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Feriez-vous confiance à une fourmi pour une amputation ? La science démontre leur compétence en chirurgie

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Feriez-vous confiance à une fourmi pour une amputation ? La science démontre leur compétence en chirurgie

Pour prévenir la diffusion des maladies, les fourmis pratiquent l'amputation. Waffa/Shutterstock
Christopher Terrell Nield, Nottingham Trent University

Un insecte qui arrache la patte d’un autre insecte. S’agit-il d’un comportement prédateur, d’une agression, d’une défense, d’une compétition ou d’autre chose ? Dans le cas des fourmis charpentières, c’est pour le bien de l’amputée et au bénéfice de la colonie.

Une étude réalisée en juillet 2024 par l’Université de Lausanne a révélé que les fourmis charpentières (Camponotus floridanus) pratiquent des amputations salvatrices sur leurs congénères de la colonie. C’est le premier exemple connu d’un animal non humain amputant des membres pour prévenir ou arrêter la propagation d’une infection.

L’étude a montré que les morsures n’étaient pas aléatoires et qu’elles avaient entraîné un taux de survie de plus de 90 %. Les trois fourmis de l’expérience qui n’ont pas été amputées sont mortes.

Qu’est-ce qui fait des fourmis des chirurgiennes si avancés dans le règne animal ?

Les insectes ne sont pas les seuls animaux à traiter les maladies. Les scientifiques ont observé l’automédication chez toute une série d’espèces, dont les ours, les éléphants, les papillons de nuit, les étourneaux et les dauphins. Les chimpanzés recherchent et mangent des plantes spécifiques pour traiter des maladies et on a récemment rapporté qu’ils utilisaient des insectes pour traiter non seulement leurs propres blessures mais aussi celles des autres.

Cependant, les fourmis charpentières pourraient avoir un besoin particulier de devenir des chirurgiens. Outre la digestion, les sécrétions salivaires de la plupart des fourmis ont des propriétés antimicrobiennes, ce qui leur permet de lutter contre les infections bactériennes lorsqu’elles lèchent des plaies. Ce phénomène est commun à de nombreux groupes d’animaux, y compris les primates. Une étude réalisée en 2023 sur la fourmi subsaharienne Megaponera analis a révélé que les fourmis léchaient les plaies, y compris celles d’autres fourmis, avec de la salive mélangée à des composés antimicrobiens provenant de leurs glandes métapleurales thoraciques. Il s’agit d’une structure unique aux fourmis dans leur thorax. La salive a réduit de 90 % l’infection des membres de la colonie blessés.

Schéma anatomique d’une fourmi ouvrière. LadyofHats ; Berrucomons/Wikimedia, CC BY

Malheureusement, presque toutes les fourmis du genre Camponotus, auquel appartiennent les fourmis charpentières, n’ont pas ces glandes. Il est donc possible que les fourmis charpentières aient développé leurs compétences chirurgicales pour contourner le problème.

Nous ne savons pas encore si ce comportement est propre à Camponotus floridanus ou s’il est plus répandu dans le genre.

De nombreuses espèces ont des aptitudes innées. Par exemple, les fourmis des bois montrent une attirance innée pour les objets grands et voyants, ce qui peut aider les jeunes fourmis à s’orienter avant qu’elles n’aient appris le chemin de la colonie. Les fourmis charpentières creusent naturellement des trous et ont une puissante morsure. Des stimuli tels qu’un tunnel partiellement achevé ou une perturbation dans le nid peuvent induire la morsure.

L’étude récente a également montré que les fourmis modifient le traitement en fonction de l’endroit de la blessure. Dans une expérience où le fémur était endommagé, les fourmis ont amputé la jambe entière près du corps. La partie supérieure de la jambe contient une masse musculaire qui fournit plus de tissu pour l’infection microbienne, de sorte qu’une amputation haute signifie que « la patiente » a plus de chances de survivre.

Les fourmis traitent par léchage les tibias endommagés (segment de la jambe inférieure), dont le taux de survie après amputation est faible. Cela permet d’éliminer les débris et de nettoyer la plaie afin de prévenir les infections. Dans le cas d’une plaie fémorale, l’emplacement de la lésion et éventuellement sa forme pourraient inciter les fourmis charpentières à mordre au bon endroit. La forme de la partie supérieure de la jambe peut les inciter à mordre à cet endroit.

