intaille servant de sceaux qui portent l’image d’un poisson ou les lettres ????? – Ichthus ou Ichtys, du grec ancien ichthús, « poisson », l’un des symboles majeurs qu’utilisaient les premiers chrétiens.

Célébrer l’Eucharistie pour les chrétiens, c’est faire mémoire des paroles du Christ : « Mon corps est une vraie nourriture, mon sang une vraie boisson » (Évangile selon Jean 6, 51-58). Selon Dominique Rigaux le poisson « qualifie le repas du Seigneur, dans les images de la Cène ou de repas monastiques » (A la table du Seigneur, Cerf, 1989). Nourriture « maigre » il est consommé par tous le vendredi et les mercredi et vendredi saints.

La Cène, mosaïque de la nef centrale, Saint-Apollinaire-le-Neuf, Ravenne (Italie), avant 540. Wikimedia

Bestiaire de Pâques

Le Nouveau Testament nomme le Christ « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » et considère qu’il est immolé comme l’agneau de la Pâque juive.

Pâques met fin au carême. C’est le temps de tout un bestiaire sucré. En Alsace, on mange au matin de Pâques, l’osterlämmele ou Lamala de Pâques, un gâteau cuit dans un moule en forme d’agneau et recouvert de sucre glace. Parmi les douceurs sucrées des traditions festives de Pâques, la poule et les œufs ont une place de choix.

Ce groupe en argent doré, composé d’une poule et de ses sept poussins, reprend une riche tradition iconographique, remontant aux premières images chrétiennes. Cette « poule signifie l’Eglise » un lieu de protection, d’après l’historien de l’art Nouredine Mezoughi.

La poule et ses poussins, Trésor de la cathédrale de Monza, provenant d’une tombe royale lombarde. Fourni par l'auteur

La même symbolique est présente dans une enluminure d’une Bible hébraïque du XIVe siècle. La poule nourrissant ses poussins représentant alors la Synagogue.

De la poule à l’œuf…

Le judaïsme considère l’œuf comme un symbole du cycle de la mort et de la vie et l’œuf dur fait partie du repas de deuil, ainsi que du Séder.

En monde chrétien, durant le Moyen Âge et jusqu’au XVIIe siècle, la consommation d’œufs, comme celle de la viande, était proscrite pendant les quarante jours du carême. Les œufs non consommés durant ce temps étaient décorés et offerts le dimanche de Pâques. Chez les chrétiens orthodoxes, le premier œuf décoré est peint en rouge, il doit avoir été pondu le Jeudi Saint. A Pâques, on brise la coquille de son œuf (dur) contre l’œuf de son voisin de table en échangeant ces paroles : « Christ est ressuscité ! En vérité Il est ressuscité ! »

Dans les cours d’Europe à la Renaissance, les fragiles œufs de poule ont été remplacés par des œufs en or, décorés de pierres précieuses. Chacun connaît les œufs qu’ à la fin du XIXe siècle le joailler Fabergé conçut pour le tsar Alexandre III, offrait chaque année pour Pâques à son épouse et à sa mère. Comme une poupée russe, L’œuf à la poule, le premier créé en 1885 par Fabergé, s’ouvre pour révéler un jaune d’or mat qui contient une petite poule.

L’Œuf à la poule, Fabergé, 1885. Wikimedia, CC BY

Quand les cloches et les lapins pondent des œufs

En signe de deuil, l’Église catholique interdit que les cloches sonnent les jeudi et vendredi saints. On raconte parfois encore aux enfants, que les cloches, parties en pèlerinage à Rome, reviennent le dimanche de Pâques pour célébrer la Résurrection du Christ, en rapportant toutes sortes de friandises. C’est le moment de la chasse aux œufs !

En Allemagne et en Alsace, ce sont des lapins nommés « lièvres de Pâques » (Osterhase), qui viennent déposer dans les jardins les friandises en forme d’œufs pour les enfants sages.

Le lapin blanc, symbole ambivalent qui nous vient du Moyen Âge, peut tour à tour être associé à la pureté virginale qu’à la sexualité débridée qui s’exprime dans le règne animal à la belle saison.

La Vierge au Lapin, le Titien, 1585. Wikimedia

Quant au chocolat, apparu à la cour de Louis XIV, il fut longtemps un mets de luxe. Au XVIIe siècle, on commença par couler du chocolat dans une coquille d’œuf vide. Puis au XIXe siècle, se développèrent des moules en fer de différentes formes. Nos modernes friandises (le plus souvent industrielles) de Pâques étaient nées !

Sylvie Bethmont, Enseignante en iconographie biblique, Collège des Bernardins

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Le skateboard, un atout pour la ville de demain ?

Le skateboard bâtit son identité à travers son rapport singulier à l’environnement urbain. Shutterstock
Jean-Sébastien Lacam, ESSCA School of Management et Juliette Evon, ESSCA School of Management

Souvent associé aux premières initiatives scandinaves des années 1990, le « skate urbanisme » est un mouvement activiste qui inscrit la pratique libre du skateboard dans l’aménagement urbain. Aujourd’hui de nombreuses municipalités en France et à travers le monde collaborent avec leurs communautés locales pour créer de nouveaux espaces publics en lien avec ses préceptes. Quels sont les raisons et les bénéfices attendus qui expliquent un tel engouement ?

