Par le

Pourquoi existe-t-il des plages de sable fin et d’autres de galets ?

Image de freepik

The Conversation

Pourquoi existe-t-il des plages de sable fin et d’autres de galets ?

Vous avez forcément une préférence entre le sable fin et les galets, mais comment ces plages se forment-elles ? Sawyer Specter/Unsplash, CC BY
Fabrice Jouffray, Université Côte d’Azur

Pour les chanceux qui participent à la croisée des chemins estivaux, cette question évoque sans aucun doute un critère prioritaire dans le choix de la destination de vacances. Quels sont les processus en œuvre à l’origine d’un dépôt, qu’il s’agisse de sable ou de galets ?

Un dépôt sédimentaire correspond au transport d’éléments provenant de l’altération des roches sur le continent, et de leur sédimentation dans un milieu propice, ici le bord de mer. Qu’il s’agisse de sable ou de galet, ils correspondent à des sédiments dont la granulométrie diffère. Passons d’ailleurs sous silence la frontière qui sépare ces deux types de dépôts, pour éviter les débats de chiffre, et appuyons-nous sur l’expérience de chacun pour opposer un sable fin d’un dépôt de galet.

Des témoins du mode de transport et du milieu de dépôt

Dans certaines conditions favorables, il est possible d’observer des dépôts de plages fossilisés dont la succession verticale des couches permet alors de saisir la variation des conditions de dépôt au cours du temps.

Sur le chemin des Douaniers à cap d’Ail : des roches indiquent une séquence fossilisée de dépôts de plage variables. Fabrice Jouffray, Fourni par l'auteur

De cette manière, on déduit alors qu’un même milieu, sur quelques dizaines de milliers d’années, a pu présenter successivement des paysages très changeants, passant de la plage de sable à la plage de galets, voire à un pied de falaise peu accueillant. Le dépôt est donc sous le contrôle d’un ou plusieurs paramètres évolutifs.

De plus près, ces sédiments recèlent de nombreux indices renseignant sur leur origine, ainsi que sur leur transport. Alors qu’un dépôt de petits galets émoussés évoque un transport long favorable à leur fragmentation et leur polissage, un dépôt de blocs peu émoussés indiquera une fabrique avec peu de transport.

Ce constat souligne la nécessaire question du mode de transport. Au cours d’un effondrement, un bloc issu de la fragmentation d’une falaise se trouve aisément déplacé à quelques centaines de mètres de sa source, fonction de la pente rencontrée sur son trajet.

Mais comment alors comprendre les dépôts loin de la source ? L’observation des processus actuels nous renseigne alors sur l’origine des dépôts anciens. Les cours d’eau sont les vecteurs de transport des fragments rocheux qui s’altèrent à plus ou moins longue distance des bandes littorales. Ce transport depuis la source prend le nom d’érosion. Les temps de transport ont été étudiés et concernent une période allant d’un simple épisode de crue (transport massif à longue distance) à plusieurs dizaines de milliers d’années.

Une fois le transport accompli, les fragments se déposent dans un milieu suffisamment calme pour que ces derniers ne subissent plus de déplacement conséquent. Les lieux calmes seront propices aux dépôts, et plus les milieux seront calmes, plus les fragments fins pourront s’y décanter, constituant alors les paysages typiques des baies et des anses.

À l’inverse, les fronts de mer où la houle est puissante ne constituent pas de bons milieux de dépôt. La sédimentation y est instable et le trait de côte correspond à de la roche dénudée, soumise aux assauts incessants des vagues de haute énergie. C’est un paysage récurrent des caps ou du front des îles dans le vent.

Tout est donc une question d’énergie mécanique mise en jeu dans la circulation de l’eau à la surface de la Terre. Lorsqu’elle s’écoule depuis sa source jusqu’à l’embouchure, l’eau perd de l’énergie potentielle en partie convertie en énergie cinétique. Loin en amont, le cours d’eau adopte un profil de pente conséquent, l’énergie en jeu y est alors forte et mobilise les fragments les plus massifs. En aval, le cours d’eau s’élargit et les pentes s’adoucissent. L’eau perd de son énergie. Les gros fragments se déposent dans le lit, et seuls restent mobiles les fragments de taille plus modérée… et ainsi de suite. En bout de course, on constate alors le long des cours d’eau, le résultat d’un classement des fragments.

Saisie d’écran sur le site Geoportail des principales embouchures du territoire de la France continentale. Fourni par l'auteur

Ce classement est complet dès lors que le lit du cours d’eau traverse de basses vallées dont la topographie est marquée par une très faible pente. Le développement total du cours d’eau est également souvent un bon indicateur du classement. Bien développé, le classement ne laisse plus que le sable parvenir à l’embouchure. Pour s’en convaincre, il suffit juste de comparer les photos satellitaires des embouchures de nos rivières principales. Si les grands fleuves rejettent en mer de grandes quantités de sédiments fins, l’observation montre que le sud-est de la France échappe à la règle.

Prenons le cas extrême de la région niçoise. Aucun grand fleuve n’assure l’approvisionnement conséquent des dépôts de plage. Autre particularité, tous les fleuves côtiers adoptent des pentes exceptionnellement fortes. C’est que la région niçoise est une région de montagnes. Le massif de l’Argentera situé à 50 km du bord de mer, culmine à plus de 3000 mètres d’altitude. L’énergie des rivières qui y prennent leur source se maintient donc jusqu’à leur embouchure. Le classement demeure donc incomplet et les dépôts qui atteignent la mer sont donc plus grossiers et hétérogènes.

Le reflet du contexte géologique local à régional

Nous commençons donc à dessiner les contours d’une réponse à la question posée. Mais un détour par la chimie est nécessaire pour percevoir la complexité des processus en jeu. Le sable apparaît sur nos plages dès lors que les produits grossiers d’érosion se sont déposés sur le continent dans le lit des fleuves. Lorsque ce n’est pas le cas, ces gros éléments participent à la sédimentation du bord de mer. À ce stade, précisons que les plages de galets ne sont pas de beaux dépôts homogènes, mais qu’ils sont le résultat d’un mélange.

Cela présuppose donc que les cours d’eau charrient des fragments grossiers de type « galet », mais qu’ils emportent également une fraction de granulométrie plus fine donnant les sables. Dans les faits, les cours d’eau transportent les fragments des roches constitutives de leur bassin versant. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que toutes les roches n’adoptent pas le même comportement face à l’eau.

En tant qu’agent d’altération, l’eau est un solvant. Ainsi, pénétrant dans les fractures de la roche, elle modifie peu à peu la chimie des minéraux, en remettant en solution une partie des atomes constitutifs sous forme d’ions, ou en prenant part à leur composition. En tant qu’agent physique, les variations volumiques de l’eau, sous le contrôle de sa température, accomplissent également un véritable tour de force dans les fractures qu’elles agrandissent peu à peu. En substance, il faut donc retenir que l’eau est un corps simple aux propriétés complexes, qui fracture et modifie la composition des roches sur lesquelles elle s’écoule et dans lesquelles elle s’infiltre.

Les lapiaz : on peut y voir des plateaux calcaires dissous le long de fissures qui prédécoupent le massif. Fabrice Jouffray, Fourni par l'auteur

Un seul minéral résiste inlassablement aux assauts de l’eau, c’est le quartz. Il en résulte que toute roche possédant des cristaux de quartz (granite, grès…) sera soumise à la fragmentation, mais qu’elle produira en toute fin un dépôt fin de grains rendus indépendants, le sable.

L’impact du climat

Nos plages sont donc la conséquence des dépôts des produits de l’érosion des roches continentales. Emportés par les cours d’eau, les fragments, dont la nature et la granulométrie sont liées à la géologie régionale, sont triés par ordre de taille, en fonction du profil du cours d’eau. Les produits arrivés en mer se déposeront alors sur les traits de côte en fonction de l’énergie locale mise en jeu par les vagues et courants marins. Au regard de l’ensemble des processus dynamiques en jeu, on comprend mieux qu’un tel dépôt puisse évoluer dans des temps géologiques courts, de l’ordre du millier d’années.

L’histoire de nos plages est donc sous le contrôle essentiel de l’eau. Il paraît opportun de questionner l’impact des paramètres contrôlant le cycle de l’eau sur la répartition des plages. En 2018, une équipe de chercheurs néerlandais travaillant sur un outil de traitement de l’imagerie satellitaire a proposé une synthèse mondiale des traits de côte occupés par des plages de sable.

