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Une nuit étoilée défile sous nos yeux… Cependant le fond de ciel est bel et bien noir. Ou l'est-il vraiment ? pxhere.com

Pourquoi la nuit est-elle noire ? On se pose la question depuis 200 ans

Une nuit étoilée défile sous nos yeux… Cependant le fond de ciel est bel et bien noir. Ou l'est-il vraiment ? pxhere.com
Jonathan Biteau, Université Paris-Saclay; David Valls-Gabaud, Observatoire de Paris; Hervé Dole, Université Paris-Saclay; José Fonseca, Universidade do Porto; Juan Garcia-Bellido, Universidad Autónoma de Madrid et Simon Driver, The University of Western Australia

Le jour se lève en ce 7 mai 1823. Du deuxième étage de sa maison, aménagé en observatoire amateur, Heinrich Olbers met un point un final à l’article qui laissera son nom dans l’histoire. À 65 ans, il se consacre entièrement à ses passions nocturnes : les étoiles, la lune, les astéroïdes et les comètes. Cette nuit-là s’achève par un magnifique lever de soleil. Elle se solde aussi par la mise au jour d’un paradoxe. Ce paradoxe captivera des générations de chercheurs et de néophytes pendant des siècles.

Comme de nombreux savants depuis Newton et Descartes, Heinrich Olbers ne pouvait se satisfaire d’un univers fini. Dans un monde limité et statique, l’attraction gravitationnelle entre les étoiles les conduirait à se rapprocher, jusqu’à ce qu’elles se rencontrent au centre de l’univers.

Au contraire, si la matière s’étendait à l’infini, la masse des étoiles lointaines contrebalancerait l’attraction gravitationnelle des étoiles plus proches. Ainsi, la vision d’un univers éternel et illimité, partagée par Olbers et ses contemporains, suggérait que les cieux soient peuplés d’un nombre infini d’étoiles.

De nombreuses étoiles et galaxies sur un fond obscur, telles qu’imagées par l’observatoire spatial JWST en 2023. Crédit : ESA/Webb, NASA & CSA, A. Martel. ESA/Webb, NASA & CSA, A. Martel

Mais Heinrich Olbers s’est rendu compte que ce modèle du cosmos ne reflétait pas les observations. Si notre univers sans limites était peuplé d’un nombre infini d’étoiles, quelle que soit la direction vers laquelle nous dirigeons nos yeux ou nos télescopes, notre regard devrait intercepter la surface d’une étoile.

Dans son article soumis le 7 mai 1823, le docteur soulève une grave question : le modèle cosmologique de l’époque devrait conduire à ce que chaque point du ciel soit aussi brillant que la surface du soleil. Il ne devrait pas y avoir de nuit. Chaque fois que nous regardons le ciel, nous devrions être aveuglés par la lumière d’un océan infini d’étoiles.

Ce paradoxe de la nuit noire s’expliquerait, selon Olbers, par l’absorption croissante de la lumière des étoiles de plus en plus lointaines. Cet argument sera plus tard réfuté par l’astronome John Herschel. Tout milieu absorbant emplissant continûment l’espace interstellaire finit par se réchauffer et par réémettre la lumière reçue. La communauté scientifique laissera l’énigme soulevée par Heinrich Olbers irrésolue jusqu’à son dernier souffle à l’âge de 81 ans, le 2 mars 1840.

Quand un poète s’en mèle

Nous voici 8 ans plus tard, de l’autre côté de l’océan Atlantique. Le 3 février 1848, ce n’est pas un scientifique, mais bien le poète Edgar Allan Poe qui s’apprête à discuter du paradoxe à la New York Society Library.

Poe est convaincu d’avoir résolu l’énigme popularisée par Olbers, comme il l’indique dans sa correspondance. Seule une soixantaine de personnes est réunie à la New York Society Library pour la présentation de La Cosmogonie de l’Univers par Edgar Allan Poe. L’auditoire est familier des travaux du célèbre poète depuis la parution du Corbeau en 1845, mais, en ce 3 février, le public reste interdit face à un exposé qui oscille entre métaphysique et science.

Poe suggère, contrairement au philosophe Emmanuel Kant et au mathématicien Pierre-Simon Laplace, que l’univers ne s’est pas formé par la contraction d’une nébuleuse de gaz en rotation (la rotation pouvant contrebalancer l’attraction vers le centre). Au contraire, le cosmos aurait émergé d’un état unique de la matière (“Oneness”) qui s’est fragmenté et dont les débris se sont dispersés sous l’action d’une force répulsive.

L’univers se limiterait alors à une sphère finie de matière. Si l’univers fini est peuplé d’un nombre suffisamment faible d’étoiles, il n’y a pas de raison d’en trouver une dans chaque direction que nous observons. La nuit peut être noire.

Même si l’on suppose que l’étendue de la matière est infinie, le temps mis par la lumière pour parvenir jusqu’à nous depuis la création du cosmos limiterait le volume de l’univers observable. Ce temps de parcours constituerait un horizon au-delà duquel les étoiles distantes resteraient inaccessibles, même à nos télescopes les plus puissants. L’essai de Poe est publié la même année sous la forme du poème en prose Eureka. Peu diffusé, l’essai de Poe ne trouvera pas l’accueil grandiose que son auteur lui destinait. Edgar Allan Poe meurt un an plus tard, le 7 octobre 1849 à l’âge de 40 ans, sans savoir que ses intuitions mettraient plus d’un siècle à résoudre l’énigme scientifique du ciel nocturne.

Vision contemporaine

La seconde moitié du XIXe siècle passe, ainsi que la première moitié du 20e. L’entre-deux-guerres voit l’avènement de multiples théories du cosmos, fondées sur la relativité générale d’Einstein. Le domaine de la cosmologie, jusqu’alors largement laissé aux métaphysiciens et aux philosophes, commence à être mis à l’épreuve par les observations.

Selon le radioastronome Peter Scheuer, la cosmologie en 1963 ne repose cependant que sur “deux faits et demi”. Fait N°1, le ciel nocturne est noir, ce qu’on savait depuis un certain temps. Fait N°2, les galaxies s’éloignent les unes des autres comme le montrent les observations publiées par Hubble en 1929. Fait N°2.5, le contenu de l’univers évolue probablement au fil du temps cosmique.

De vives controverses sur l’interprétation des faits N°2 et N°2.5 agitent la communauté scientifique dans les années 1950 et 1960. Les partisans du modèle stationnaire de l’univers et les tenants du modèle du Big-Bang concèdent cependant tous devoir expliquer l’obscurité du ciel nocturne.

Le physicien des hautes énergies Edward Harrison résout le conflit entre les communautés en 1964. Depuis le laboratoire Rutherford des hautes énergies, dans la campagne londonienne, Harrison démontre que la brillance du ciel nocturne dépend peu des spécificités du modèle cosmologique par rapport à l’âge fini des étoiles. Le nombre d’étoiles dans l’univers observable est fini. Bien qu’elles soient nombreuses, les étoiles se sont formées en nombre limité à partir du gaz contenu dans les galaxies.

Ce nombre limité, combiné au volume gigantesque que couvre aujourd’hui la matière dans l’univers, laisse l’obscurité transparaître entre les étoiles. Au cours de sa carrière d’astronome et de cosmologue aux États-Unis, Edward Harrison se rendra compte que cette solution avait déjà été proposée par Kelvin en 1901 et par Edgar Allan Poe dans ses discussions métaphysiques.