« Skateboarding is no longer a crime »

Dans les années 1950 aux États-Unis, le skateboard trouve sa genèse dans la culture californienne à travers la détermination des surfers à vouloir « rider » au-delà de l’océan. Les pratiquants de skateboard se faisaient appeler « les surfers de l’asphalte » en référence au fait que les vagues ont été remplacées par une glisse d’un nouveau genre, sur le béton.

Dans les années 1960, les États des côtes est et ouest des États-Unis sont les témoins de la popularité du skate qui passe de jouet bricolé à un véritable accessoire sportif. C’est à ce moment que la pratique se diversifie : freestyle (exécution de figures sur surface plane), downhill (recherche de vitesse dans les pentes) et slalom (parcours entre des cônes). Mais il aura fallu traverser l’Atlantique et attendre la fin des années 1970 pour voir la construction des premiers skateparks, comme à Munich, qui « synthétisent l’espace d’origine du skateboard, l’océan, et son lieu de naissance, la ville moderne », comme le décrit Raphaël Zarka.

Au même moment, afin de pallier leur manque de structure pour pratiquer, les skateboarders californiens se sont approprié des piscines, vidées pour lutter contre la sécheresse. Des spots qui ressemblent comme « deux gouttes d’eau » aux bowls (cuvettes arrondies souvent en béton) des skateparks actuels.

Mais au-delà de la perspective sportive, le skateboard devient une subculture ritualisée de gestes, de signes, de symboles, avec comme lieu de partage la rue. La maxime « Skateboarding is not a crime », popularisée par la vidéo « Public Domain » de la marque Powell Peralta (1988), symbolise la résilience d’une culture souvent incomprise. Le partage de l’espace public a mis à mal la réputation des skateboarders souvent décrits comme des marginaux, des rebelles, des destructeurs, où l’exploration de l’environnement urbain en skateboard semblait incompatible avec d’autres activités humaines.

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Ainsi les années 1970 sont synonymes de répression. Certaines villes de Californie et la Norvège interdisent la pratique libre du skateboard pendant plusieurs années, la déclarant comme trop dangereuse en raison de certains accidents, parfois mortels. Ce qui n’a pas empêché les plus irréductibles de continuer à “rider” en secret. Inévitablement la ville est restée leur espace de jeu.

Ces dernières années, le skateboard s’est popularisé davantage en devenant une discipline olympique (Tokyo 2020), une décision qui divise sa communauté mais qui demeure le symbole d’une reconnaissance sociale et économique (tardive…).

Le skateboard : un caléidoscope urbain

Face à la popularité actuelle de la pratique (20 millions de skateboarders dans le monde dont 1 million en France), les skateparks se sont multipliés (3500 en France).

Les municipalités souhaitent, d’une part, soutenir l’activité sportive et sociale des pratiquants, et, d’autre part, éviter d’éventuels problèmes de sécurité, de nuisances et de conflits avec les autres usagers. Cet encadrement du skateboard fait écho au modèle traditionnel de « la ville fonctionnelle » théorisée par Le Corbusier : se loger, travailler, circuler et se récréer (via les loisirs). Dans cette logique, la construction d’un skatepark est fréquemment accompagnée d’une politique publique contre la pratique libre du skateboard (arrêtés municipaux, dispositifs anti-skate, amendes, etc.), occasionnant parfois la disparition de « spots » historiques et de leur contribution sociale et culturelle à la ville.

Néanmoins, le skateboard a continué de bâtir son identité à travers son rapport singulier à l’environnement urbain. Son environnement est composé des formes, des surfaces et des matériaux (courbes, béton, métal, etc.) issus de courants architecturaux souvent sources d’inspiration pour les pratiquants comme le

. Ainsi, l’architecture de chaque ville favorise l’émergence d’un style original de pratique comme les Down Hills de San Francisco ou les rues tokyoïtes.

Par conséquent, le skatepark reste une reproduction de la rue, un lieu clôturé dédié à une pratique plus normée et plus athlétique que créative et artistique. Néanmoins, les décideurs publics ont constaté que substituer le skatepark à la rue était une décision inefficace. Ainsi, la ville demeure le lieu de consolidation d’une expérimentation spatiale portée aujourd’hui par le mouvement skate urbanisme soutenu par de nombreuses municipalités « skate friendly » conscientes de ses potentiels bénéfices pour la collectivité.

Le skate urbanisme comme levier des transitions urbaines à venir

Le skate urbanisme est né de la volonté des communautés activistes et des mairies de planifier ensemble l’intégration du skateboard dans l’environnement urbain. Plusieurs villes européennes (comme Malmö, Copenhague et Bordeaux) sont avant-gardistes dans l’application de programmes d’aménagement d’espaces hybrides ouverts au skateboard. Bordeaux (recensant 35000 pratiquants) applique depuis 2019 un schéma directeur dont les grands principes sont l’installation d’un mobilier urbain spécifique, la distribution d’un guide du skateboard, une démarche de médiation entre les skateboarders et la population, ou encore la création d’évènements culturels.