La latitude du lieu apparaît alors comme un paramètre discriminant, en d’autres termes, les climats ont un rôle prépondérant dans la distribution de nos plages de sable. À cela rien d’étonnant, à condition d’avoir bien assimilé que les conditions du transport par l’eau décident de la nature des plages en aval. Soumise à des précipitations continues et abondantes, la zone de convergence intertropicale présente un profil de relief très adouci, disloqué par l’érosion intense. Les pentes y sont faibles et le classement des fragments transportés maximal, de sorte que le sable se dépose bien avant le bord du continent. En bord de mer, les plages concentrent donc des fragments encore plus fins, les argiles, constituant le sol des mangroves. Sous nos latitudes et dans les zones tropicales, l’intensité de l’érosion est moindre, les plages de sable s’y concentrent. Quant aux dépôts de galets, ils sont finalement le fruit de contextes très locaux. De quoi évoquer en pointillés l’éventuel impact du dérèglement climatique sur la distribution des plages de sable.

Finissons-en par un clin d’œil qui a fait le tour de la toile en 2018, autant dire une éternité ! Une équipe de chercheurs anglo-saxons s’est penchée sur l’origine des sables blancs entourant les îles des mers chaudes. Un mystère qui ne trouve pas son explication dans notre article, car aucune roche de ces îles ne pouvait livrer de tels sédiments. Ces dépôts, qui composent le premier plan des plus belles photos de plage, dérivaient en fait des coraux environnants. Mais ici, l’eau n’était pas le facteur prépondérant de l’altération. C’est un agent biologique, le poisson-perroquet et son bec fascinant, véritable brouteur de coraux, qui assure l’approvisionnement en sable. En effet, ce dernier broie le squelette de l’animal et son tube digestif assure le tri. Le sable est alors un déchet rejeté et mobilisé par les vagues jusque sur les rivages. Un seul individu peut ainsi produire 100 kilos de sable par an. Voilà de quoi redorer le blason de nos jolies plages, dont chaque grain constitue plutôt un souffle dans la longue histoire de nos chaînes de montagnes.

Fabrice Jouffray, Docteur en Géosciences, Université Côte d’Azur

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de haritanita sur Freepik

The Conversation

Le bronzage : une invention récente qui n’a pas le même sens partout dans le monde

Si cette pratique nous est très familière, le bronzage est pourtant une invention récente. Vincent Rivaud / pexels, CC BY
Vincent Coëffé, Université d'Angers

Voilà qui nous semble évident : le bronzage serait une esthétique corporelle née en France dans les années 1920 autour d’une figure sociale du monde de la mode, Coco Chanel. On peut pourtant revisiter ce passé en faisant varier les échelles spatiales et temporelles, en s’inspirant de la géohistoire telle qu’elle a été pensée par Christian Grataloup.

Il s’agit alors d’envisager le bronzage en tant qu’assemblage de pratiques, valeurs et normes corporelles, comme une invention qui attribue un sens culturel à des réalités biologiques, et qui exemplifie la dimension « hypersociale » de l’espèce humaine.

Bronzer nécessite de convoquer la temporalité historique, mais aussi les espaces et les spatialités des individus en société, jusqu’à interroger le Monde avec une majuscule. Car cette pratique sociale produit des liens entre les différentes parties de l’humanité.

L’utopie du corps « polynésien »

En suivant l’historien Pascal Ory, on mesure une partie du chemin parcouru au sein du « régime épidermique » fabriqué par les élites françaises : entre la période médiévale et l’entre-deux-guerres, la peau diaphane est codée positivement au point d’opérer une discontinuité sociale. La carnation attachée à l’ivoire ou à la neige, y compris celle qui est obtenue par le fard blanc, fonctionne ainsi comme un puissant marqueur de l’appartenance à l’aristocratie. L’artifice permet de distinguer immédiatement l’aristocrate du paysan dont la peau est métamorphosée elle aussi, mais par le labeur et le hâle, tous deux construits en tant que stigmates.

Autoportrait au chapeau de paille, Elisabeth Vigée le Brun, 1782. AU XVIII? siècle, le teint pâle est associé à la distinction aristocratique. Wikimedia

Toutefois, le XVIIIe siècle et les Lumières mettent à l’épreuve ce système normatif. Les découvreurs européens « bouclent » le Monde et construisent l’espace qu’ils nomment « Polynésie » en ailleurs désirable, une fascination qui s’exerce aussi sur l’Autre condensé dans une figure féminine. Là peut se fabriquer une équivalence symbolique : la noblesse tahitienne y est observée au travers d’une peau chromatiquement différente de celle qui est alors magnifiée en Europe. Cette vision aristocratique et masculine du monde exalte la beauté des « vahinés » surgies des retrouvailles fantasmées avec l’antique île grecque de Cythère, déplacée au XVIIIe siècle vers l’utopie du paradis tropical (la « Nouvelle-Cythère »).

Plus globalement, la couleur de peau des Tahitiens s’écarte à la fois du même (l’Européen « blanc ») et de l’autre radical incarné par les « Mélanésiens » (habitants des « îles noires »). C’est dans le sillage creusé par le primitivisme et la construction du « noble sauvage » (ou « bon sauvage ») que peut émerger plus tard chez Gauguin un imaginaire géographique au travers duquel jaillissent les couleurs. Le peintre fait alors écho aux récits orientalistes et à l’idéalisation du récit tahitien rapporté par Bougainville à travers son Voyage autour du monde (1771). Le corps « doré », plus ou moins dénudé, devient acceptable au travers d’une altérité construite par l’éloignement (temporel et spatial) qui l’intègre dans la catégorie de l’« exotique » et de l’« érotique ». Une première trame se déploie, mais il ne s’agit pas encore de bronzer.

Corps bronzé et « ensauvagement » maîtrisé

Les échelles française et européenne sont insuffisantes pour comprendre ce qui a permis l’avènement du bronzage en Occident, entendu comme l’aire discontinue déployée par l’Europe et ses projections à travers le Monde. C’est la tropicalité au travers de la vision occidentale de la plage des « Mers du Sud » qui permet la superposition du corps « exotisé » (promesse d’une transformation chromatique de la peau) et de la délectation de l’exposition solaire légitimée par l’héliothérapie, le « chaud » proliférant au travers du bain de mer ancré notamment dans le Pacifique en contexte étasunien.

Une dizaine d’années séparent L’Immoraliste (1902) d’André Gide qui met en scène un nouvel usage des plaisirs liés au bronzage, des récits de Jack London qui énoncent certains attributs de cette pratique au travers de son expérience hawaïenne.

Dans La croisière du Snark (1911), devenu un bestseller aux États-Unis, Waikiki est pour London le haut lieu de la performance des corps musculeux et « bronzés », célébrés au travers des relations que l’écrivain californien entretient avec le monde des surfeurs. La haute société dont la distinction passe par les pratiques touristiques est disposée à recevoir ces énoncés performatifs qui opèrent un renversement préparé par la construction du regard colonial. Si la classe laborieuse était hâlée par le travail déployé au-dehors, celle-ci est en train de glisser vers les ateliers des usines où la peau devient marquée par la pâleur codée en nouveau stigmate. Ce modèle corporel informe les cultures balnéaires de la Californie du sud à partir de la fin des années 1900, notamment le long du littoral de Los Angeles (Malibu, Santa Monica…), grâce à des démonstrations de surfeurs hawaïens recrutés par des hommes d’affaires soucieux d’y promouvoir le tourisme.

L’« ensauvagement » est ici discipliné par le recours à un travail rigoureux sur le corps que les Angelinos cherchent à embellir en s’affranchissant des normes médicales et hygiénistes, y compris par le bronzage. La plage sud-californienne est d’ailleurs un quasi-personnage géographique de l’industrie du cinéma qui s’installe dans la métropole au début des années 1900.

C’est par la rencontre entre des acteurs français et étasuniens que la pratique du bronzage se diffuse et infuse les normes corporelles en Occident. Quelques lieux mis en tourisme le long de la Côte d’Azur sont configurés afin de permettre les interactions sociales entre ces mondes culturels. Cannes, Antibes et Juan-les-Pins sont habités temporairement dans les années folles par des Américains qui fréquentent par ailleurs la Californie et la Floride.