Dans les années 1980, après avoir tordu le cou aux dernières théories stationnaires de l’univers et contrecarré les arguments fallacieux sur le paradoxe d’Olbers, les astronomes confirment la résolution proposée par Poe, Kelvin et Harrison. Certains, comme Paul Wesson, formulent même le vœux que le paradoxe d’Olbers repose enfin en paix.

Autre point de vue scientifique contemporain

Vu sous un angle différent, le paradoxe d’Olbers trouve une formulation et une résolution complémentaires. Après la découverte de l’expansion de l’univers dans les années 1920, les scientifiques ont réalisé, non sans controverses et rectifications, que l’univers primitif était plus compact, plus dense et plus chaud : c’est le modèle du big bang chaud.

L’une des principales prédictions de ce modèle était l’existence d’une lumière fossile émise au cours des premières phases de l’évolution tumultueuse de l’univers. Cette lumière fossile devrait être observable aujourd’hui, non pas dans le domaine visible, mais décalée vers des longueurs d’onde plus grandes en raison de l’expansion.

Ce rayonnement a été découvert en 1964 et porte le nom de fond diffus cosmologique. Aujourd’hui mesuré avec une précision remarquable, le fond diffus cosmologique est la première source de lumière dans l’univers, bien qu’il soit invisible à nos yeux.

Le fond cosmologique fossile observé par le satellite Planck. Dernière analyse de 2018. Planck Collaboration/ESA

Nous savons aujourd’hui que le cosmos est également baigné d’un second fond diffus, beaucoup plus ténu, produit par les générations de galaxies au cours de leur formation et de leur évolution. Suivant la région du spectre où cette lumière est la plus intense, on parle de fond cosmique ultraviolet, optique et infrarouge. En considérant ces fonds diffus, nous pouvons également répondre que la nuit n’est pas noire et que le ciel luit du faible rayonnement relique de tout ce qui a été au cours de la durée de vie limitée de l’Univers.

Bicentenaire et forêts

Cette année, nous célébrons le bicentenaire de la publication du paradoxe d’Olbers, une étape marquante dans l’histoire de la cosmologie et dans la conception que l’humanité a du monde. L’obscurité du ciel nocturne confronte chacun et chacune d’entre nous à la finitude du nombre d’étoiles dans l’univers et à la notion que notre univers a eu un commencement.

Ce paradoxe peut toujours être un sujet de discussion avec vos amis. Vous pouvez suggérer la réflexion suivante. Imaginez-vous au milieu d’une forêt, très grande et très dense. Tournons sur nous-mêmes : quelle que soit la direction dans laquelle nous regardons, nous apercevons un tronc d’arbre. Mais alors, si les arbres sont les étoiles et si la forêt est l’univers, comment se fait-il que le ciel ne soit pas entièrement couvert d’étoiles ?

Au milieu d’une forêt dense, des troncs d’arbres sont visibles dans chaque direction. Image tirée de pxhere.com. pxhere.com

De notre côté, nous nous efforçons de simuler la forêt avec des supercalculateurs et de compter les troncs d’arbres avec nos télescopes. Le paradoxe d’Olbers en 2023 (soit 200 ans après le 7 mai 1823) s’est transformé en un riche éventail de mesures de plus en plus précises de la luminosité du ciel nocturne, nous permettant de déterminer le nombre d’étoiles dans le ciel avec une précision de 5 %. À partir de nos mesures, qui s’étendent désormais des rayons gamma aux ondes radio, nous pouvons reconstituer la chronologie de l’univers. Néanmoins, des énigmes subsistent. Des mesures récentes effectuées par une sonde spatiale profonde, au-delà de l’orbite de Pluton et de la poussière du système solaire, révèlent un ciel deux fois plus lumineux que ce que nous aurions pu prédire à partir des seules étoiles.

La question de l’obscurité du ciel reste donc bel et bien posée aujourd’hui ! Des questions comme celle-ci traversent les âges et les cultures. Les développements métaphysiques, philosophiques, mathématiques et observationnels des deux derniers siècles ont montré que notre sommeil nocturne repose sur la finitude des ressources nécessaires à la production de lumière dans le cosmos. Nous dormirons d’autant mieux en acceptant que cette finitude s’applique également aux ressources de notre environnement proche.

Jonathan Biteau, Maître de conférence en physique des astroparticules, Université Paris-Saclay; David Valls-Gabaud, Astrophysicien, Directeur de recherches au CNRS, Observatoire de Paris; Hervé Dole, Astrophysicien, Professeur, Vice-président, art, culture, science et société, Université Paris-Saclay; José Fonseca, Assistant Research, Universidade do Porto; Juan Garcia-Bellido, Catedratico de Fisica Teórica, Universidad Autónoma de Madrid et Simon Driver, ARC Laureate Fellow and Winthrop Research Professor at the International Centre for Radio Astronomy Research, UWA., The University of Western Australia

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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L’œuf ou la poule, qui est apparu en premier ?

Shutterstock/Edited by The Conversation
Ellen K. Mather, Flinders University

Qui est apparu en premier ? L’œuf ou la poule. Ce dilemme très ancien a laissé de nombreuses personnes perplexes. Si l’on se place du point de vue de l’évolution, les deux réponses peuvent être exactes, tout dépend si l’on se place du côté de l’œuf ou de la poule.

Le point de vue de l’œuf

Lorsque les premiers vertébrés – c’est-à-dire les premiers animaux dotés d’une colonne vertébrale – sont sortis de la mer pour vivre sur la terre ferme, ils ont dû relever un défi.

Leurs œufs, semblables à ceux des poissons actuels, n’étaient recouverts que d’une fine couche appelée membrane. Donc s’ils étaient exposés à l’air, ils se dessécheraient rapidement et mourraient. Certains animaux comme les amphibiens (le groupe qui comprend les grenouilles et les axolotls) ont résolu ce problème en pondant simplement leurs œufs dans l’eau, mais cela limite la distance qu’ils peuvent parcourir à l’intérieur des terres.

Ce sont les premiers reptiles qui ont trouvé une solution à ce problème : un œuf doté d’une coquille protectrice. Les premières coquilles d’œuf auraient été plutôt molles comme celles des œufs de tortue de mer. Les œufs à coquille dure, comme ceux des oiseaux, sont probablement apparus beaucoup plus tard.

Les plus anciens œufs à coquille dure connus apparaissent dans les archives fossiles au début du Jurassique, il y a environ 195 millions d’années. Ce sont des œufs de dinosaures.

Comme nous le savons aujourd’hui, c’est une lignée de dinosaures qui a finalement donné naissance aux nombreuses espèces d’oiseaux que nous connaissons aujourd’hui, y compris la poule.

Les poules appartiennent à l’ordre des galliformes (communément appelés « gallinacés »), qui comprend d’autres oiseaux terrestres tels que les dindes, les faisans, les pintades et les cailles.

Les poules domestiques sont apparues il y a environ 10 000 ans. Cela signifie que les œufs à coquille dure comme ceux que pondent les poules sont plus anciens que les poules elles-mêmes : l’œuf est donc apparu 200 millions d’années avant la poule.

Mais avons-nous vraiment répondu à notre question ?

Le point de vue de la poule

Si l’on interprète la question comme se référant spécifiquement aux œufs de poule – et non à tous les œufs – la réponse est très différente.

Contrairement à la plupart des espèces animales, la poule moderne n’est pas le fruit d’une évolution naturelle. Cette espèce est le résultat de la domestication : un processus par lequel l’homme élève sélectivement des animaux pour créer des individus mieux apprivoisés et présentant des caractéristiques plus souhaitables.