La popularité naissante du skate urbanisme au sein des équipes municipales s’explique par l’espoir d’en récolter des bénéfices économiques, environnementaux et sociaux. Le skateboard est devenu un marché important (740 millions d’euros en Europe) au potentiel de développement territorial non négligeable. Pour exemple, Bordeaux accueille le premier magazine français, l’unique formation diplômante dédiée, quatre sièges de marques mondialement connues, une vingtaine de distributeurs, six associations et plusieurs skateboarders professionnels. Enfin, la

et la communication « skate friendly » de la municipalité développent un tourisme consacré au skateboard.

Le skate urbanisme s’inscrit dans la tendance de « l’urbanisme circulaire », un modèle qui répond au défi de la transition écologique en souhaitant créer des villes sobres et durables grâce à la réinterprétation du bâti existant, 80 % de la ville de 2050 existerait déjà. Il s’agit non pas de créer ex nihilo de nouveaux espaces mais de capitaliser sur l’actuel. En ce sens, le skate urbanisme prône le recyclage urbain et la frugalité budgétaire en réhabilitant des lieux de pratique en déshérence ou en améliorant des « spots » existants, par exemple via la recommandation d’horaires de pratique afin de limiter les nuisances sonores. Il permet également de sécuriser et d’intensifier l’utilisation de ces espaces via l’ancrage de la communauté et la fréquentation de nouveaux pratiquants par exemple les femmes qui sont de plus en plus nombreuses dans un environnement traditionnellement masculin. De plus, il propose une solution de mobilité douce, non polluante et physique au même titre que le vélo et la trottinette.

Enfin, ce mouvement contribue à la transition des modes de vie. La ville est désormais pensée selon ses usagers et l’accès facilité à leurs besoins fondamentaux comme le travail, les soins et les loisirs. Dans cette dynamique citoyenne, le skate urbanisme apporte aux mairies des solutions à cette transition en encourageant une activité physique de proximité gratuite, en stimulant l’engagement citoyen via des projets d’aménagement (par exemple portés par les budgets participatifs) ou encore en favorisant le vivre ensemble à travers des évènements culturels et sportifs propices à l’expérience artistique et à la mixité des populations.

Par conséquent, les décideurs publics changent progressivement leur appréhension négative du skateboard libre et urbain pour le considérer comme un acteur vertueux de la ville durable et inclusive de demain.

Jean-Sébastien Lacam, Professeur en Management, ESSCA School of Management et Juliette Evon, Professeure en Management, ESSCA School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Fascinantes chauves-souris, leur tolérance à des virus mortels pour les humains

Le système immunitaire des chauves-souris est très étudié. Peter Neumann/Unsplash, CC BY
Élodie Monchâtre-Leroy, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

Les chauves-souris ont fait la une des médias avec l’émergence du SARS-CoV-2 qui aurait pour origine l’un de leurs coronavirus. Ce n’est pas la première émergence imputable à ces mammifères volants. En effet, lors de l’émergence du premier SARS-CoV en 2002 et d’un coronavirus voisin le MERS-CoV, en 2012, le réservoir a été identifié parmi les chauves-souris. Au-delà des coronavirus, d’autres virus tels que les paramyxovirus Hendra et Nipah ont émergé en Asie touchant respectivement les chevaux et les porcs mais aussi les hommes pour les deux virus.

Le monde de la recherche s’est alors beaucoup préoccupé des virus ou bactéries que les chauves-souris hébergent, créant un biais laissant à penser qu’elles sont une des principales sources de pathogène pour l’humain. Elles sont supposées être réservoir de nombreux pathogènes qui ne les affectent pas mais qui sont graves voire mortels pour d’autres espèces. C’est l’étude de leur système immunitaire qui permet de mieux comprendre comment il leur permet de contenir suffisamment les pathogènes pour limiter leur effet nocif tout en ne les éliminant pas complètement, ce qui fait des chauves-souris un réservoir de certains pathogènes.

Comment le système immunitaire des chauves-souris fonctionne-t-il ?

D’une manière générale, le système immunitaire est le moyen de défense d’un organisme face à un agent pathogène. Il existe à des niveaux de complexité différents chez tous les vertébrés. Chez les mammifères, il fait intervenir différents mécanismes qui, globalement, peuvent se résumer à une immunité innée qui ne dépend pas de l’agent pathogène et une immunité spécifique qui y est adaptée.