Le couple millionnaire formé par Sara et Gerald Murphy qui séjournent à l’Hôtel du Cap-Eden-Roc d’Antibes, contribue ainsi à l’avènement de la plage estivale, en prolongeant de manière inédite leur statut d’« hivernants », métamorphosé en « estivants ». Leur capital social se cumule à leur « capital spatial », si bien que la plage habitée désormais l’été est agencée pour rendre possible les rencontres entre des acteurs culturels ouverts aux avant-gardes, autour d’écrivains et artistes qui s’intéressent à l’« art nègre ». Cet univers qui s’organise autour de la Lost Generation (Hemingway, Fitzgerald…), fait de la mobilité une ressource permettant d’habiter à d’autres moments la métropole parisienne où Joséphine Baker devient une icône « éroticoloniale ». L’iconicité de la « Vénus noire » est si forte que certaines femmes se colorent le visage avec du brou de noix afin de lui ressembler.

L’événement au cours duquel Coco Chanel aurait tombé l’ombrelle et exposé son visage au soleil à travers un ensemble de gestes quasi magiques souffre d’une documentation floue, et ses effets sur le renversement d’une norme multiséculaire restent donc surestimés. En revanche, son capital symbolique (prestige et notoriété) amplifie une dynamique en cours que l’industrie de la mode et des cosmétiques accompagne.

Dans l’entre-deux-guerres, la surface du maillot de bain rétrécit au prix de luttes sociales entre les Ligues catholiques et la jeune bourgeoisie moderniste. Articulé au succès des crèmes solaires, cet effeuillage renseigne sur la sensualité qui associe désormais le corps de plage à l’exposition solaire et à la transformation (plus ou moins éphémère) de la peau. La diffusion sociale du tourisme favorise l’avènement du bronzage au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans un enchevêtrement de thérapeutique, d’esthétique et d’hédonique. Ainsi, l’angoisse attachée à l’exposition du corps au soleil est réactivée quelques décennies plus tard avec l’émergence de nouvelles connaissances scientifiques interrogeant la vulnérabilité des différentes peaux humaines face au rayonnement ultraviolet. Le répertoire des modèles de bronzage s’élargit, jusqu’à sa mise à distance.

Une pratique mondialisée ?

Le bronzage est une pratique que l’on peut envisager comme un motif de la mondialité. Cela signifie aussi que sa diffusion vient heurter des filtres culturels qui en infléchissent les significations ou peuvent en refuser la réception. La valorisation positive de la peau diaphane constitue un motif culturel structurant dans certaines cultures « asiatiques » au moins (Chine, Inde, Japon, Corée…), si bien que l’exposition d’un corps dévoilé au soleil y reste une conduite socialement « déviante ». En Chine par exemple, le hâle est fortement associé à des valeurs négatives, surtout s’il altère le corps féminin, particulièrement investi par la norme de la peau « laiteuse » : le face-kini (cagoule qui voile la totalité de la tête à l’exception du nez et des yeux), pourtant porté avec parcimonie à l’échelle du littoral chinois, n’en reste pas moins le marqueur d’un dégoût culturel pour le bronzage.

Plage à Tianya Haijiao, Sanya, île de Hainan (Chine du sud). V. Coëffé, 29/11/2012, Fourni par l'auteur

Son appropriation est rendue possible en Chine par un nombre croissant de touristes chinois dénudant une partie de leur corps en différents lieux du littoral, comme certaines plages de l’île de Hainan (Chine du Sud) régulièrement désignée comme le « Hawaï chinois ». Même si la plage est encore largement pratiquée par les Chinois en tant que lieu de la découverte, du jeu et de la sociabilité, le bronzage y fait discrètement son apparition à travers l’univers du surf notamment, un sport nautique récemment investi par un petit nombre d’individus dont la trajectoire sociale révèle une pluralité de relations avec le Monde, par la mobilité et l’habiter métropolitain notamment.

Vincent Coëffé, Maître de conférences en géographie, Université d'Angers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de freepik

The Conversation

Le long chemin des championnes olympiques, entre misogynie et mépris

Christine Caron et Monique Berlioux, qui fut son entraîneur quand celle-ci est devenue championne du monde et médaillée olympique, en 1964.
Laurent Grün, Université de Lorraine

Alors que le Comité international olympique s’enorgueillit pour la première fois de la parité entre sportives et sportifs, la chemin a été long pour atteindre cette étape. Si les femmes ont été admises lors de la deuxième olympiade de 1900 à Paris, elles ne représentaient que 2,2 % des sportifs. Lors des jeux de Londres en 1948, le taux de participation féminine n’était que de 9,5 % et n’atteignait que 14,2 % à Mexico en 1968. Malgré cette faible représentativité, certaines sportives ont porté loin, haut et fort les couleurs des femmes et contribué non seulement à la reconnaissance du sport féminin mais aussi à cette marche vers la parité

Fanny Blankers-Koen

Fanny Blankers-Koen en 1945. Wikimédia

Les Jeux olympiques de Londres de 1948 sont connus sous le nom de « jeux de l’austérité ». Dans une Europe en pleine reconstruction, ils pallient ceux reportés en 1940 et 1944 en raison du conflit mondial. Pour cette première édition d’après-guerre, journalistes et observateurs se demandent qui sera le roi des jeux, à l’instar de la « panthère noire » Jesse Owens, auteur d’un magistral quadruplé en or (100m, 200m, saut en longueur et relais 4 x 100 m avec l’équipe américaine) à Berlin en 1936.

Mais en réalité, les jeux de Londres consacrent l’apparition d’une reine : l’athlète hollandaise Fanny Blankers-Koen.

Rappelons que les épreuves olympiques d’athlétisme n’ont été ouvertes aux femmes, contre la volonté de Pierre de Coubertin, qu’en 1928. À Londres, Fanny Blankers-Koen profite d’une extension du programme féminin pour égaler la performance de Jesse Owens, en s’adjugeant elle aussi quatre titres : le 200m, le 100m, le 80m haies ainsi que le relais 4 x 100m en compagnie de ses coéquipières néerlandaises.

En 1948, elle est déjà une athlète accomplie qui a été championne des Pays-Bas de pentathlon en 1937 et qui, à seulement 18 ans, a couru aux Jeux olympiques de Berlin en 1936. Son exploit de 1948 est d’autant plus significatif qu’elle a dû, avant de le mener à bien, affronter des réticences sociales et morales. En effet, âgée de 32 ans et mère de deux enfants, de nombreux détracteurs lui reprochent d’oser participer.

À leurs yeux, elle ferait mieux de s’occuper de son foyer plutôt que de s’exhiber en short à un âge jugé canonique pour une sportive des années 1940. Elle reçoit de nombreuses lettres qui l’enjoignent de s’adonner à ses tâches ménagères plutôt qu’à la course… C’est son entraîneur et mari qui prend sa défense en révélant qu’elle est aussi une excellente mère et épouse, qui remplit à la perfection son rôle de femme au foyer tout en s’adonnant quotidiennement à ses entraînements sportifs.

Malgré cette intervention louable, il est aisé d’y percevoir la place assignée aux femmes dans la société occidentale de l’immédiat après-guerre (une place qu’elle conserve encore malheureusement trop souvent aujourd’hui) : dans l’imaginaire collectif, elle est reléguée aux travaux domestiques et à l’éducation des enfants…

Solidaire, son mari la dissuade de quitter Londres après son premier titre obtenu sur 100 m, alors qu’elle souhaite rentrer aux Pays-Bas pour retrouver ses enfants au plus vite. En la convainquant de poursuivre son séjour olympique, il lui offre l’opportunité de glaner des médailles d’or supplémentaires. Elle aurait même pu en engranger une autre, mais elle doit renoncer à s’aligner sur l’épreuve du saut en longueur, car les horaires de la qualification se télescopent avec ceux du 80 mètres haies.

Malheureusement, comme c’est encore le cas avec la plupart des sportives féminines, la presse se focalise bien davantage sur ses caractéristiques de femme au foyer ainsi que sur son âge plutôt que sur ses exploits sportifs, elle qui a détenu des records du monde aussi bien en sprint qu’en saut en longueur, en hauteur ou au pentathlon.

Elle est donc surnommée de façon condescendante « la ménagère volante », un titre parfois transformé de façon plus laudative en « la Hollandaise volante ». Elle-même est restée modeste par rapport à ses accomplissements, s’étonnant que les gens fassent autant d’histoires autour de ses prétendus exploits, alors qu’elle avait « simplement » couru vite. Autres temps autres mœurs, ses quatre médailles d’or lui valent de recevoir, en guise de récompense par la ville d’Amsterdam reconnaissante, une bicyclette !