L’exemple le plus célèbre est la domestication des loups en chiens. Les loups et les chiens ont presque le même ADN, mais leur apparence et leur comportement sont très différents. Les chiens sont issus des loups et les scientifiques considèrent donc les chiens comme une sous-espèce de loups.

De même, les poules sont issues du coq doré que l’on trouve dans le sud et le sud-est de l’Asie. Les chercheurs pensent que ces oiseaux ont été attirés par les humains il y a des milliers d’années, lorsque l’on a commencé à cultiver le riz et d’autres céréales.

Cette proximité a ensuite permis la domestication. Au fil des générations, les descendants de ces oiseaux apprivoisés sont devenus des sous-espèces à part entière.

La toute première poule aurait donc éclos de l’œuf d’une espèce plus ancienne. Ce n’est que lorsque cette poule a atteint la maturité et a commencé à se reproduire que les premiers œufs de poule ont été pondus. L’œuf est donc arrivé après la poule.

Quelle est la meilleure réponse ?

C’est à vous de décider. Comme c’est le cas pour de nombreux dilemmes, le but de la question est de vous faire réfléchir – pas nécessairement de trouver une réponse parfaite.

Dans ce cas, la biologie évolutive nous permet d’argumenter en faveur des deux options et c’est l’un des aspects merveilleux de la science.


Diane Rottner, CC BY-NC-ND

Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : tcjunior/theconversation.fr. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre. En attendant, tu peux lire tous les articles « The Conversation Junior ».

Ellen K. Mather, Adjunct Associate Lecturer in Palaeontology, Flinders University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Des joueurs de l'équipe de France de rugby, soudés, lors de la victoire face à la Namibie (96-0) le 21 septembre, à Marseille. J. Poupart/FFR, Fourni par l'auteur

Préparation mentale : le modèle du rugby français

Des joueurs de l'équipe de France de rugby, soudés, lors de la victoire face à la Namibie (96-0) le 21 septembre, à Marseille. J. Poupart/FFR, Fourni par l'auteur
Mickaël Campo, Université de Bourgogne – UBFC

Lors du match inaugural de la Coupe du monde de rugby, le XV de France a brillamment illustré le parcours solide qu’il a suivi au cours des quatre dernières années.

Face aux All Blacks, un adversaire historique invaincu en phase de poules de cette compétition, les défis étaient multiples. Aussi, la sérénité manifestée par les joueurs français n’est pas le fruit du hasard. Elle souligne une transformation profonde dans l’approche de l’optimisation de la performance.

Aujourd’hui, le rugby français témoigne d’une réorientation significative de la manière dont est intégrée la préparation mentale, désormais conçue comme une composante clé du plan de performance en s’appuyant sur des connaissances scientifiques avancées.

Après plus de deux décennies d’initiatives diverses et variées ayant tenté de prendre en compte la dimension mentale, un tournant a été opéré en 2019 avec une collaboration inédite entre la Fédération française de rugby (FFR) et l’Université de Bourgogne. Objectif : mettre en place un accompagnement scientifique dans l’élaboration, la structuration et la mise en œuvre d’un modèle de performance incluant la dimension mentale au cœur des pratiques.

Un pôle de psychologie du sport à la FFR

Cette initiative visait à conduire à la création d’un pôle de psychologie du sport au sein du département d’accompagnement à la performance de la FFR, résolument ancré dans une philosophie fondée sur la rigueur et l’évidence scientifique.

Le travail réalisé a alors permis d’accompagner les entraîneurs de l’ensemble des équipes de France de rugby (équipes masculines et féminines de rugby à XV et à 7 olympiques) au travers de différentes approches allant de la formation et l’accompagnement des staffs à l’intervention en préparation mentale des équipes, en passant par l’encadrement scientifique des projets de performance.

La mise en œuvre de ce modèle de performance impacte les jeunes potentiels dans leur formation. Ainsi, la planification de l’entraînement des habiletés mentales (PEHM) représente près de 200 heures d’entraînement spécifique dans le parcours de formation sur trois ans d’Académie Pôle-Espoirs. Nous incluons par exemple un travail sur le développement des compétences émotionnelles, ou les capacités de leadership.

Les joueurs et joueuses internationaux bénéficient de leur côté d’une prise en compte de l’optimisation de cette dimension, par les staffs désormais sensibilisés, voire clairement formés en interne aux connaissances en psychologie du sport.

Le XV de France est d’ailleurs l’une des principales illustrations, avec également l’apport d’un travail spécifique réalisé chaque semaine depuis quatre ans avec cette équipe.

La particularité de la préparation mentale en sports collectifs

En prévision des Jeux olympiques de Paris, la démarche mise en œuvre par la Fédération française de rugby offre ainsi un bel exemple de la manière dont les sciences humaines peuvent nourrir l’optimisation de la performance sportive, permettant in fine aux athlètes, staffs et équipes de maîtriser la pression des grandes occasions.

Mais il s’agit alors de savoir naviguer dans la complexité, dans l’univers encore méconnu de la préparation mentale en sports collectifs. Car lorsque l’on évoque la notion de préparation mentale en sports collectifs de très haut niveau, nous nous confrontons inévitablement à sa dimension labyrinthique et aux fines nuances qui l’entourent et qui exigent une approche adaptée aux réalités et besoins des équipes et des entraîneurs.

Il apparaît alors clairement que la préparation mentale « traditionnelle », réalisée le plus souvent en tête-à-tête avec un joueur dans un cadre de consultations individuelles, ne parvient pas à englober entièrement la profondeur et la complexité de l’écosystème de performance collective, riche en interactions sociales incessantes. Juste à titre d’illustration, on notera que le XV de France est constitué actuellement de plus de 60 personnes, comprenant 33 joueurs et un staff composé de 30 experts…

Travail individuel avec un joueur du XV de France. J. Poupart/FFR

Dans un contexte où de nombreuses personnes aux formations diversifiées se revendiquent préparateurs mentaux, parfois sous des intitulés ambigus (coach mental, entraîneur cérébral, développeur de talent, etc.), il est courant de voir le recours à l’utilisation systématique et simpliste d’outils et d’approches dogmatiques qui prétendent offrir une solution universelle. On peut alors légitimement s’interroger sur la véritable profondeur de cette maîtrise, surtout lorsqu’il s’agit du domaine spécifique des sports collectifs.

La préparation mentale, en particulier dans les sports collectifs, requiert une expertise pointue et se base sur des fondements scientifiques solides, ne laissant pas de place à l’approximatif dont souvent découle aussi le manque d’éthique.

À l’image d’autres nations sportives majeures, le sport français peut à cet égard s’appuyer sur sa société savante, la Société française de Psychologie du Sport. Cette entité veille à la rigueur éthique et scientifique de la discipline, garantissant une orientation conforme aux standards les plus exigeants. Dans une volonté de parfaire son modèle, la FFR vient tout juste d’initier une collaboration étroite avec la SFPS.

Science et méthode

Le département d’accompagnement à la performance de la Fédération française de Rugby (FFR), sous la responsabilité du docteur Julien Piscione, s’est longtemps ancré dans les sciences de la vie pour mener ses recherches visant l’optimisation de la performance et le soutien des jeunes talents.