L’immunité innée permet une réaction plus rapide face à une infection en reconnaissant des molécules qui ne sont retrouvées que chez les agents pathogènes ou qui résultent des dégâts cellulaires qu’ils provoquent. Les évènements principaux de l’immunité innée sont l’activation de cellules spécialisées qui vont pouvoir « phagocyter » les agents pathogènes, libérer des molécules permettant la lyse des cellules atteintes et recruter d’autres cellules de l’immunité spécifique. Les lymphocytes T et B sont des cellules qui reconnaissent spécifiquement un agent pathogène qu’ils ont déjà rencontré. Les anticorps sécrétés par les lymphocytes B vont permettre la destruction ou la neutralisation des pathogènes alors que les lymphocytes T vont détruire spécifiquement les cellules infectées par le pathogène.

Le système immunitaire des chauves-souris fait intervenir les mêmes composants que ceux des autres mammifères avec une immunité innée et une immunité spécifique. Il est encore imparfaitement connu par rapport à celui de certains autres mammifères, particulièrement les espèces domestiques.

Il faut d’ailleurs ne pas extrapoler les connaissances acquises pour quelques espèces de chauves-souris au plus des 1400 espèces connues à travers le monde.

Elles sont en effet différentes sur de nombreux points : morphologiques, physiologiques et génétiques. Elles vivent dans des milieux très divers : de la forêt jusqu’aux toits des habitations humaines. Elles ont des régimes alimentaires très variés : exclusivement insectivores en Europe ou frugivores sur d’autres continents avec certaines espèces plus spécialisées (piscivores ou hématophages par exemple).

Ainsi, la plus petite, dite chauve-souris bourdon (Craseonycteris thonglongyai) pèse 2 grammes, mesure 3 cm de long et mange des insectes. Une des plus grosses est le Renard volant (Pteropus giganteus) dont l’envergure est de plus de 1,5 m pour un poids de 1,5 kg et une taille d’une trentaine de centimètres. Elle est frugivore.

Une technique de vol qui consomme énormément d’énergie

Malgré toutes ces différences, elles ont un point commun, le vol battu qui serait un élément clef pour expliquer l’évolution de leur système immunitaire. Le vol battu nécessite de battre des ailes comme de nombreux oiseaux par opposition au vol plané comme un vautour par exemple qui se laisse porter par l’air. Le vol battu mobilise une énergie très importante par leur organisme.

Cette consommation énergétique aboutit à la formation dans leurs cellules de composés oxydant néfastes s’ils s’accumulent en trop grande quantité. Ainsi au cours de l’évolution, l’organisme des chauves-souris s’est adapté à fonctionner malgré la présence des métabolites oxydants qui provoqueraient des dégradations cellulaires importantes comme celles de l’ADN chez un autre Mammifère. Or, ces métabolites sont aussi ceux qui sont produits par des cellules agressées par une infection, particulièrement virale. Les pathogènes peuvent donc se répliquer sans que cela entraîne de dégâts trop importants : c’est la tolérance acquise en même temps que l’adaptation au vol. Dans le même temps, l’organisme de la chauve-souris doit tout de même empêcher que la réplication du pathogène ne devienne incontrôlable car le risque est qu’il prenne le dessus et envahisse complètement son organisme. D’autres mécanismes entrent alors en jeu.

Une fois de plus, les éléments qui vont être mis en œuvre sont les mêmes que pour les autres Mammifères mais le fonctionnement diffère. L’acteur clef est alors la molécule d’interféron. L’interféron a un rôle central dans l’immunité en réponse aux pathogènes, c’est une cytokine c’est-à-dire une des molécules qui permettent aux cellules de l’immunité d’échanger des signaux. Il est sécrété par les cellules du système immunitaire inné en réponse à une grande quantité d’acide nucléique étranger reconnu comme tel du fait de sa localisation et de sa structure.

L’interféron a une action directe contre les pathogènes et des actions indirectes par activation de certaines cellules comme les Natural Killers qui détruisent les cellules infectées et par initiation de l’immunité spécifique. Pour les chauves-souris, chez qui cela a pu être étudié, l’interféron n’a pas besoin d’être sécrété en réponse à une infection, son niveau est déjà élevé. L’impact sur le pathogène est donc immédiat, ce qui empêche le débordement de l’organisme par une multiplication précoce du pathogène. Le niveau d’interféron toléré par l’organisme de la chauve-souris ne le serait pas par un autre Mammifère. Chez l’humain, par exemple, un niveau d’interféron trop élevé provoque des effets secondaires directs comme la fatigue, l’arythmie cardiaque, l’hyperthermie et des effets plus indirects liés à la dérégulation du système immunitaire avec des phénomènes auto-immuns type lupus.

Tout n’est pas connu concernant le fonctionnement du système immunitaire des chauves-souris, loin s’en faut. Ainsi, le rôle de l’interféron pour l’ensemble des chauves-souris n’est pas équivalent avec d’autres cytokines qui pourraient intervenir en fonction des espèces et du pathogène incriminé.