Mais son héritage n’est pas là. Sans doute pour l’une des premières fois dans l’histoire du sport moderne, une femme est capable de remplir auprès de certaines jeunes filles une fonction de role model, au sens anglo-saxon du terme, qui les inspire dans leur vocation de futures sportives.

D’autre part, elle émarge au rang de ces sportives exceptionnelles qui ont permis de combattre le mythe de la femme limitée par son genre, à tel point qu’elle a été élue plus grande athlète du XXe siècle par la fédération internationale d’athlétisme en 1999.

Micheline Ostermeyer

À Londres, une autre athlète se met en valeur et prouve que les qualités sportives peuvent faire bon ménage avec la virtuosité artistique. La Française Micheline Ostermeyer remporte deux titres olympiques au lancer de disque et au lancer de poids, assortis d’une médaille de bronze en saut en hauteur.

Mais ce qui éveille l’intérêt des spectateurs, c’est que cette championne est aussi une pianiste classique de renommée internationale.

Micheline Ostermeyer, 1950. Wikimédia

Elle émerveille d’ailleurs la presse internationale en donnant un récital au Royal Albert Hall le soir de sa seconde médaille olympique au lancer de poids, en interprétant notamment des œuvres de Beethoven.

Micheline n’a débuté l’athlétisme qu’à l’âge de 18 ans, en Tunisie où ses parents se sont retirés lors de la Seconde Guerre mondiale. Elle manifeste très tôt des dispositions pour ce sport, excellant, tout comme Fanny Blankers-Koen, dans plusieurs spécialités différentes. Cependant, elle ne consacre que deux séances d’entraînement par semaine à la pratique de l’athlétisme, alors qu’elle s’adonne au piano quotidiennement durant cinq heures ! De retour en France à la Libération, elle est la première athlète féminine à intégrer l’Institut national des sports (INS) où elle prépare les Jeux olympiques. Même dans ce lieu prestigieux, elle ne consacre que deux heures par jour à la pratique de l’athlétisme, tout en préservant ses cinq heures quotidiennes de piano.

Elle ne s’essaie au lancer de disque que quelques semaines avant les jeux de Londres, mais en raison des capacités motrices qu’elle a développées dans d’autres spécialités athlétiques, elle assimile très rapidement le mouvement de la volte propre au disque et parvient à se qualifier pour l’Olympiade. Elle remporte d’ailleurs la toute première médaille d’or de la compétition, puisque le lancer de disque débute le programme olympique. Cependant, même si la presse française célèbre ce titre, elle le fait de manière beaucoup plus mesurée que pour les accomplissements pourtant moindres des hommes.

En termes de surface médiatique, les exploits de Micheline Ostermeyer occupent bien moins de place que la médaille d’argent d’Alain Mimoun au 10 000 mètres ou que la qualification du nageur Alex Jany pour la finale du 100 mètres nage libre lors de laquelle il ne finira qu’à la cinquième place.

La trajectoire de cette sportive est atypique. Elle symbolise une forme d’avancée de la pratique féminine, dans la mesure où Micheline Ostermeyer, par sa visibilité lors d’un évènement international, participe à la promotion de la pratique féminine du sport, ainsi qu’à celle du droit des femmes dans une société où ses compatriotes françaises n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1944.

Pourtant, Micheline Ostermeyer a toujours considéré son excellence athlétique comme complémentaire de son art véritable, la musique.

Après quelques titres supplémentaires de championne de France et quelques médailles aux championnats d’Europe, elle décide d’arrêter sa carrière suite à plusieurs blessures contractées en 1951. En effet, elle considère que l’athlétisme peut désormais nuire à sa carrière de concertiste. De surcroît, sa trajectoire d’athlète a porté préjudice à sa réputation de musicienne, dans un milieu musical élitiste au sein duquel elle a parfois dû justifier sa pratique sportive. Mais cette même année 1951, c’est en toute conscience qu’elle donne une série de conférences sur la place des femmes dans le sport sous l’égide de la toute jeune Association internationale pour le sport et l’éducation physique des femmes et des filles.

Christine Caron

Christine Caron en 1966. Wikimédia

En 1964, Christine Caron, surnommée Kiki par la presse sportive, est une nageuse accomplie. À l’âge de 16 ans, elle est devenue recordwoman du monde du 100 mètres dos sous l’égide de son entraîneur et mentor, Suzanne Berlioux.

Cet exploit n’est que le couronnement momentané d’une carrière émaillée de victoires en France comme à l’étranger, notamment en dos crawlé. Christine Caron devient une véritable star des sixties au même titre que les idoles féminines de la jeunesse comme Sheila, Sylvie Vartan et autres Françoise Hardy. Il est vrai que selon les journalistes, sa plastique avantageuse et son minois affichés en une des journaux contribuent à en faire une égérie après la multiplication de ses exploits, surtout à une époque où le sport français cherche des succès dans la plupart des disciplines et où l’édition précédente des Jeux olympiques de Rome en 1960 s’est soldée par une humiliation française à la face du monde : cinq médailles seulement obtenues par les représentants hexagonaux, dont aucune en or.

C’est en grande favorite qu’elle se présente au départ du 100 mètres dos à Tokyo. Hélas, elle ne conquiert que l’argent, sans démériter puisqu’elle bat sa meilleure performance. Mais sa rivale américaine Cathy Ferguson parvient à surpasser son temps et à ravir l’or olympique. La presse célèbre néanmoins cette belle médaille, même si Christine Caron éprouve le sentiment que les journalistes font la fine bouche parce qu’elle n’a pas réussi à devenir championne olympique.

La jeune fille poursuit ensuite une carrière fulgurante, allant jusqu’à remporter les championnats nationaux des États-Unis, d’Australie ou du Japon entre 1965 et 1967, à une époque où les championnats du monde de natation n’existent pas encore. Mais à l’approche des Jeux olympiques de 1968, elle se sépare de son entraîneur Suzanne Berlioux qui faisait office de chaperon.

À bientôt 20 ans, Christine éprouve le besoin de vivre désormais sa vie de jeune femme, d’échapper à cette tutelle oppressante, même si elle conserve une excellente image de celle qui l’a amenée au sommet. Elle se qualifie pour les Jeux olympiques de Mexico malgré des performances en baisse. Elle a perdu la motivation et se demande s’il est opportun de se rendre au Mexique pour simplement faire de la figuration, d’autant que les entraînements bi-quotidiens lui pèsent.

Mais survient une opportunité qu’elle ne refuse pas : le comité olympique national lui propose d’être le porte-drapeau de la délégation française pour la cérémonie d’ouverture à Mexico. C’est la première fois en France qu’une femme est sollicitée pour remplir cette fonction. Sa popularité doublée de sa visibilité médiatique ont sans doute dicté ce choix. Choix qui ne va d’ailleurs pas sans provoquer des remous au sein des instances du sport français, voire de certains sportifs hommes qui s’indignent de ce qu’une sportive soit mandatée pour cet honneur.

À leurs yeux, le porte-drapeau ne saurait être qu’un sportif accompli, donc un homme. Malgré ces quelques récriminations, c’est fièrement que Christine Caron défile en tête de la délégation française, portant haut les couleurs tricolores. Comme elle le subodorait, ses performances déclinantes ne lui permettent pas de se qualifier pour la finale du 100 mètres dos. Mais elle garde de cette cérémonie d’ouverture un souvenir inoubliable. C’est aussi parce qu’en dépit des son intention initiale, elle a accepté de disputer les Jeux olympiques de Mexico pour remplir ce rôle de porte-drapeau que Christine Caron mérite d’être célébrée en tant qu’avocate de la cause des femmes.

Malgré les réticences de nombreux hommes du mouvement sportif à la voir marcher en tête de la délégation tricolore, dans un contexte où les femmes sont encore peu représentées dans le sport français comme international.

Christine Caron a fait le choix de visibiliser ces dernières.

Colette Besson

Colette Besson, championne olympique du 400 m à Mexico en 1968. Wikimédia

En termes de performances sportives, c’est sur la piste d’athlétisme que Colette Besson reprend le flambeau olympique lors de l’édition de 1968. Si Christine Caron porte haut le drapeau français, Colette Besson crée une surprise monumentale en remportant la médaille d’or olympique sur 400 mètres. En 1968, elle est certes une athlète confirmée en France, mais comme beaucoup de femmes, elle reste inconnue des journalistes spécialisés, à tel point que les commentateurs de la télévision semblent la découvrir après sa victoire de Mexico.