Créé en 2002 en tant que cellule de recherche, il peut être noté que ce département était dirigé au départ par un chercheur en sciences de l’éducation (Daniel Bouthier de l’Université de Bordeaux), puis par une chercheuse en sciences sociales (Hélène Joncheray, de l’INSEP – Institut national du sport, de l’expertise et de la performance), avec donc une sensibilité déjà bien présente pour les SHS.

Il y a cinq ans, Julien Piscione et Didier Retières, alors directeur technique national, ont choisi de mettre davantage l’accent sur la dimension mentale. Initiée 25 ans plus tôt par des entraîneurs nationaux tels que Fabrice Brochard, Michel Jeandroz et Riadh Djaït, Julien Piscione et Didier Retières ont su reconnaître son importance et lui donner une place centrale dans la formation et la préparation des athlètes, poursuivant ainsi une tradition d’innovation dans l’optimisation de la performance à la FFR.

En s’inspirant du modèle systémique de la performance, qui souligne l’intrication profonde et complexe de la dimension mentale dans les sports collectifs, une grande importance a notamment été accordée à la formation des entraîneurs pour que les staffs des équipes de France aient en leur sein des personnes formées aux bases scientifiques de la psychologie du sport.

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Au-delà de leur formation et de leur accompagnement, nos staffs peuvent aussi désormais être renforcés par l’apport de préparateurs mentaux, aguerris aux caractéristiques des sports collectifs et titulaires d’un doctorat en psychologie du sport.

Épousant ainsi une philosophie fermement ancrée sur la précision et l’évidence scientifique, une démarche méthodique a donc été adoptée pour structurer et développer la préparation mentale sur la base des connaissances en psychologie du sport, s’adressant à tous les niveaux, des écoles de rugby jusqu’aux équipes nationales, en englobant toute la filière jeune.

Le partenariat avec la faculté des sciences du sport de l’université de Bourgogne a donc permis non seulement de structurer une démarche, mais aussi de développer des programmes de recherche appliquée visant à répondre aux besoins d’innovation dans le domaine de la performance sportive, dans un contexte sportif international ultra-concurrentiel.

Un travail de longue haleine pour un XV de France « fort mentalement »

Le sélectionneur Fabien Galthié, très sensible à l’importance du facteur humain, a souhaité dès le début intégrer la préparation mentale comme l’un des pivots de sa stratégie de performance.

Cet élan global avait été notamment amorcé par les équipes de France olympiques de rugby à 7 dès 2018 avec les sélectionneurs Jérôme Daret (7 masculin) et David Courteix (7 féminin), puis les équipes de France jeunes et le XV de France féminin, toutes distinguées par de brillantes performances les plaçant sur de nombreux podiums de la scène internationale durant ces dernières années.

Ainsi, il doit être soulevé que l’observation de ce XV de France si « fort mentalement » est la résultante d’un processus beaucoup plus long et complexe qu’un potentiel lien simpliste et direct qui pourrait être fait avec les interventions en préparation mentale réalisées pendant une préparation de Coupe du monde ! L’incroyable capacité de ces athlètes de très haut niveau sur le plan mental est, il me semble, davantage le fruit d’une longue acculturation à la dimension mentale dans leur parcours de formation en club, en académies fédérales et au sein des équipes de France jeunes, ainsi qu’au travail approfondi réalisé par l’ensemble du staff du XV de France durant ces quatre années.

Séance collective sur la gestion mentale de la compétition. J. Poupart/FFR

Les interventions spécifiques en préparation mentale ont juste complété ce travail de construction de longue haleine en apportant des connaissances scientifiques nouvelles et directement mobilisables par les joueurs dans la gestion mentale de la compétition à niveau international.

Comprendre les émotions du groupe

Une autre évolution marquante se manifeste également au sein même de l’activité scientifique, que ce soit dans le cadre d’une activité de recherche et développement ou dans l’accompagnement scientifique des équipes.

Particulièrement, une étude que nous avons menée dans le rugby a montré que les émotions collectives (la manière dont chaque joueur perçoit l’émotion de l’équipe en tant qu’entité) avaient plus d’effets sur les performances individuelles et collectives que les émotions individuelles des joueurs.

Partant d’un constat d’instabilité de performances des équipes de France de rugby à cette époque (rappelons-nous par exemple du match inaugural de la Coupe du Monde 2007 en France, où les Bleus avaient essuyé une défaite face à l’Argentine (12-17)), le pôle de psychologie du sport a investi ce nouveau paradigme scientifique, totalement aligné avec le terrain de la performance collective.

Avec la collaboration des entraîneurs nationaux, des normes d’expression émotionnelles ont été établies afin d’optimiser la façon d’exprimer ses émotions sur le terrain.

Des programmes visant à renforcer l’intelligence émotionnelle] ont été également intégrés aux planifications des rassemblements internationaux, favorisant ainsi le développement de compétences adaptatives et des stratégies collectives de régulation émotionnelle. Cela consiste essentiellement en la planification de travaux par groupes visant à développer les principales compétences émotionnelles (expression, reconnaissance, régulation, etc.), sur le plan individuel, mais surtout collectif.

L’objectif était de maîtriser les phénomènes de contagion émotionnelle à l’origine des craquages sous pression.

Dans ce contexte, nous avons développé la notion de « temps non-joués » qui correspond aux temps de match pendant lequel les joueurs, qui sont sur le terrain, ne sont pas impliqués directement dans l’action, dans le jeu (par exemple après un essai, pendant un arbitrage video, etc). Cela représente 54 % du temps d’un match international. Ces temps revêtent donc une importance cruciale dans l’optimisation de la performance collective, notamment dans l’opportunité que cela ouvre de pouvoir être davantage en maîtrise du vécu émotionnel collectif.

L’exemple typique que l’on peut observer sont les rassemblements des joueurs après avoir marqué un essai (bulles de maîtrise).

TEAM SPORTS, un projet emblématique

Ces travaux ont amené à prioriser la compréhension de l’identité collective et des phénomènes de contagion émotionnelle en tant que leviers d’optimisation de la performance.

Le projet TEAM SPORTS en est l’illustration majeure. Financé dans le cadre du Programme Prioritaire de Recherche Sport de Très Haute Performance, il est mené en collaboration avec les principales fédérations olympiques de sports collectifs (FFR, FFF, FFHB, FFVolley, et FFBB).

Mobilisant une trentaine de chercheurs, provenant d’institutions telles que l’Université de Bourgogne, l’Inserm, le CEA, l’ENSAM et l’Université de Rouen, ce programme ambitieux se penche sur la façon dont les dynamiques individuelles et collectives s’entrecroisent au sein des équipes de haut niveau.

Les premiers résultats montrent, par exemple, que lors de séance d’entraînements à haute intensité très utilisées à haut niveau, l’accent devrait être mis sur des enjeux individuels plutôt que sur l’appartenance à l’équipe pour permettre aux joueuses et joueurs de repousser leurs limites.

Aussi, à travers 196 entretiens approfondis, des éclairages ont été également obtenus sur les facteurs qui encouragent soit le renforcement du « JE », soit celui du « NOUS » (identité collective), des données qui peuvent venir éclairer les entraîneurs dans leur stratégie managériale.

D’autres résultats montrent également que le sentiment d’appartenance à une équipe influence profondément les interactions motrices et les décisions ainsi que de la manière dont les informations sont prises durant le jeu.

L’équipe de France face à la Nouvelle-Zélande. FFR/J.Poupart

Par exemple, nos études ont montré que les joueurs qui sont moins identifiés au groupe ont tendance à davantage capter des informations qui pourraient leur être utile pour la réalisation d’une performance personnelle (par exemple, identifier un espace dans la défense adverse permettant une percée). A contrario, les joueurs les plus identifiés au groupe prendront davantage de repères sur les solutions collectives pour faire avancer le jeu.