Il semblerait que l’activation du système immunitaire innée soit régulée plus finement chez la chauve-souris limitant l’inflammation trop importante qui si elle détruit complètement le pathogène, a des effets délétères sur l’organisme. L’acteur principal en est l’inflammasome, association de récepteurs et d’enzymes permettant la production de diverses cytokines intervenant dans la réponse immunitaire innée. Cet inflammasome présent chez les chauves-souris et les autres mammifères fonctionne différemment avec un moindre emballement de celui des chauves-souris empêchant par exemple, l’orage cytokinique qui est la libération massive de ces molécules provoquant une atteinte de tous les organes et qui est présent pour certaines infections, dont le Covid-19.

De même, la réponse du système immunitaire spécifique n’est encore que très partiellement étudiée. Les études à son sujet chez la chauve-souris ont une approche génomique, c’est-à-dire que la présence des différents gènes est explorée mais sans pouvoir examiner le fonctionnement des différents produits de ces gènes. De nombreuses découvertes restent encore à venir.

Tolérer les pathogènes plutôt que de les détruire

Les connaissances acquises sur le système immunitaire des chauves-souris bien qu’imparfaites laissent supposer que la réponse à une infection est plutôt orientée vers la tolérance des pathogènes. Un équilibre se crée ainsi entre l’infection maintenue à un niveau acceptable par l’organisme tolérant de par son adaptation au vol et une réponse immunitaire finement régulée pour éviter un coût important en énergie et des effets délétères.

Ce fonctionnement aurait des conséquences au-delà des infections. Ainsi, les chauves-souris ont des durées de vie bien supérieures à ce qui est normalement retrouvé chez des mammifères de cette taille. Par exemple, une de nos espèces communes en Europe est la Pipistrelle (Pipistrellus pipistrellus) dont le poids moyen est de 5 ou 6 grammes et dont la durée de vie peut atteindre plus de 15 ans alors qu’une souris (Mus musculus) qui pèse 15 à 30 grammes aura une durée de vie maximale de 2 ans. Plusieurs pistes pour expliquer cette longévité sont encore en train d’être explorées et le processus de vieillissement est un phénomène très complexe. Les caractéristiques du vieillissement chez les mammifères sont entre autres, une moindre faculté de réparation de l’ADN des cellules et un phénotype inflammatoire exacerbé.

Les régulations immunitaires des chauves-souris orientées vers la tolérance et des réponses inflammatoires plus légères laissent pressentir un lien avec leur longévité. Associé à cette longévité, le fait que les chauves-souris ne présentent pas de tumeurs et qu’elles présentent une capacité de réparation de leur ADN qui ne s’altère pas avec l’âge ouvre un grand champ de découvertes à venir dont l’humanité aurait à apprendre.

Élodie Monchâtre-Leroy, Docteur vétérinaire, docteur de Microbiologie-Epidémiologie, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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De quoi riait-on au Moyen Âge ?

Pontifical par Guillaume Durand (copié à Avignon vers 1357, marginalia ajoutés à la fin du siècle). París, Bibliothèque Sainte-Geneviève, Ms. 143, fol. 145v.
Raúl González González, Universidad de León

Les gens riaient-ils au Moyen Âge ? Pas facile à imaginer. Après tout, c’est bien connu : cette période historique était sale, sombre,

, platiste ; globalement, c’est une époque effrayante. Cette croyance nous réconforte, nous permet de nous sentir supérieurs aux peuples du passé ou à d’autres cultures qui vivraient « encore au Moyen Âge »…

Donc, à cette époque où régnaient la peur, l’angoisse et la répression, le rire aurait même été condamné par l’Église, qui tenait les masses sous son emprise grâce à son pouvoir omnipotent.

Et pourtant, rien de tout cela n’est vrai. Si bien que le Moyen Âge est marqué par des formes d’humour qui sont encore subversives aujourd’hui.

Les chansons d’Isabelle et de Ferdinand

Dans la bibliothèque du Palais royal de Madrid se trouve un merveilleux livre (un « codex ») : le Cancionero musical de palacio. Grâce à lui, nous pouvons connaître les paroles et la partition de centaines de chansons qui étaient jouées à la cour de la Reine Isabella I de Castille et du Roi Ferdinand II d’Aragon, les « Rois Catholiques » espagnols.

Plusieurs d’entre elles ont été composées par Juan del Enzina, né dans les terres de l’ancien royaume de León, qui deviendra prieur de la cathédrale de León. L’une des plus curieuses, intitulée « Si abrá en este baldrés », raconte comment trois jeunes femmes semblent manquer de cet objet mystérieux. « Est-ce qu’il y aura dans ce “baldrés” des manches pour nous trois ? », dit la chanson.

L’édition actuelle du dictionnaire de l’Académie royale d’Espagne répertorie encore le mot baldrés ou baldés, qu’elle définit comme une « peau de mouton tannée, douce et souple, utilisée surtout pour les gants ». Les versions antérieures ajoutaient, pudiquement, « et d’autres choses ».

Page du Cancionero Musical de Palacio dans laquelle est reproduit « Si abrá en este baldrés », avec des biffures ultérieures qui éliminent du texte toutes les occurrences des mots « pija » et « carajo », des termes familiers pour désigner le pénis. Patrimonio Nacional, Real Biblioteca de Palacio

Le XVe siècle étant un peu moins pudibond, nous pouvons apprendre la véritable nature de l’objet en question grâce à un texte satirique anonyme connu sous le nom de Coplas del provincial. Il y demande sans détour « ce que vaut le valdrés/à défaut du corps d’un homme ».