Des compétences sociales

Les scientifiques savent depuis longtemps que les actions apparemment intelligentes des insectes sociaux et solitaires sont basées sur une combinaison de comportements innés et appris. Les animaux ont tendance à acquérir de nouvelles compétences par essais et erreurs, ou en copiant les autres, en particulier ceux de leur groupe. Les insectes sociaux sont bien connus pour leur collaboration dans la réalisation de tâches telles que la construction et la défense des colonies. Pour ce faire, ils reproduisent ce que font les autres autour d’eux.

Les fourmis blessées libèrent une phéromone d’alarme. Il s’agit de composés qui augmentent la vigilance et déclenchent un comportement défensif. Les phéromones d’alarme sont courantes chez les insectes sociaux, car elles encouragent également le rassemblement, ce qui explique pourquoi les guêpes se rassemblent autour de vous si vous en tapez une.

L’évolution des fourmis charpentières en tant qu’insectes sociaux les a probablement encouragées à acquérir des compétences pour protéger les fourmis de leur colonie.

Et pour les espèces comme les fourmis Camponotus qui vivent en colonies, la propagation des maladies, y compris des parasites, doit être évitée ou contrôlée. Des recherches ont montré que les animaux qui vivent en groupes resserrés, y compris les humains, sont plus sensibles aux épidémies que ceux qui mènent une existence plus solitaire. Il existe d’autres exemples de fourmis qui agissent collectivement pour des raisons médicales. Par exemple, la fourmi envahissante des jardins Lasius neglectus injecte des pupes infectées (le stade de l’insecte entre la larve et l’adulte) avec un poison antimicrobien pour empêcher les champignons de se propager au reste de la colonie.

Bien qu’une colonie de fourmis charpentières puisse compter jusqu’à 4 000 fourmis, la plupart sont des ouvrières non fertiles. Lorsqu’elles se nourrissent dans la nature ou se battent avec d’autres colonies, elles se blessent et une fourmi blessée peut rapidement succomber à une infection bactérienne ou fongique. Si elle n’est pas traitée, cette infection peut se propager dans la colonie. Les chercheurs suisses ont noté que plus de 10 % des fourmis Camponotus qui récoltent de la nourriture dans la nature portent des traces de blessures et qu’elles sont donc toujours importantes en tant qu’ouvrières.

Comme d’autres insectes sociaux, les fourmis sont bien connues pour leur haut niveau de coopération dans la poursuite d’objectifs tels que la construction de colonie et la recherche de nourriture. Cela a conduit les scientifiques à penser qu’elles sont dotées d’une intelligence collective, c’est-à-dire de la capacité d’un groupe à obtenir des résultats plus intelligents en collaborant. D’ailleurs, les chercheurs en robotique de l’université de Harvard affinent leurs algorithmes en étudiant la façon dont les fourmis travaillent ensemble lorsqu’elles construisent des tunnels pour échapper à un confinement.

Le haut niveau de collaboration des fourmis charpentières pour résoudre des problèmes de ce type pourrait les avoir aidées à mettre au point des solutions avancées à des problèmes tels que la propagation des maladies. Leur capacité à réaliser ce qui pourrait être une opération chirurgicale vitale porte la coopération (au moins entre la patiente et les chirurgiennes) à un autre niveau.

Christopher Terrell Nield, Principal Lecturer, Bioscience, Nottingham Trent University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Valise, guide, souvenirs… quand les objets révèlent notre rapport au voyage

Préparer sa valise, toute une histoire… Pixabay, CC BY
Juliette Morice, Le Mans Université

Les voyages se prêtent particulièrement bien à l’exercice de la liste, dans son aspect à la fois prosaïque et poétique : liste fermée des choses à ne pas oublier, liste ouverte de ce qu’il faudrait faire ou voir, liste infinie, enfin, des rêves de voyages possibles. La liste de ce que j’appelle les « objets du voyage » tisse un lien entre les trois temps du voyage : avant, pendant, après. Il y a les objets dont on se munit au préalable, ceux que l’on découvre durant son périple, enfin ceux que l’on rapporte chez soi. Or tous ces objets recèlent en eux ce qu’on peut appeler des « questions de voyage » : j’oserai même dire qu’ils racontent, par leur existence même, les problèmes philosophiques que pose la pratique des voyages, et mettent à nu les dynamiques paradoxales qui traversent le voyageur, « sujet de contradiction » s’il en est.