TEAM SPORTS a aussi été l’occasion de créer des innovations technologiques, comme des environnements virtuels pour stimuler des états émotionnels, ou des algorithmes sophistiqués permettant de suivre en temps réel les indicateurs de body langage des joueurs, ainsi que d’évaluer en temps réels les niveaux de stress collectif de l’équipe et des adversaires.

Capture d’écran d’un tracking video du body langage des joueurs lors d’un match face à l’Afrique du Sud à l’Autumn Nations Series de 2022.

Certaines de ces technologies et les connaissances acquises sont d’ailleurs en cours d’utilisation par le XV de France pour la Coupe du monde, permettant de les améliorer encore pour les Jeux de Paris. C’est ainsi, par exemple, que nous connaissons parfaitement nos tendances en compétition. Cela nous a permis de travailler sur la maîtrise de nos temps faibles, comme de nos temps forts, durant nos matches.

Tous ces travaux seront par la suite publiés une fois les Jeux Olympiques passés, pour permettre à la communauté de profiter de cet héritage des Jeux. Mais en amont, les quatorze études réalisées auprès de 900 athlètes et entraîneurs offrent d’ores et déjà un éclairage précieux aux encadrements sportifs, leur fournissant des connaissances pointues pour optimiser leur approche managériale et la gestion mentale de la compétition de haut niveau.

Ce programme de recherche a notamment conduit à l’élaboration d’une formation spécialisée en psychologie du sport, unique en Europe, axée sur l’optimisation de la haute performance collective (D.U OHPCo – Univ. Bourgogne).

Alors que les Jeux olympiques de Paris catalysent un intérêt grandissant pour la préparation mentale au sein du sport français, il est important de comprendre que, comme pour les autres métiers de l’encadrement sportif, la préparation mentale ne peut se construire sans un savoir-faire basé sur une forte assise scientifique.

L’exemple de la FFR, couplé à l’initiative du programme TEAM SPORTS, sert de rappel éloquent : pour être véritablement à la pointe et innover face à une concurrence internationale qui va extrêmement vite, les connaissances scientifiques sont une voie indispensable pour pouvoir naviguer de façon pertinente dans la complexité de la performance collective, et être en mesure non seulement de s’adapter aux chaos souvent rencontrés dans ces écosystèmes, mais aussi de permettre l’innovation incontournable pour performer.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

Le projet TEAM-SPORTS a été soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

Mickaël Campo, Chercheur en psychologie du sport et responsable de la préparation mentale à la FFR, Université de Bourgogne – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Grâce à de nouveaux outils analytiques, une simple caméra permet d'obtenir énormément de données. John Komar, Fourni par l'auteur

Sports : quand les données permettent de tout savoir sur son adversaire

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John Komar, Université de Rouen Normandie

Lorsque l’on s’intéresse à l’analyse de la performance sportive, peu importe le sport auquel nous nous attachons, il s’agit de répondre à deux questions fondamentales :

  • Pour quelles raisons un joueur ou une équipe a perdu son précédent match ?

  • Comment faire pour gagner le match à venir ?

Un analyste de la performance sportive va donc s’intéresser à ces deux problèmes, collecter des données sur le jeu et les analyser pour trouver des réponses. Après avoir été analyste de données et consultant dans le football anglais, je m’occupe depuis quelques années de la formation d’étudiants et doctorants à l’utilisation de données pour l’analyse de la performance sportive. Entre les sciences du sport et les statistiques, ces compétences sont en effet de plus en plus recherchées par les clubs professionnels afin de répondre à l’inflation de la donnée sportive qui est de plus en plus accessible y compris pour le grand public.

Utiliser les données pour analyser la performance sportive

Pour prendre un exemple spécifique en badminton, il s’agit donc d’un côté d’analyser sa propre performance passée, et d’y déceler ses propres points faibles mais également ses points forts. Dans ce cas, l’analyste de la performance sportive va analyser l’activité du joueur pendant ce dernier match, pour en tirer des conclusions.

Par exemple il a été montré depuis peu que les joueurs d’origine chinoise ou japonaise ont tendance à utiliser la fatigue de l’adversaire avant de leur mettre la pression, à savoir qu’ils ont tendance à faire durer les échanges et ne cherchent pas à mener au score dans la première moitié du match. Les joueurs d’origine indienne ou taiwanaise ont eux plus souvent des stratégies opposées. Il existe donc de multiples profils de joueurs et connaître précisément le profil d’un futur adversaire permet d’éviter de tomber dans le piège.

Or le problème majeur qui apparaît ici réside dans la comparaison, quelle est donc la valeur « normale » ? Imaginez que vous devez faire une prise de sang, et lorsque vous recevez les résultats il n’y a que les valeurs brutes mais pas les barèmes, il est impossible de savoir si ces analyses sont classiques, normales, ou bien si elles sortent de l’ordinaire. Pour pallier ce problème, l’analyste sportif va avoir besoin d’une grande base de données qui servira de référence, de barème pour qualifier le style de jeu d’un joueur spécifique par rapport à une norme, à un profil standard.

D’un autre côté, il s’agit d’analyser l’adversaire à venir et en quelque sorte de chercher à prédire ce qu’il va faire, la manière dont il va jouer ce match à venir. À ce jeu-là, nous avons récemment mis en avant la nécessité d’utiliser des données les plus récentes possibles afin d’avoir une prédiction la plus proche de ce qu’il va se passer. En fait, pour prédire l’activité de l’adversaire sur le prochain match, utiliser moins de données du passé (trois ou quatre matchs) mais des données très récentes (vraiment les derniers matchs) est la combinaison qui apporte la meilleure qualité de prédiction. Ceci s’explique par le caractère très dynamique de la performance sportive qui dépend de nombreux facteurs : état de forme du joueur, fatigue, blessure légère, motivation, etc., qui tous peuvent modifier la performance très rapidement. Ici, le problème pour l’analyste n’est pas tant la quantité de données, mais l’actualisation de ces données qui doivent constamment être mises à jour.

Analyser la performance sportive nécessite donc d’avoir une grande base de données, qui sert de référence ou de norme, mais également de données continuellement actualisées. Même si dans certains sports (principalement en football et basketball) des données sont accessibles pour certains matchs professionnels, dans 99 % des cas il faut collecter les données pour pouvoir les analyser, et c’est là que l’intelligence artificielle devient le plus grand atout de l’analyste.

L’intelligence artificielle dans la collecte et l’analyse des données sportives

Depuis bien longtemps les sciences du sport peuvent collecter des données sur les sportifs pour analyser leur performance. Or très souvent cela nécessite de rencontrer les sportifs, de les faire venir dans un laboratoire d’analyse du mouvement et le plus souvent de les équiper avec du matériel de mesure.

Analyse scientifique des mouvements d’un tennisman.

Ces dernières années, les avancées dans le domaine de l’analyse vidéo par ordinateur a rendu ces processus de collecte de données bien plus simple, facile à organiser, et surtout ne nécessite plus de matériel très avancé ni de faire venir les joueurs dans un endroit dédié à l’analyse de la performance. Par exemple, à partir d’une simple vidéo (d’une caméra, d’un smartphone) il est aujourd’hui possible d’analyser toute la biomécanique d’un joueur.