On peut penser qu’un demi-millénaire plus tard, on ne chante plus de telles choses dans les cours royales. Ou, du moins, elles ne sont pas écrites. Au fil des siècles, nos oreilles semblent être devenues beaucoup plus sensibles au scandale que celles des monarques catholiques.

Le rire du clergé

À Paris, en 1414, une épidémie de coqueluche donna naissance à une chanson humoristique très appréciée des enfants qui se réunissaient en groupe pour faire les courses de l’après-midi. Son refrain était le suivant : « Votre con tousse, commère, Votre con tousse, tousse ».

Fragment de « Comment Henry Curtmantle, fils de l’impératrice Mathilde, fut couronné roi d’Angleterre », par David Aubert, « Histoire abrégée des Empereurs » : Paris, BnF, Arsenal ms. gallica.bnf. fr/Bibliothèque nationale de France

Il y a peu de choses plus humaines que ce recours au rire comme mécanisme libérateur face à la peur produite par une épidémie. Il est donc surprenant que, alors qu’un ecclésiastique de l’époque n’a pas hésité à reprendre ces mots mot pour mot dans sa chronique (connue sous le nom de Journal d’un bourgeois de Paris), l’historien qui en a préparé une édition pour le grand public en 1990 s’est senti obligé de censurer le gros mot.

Un millénaire plus tôt, le 13 août 1099, l’élection papale avait lieu dans la vénérable basilique romaine Saint-Clément du Latran. La cérémonie se déroulait devant les fresques, alors récentes, qui recouvraient les murs de l’église et racontaient les miracles du saint titulaire.

Dans l’une d’entre elles, située tout près de l’autel, le rire est à l’honneur. À la manière d’une bande dessinée moderne avec ses bulles, on peut voir différents personnages et les phrases qu’ils prononcent. L’effet comique vient du contraste entre les registres de langage : saint Clément parle solennellement en latin, et les païens qui tentent en vain de s’emparer de lui profèrent des insanités en langue vulgaire (leurs paroles sont d’ailleurs l’un des plus anciens témoignages écrits des langues italiques). Le chef des païens donne un ordre grossièrement réaliste, peut-être le plus hilarant des textes fondateurs d’une langue : « Fili dele pute traite » (« Fils de putains, traînez-les ! »).

La plaisanterie ne semble pas avoir déplu aux prélats réunis, puisqu’ils ont élu pape précisément le cardinal à la tête de la basilique, Raniero de Bleda, qui allait prendre le nom pontifical de Pascal II. Contrairement à nous, les gens du XIe siècle trouvaient de la place pour l’humour, même dans les affaires sacrées.

Inscription de saint Clément, détail d’une fresque de la fin du XI? siècle dans la basilique souterraine de San Clemente à Rome. Affreschi della Basilica di San Clemente

Ce n’est pas la faute du Moyen Âge

En effet, la comédie était un élément essentiel de la culture médiévale dans toutes ses manifestations : art, littérature, musique, rituels, coutumes

Bien sûr, le Moyen Âge, comme toute autre époque, a eu ses fanatiques, ses inquisiteurs, ses eunuques, ses prédicateurs au visage râblé et au cœur froid, ses ennemis du corps, du plaisir et de la joie. Mais tout au long de ces siècles, ils n’ont jamais cessé d’être une minorité, même au sein du clergé. En général, les intellectuels et le clergé du Moyen Âge s’en tenaient à l’opinion d’Aristote, pour qui le rire était un attribut humain essentiel. C’est pourquoi, lorsqu’en l’an 1000, le moine Notker rédigea un livre de définitions à l’abbaye de Saint-Gall (dans l’actuelle Suisse), il ne trouva pas de meilleure définition de l’être humain que celle d’un « animal rationnel, mortel, capable de rire ».

Ce n’est pas l’époque médiévale mais les époques ultérieures qui ont éradiqué le carnaval, les charivaris, la Fête des fous, le rire pascal ou les farces de la veille de la Toussaint. La disparition de ces traditions humoristiques, comme la domestication des corps, est un phénomène beaucoup plus récent qu’on ne veut le croire.

Raúl González González, Profesor de Historia Medieval, Universidad de León

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Régime végan : comment ne pas avoir de carence en vitamine B12 ?

Christèle Humblot, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions.

N’hésitez pas à nous écrire pour poser la vôtre et nous trouverons la meilleure personne pour vous répondre.

Et bien sûr, les questions bêtes, ça n’existe pas !