Cette victoire, elle la doit à son abnégation. Colette Besson a été évincée de l’équipe de France en 1966 en raison d’un conflit entre son entraîneur et les responsables de la sélection nationale, des hommes évidemment. Victime collatérale de règlements de compte, cette injustice décuple sa volonté de revanche.

En 1968, c’est le contexte social délétère qui participe à sa réussite. Mettant à profit les grèves qui paralysent la France, elle part s’entraîner en altitude à plus de 2 200 mètres, à Font-Romeu, pour s’acclimater à l’altitude similaire qui l’attend à Mexico. Elle dort sous tente au camping municipal et s’entraîne cinq fois par jour.

Mais contrairement à ses rivales, qui ne bénéficient au mieux que de deux ou trois semaines de préparation en altitude, c’est durant quatre mois que Colette Besson peaufine sa préparation. À Mexico, son entraîneur Yves Durand Saint-Omer est déclaré persona non grata par la Fédération française d’athlétisme, parce que ses méthodes ne correspondent pas à celles utilisées par les entraîneurs nationaux. Mais Colette Besson refuse de s’en séparer. Aussi son entraîneur se paie-t-il son voyage et ses entrées au stade sur ses deniers personnels pour pouvoir soutenir son élève.

Colette Besson est à nouveau menacée d’être exclue des épreuves quelques jours seulement avant le début des Jeux par le directeur technique national de la fédération nationale d’athlétisme, Robert Bobin, qui veut régler ses comptes avec Durand Saint-Omer, coupable d’avoir critiqué les méthodes de la fédération. Colette Besson ne doit son salut qu’à l’intervention du colonel Crespin, directeur de la préparation olympique], qui affectionne la jeune athlète.

Même si elle ne fait absolument pas partie des favorites, elle franchit alors successivement les différentes étapes de qualification avant de s’imposer en finale devant l’anglaise Lilian Board alors qu’elle n’était que cinquième à l’entrée de la ligne droite. Elle devient alors, selon les propos du légendaire journaliste Antoine Blondin, « la petite fiancée de la France ». Elle n’est que la deuxième athlète française, après Micheline Ostermeyer, à ramener une médaille d’or.

Mais comme elle le reconnaît elle-même, la médiatisation qu’elle rencontre en 1968 est bien inférieure à celle des hommes, y compris ceux qui ne remportent pas de médaille. Après cet exploit, sans jamais plus tutoyer de tels sommets, Colette Besson obtiendra de nombreux titres et médailles au niveau national et international, avant de poursuivre une carrière où elle enseigne et promeut inlassablement le sport et l’athlétisme en particulier. Son exploit de Mexico a ceci d’exceptionnel qu’elle a forgé son succès quasiment seule, uniquement assistée par son entraîneur et en dehors des structures fédérales. C’est une femme qui a su résister aux diktats imposés par la fédération d’athlétisme et a décidé de suivre sa propre voie.

En définitive, le portrait de ces quatre olympiennes doit nous rappeler les obstacles qu’elles ont dû affronter dans leur chemin vers le succès et nous faire prendre conscience de leur difficulté à être reconnues en tant que sportives.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Si la situation s’est heureusement améliorée depuis 1948, il n’en reste pas moins que le chemin à parcourir pour les sportives demeure encore semé d’embûches. Comme le dit la sociologue Christine Mennesson, souvent les sportives ne sont pas les plus féministes. En effet, socialisées souvent précocement dans le milieu sportif majoritairement masculin, elles intériorisent la conception essentialiste des catégories de genre. Déjà satisfaites de leur parcours, elles rechignent à réclamer une égalité de traitement avec leurs homologues masculins.

Il n’empêche que par leur volontarisme, leur courage et leur abnégation, chacune de ces quatre médaillées olympiques, même sans en avoir forcément une conscience aiguë, a fait avancer la cause des femmes, et ce lors de décennies durant lesquelles les territoires du sport de haut niveau leur restaient souvent inaccessibles.

Laurent Grün, Enseignant-chercheur, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de wayhomestudio sur Freepik

The Conversation

Pourquoi nous sommes si mauvais pour détecter les mensonges

Khosro/Shutterstock
Geoff Beattie, Edge Hill University

Nul besoin d’être en pleine campagne électorale pour s’inquiéter de sa capacité à repérer un mensonge. Les recherches en psychologie suggèrent que les gens mentent au moins une fois par jour.

Une étude de 2006 portant sur 206 documents a révélé que nous sommes juste un peu plus doués que le hasard pour deviner si on a affaire à un mensonge ou non, à 54 % exactement.

Certains mensonges sont racontés pour préserver autrui : ce qu’on appelle un mensonge blanc. Cela ne me dérangerait pas que quelqu’un me dise : « Vous êtes un psychologue brillant ». Cependant, la plupart des mensonges profitent plutôt à l’avantage de la personne qui les profère.

Nous apprenons à mentir très tôt, généralement entre deux et trois ans. Élaborer un mensonge réussi prend un peu plus de temps et nécessite une capacité plus développée à comprendre l’état d’esprit des autres.

Il faut également une bonne mémoire de travail, afin de pouvoir se souvenir de son mensonge. Les enfants les plus brillants semblent être ceux qui mentent le plus souvent et le plus égoïstement. À l’âge adulte, nous sommes, semble-t-il, bien rodés.

Il n’y a pas de signes révélateurs du mensonge en soi, mais il peut y avoir des indicateurs d’émotions négatives associées au mensonge (anxiété, culpabilité, honte, tristesse, peur d’être pris) même lorsque le menteur essaie de les dissimuler.

Ces émotions se manifestent parfois par des micro-expressions, ces expressions faciales qui durent une fraction de seconde, ou par des expressions dissimulées où le menteur couvre l’émotion par un masque, généralement un faux sourire.

On reconnaît un faux sourire au fait qu’il n’implique pas les muscles autour des yeux et qu’il quitte rapidement le visage. Les vrais sourires s’estompent plus lentement.

Mais le problème des indicateurs non verbaux de la tromperie est que la plupart d’entre nous auraient besoin de revoir le comportement au ralenti pour le repérer.

Êtes-vous doué pour repérer un mensonge ? file404/Shutterstock

Faire face à la vérité

Qu’en est-il du fait d’éviter le contact visuel, considéré globalement comme un indice de tromperie ? Ma mère m’a toujours dit qu’elle savait reconnaître mes mensonges parce que je n’arrivais pas à la regarder dans les yeux. Elle se rapprochait et me demandait ce que j’avais fait la veille.

Pourtant, le contact visuel n’est pas un indicateur utile de la tromperie. Le contact visuel est modifié par notre activité cognitive même lorsque nous disons la vérité. Par exemple, en planifiant notre discours ou en faisant appel à notre mémoire.

De plus, nous savons tous que c’est ce que les gens essaient de repérer. Et les menteurs savent contrôler ce facteur. Les bons menteurs peuvent maintenir le contact visuel lorsqu’ils mentent, en planifiant leur mensonge à l’avance et en construisant leurs mensonges sur des fragments de vérité et des situations réelles.

Le contact visuel est également influencé par la distance interpersonnelle. Il est difficile de maintenir le contact visuel lorsque quelqu’un est assis tout près de vous et vous regarde fixement (comme ma mère).

Certains comportements signalent le degré d’intimité entre deux personnes, comme la distance, le contact visuel et le sujet de la conversation. Si la distance interpersonnelle change, nous cherchons à l’équilibrer. Ainsi, lorsque ma mère s’est approchée pour l’interrogatoire, j’ai détourné le regard et elle a obtenu la preuve qu’elle cherchait.

Il s’agit d’un type de biais de confirmation. Il ne s’agit pas seulement de chercher des preuves pour confirmer son hypothèse, mais aussi d’influencer inconsciemment le comportement que l’on recherche.

Cela ne s’applique pas seulement à ma mère. Une étude de 1978 a suggéré que les officiers de police, lors des interrogatoires, se rapprochent des suspects qu’ils pensent coupables. Si le suspect détourne le regard… il est plus susceptible d’être coupable ! Les observateurs ne remarquent pas le changement de distance.