À partir d’une simple vidéo d’un match de badminton amateur, l’IA peut reconnaître les joueurs, le court, les déplacements des joueurs sur ce court ainsi que les mouvements et la technique des joueurs. L’avantage indéniable de ces nouvelles techniques réside dans la possible exploitation de toutes les vidéos existantes afin de créer une base de données quasi infinie.

Vidéo d’un match de badminton où l’IA reconnaît les joueurs et le court de badminton (droite), afin de collecter les déplacements des deux joueurs (gauche) ainsi que leurs mouvements/techniques (centre)

Les données pour analyser la performance peuvent maintenant être collectées n’importe où avec une simple caméra, à l’entraînement ou dans un tournoi amateur. Également, tout match diffusé à la télévision peut maintenant être analysé et il n’est plus nécessaire de connaître personnellement Roger Federer ou le champion du monde de badminton pour collecter des données sur leurs performances. Dans tous les cas, si votre prochain adversaire est Roger Federer, pourquoi accepterait-il de venir collecter des données pour que vous puissiez analyser ses points faibles ? Aucun joueur ou équipe ne ferait ça. Ainsi, pouvoir simplement utiliser des vidéos existantes pour collecter les données ouvre des opportunités d’analyse de n’importe quel joueur au monde.

L’application de ces nouvelles techniques, en cours de développement voire déjà bien développées dans le football, la natation ou encore le tennis de table permet de régler les problèmes de collecte de données en grandes quantités (c’est un ordinateur qui travaille), sur des données toujours actualisées (pendant n’importe quelle compétition ou entrainement) mais également cela permet de collecter des données dans l’environnement réel de compétition. En effet, une des limites les plus importantes de l’analyse de la performance sportive en laboratoire est le manque de validité écologique de la mesure.

Autrement dit, les sportifs, parce qu’ils savent qu’ils sont observés, ou tout simplement par le matériel qu’ils doivent porter et qui n’est pas naturel, n’agissent pas exactement de la même manière qu’ils le feraient en compétition. L’intelligence artificielle permet donc une avancée sans précédent dans la collecte de « big data » dans le sport, mais plus il y a de données, plus il y a de « bruit » et plus il est difficile de trouver les informations réellement pertinentes dans cette immense masse de données.

Que faire de toutes ces données ?

Le champ d’application de l’IA dans le sport où il reste énormément à développer reste probablement l’analyse des données des données collectées, avec pour objectif de trouver la (petite) information qui fera la différence lors d’un match ou d’une compétition importante.

Dans toutes les données qui peuvent être collectées aujourd’hui pendant le jeu, une grande majorité est en fait inutile ou du moins ne permet pas de réellement impacter la performance. Est-ce qu’un plus grand nombre de passes effectuées dans un match de foot permet de gagner ce match ? Pas vraiment. Est-ce qu’une plus importante possession du ballon permet de gagner un match de football ? Pas vraiment. Est-ce que courir de plus longue distance par match permettent de gagner ce match ? Est-ce que des échanges plus longs en tennis permettent de gagner un match ? Peut-être pour certains joueurs. Une infinité de questions similaires peuvent ainsi être posées et la réponse se trouve dans les données collectées, encore faut-il pouvoir trouver cette réponse.

L’application de diverses techniques d’apprentissage par ordinateur ; réseaux de neurones, arbres décisionnels, clustering, etc., permettent de trouver ces informations « cachées » dans la masse de données sous forme de règles. Par exemple au tennis, le joueur X multiplie par quatre ses chances de gagner son échange du moment où son adversaire Y a couru plus de 90 mètres durant l’échange et qu’il joue sur son revers. En football, si une contre-attaque implique à minima un attaquant de plus que le nombre de défenseurs présents, fait progresser le ballon vers l’avant à une vitesse supérieure à 24 km/h, et atteint la surface de réparation en moins de 17 secondes après la récupération du ballon, elle aura 75 % de chance d’aboutir à un tir cadré.

Ce type d’informations, qui est « repéré » par l’IA au sein de grandes masses de données permet ainsi de connaître les points forts d’une équipe ou d’un joueur, reconnaître des schémas de mouvements qui sont souvent observés et mènent à marquer des points. Il est également possible de reconnaître des points faibles, donc lorsqu’un point est perdu par un joueur, que s’est-il passé avant et peut-on y trouver des récurrences ? Exploitées efficacement, ces informations peuvent alors permettre d’adapter une stratégie face à un adversaire bien spécifique, d’adapter un style de jeu, voire d’adapter des programmes d’entraînement pour par exemple réaliser une contre-attaque d’une manière où elle sera la plus efficace.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

John Komar, Maitre de conférences en sciences du sport, Université de Rouen Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Hung Chung Chih/Shutterstock

Pourquoi le comportement homosexuel est-il si courant chez les mammifères ?

Hung Chung Chih/Shutterstock
José María Gómez Reyes, Estación Experimental de Zonas Áridas (EEZA - CSIC); Adela González Megías, Universidad de Granada et Miguel Verdú, Universitat de València

De manière surprenante, le comportement sexuel entre individus du même sexe a été observé chez plus de 1 500 espèces animales, couvrant un large éventail de groupes taxonomiques. Ces espèces vont des invertébrés – tels que les insectes, les araignées, les échinodermes et les nématodes – aux vertébrés – tels que les poissons, les amphibiens, les reptiles, les oiseaux et les mammifères. Ce phénomène remet en question les explications conventionnelles de la reproduction et soulève des questions importantes sur son rôle et son évolution dans la nature.

C’est peut-être pour cette raison qu’il a attiré l’attention de plusieurs disciplines universitaires, notamment la zoologie et la biologie évolutive. Le comportement sexuel entre individus du même sexe est défini comme tout comportement momentané, qui est normalement exécuté avec un membre du sexe opposé, mais qui est plutôt dirigé vers des individus du même sexe. Ce type de comportement sexuel représente un mystère du point de vue de l’évolution, car il ne contribue pas directement à la reproduction.

Notre groupe de recherche a exploré l’évolution du comportement sexuel entre individus du même sexe chez les mammifères dans une étude qui vient d’être publiée dans la revue Nature Communications.

Ce comportement semble être une tendance commune chez les mammifères. Jusqu’à présent, il a été observé chez environ 5 % des espèces, représentant au moins une espèce dans la moitié des familles de mammifères, et il est pratiqué avec une prévalence similaire par les mâles et les femelles.

Selon les données disponibles, ce comportement n’est pas distribué au hasard parmi les familles de mammifères, mais tend à être plus répandu dans certains groupes, en particulier chez les primates, où il a été observé chez au moins 51 espèces, allant des lémuriens aux grands singes.

Chez certaines espèces, ce comportement est occasionnel et ne se manifeste que dans des circonstances très spécifiques. En revanche, chez 40 % des espèces, le comportement homosexuel est une activité modérée, voire fréquente, pendant la saison des amours.

Ces résultats soulèvent des questions fascinantes sur la biologie et l’évolution de la sexualité dans le règne animal.

Un moyen de renforcer les relations sociales

Notre étude a fait une découverte intrigante en révélant des liens significatifs entre le comportement sexuel entre individus du même sexe chez les mammifères et leurs modèles de comportement social.

Notre analyse a révélé que les espèces qui présentent un comportement social plus développé chez les mâles et les femelles sont plus susceptibles de présenter ces interactions sexuelles entre individus du même sexe. Ces résultats étayent l’hypothèse selon laquelle ce comportement sexuel a été favorisé par l’évolution comme moyen d’établir, de maintenir et de renforcer les relations sociales susceptibles d’accroître les liens et les alliances entre les membres d’un même groupe.