La vitamine B12 est essentielle au bon fonctionnement de notre organisme et comme notre corps n’est pas capable d’en produire, nous devons donc l’apporter par l’alimentation. À l’heure actuelle les produits animaux sont notre seule source de vitamine B12. Cette vitamine se retrouve dans la viande car les microorganismes présents dans le tube digestif des animaux herbivores synthétisent la vitamine qui est ensuite absorbée et se retrouve dans la viande. Comme les autres vitamines B, il n’y a pas de risque à en ingérer trop car elle est éliminée naturellement par l’organisme si l’on en consomme trop. Elle se retrouve aussi dans le fromage, un aliment fabriqué à partir du lait par la fermentation, c’est-à-dire de l’action des micro-organismes.

Il n’y a pas que le lait qui est fermenté. Qu’en est-il des produits végétaux fermentés ? Et bien c’est l’inconnu. Comme les végétaux ne contiennent pas de vitamine B12, personne ne recherche leur présence. En plus, cette vitamine est assez compliquée à mesurer car il existe plusieurs formes qui ne sont pas toutes actives pour l’humain.

Nous travaillons en collaboration avec l’Éthiopie. Dans ce pays, une majorité de personnes mange de l’injera tous les jours. Il s’agit d’une galette fermentée faite à partir de teff (une toute petite céréale). Le teff est moulu en farine, de l’eau est rajoutée pour obtenir une pâte un peu liquide comme la pâte à crêpe. Après trois ou quatre jours de fermentation, l’injera est cuit sur une grande plaque, comme les galettes de sarrasin.

Cuisson d’injera sur une plaque d’argile, posée sur le feu. PhoTom -- ??? Photography/Wikipedia, CC BY

Aucune donnée sur la quantité de vitamine B12 dans l’injera n’existe. Nous avons tout de même cherché, après tout, l’injera est un aliment fermenté et la fermentation peut permettre la production de vitamine B12. Bingo ! L’injera était très riche en vitamine B12, si bien qu’elle pouvait même dans certains cas couvrir les apports nutritionnels journaliers. Une fois cette découverte réalisée il nous fallait encore comprendre pourquoi cette galette de teff contenait de la vitamine B12.

Nous avons alors regardé si les microorganismes qui fermentent l’injera étaient connus pour être capable de fabriquer la vitamine. La réponse est oui. Des bactéries aux jolis noms comme Propionibacterium freudenreichii ou Lactobacillus coryniformis sont connues pour leurs capacités de synthèse. La première bactérie, qui se trouve habituellement dans le fromage ou dans le sol, a même été retrouvée directement dans la farine de teff. En Éthiopie, pas de moissonneuse-batteuse, après la récolte, les grains sont séparés de la paille à laquelle ils sont attachés en les battant à même le sol. Nous pensons que c’est à cette étape que les bactéries sont apportées sur la farine.

Donc si l’on revenait en France à ces méthodes anciennes de battage des céréales, qu’on les consommait après fermentation, les végétaliens pourraient arrêter de prendre des compléments alimentaires pour couvrir leurs besoins. Une idée difficile à imaginer.


Pour satisfaire votre curiosité :


Tout n’est pas perdu, il existe un autre moyen. Si nous ajoutons les bactéries nous-mêmes lors de la préparation des végétaux fermentés, il serait possible d’obtenir des aliments végétaux riches en vitamine B12.

Des chercheurs ont mené cette expérience et ont fabriqué du pain au levain à partir de ces bactéries. Les résultats sont très encourageants puisqu’ils ont calculé que 2 tranches de pain suffiraient à couvrir les besoins journaliers en vitamine B12 d’une personne. Par contre, le pain avait un arrière-goût de fromage, car Propionibacterium freudenreichii est une bactérie qui se retrouve dans le gruyère.

Tout n’est pas encore parfait, quelques mises au point sont encore nécessaires pour pouvoir trouver sur le marché des aliments fermentés végétaux naturellement riches en vitamine B12, mais les pistes sont prometteuses.

Christèle Humblot, Directrice de Recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)

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Pourquoi toutes les fleurs ne sentent pas la rose… loin de là !

Les odeurs des fleurs servent à attirer les pollinisateurs. Diana M?ce?anu/Unsplash, CC BY
Lydie Messado Kamga, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions dans un format court et accessible, l’occasion de poser les vôtres ici !


Le règne végétal est constitué d’environ 350 000 espèces de plantes à fleurs, chacune possédant des caractéristiques distinctes afin d’assurer sa survie. Elles adaptent certaines caractéristiques en fonction de leur environnement et de leurs besoins spécifiques pour ce faire. Parmi ces caractéristiques, l’odeur est celle qui nous est la plus accessible.

Pourquoi les fleurs produisent-elles des odeurs ?

L’odeur des fleurs est due à la présence de composés chimiques spécifiques. Elles se servent des odeurs qu’elles produisent comme un moyen d’interaction et de communication entre elles et avec les autres êtres vivants.