Mais le biais de confirmation ne concerne pas seulement la distance entre les personnes. Nous jugeons instantanément et inconsciemment de la fiabilité d’une personne à son visage, et ce très rapidement dans la vie quotidienne (environ un dixième de seconde). Une fois que nous avons décidé qu’une personne semble digne de confiance, nous allons inconsciemment chercher moins d’indices de tromperie.

La détection des mensonges est pleine de biais et les bons menteurs savent comment les exploiter. Ils savent ce que nous recherchons et c’est précisément ces éléments qu’ils contrôlent. Un bon contact visuel, un sourire pour cacher ses vraies émotions, un discours bien préparé avec peu d’hésitations. Ils peuvent aussi se convaincre eux-mêmes de la « vérité » de leur mensonge. L’autotromperie réduit toute réaction émotionnelle.

Pour mon nouveau livre Lies, Lying and Liars : A Psychological Analysis, j’ai étudié de nombreux menteurs experts et la manière dont ils utilisent notre intuition contre nous. Par exemple, pour juger d’un mensonge, nous avons besoin d’un comportement de référence, qui nous permet de détecter tout écart.

Les experts en mensonge cherchent à perturber ce processus. L’un de mes informateurs (qui avait quelque chose à cacher) m’a dit que lorsqu’il avait été arrêté par la police, il avait fait semblant d’être très en colère et un peu instable pour les déstabiliser.

Et puis il y a la personnalité. Il est inutile de chercher des micro-expressions de culpabilité, de honte, de tristesse ou de peur si ce n’est pas ce que les menteurs ressentent à l’intérieur. Certaines personnes aiment mentir. C’est excitant, elles ne se soucient pas des conséquences. Dans ce cas, toute micro-expression sera positive.

Geoff Beattie, Professor of Psychology, Edge Hill University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Capture d e cran a.

The Conversation

« Shogun », une série fidèle à l’histoire du Japon féodal ?

Pierre-Emmanuel Bachelet, ENS de Lyon

Entre le 24 février et le 23 avril 2024, la première saison de la série Sh?gun, créée par Rachel Kond? et Justin Marks, a été diffusée sur la chaîne américaine FX. Première saison en effet, puisqu’il a été annoncé que ce qui ne devait être que la seconde adaptation en mini-série du roman de James Clavell Shogun (1975) allait désormais être une série en trois saisons consacrée à l’histoire du Japon moderne.

C’est l’aboutissement d’un long projet, annoncé en 2018 et que la pandémie de Covid-19 a considérablement ralenti. Ce projet s’est rapidement donné comme objectif d’éviter les principales critiques formulées contre la mini-série de 1980, en particulier au Japon, à savoir l’absence de rigueur quant à la représentation de l’histoire et de la culture japonaises.

Pour ce faire, une équipe américano-japonaise a été constituée, et l’acteur et producteur principal, Sanada Hiroyuki, s’est considérablement impliqué dans le projet. Il a été annoncé que la série serait autant – voire davantage – centrée sur les personnages japonais que sur le héros du récit d’origine, le pilote britannique John Blackthorne, et que la majorité des dialogues seraient en japonais sous-titré. La promotion de la série a donc déployé un effort considérable pour présenter la série comme authentique.

Il va de soi que pour qu’une série soit réussie, même si elle prend place dans le passé, la fidélité historique n’est ni une condition nécessaire, ni une garantie de réussite. Il y a donc deux niveaux d’appréciation d’un tel média : celui du spectateur/de la spectatrice, qui apprécie la qualité du scénario, de la mise en scène, de l’écriture des personnages, etc., et celui de l’historien/de l’historienne, qui va scruter les écarts par rapport à ce qu’il ou elle sait du consensus historien sur la question.

En tant que spectateur, cette série présente des qualités indéniables et la quasi-unanimité à son sujet est méritée : mise en scène épique, beauté des décors et des costumes, personnages attachants (quoique pas tous très bien écrits) et scénario haletant.

En tant qu’historien, le jugement ne peut être que plus mitigé. Au niveau du récit général, la série tord des événements réels pour les besoins du scénario (ce qui est parfaitement défendable en termes strictement scénaristiques), et au niveau des points de détail, elle mêle idées excellentes et inventions absurdes. Tout ceci ne pourrait être qu’un excès de pointillisme, si la série elle-même et, au premier plan, son producteur Sanada Hiroyuki, n’avait vendu la série comme une représentation fidèle de l’histoire japonaise.

Qu’en est-il donc réellement ?

Une fiction historique

Commençons par rappeler que la série n’adapte pas l’histoire du Japon directement, mais à travers un média intermédiaire (parfois parasite) qui est le roman de James Clavell. Malgré les modifications annoncées, elle en suit donc la trame, quitte à en recycler les clichés les plus inexacts – et éculés – sur l’histoire japonaise. La principale frustration de l’historien face au roman et ses adaptations est le fait de se fonder, parfois très fortement, sur des personnages ayant réellement existé, mais en changeant totalement leur nom.

La série est centrée autour de trois personnages : John Blackthorne est inspiré de William Adams, premier Britannique à être arrivé au Japon et finalement devenu samurai ; Yoshii Toranaga du seigneur puis sh?gun Tokugawa Ieyasu ; Toda Mariko/Maria de Hosokawa Tama/Gracia, une femme d’ascendance guerrière convertie au christianisme. Par souci de fidélité au matériau d’origine, les showrunners de la série ont décidé de conserver ces noms fictifs. Malgré la frustration, ce choix reste salutaire, car il permet de maintenir un écran entre fiction et réalité ; et cette série relève, avant toute chose, de la fiction historique, ce qu’il est bon de rappeler quand on constate l’enthousiasme du public face à ce qui est vu comme une représentation fidèle du Japon de la période des Royaumes combattants (fin XVe siècle-1603).

Premièrement, comme dans l’œuvre d’origine, le rôle du pilote britannique, pour des raisons scénaristiques, est surévalué. W. Adams a été rapidement considéré comme un atout par le futur sh?gun, mais pas au point d’être une pièce maîtresse de sa stratégie, comme la série le laisse entendre. L’histoire de la victoire des Tokugawa sur les autres membres du conseil de régence ne repose donc pas sur l’intervention d’Européens – quoique les armes saisies sur leur navire aient pu être utilisées par les Tokugawa.

Dans le même temps, la série essaie de dévier du

, très présent dans l’industrie cinématographique traitant des espaces extra-européens. Il en résulte un paradoxe : Blackthorne est en même temps trop présent par rapport aux événements relatés, et placé en périphérie de l’action pour mettre en valeur les personnages japonais. Il est là, mais ne sert pas à grand-chose.

Le personnage de Toranaga présente également de grandes différences vis-à-vis de Tokugawa Ieyasu. Son histoire est racontée de manière assez linéaire, téléologique et franchement hagiographique. Toranaga porte une destinée qui le pousse presque malgré lui à accéder au statut de sh?gun, même s’il prétend vouloir s’en détourner. Dans le même temps, il est décrit dans la série comme étant dans une position très précaire, ce qui n’était pas du tout le cas de Tokugawa Ieyasu à ce moment de son ascension.

Ce choix narratif minimise ce qui est un des aspects les plus fascinants de toute existence historique : la stratégie, les choix décisifs, les erreurs, les manipulations. Tokugawa Ieyasu est arrivé au pouvoir grâce à son habileté politique et militaire, là où la série fait de Toranaga quelqu’un guidé par un destin immuable ; l’accent mis sur la destinée, avec l’emploi du terme shukumei (destin, prédestination), relevant là encore d’une mystique asiatique fantasmée aux relents orientalistes.

Il s’ensuit que ses choix stratégiques, dans les derniers épisodes, s’ils sont bienvenus car ils lui redonnent de la complexité et de la consistance historique, ont un impact moindre.

Le personnage de Mariko, enfin, présente l’avantage d’amener sur le devant de la scène un personnage féminin, complexe, et peut-être le plus fidèle à son modèle original.

Hosokawa Gracia n’a pas eu l’importance historique que Mariko dans la série, n’a jamais été en contact avec William Adams. Cependant, elle est bel et bien la fille de l’assassin de Nobunaga, survivante d’une famille décimée en punition de cet assassinat, mariée à un époux abusif et morte en 1600 à Osaka dans le contexte de la prise de la ville par l’ennemi de Ieyasu. C’est en revanche le christianisme qui va lui assurer une forme d’émancipation, là où la série met plutôt l’accent sur une fonction fictive d’interprète, mais qui relève là aussi de la médiation interculturelle.