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Cette analyse comparative phylogénétique a également mis en évidence un lien entre ce comportement sexuel et la violence intrasexuelle – entre individus du même sexe – mais uniquement dans le cas des mâles. Les espèces dont les mâles sont plus violents sont plus susceptibles de présenter ce comportement sexuel à un moment donné de leur vie.

L’étude suggère donc que le comportement sexuel entre individus du même sexe chez les mammifères non humains est une adaptation qui joue un rôle important dans le maintien des relations sociales entre les deux sexes et dans l’atténuation des conflits, principalement entre les mâles.

Attention à l’extrapolation à l’humain

Dans tous les cas, nous insistons sur la nécessité de faire preuve de prudence, car ces associations pourraient être dues à d’autres facteurs. En outre, les résultats n’excluent pas d’autres hypothèses sur l’évolution du comportement sexuel entre personnes de même sexe, qui doivent faire l’objet de recherches plus approfondies.

Il est également important de noter que les résultats ne doivent pas être utilisés pour expliquer l’évolution de l’orientation sexuelle chez l’homme. En effet, l’étude s’est concentrée sur le comportement sexuel entre individus de même sexe, défini comme des interactions de courtoisie ou d’accouplement à court terme, plutôt que comme une préférence sexuelle plus permanente.

Enfin, il convient de noter que le comportement sexuel n’a été étudié en détail que chez une minorité d’espèces de mammifères. Cela signifie que notre compréhension de l’évolution du comportement sexuel entre personnes de même sexe chez les mammifères pourrait changer à mesure que d’autres espèces seront étudiées à l’avenir.

José María Gómez Reyes, Chair professor, Estación Experimental de Zonas Áridas (EEZA - CSIC); Adela González Megías, , Universidad de Granada et Miguel Verdú, , Universitat de València

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Visualisation des contraintes mécaniques lors de la course à pied. Guillaume Rao, Fourni par l'auteur

Course à pied : les « supershoes » permettent-elles de courir plus vite… sans danger ?

Visualisation des contraintes mécaniques lors de la course à pied. Guillaume Rao, Fourni par l'auteur
Guillaume Rao, Aix-Marseille Université (AMU)

Sur les cinq dernières années, la quasi-totalité des records du monde sur demi-fond, du 5 000 mètres au marathon, a été battue.

Si les recherches récentes ont amené à une meilleure connaissance des spécificités de chacune des disciplines d’endurance et également à une individualisation de plus en plus marquée des différents facteurs de performance (planification des séances d’entraînement et de récupération, suivi du sommeil, nutrition, programmes de prévention des blessures, aspects mentaux…), ce qui a permis d’optimiser les entraînements, cette pluie de record est aussi probablement due à l’arrivée sur le marché d’une nouvelle génération de chaussures, les « supershoes ».

En effet, une étude récente qui synthétise les performances d’un grand nombre de coureurs a montré que les 100 meilleurs temps au marathon ont significativement et régulièrement baissé entre 2015 (date d’arrivée des supershoes sur le marché) et 2019 et que les coureurs possédant des supershoes courraient, en moyenne, significativement plus vite que les autres. Les études notent aussi une augmentation de certaines blessures qui étaient autrefois beaucoup plus rares.

Alors, entre performance et blessures, comment utiliser au mieux des supershoes ?

Le principe des « supershoes »

Classiquement, une chaussure de course à pied vise à la fois à favoriser la performance et à prévenir le risque de blessure, en protégeant le pied et en dissipant l’énergie générée par l’impact au sol.

Les supershoes apparues récemment renferment une semelle en mousse assez épaisse, à la fois légère et plus élastique que les mousses classiques, et une plaque carbone sur l’ensemble de la semelle. La plaque carbone pouvant jouer un rôle de « balançoire » et ainsi favoriser la bascule du pied vers l’avant et la propulsion du talon vers le haut.

De nombreuses études, réalisées par des instituts de recherche publique ou internes aux services R&D des fabricants, ont visé à développer et améliorer ces supershoes. Ces études peuvent concerner différents champs scientifiques. Côté chaussure, on étudie aussi bien les nouvelles formulations chimiques des mousses, et la raideur de la plaque de carbone, ainsi que sa forme et son positionnement dans la semelle. Côté humain, les recherches portent sur les modifications biomécaniques et physiologiques suite à l’utilisation de ces supershoes.

Au global, on remarque une amélioration de l’« économie de course », c’est-à-dire la capacité du coureur à maintenir une vitesse élevée sur un temps long, ainsi que des modifications du « patron biomécanique » de la course : cadence de course plus faible, foulées plus longues, force verticale au sol plus élevée notamment.

Illustration d’un prototype utilisé lors des recherches sur l’effet du positionnement de la semelle sur les performances biomécaniques et physiologiques. Les deux positions différentes (high et low) induisent des influences différentes au niveau de l’articulation métatarsophalangienne (MTP) et donc des adaptations biomécaniques différentes. Guillaume Rao, Fourni par l'auteur

Malgré ces avantages hautement attirants pour les sportifs, les recherches ont soulevé au moins deux points à creuser : tout d’abord, les augmentations de performances ne sont pas observées pour l’ensemble des coureurs. Ensuite, on a remarqué l’apparition de nouveaux types de blessures, en particulier chez les coureurs jeunes.

Certains coureurs ne tirent pas avantage des supershoes

Bien que les bénéfices de ces supershoes aient été montrés à l’échelle d’un groupe de coureurs, cela n’est pas vérifié pour chacun d’entre eux. Ainsi, on observe certains coureurs qui améliorent leur économie de course de 14 % alors que d’autres voient leur économie de course dégradée de 11 % avec l’utilisation de ces supershoes. Ces résultats sont visibles autant pour des coureurs de très haut niveau (capables de courir un semi-marathon de 21 kilomètres en moins d’une heure) que pour des coureurs amateurs.

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Ces résultats très variables selon les individus ne sont pour l’instant pas encore bien expliqués. Un facteur semble se dessiner et concerne la vitesse de course. En effet, le bénéfice engendré par ces supershoes serait plus grand pour des vitesses de course plus élevées, probablement du fait des modifications du patron de course induites par une course rapide.

D’où viennent les blessures liées aux supershoes ?

Ces nouvelles chaussures peuvent apporter un gain de performance à certains coureurs, mais elles semblent entraîner également des blessures qui étaient jusqu’à présent rencontrées épisodiquement.

L’os naviculaire du pied est sujet à des fractures de fatigue. BodyParts3D, DBCLS, CC BY-SA

En effet, l’utilisation de supershoes modifierait les contraintes mécaniques subies par les différentes structures anatomiques et entraînerait une sursollicitation de certaines zones anatomiques spécifiques, notamment l’os naviculaire, au point d’entraîner des blessures nouvelles. Une étude récente a en effet rapporté un nombre élevé de fractures de fatigue au niveau de l’os naviculaire. L’arrivée des supershoes est relativement récente et les études épidémiologiques sur les blessures engendrées sont encore peu nombreuses, ces résultats visent donc à être confirmés.

Au vu de ces résultats, il est donc recommandé d’augmenter très progressivement l’utilisation des supershoes, afin de laisser au corps le temps d’assimiler ces nouvelles répartitions de contraintes mécaniques internes et donc éviter les blessures. Classiquement, une augmentation progressive consiste à incrémenter le temps d’utilisation des chaussures entre 5 et 10 % par semaine. Ainsi, il faudrait laisser au corps entre 10 et 20 semaines pour arriver à une utilisation complète de ces supershoes.