La valise

Faire sa valise peut être vécu comme un petit drame. Quel temps fera-t-il ? De quoi vais-je avoir réellement besoin ? On emporte trop ou trop peu. On veut ajouter des choses inutiles et on oublie parfois l’essentiel. Ce faisant, on se livre à un petit exercice de hiérarchisation des désirs, à la mode d’Epicure. Et l’on se pose sans le savoir une question philosophique : de quoi avons-nous réellement besoin ?

Qu’est-ce qu’un « nécessaire de voyage » ? Comprend-il le « nécessaire de beauté » au même titre que le « nécessaire de secours » ? Il est évident que tous ces nécessaires ne sont pas seulement nécessaires, ni même utiles : ils tranquillisent et prolongent le plaisir de voyager. Chaque chose parfaitement à sa place, l’art de faire sa valise devient quête d’une idéale complétude. Mais ce qui est vraiment nécessaire, n’est-ce pas au fond l’assurance acquise que l’on emportera toujours un peu de soi avec soi ?

Ce rituel trahit la présence en nous d’un paradoxe plus général, qui concerne l’effet attendu du voyage : on s’emporte toujours avec soi, où qu’on aille. La valise devient alors un objet métonymique, elle résume à elle seule un argument classique, que l’on attribue à Socrate. Dans les Lettres à Lucilius (28, 1-2), Sénèque rapporte la réponse qu’aurait adressée le philosophe athénien à celui qui lui demandait pourquoi ses voyages ne lui avaient été d’aucun profit : « parce que c’est toi que tu emportes partout ». N’est-il pas illusoire ou naïf de penser qu’un changement de lieu pourrait entraîner un changement moral ? La valise signale l’indifférence des lieux et l’impossibilité de partir réellement, c’est-à-dire de se fuir soi-même.

Le guide de voyage

L’objet guide établit quant à lui un lien entre la phase préparatoire et le voyage proprement dit. Son principe est simple : orienter dans l’espace, recenser les lieux dits incontournables, « à voir » ou « à faire », suivant une échelle d’évaluation. Nous invitant à voir tel monument, à admirer telle vue, à déguster tel plat, à s’attarder en tel endroit, le guide pose deux types de problèmes.

Le premier a trait à ce que j’appelle le paradoxe de l’aventure, à la question de savoir ce que peut vouloir dire organiser un voyage, pour qu’il ne soit pas le contraire absolu d’un voyage, c’est-à-dire une expérience entièrement balisée, sans surprise aucune, sans rencontre, sans événement. Il pose une question simple : que faut-il qu’il advienne en voyage ? On part pour que quelque chose arrive, mais on souhaite en même temps qu’« il n’arrive rien ». Mais comment orienter un voyageur sans le soumettre sans cesse à une série d’injonctions contradictoires ? Car on voit bien l’absurdité de la situation : comment se perdre délibérément dans les méandres d’une ville ? Comment vouloir être surpris ou saisi par la beauté tout indiquée d’une œuvre ou d’un paysage ? Loin d’être une expérience de l’autre et de l’ouverture du monde, le voyage risque de devenir, comme pour le personnage de Plume d’Henri Michaux, l’expérience absurde d’une indifférence mélancolique à l’égard du monde extérieur, voire d’une étrangeté à soi-même.

Second problème : le voyage conçu, promis, organisé, parfois rêvé par le guide est-il de même nature que le voyage réellement accompli ? Malgré son caractère banal et utilitaire, le guide participe de la fictionnalisation de tout voyage. Marcel Proust passait un temps infini à lire des guides et surtout des indicateurs de chemin de fer, pour le plaisir de rêver des lieux en rêvant des noms. Le guide, en l’invitant au voyage, lui permettait surtout de l’en dispenser. Ce renoncement n’est pas seulement imputable à la mauvaise santé ou à la paresse de l’écrivain. Il est lié à un problème plus profond : celui de la vanité et du risque de déception qu’encourt le voyageur réel. Victor Segalen, narrant son voyage en Chine, a lui aussi médité sur ce problème dans Équipée : on vient admirer une sublime statue de l’époque des Han, et l’on se retrouve « nez à nez avec un moignon informe de grès ». Ce que l’on venait voir est là, devant nos yeux, sans être vraiment là. Mais que venait-on voir exactement alors ?