Le choix d’adaptation de la série est donc ici plus pertinent car il restitue toute la complexité de ce type de personnage historique, là où Blackthorne et Toranaga perdent en profondeur.

Inventions et clichés

Certains détails surprendront les spécialistes de la période : faire de Macao une base secrète des Portugais, par exemple, alors que c’était l’un des principaux partenaires commerciaux du Japon. La série flirte parfois avec le grotesque, comme quand le fils de Toranaga (qui ne se fonde pas sur un des fils de Tokugawa Ieyasu) tire au canon par surprise sur ses adversaires dans un déluge de gore peu nécessaire.

La question de la violence est également un aspect intéressant, car la série tend à véhiculer des clichés désormais éculés sur le Japon des samurais, notamment sur la violence gratuite. Dès le premier épisode, un homme est ébouillanté vivant ; si cette pratique est suggérée par les sources, les compagnons de W. Adams ont été bien accueillis. On y voit également un samurai assassiner sans procès un homme aux yeux de tous, alors que ce « droit de tuer » que l’on observe était, en tous les cas dans le Japon de l’époque Edo, sévèrement encadré. Quelle utilité à cette mise en scène d’une violence gratuite, sinon à conforter l’image orientaliste d’une brutalité inhérente au Japon médiéval ?

D’autres détails surprennent, mais agréablement. Pour n’en citer qu’un, la référence à la future création du quartier des plaisirs d’Edo, qui est effectivement venue d’un professionnel du secteur en ayant fait la demande aux autorités shogunales.

Au final, ce qui est sans doute le plus plaisant dans cette série est la mise en scène du contact – et conflit – interculturel. Les scènes de communication et d’intercompréhension mettent en valeur les principaux enjeux de la rencontre entre l’Europe et le Japon, ce qui est le sujet de l’œuvre d’origine. La série, en voulant mettre en valeur les personnages japonais, détourne légèrement la focale de cet enjeu en le recentrant vers la lutte de pouvoir. Ce conflit politique est narré avec talent, mais c’est un récit finalement beaucoup plus classique que propose la série, dans la lignée des multiples « jeux du trône » des dernières années.

C’est d’ailleurs sans doute ce qui nous attend dans la prochaine saison, qui n’aura cependant pour seule source d’inspiration… que l’histoire elle-même ! Ce pourrait être l’occasion de renouer avec un récit plus proche des sources primaires et de l’historiographie – mais il y a fort à parier que les showrunners préfèreront mettre l’accent sur les batailles sanglantes annoncées à plusieurs reprises par le récit et que bon nombre de spectateurs semblent vouloir être adaptées à l’écran !

Pierre-Emmanuel Bachelet, Maître de Conférences en Histoire moderne et contemporaine de l'Asie orientale et de l'Asie du Sud-Est, ENS de Lyon

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de freepik

The Conversation

Marcher ou courir : pour une même distance, qu’est-ce qui consomme le plus d’énergie ?

Marcher ou courir, comment s'économiser pour parcourir une même distance ? François Dernoncourt, Fourni par l'auteur
Clément Lemineur, Université Côte d’Azur; Clément Naveilhan, Université Côte d’Azur et François Dernoncourt, Université Côte d’Azur

Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions.

N’hésitez pas à nous écrire pour poser la vôtre et nous trouverons la meilleure personne pour vous répondre.

Et bien sûr, les questions bêtes, ça n’existe pas !


C’est lundi matin, le réveil sonne et il est déjà 7h30, vous avez 30 minutes de retard. Normalement il vous faut 45 minutes de marche pour parcourir les 3 kilomètres vous séparant de votre lieu de travail, mais ce matin ce sera 20 minutes en courant. Oui, mais voilà, à la pause de midi vous vous sentez plus fatigué et vous avez l’impression d’avoir dépensé plus d’énergie que d’habitude sur le trajet. Pourtant vous avez parcouru la même distance que les autres jours, comment cela est-il possible ?

La dépense calorique associée à une activité est appelée « coût métabolique », et correspond à l’énergie consommée par nos organes pour parcourir une distance donnée. Il est possible de déterminer ce coût métabolique en analysant les échanges gazeux. En fonction de l’oxygène consommé et du dioxyde de carbone produit, on estime la quantité d’énergie dépensée par notre organisme, et ainsi le coût métabolique. C’est grâce à cette méthode que, dès les années 70, les chercheurs avaient déjà répondu à notre question.

Ainsi, et ça ne vous surprendra peut-être pas tant que ça, la course consomme plus d’énergie que la marche pour une même distance parcourue. Comment l’expliquer ?

De l’énergie perdue en courant

Imaginez que vous êtes en train de regarder quelqu’un courir. Maintenant, regardez attentivement le déplacement vertical (de haut en bas) de son bassin et de sa tête. Comme on peut le voir sur la figure, lors de la course, notre corps oscille davantage verticalement que lorsque l’on marche. Cela implique que les muscles des membres inférieurs doivent générer plus de force pour produire ce déplacement vertical, ce qui consomme plus d’énergie sans nous rapprocher de notre destination. Ainsi, lors de la course, une partie de l’énergie dépensée sert à se déplacer vers le haut plutôt que vers l’avant. L’énergie nécessaire pour parcourir ces 3 km est donc plus élevée pour la course à pied que pour la marche.

La course à pied implique une oscillation verticale du centre de masse beaucoup plus importante que celle de la marche. C’est la raison principale qui explique que la course à pied est plus énergivore que la marche pour une même distance parcourue. François Dernoncourt, Fourni par l'auteur

Cette différence entre marche et course ne se cantonne pas à ce qu’il se passe pendant la réalisation de l’activité elle-même. En effet, chaque exercice physique provoque une dépense énergétique différée dans le temps, qui s’ajoute à la dépense au cours de l’activité.

En prenant en compte ce paramètre, c’est encore une fois la course qui est plus énergivore que la marche. Juste après avoir couru vos 3 km, la consommation énergétique accrue (par rapport au repos) perdure pendant plusieurs minutes en raison notamment de l’élévation de la température corporelle et de la reconstitution des réserves d’énergie. Cette dépense supplémentaire après la course serait plus de deux fois supérieure à celle observée après la marche, en raison de la différence d’intensité entre les deux exercices.

Tout dépend de la vitesse

La course implique donc une dépense calorique supérieure à celle de la marche pour une même distance parcourue. Mais c’est à condition que la vitesse de marche considérée soit « normale », c’est-à-dire environ 5 km/h. Ainsi, si l’on marche très lentement, nous allons mettre tellement de temps à parcourir ces 3 km que la dépense calorique sera plus importante au final. Cela s’explique par le fait que le corps dépense de toute façon une certaine quantité d’énergie par unité de temps, indépendamment de l’activité réalisée (c’est ce qu’on appelle le « métabolisme de base »).

Même constat si la vitesse de marche est très rapide (plus de 8 km/h) : courir est plus efficace énergétiquement. Dans ce cas de figure, la coordination requise pour marcher à une telle vitesse implique une activation accrue de nos muscles sans pour autant pouvoir profiter de l’élasticité de nos tendons comme c’est le cas en course à pied.

D’ailleurs, nous avons une perception intuitive très précise de l’efficacité énergétique d’un style de locomotion en particulier. Si l’on se déplace sur un tapis roulant dont la vitesse augmente graduellement, la vitesse du tapis à laquelle on passe spontanément de la marche à la course coïncide avec la vitesse à partir de laquelle il devient plus énergivore de marcher que de courir !

Modélisation du coût métabolique (kilocalories dépensées par kilogramme par kilomètre parcouru) en fonction de la vitesse (kilomètres par heure) pour la marche et pour la course à pied. Les courbes se croisent à une certaine vitesse (ligne violette ; aux alentours de 8 km/h) : cela signifie qu’au-delà de cette vitesse, marcher devient plus énergivore que courir. C’est à peu près à cette vitesse seuil que les individus passent spontanément de la marche à la course. François Dernoncourt, Adapté de Summerside et al, Fourni par l'auteur

En conclusion, en raison d’une plus grande oscillation du centre de masse ainsi que d’une dépense énergétique accrue après l’exercice, se rendre au travail en courant est plus coûteux sur le plan énergétique que de parcourir la même distance en marchant. Mais n’oubliez pas, que vous choisissiez d’aller au travail en marchant ou courant, le plus important c’est que vous faites déjà des économies d’énergie !