Des modèles biomécaniques pour estimer les contraintes sur les membres inférieurs lors de la course

Les blessures chroniques en lien avec la course à pied (tendinopathies, fractures de fatigue…) sont principalement dues à un déséquilibre entre les (sur) contraintes mécaniques subies par les structures anatomiques et leurs capacités de récupération et d’adaptation. D’un point de vue anatomique, des travaux récents permettent d’estimer les contraintes mécaniques subies par les structures anatomiques (les os, les tendons, les ligaments) lors de la course à pied.

Ces résultats reposent sur des modélisations biomécaniques qui intègrent différents facteurs individuels et connus pour affecter les contraintes mécaniques (forme des os, intensités des forces musculaires, patron biomécanique de course à pied, intensité de l’impact au sol…).

Ces nouvelles générations de modèles biomécaniques permettront de prendre en compte, à une échelle individuelle, l’influence des supershoes et donc de potentiellement prédire les augmentations de performance et les risques de blessures associés à leur utilisation.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

Guillaume Rao, Professeur des Universités en Sciences du Sport, spécialisé en biomécanique, Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Catherine de Médicis (Samantha Morton), dans la série « The Serpent Queen », de Justin Haythe. STARZ

« The Serpent Queen », hommage modernisé à Catherine de Médicis ?

Catherine de Médicis (Samantha Morton), dans la série « The Serpent Queen », de Justin Haythe. STARZ
Susan Broomhall, Australian Catholic University

Au cours du XVIe siècle, Catherine de Médicis a été successivement reine de France, mère de trois rois et de deux reines, et belle-mère de Marie, reine d’Écosse. Avec tant de pouvoir et une telle longévité, le personnage avait tout pour séduire les scénaristes, et c’est ainsi qu’elle est devenue l’héroïne de la série The Serpent Queen.

Dans cette fiction, nous découvrons une Catherine intelligente et puissante (interprétée par Liv Hill à l’adolescence et Samantha Morton à l’âge adulte), séduisante et dangereuse. Ayant connu des violences dans l’enfance, et rejetée par son mari Henri (Alex Heath interprétant le jeune Henri et Lee Ingleby Henri sa version adulte), elle devient impitoyable.

Catherine décide de gouverner avec l’aide de la magie noire, déterminée à donner une leçon à ses ennemis. Et déclare même « ça fait du bien d’être méchante », sur fond de riffs de guitare.

Mais la série propose-t-elle vraiment une nouvelle vision du personnage ? En réalité, l’histoire de l’une des « bad girls » préférées de l’histoire se répète. Et dans ce processus, l’histoire de la vraie Catherine de Médicis est à nouveau déformée.

Il semble que la propagande conçue de son vivant – renforcée par les générations suivantes – reste plus convaincante que jamais.

Une femme de pouvoir

Catherine n’a jamais régné sur la France, mais elle connaissait intimement les rouages de la politique, au plus haut niveau.

Les lettres qui nous sont parvenues (quelque 6 000 ont été conservées) ne nous donnent qu’une petite idée de l’ampleur des relations qu’elle a entretenues tout au long d’une vie longue et bien remplie.

Sa trajectoire a été remarquable. Les Médicis n’étaient pas une dynastie de sang royal, mais Catherine est néanmoins devenue régente et a été la conseillère de ses fils devenus rois.

Sa sphère d’influence en tant qu’épouse et mère, bien que conventionnelle, était perçue comme dangereuse par les hommes politiques et les commentateurs, parce qu’elle se jouait hors des mécanismes formels de régulation du pouvoir.

Plusieurs versions de Catherine

Catherine connaît l’apogée de son pouvoir au moment des guerres de religion. De 1562 à 1598, catholiques et Huguenots s’opposent en France.

Devenue veuve en 1559, Catherine reste proche du trône en tant que conseillère de ses trois fils devenus rois.

Bien qu’ils soient catholiques, les recommandations de Catherine pour ses fils favorisaient généralement une voie médiane visant à maintenir l’intégrité du royaume et la réputation de la dynastie à laquelle elle était affiliée.

Les Médicis n’étaient pas une dynastie de sang royal, mais Catherine est néanmoins devenue régente de France. Stan

Les ardents défenseurs des deux camps n’y trouvaient pas leur compte et ont créé différentes versions du personnage de Catherine de Médicis à instrumentaliser en fonction de leur cause. Dans tous les cas, Catherine apparaissait comme un ennemi public. Un pamphlet de 1575 versifie ainsi :

« Elle dépouille les coqs, leur arrache la crête et les testicules, une virago règne sur les Français. Une femme débridée se nourrit de testicules de coqs, et en dévorant cette nourriture, elle se frappe les lèvres et dit : “Ainsi, je castre le courage gaulois, ainsi je déshabille les Français, ainsi je les soumets”. »

Cette vision scandaleuse rencontra beaucoup de succès.

Bien sûr, Catherine de Médicis veillait elle-même à son image à travers des productions artistiques, des cérémonies officielles, la décoration de ses palais et par son comportement public.

Catherine connaissait les enjeux importants pour les femmes. Elle entretenait des relations tendues et complexes avec Marie, reine d’Écosse, mais elle l’a défendue auprès de Francis Walsingham, le courtisan d’Élisabeth I. Elle a déclaré à Walshingham qu’elle “savait très bien combien de fois les gens ont dit des choses sur une pauvre princesse affligée qui ne se sont pas toujours révélées être vraies”.

Après sa mort, des dizaines de versions de Catherine ont pris leur envol dans des romans. Dans la Reine Margot (1845) d’Alexandre Dumas, elle dissèque le cerveau d’un poulet dont elle a tranché la tête d’un seul coup, en vue d’une analyse prophétique. Elle est affublée d’un « sourire malin ».

Elle n’a guère eu plus de succès auprès des érudits du XIXe siècle. L’historien influent Jules Michelet, un huguenot, a qualifié Catherine de « larve du tombeau de l’Italie ».

Cette représentation de Catherine a également connu un grand succès au fil de l’histoire.

Les femmes dans l’opinion publique

Le traitement réservé à Catherine tout au long de l’histoire reflète notre relation problématique avec le rôle des femmes dans la vie publique. Il existe une longue histoire d’hostilité envers les femmes de pouvoir et les femmes au pouvoir.

The Serpent Queen retrace la vie de Catherine, depuis les épreuves de son enfance jusqu’à l’époque où elle joua un rôle politique central, pendant le règne de ses fils. Dans la série, elle apparaît puissante, maîtresse de son récit. Ses répliques font même écho à des discours enregistrés par des ambassadeurs contemporains.

Cette Catherine semble rechercher notre sympathie. Elle nous regarde et nous parle directement, semblant solliciter notre compréhension. Elle semble nous demander : « Dites-moi ce que vous auriez fait à ma place ».

Mais c’est peut-être simplement notre complicité dans la création d’une version familière de Catherine que la série cherche à susciter.

S’agit-il d’une Catherine nouvelle pour des temps nouveaux, complexe, remise dans son contexte, libérée de la réputation de « bad girl » qui l’a poursuivie à travers les siècles ? Ou bien simplement d’une version modernisée de Catherine en « bad girl » ? une chose est sûre : on est encore dans le domaine de la légende, et loin de la vérité historique.

Susan Broomhall, Director, Gender and Women's History Research Centre, Australian Catholic University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.