La production d’une odeur florale a pour but principal d’attirer les pollinisateurs. La grande majorité des plantes à fleurs sont pollinisées par les insectes et sont dites « entomophiles ». La production d’odeurs florales spécifiques est généralement un des signes indicateurs de la présence de récompenses pour les pollinisateurs : le nectar (sucres) ou le pollen (protéines). Ceci les encourage à s’approcher de la plante pour la butiner et, ce faisant, la polliniser. Les odeurs peuvent également être produites dans le but d’assurer la défense de la plante. Dans ce cas, elles produisent des composés chimiques pour dissuader les herbivores et les florivores. C’est le cas de la lavande (Lavandula angustifolia) qui produit le linalool et le linalyl acetate qui attire des pollinisateurs mais dissuade les herbivores et les florivores.

Les odeurs florales sont un mélange d’un ou plusieurs composés organiques volatils capables de s’évaporer facilement dans l’air. Ces composés sont souvent spécifiques à des groupes de pollinisateurs différents (abeilles, bourdons, fourmis, mouches, papillons, oiseaux, etc.). Ils sont produits en quantité variable par les plantes, aboutissant ainsi à une signature spécifique destinée à attirer un ou plusieurs pollinisateurs.

Pourquoi les odeurs sont-elles dites agréables ou non ?

Il est important de noter que la qualification d’une odeur « agréable » ou « désagréable » dépend de la perception humaine. Les plantes, elles, produisent des odeurs dans un but bien précis : celui d’assurer leur reproduction et leur survie sur terre.

Les senteurs peuvent varier en fonction des pollinisateurs que souhaite attirer la plante. Par exemple certaines espèces adoptent la stratégie de production d’odeurs « sucrée » comme chez la lavande, le jasmin, le lys et les jacinthes pour attirer des pollinisateurs comme les papillons, des abeilles et des bourdons.

D’autres fleurs comme les Rafflesia, les Araceae ou encore certaines Orchidaceae miment des odeurs associées à la décomposition organique (odeur de charogne, d’urine, de matières fécales, de viande pourrie chez l’orchis brûlé ou l’orchis bouc) pour attirer des mouches ou d’autres insectes nécrophages.

Fleurs d’Orchis bouc, une plante qui produit une odeur de bouc pour attirer des pollinisateurs. Didier Descouens/Wikipedia, CC BY

Selon les espèces de plantes, les odeurs peuvent être produites pour attirer un pollinisateur particulier, on dit alors qu’elles sont « spécialisées » comme chez des figuiers ou, au contraire, dites « généraliste » lorsqu’elles attirent plusieurs groupes de pollinisateurs comme la lavande.

La production des odeurs des fleurs coïncide généralement avec la période d’activité de leur pollinisateur. Plus précisément, par exemple, on observe chez les orchidées africaines des espèces dites « sphingophiles » qui présentent de grosses fleurs blanches produisant beaucoup de nectar. Celles-ci sont odorantes uniquement pendant la nuit car elles attirent un pollinisateur nocturne : le papillon sphinx. D’autres espèces proches dites « mélittophiles » possèdent de petites fleurs blanches qui sentent uniquement durant la journée et qui sont alors pollinisées par des abeilles qui sont généralement diurne.

Parfois, l’odeur d’une plante peut être imperceptible par le nez humain mais bel et bien détectée par des pollinisateurs. C’est le cas des orchidées du genre Ophrys, qui sont généralement pollinisées par des abeilles solitaires. L’Ophrys utilise une stratégie d’attraction appelée la « déception florale », qui attire les insectes pollinisateurs en imitant des caractères visuels ou olfactifs sans fournir la récompense attendue. Cette stratégie est traduite par la forte ressemblance des fleurs d’Ophrys avec la forme, la couleur et même l’odeur d’une abeille femelle que le mâle ainsi leurré viendra polliniser.

Pourquoi certaines plantes ne sentent-elles pas du tout ?

Dans la plupart des cas, les plantes qui ne produisent aucune odeur sont pollinisées par le vent, elles sont dites « anémophiles » par exemple le noisetier commun et le maïs. Elles possèdent souvent des fleurs discrètes et peu colorées car elles n’ont pas besoin d’un visiteur (autre que le vent…) pour transporter leur pollen vers d’autres fleurs de la même espèce. Pour compenser, elles produisent d’énormes quantités de pollen très léger qui seront facilement dispersées par le vent.

Ceci montre que les plantes ont des stratégies de reproduction très variables (comme les exemples ci-dessus d’anémophilie ou d’entomophilie) adaptées à leur environnement et aux conditions spécifiques de pollinisation.

En conclusion, les odeurs des plantes contiennent des composés chimiques volatils pas simplement agréables ou non pour les humains, mais qui sont avant tout produits pour assurer un rôle dans la survie des espèces impliquées, plantes comme insectes (mais pas que !). Elles permettent la communication avec les autres organismes vivants. En plus des odeurs, les plantes à fleurs utilisent d’autres caractéristiques visuelles toutes aussi fascinantes telles que la couleur et la forme, ainsi qu’une récompense plus ou moins riche, le nectar, pour attirer les pollinisateurs.

La prochaine fois que vous verrez une fleur, vous irez sûrement sentir son parfum, et pourrez imaginer son importance et deviner le groupe de pollinisateurs qui assure sa survie !

Lydie Messado Kamga, Doctorante en biologie végétale, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.