Clément Lemineur, Doctorant en Sciences du Mouvement Humain, Université Côte d’Azur; Clément Naveilhan, Doctorant en Sciences du Mouvement Humain, Université Côte d’Azur et François Dernoncourt, Doctorant en Sciences du Mouvement Humain, Université Côte d’Azur

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

The Conversation

« Le Deuxième Acte » : les coulisses de l’organisation du travail selon Quentin Dupieux

Quand Dupieux explore les coulisses du monde du cinéma.
Gabriel Lomellini, ICN Business School

Ah, Quentin Dupieux ! Il semblerait, au vu de son rythme unique de réalisation dans le cinéma français, que la recette soit connue. Pourtant, celui qui continue de se voir comme un « amateur » (ou plutôt faudrait-il dire, un bricoleur) ne cesse pas de frayer des voies singulières. Voici donc son dernier film, Deuxième Acte. : une mise en abyme à partir d’un canevas qui serait celui d’un film des plus banals. 

Florence cherche à présenter à son père, Guillaume, l’homme dont elle est amoureuse : David. Mais ce dernier ne l’entend pas de cette oreille. Il cherche d’ailleurs à se défaire d’un amour un brin encombrant en la jetant dans les bras de son meilleur ami, Willy. Le film dérive ensuite (comme souvent avec Dupieux) vers une dimension méta-narrative et cauchemardesque. Les acteurs incarnant eux-mêmes des acteurs. Sans que l’on sache bien où s’arrête cette frontière sur les jeux et les identités. Les frontières sont redistribuées et poreuses.

Avec son dernier film, Dupieux joue plus précisément sur certaines limites qui sont propres à toute organisation du travail : celle entre l’avant-scène, partie la plus visible, et celle non moins essentielle des coulisses, plutôt tenue dans l’ombre.

« C’est dingue ce qui passe en coulisses ! »

Comme l’a avancé Goffman, sociologue ayant élaboré une subtile métaphore sur la vie sociale comme un jeu théâtral, une coulisse n’est pas seulement un hors-scène. C’est aussi un lieu privilégié qui permet aux acteurs sociaux (et un individu peut incarner diversement plusieurs « rôles » sociaux dans son quotidien : parent, travailleur, ami, amoureux…) de prendre de la distance sur leur rôle. Et même de faire preuve d’humour, de cynisme. Éventuellement de raillerie. Les coulisses sont rarement un lieu que l’on ose exhiber, et pour cause : personne ne veut se sentir désillusioné lorsque la « magie » n’opère plus.

Et les personnages de Dupieux dans ce film, une fois sortis de leur rôle, paraissent alors cyniques, puérils, détestables, enfermés dans des égos boursouflés. N’hésitent pas à railler, pleurer ou même en venir aux mains. Pourtant, comme l’expliquent les chercheurs Anne Marcellini et Mahmoud Miliani dans un article consacré à Goffman :

« À un autre niveau, cette même dimension communicative réfère au travail réflexif des acteurs en coulisse marqué par l’ironie sur leur personnage, la distance cynique à leur représentation, le dénigrement de leur public. »

Toute la difficulté pour une organisation vient alors du fait de maintenir une certaine étanchéité entre ces deux univers. Mais aussi s’assurer que ces espaces de coulisses permettent effectivement de prendre la distance et élaborer collectivement par la parole. Et pas seulement à exprimer frustrations et mesquineries. Car aborder la vie des coulisses, c’est avant tout s’intéresser à celles et ceux qui la peuplent mais sont d’ordinaire écartés de la lumière.

Figurants, maquilleurs, monteurs et ingés sons : mais où sont-ils passés ?

Une autre leçon du film tient dans la manière dont Dupieux évoque par allusion l’omniprésence de ces métiers qui, n’ayant certes pas la part la plus visible, sont néanmoins omniprésents.

Si les premiers rôles occupent tout l’espace de l’écran et de la scène, il semble que ce soit de fait au détriment de ces autres corps de métiers moins « en vue » et ne disposant pas de la même reconnaissance. L’analogie avec certains corps de métiers du « care » (activités de soin) souffrant du même type d’invisibilisation est pertinente en ce sens. Soignantes ou encore personnels d’entretiens (métiers souvent féminisés d’ailleurs), occupent une fonction paradoxale : à la fois omniprésents et invisibles. Du moins tant que leur travail est effectué ; car si celui-ci fait défaut, aussitôt cela est-il remarqué !

La question de la reconnaissance au travail est particulièrement prégnante pour ces types de profession. Et le film de Dupieux interroge directement les enjeux de souffrance générés par ce manque de reconnaissance. Or, dans le film, le réalisateur est en réalité une intelligence artificielle. En lieu et place d’une parole humaine, celle-ci n’adresse aux comédiens, à la fin du tournage, que des notes robotiques concernant le pourcentage de texte oublié ou le nombre d’erreurs commises qui seront déduites de leur paye. Parole dénuée d’affects et qui dénie brutalement ce que chacun engage d’intelligence et d’émotions dans son travail.

Risque qui n’est pas propre aux intelligences artificielles. Il est incontestable que pour préserver la santé d’une organisation, c’est au manager de prêter une attention authentique à ces coulisses où passent tant d’enjeux de reconnaissance. Avec des rôles qui prennent moins la lumière mais dont la part est tout aussi essentielle.

« Continuez à rêver » : l’organisation comme mythe et fiction

L’une des dernières scènes du film est un long plan-séquence suivant une discussion entre Louis Garrel et Léa Seydoux. Louis Garrel fait part d’une sorte de méta-théorie qui voudrait que la réalité dans laquelle nous vivons ne soit qu’un songe. Et le songe, donc, la véritable réalité. Métaphore classique, mais qui trouve une connotation différente si on le resitue dans le cadre du film, qui nous expose les coulisses et l’envers d’un monde fait de fiction et de séduction – celui du cinéma. Une vérité qui peut pourtant s’étendre à tout type d’organisation.

James March, l’un des auteurs les plus réputés en théorie des organisations, fut l’un des premiers à s’être appuyé explicitement sur de grands œuvres de fiction pour penser les organisations et ce qui s’y joue. Shakespeare, Tolstoï ou Cervantès constituaient autant de ressources pour penser le comportement des organisations et explorer les limites de la rationalité et rendre compte de comportements parfois difficiles à cerner.

Mais il y a plus. Une organisation ne cesse de raconter des histoires, à soi-même et aux autres. Sur son positionnement, ses origines, son avenir, ses valeurs, ses aspirations, ses réussites et ses échecs… Certaines organisations ou professions paraissent même bâties, plus ou moins consciemment, autour de puissantes fondations imaginaires, analogues à un véritable rêve éveillé. Entre fantasmes et véritables mythes fondateurs, pouvant s’incarner en des sentiments archaïques sur leurs fondateurs et dirigeants, vécus entre héroïsme et adulation.

L’entreprise WeWork est emblématique d’une telle inflation imaginaire, pouvant conduire à des désastres financiers bien réels. Et si une simple activité de location de bureaux peut être transformée en projet messianique visant à changer le monde, que penser des ambitions projetées par des compagnies comme SpaceX pouvant aller jusqu’à la conquête d’autres planètes ? Au-delà d’un discours marketing, ces mythes imprègnent la réalité quotidienne des organisations et conditionnent l’engagement des collaborateurs.

Or, tout l’art de Dupieux consiste à renverser notre regard et nous montrer que tout ceci n’est bien qu’un film, qu’une fiction. D’où une saine distance ironique instaurée pour le spectateur.

Le rire du manager

S’il n’est pas totalement libérateur, le rire chez Dupieux instaure du moins une dérision salvatrice face à toute forme d’autorité ou de certitude. À charge, dès lors, au manager, d’assumer ce rire nécessaire à l’exercice de son autorité. Autrement dit, le rire permet de ne pas croire trop fermement à la fiction de leur propre autorité et infaillibilité. Le paradoxe des fictions de Dupieux tient en effet à ce qu’en nous montrant l’envers du décor, elles nous engagent à questionner nos propres certitudes et croyances. Après tout, semble-t-il nous dire, n’y croyez pas trop : ce n’est jamais qu’un film…

Gabriel Lomellini, Assistant Professor, HR and Organizational Behavior, ICN Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.