L’appareil photo

Cette question de la vue est capitale. Le voyage obéit à une forme de pulsion scopique dont certains objets sont le symbole : depuis les carnets de voyage des « grand-touristes » du XVIIIe siècle, jusqu’à la diffusion du Super 8 et des appareils photo jetables dans les années 1970 et 1980, en passant par la traditionnelle « soirée diapo » répandue dès le milieu du XXe siècle, le voyage d’agrément semble avoir vocation à se fixer dans l’éternité d’une image. Dans Un art moyen, Pierre Bourdieu avait montré comment la photographie touristique avait pour fonction d’éterniser les grands moments de la vie familiale, soulignant le fait que le geste photographique permettait un arrachement momentané à cette familiarité inattentive que nous entretenons avec notre monde quotidien, authentifiant un moment exceptionnel dans la vie des individus. Si bien que prendre une photo n’est plus seulement une chose que l’on « fait » en voyage, mais est ce qui « fait » le voyage.

C’était compter sans l’apparition du smartphone. On peut désormais prendre instantanément quantité de photos, et se prendre en photo soi-même devant telle chose à voir. Mais que regarde-t-on ? En 2019, le photographe britannique Martin Parr, dans Death by selfie, s’inspirait d’un fait macabre : chaque année, quelques centaines de personnes dans le monde meurent en se prenant en photo, emportées par une vague, brûlées, prises dans un accident de la circulation, ou chutant brutalement dans le vide. Ce qui est ici problématique n’est pas seulement le fait d’orienter vaniteusement l’objectif vers soi. Ce que dit ce geste photographique, c’est aussi la volonté de garder avec soi, en soi, un morceau de son voyage, ce devenir-souvenir du voyage.

Les souvenirs

On pense que le désir d’ailleurs est orienté vers l’avenir. Il est plutôt un désir nostalgique, qui s’éprouve au futur antérieur. N’entend-on pas souvent dire que l’on voyage pour se constituer une réserve de souvenirs ? Il y a les souvenirs immatériels : images mentales, impressions plus ou moins ineffables, comme les odeurs de voyage qu’évoquent Kipling ou Pasolini, souvenirs d’autant plus persistants, paradoxalement, qu’ils sont impossibles à traduire en mots. Et puis il y a bien sûr, plus concrètement, ces objets matériels que l’on désigne, par substantivation du verbe, comme des souvenirs.

Plus facile de rapporter un bibelot bon marché qu’un récit de voyage. Qu’il s’agisse d’artefacts typiques, de spécialités culinaires (dont le transport peut poser quelques problèmes pratiques – pensons au désopilant Comment voyager avec un saumon d’Umberto Eco), de morceaux de nature (sable, coquillages ou pierres), ou même de ce qui pourrait être considéré comme des déchets (ticket de métro ou billet d’avion), ces objets sont les reliques profanes des voyageurs d’aujourd’hui, la preuve matérielle que le voyage a eu lieu. Manière, enfin, de relier l’ici et l’ailleurs. Fait plus curieux sans doute : le souvenir peut aussi être offert comme un morceau d’ailleurs à ceux qui n’ont pas voyagé, façon pour les sédentaires de toucher et de penser l’ailleurs depuis chez eux, comme le fit Montaigne, qui disposait chez lui d’une collection d’objets ethnographiques (hamac, bâtons de rythme, armes, bracelets) venus du Brésil nouvellement découvert.

Ces objets-souvenirs se prêtent en outre au geste collectionneur : depuis les cabinets de curiosités des débuts de l’époque moderne jusqu’aux non-musées de surréalistes comme André Breton, en passant par les trésors hétéroclites rassemblés par Pierre Loti, les exemples sont nombreux. L’émergence du tourisme de masse a-t-il modifié le rapport à l’objet-souvenir et à sa collection ? Certes, au lieu de rapporter des objets uniques et précieux, on rapporte désormais des objets produits en série et de peu de valeur. Le souvenir de voyage est même devenu l’objet kitsch par excellence.

Chateaubriand ou [Malraux](https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/affaires-sensibles-du-jeudi-02-novembre-2023-7694612() s’autorisaient à voler de précieux morceaux des ruines qu’ils visitaient. Aujourd’hui, ce sont des monuments entiers, mais en tout petit et en plastique, dont on s’empare. Pourtant, les collectionneurs de boules à neige ne sont pas radicalement différents des pèlerins du Moyen âge ou des curieux de la Renaissance. On sait qu’une Victoire de Samothrace de 10 cm de hauteur est « fausse », mais on ignore souvent qu’il n’a pas fallu attendre l’industrie du tourisme pour voir apparaître des faussaires de souvenirs. Qu’ont en commun un bibelot kitsch, un objet ethnographique ou une relique médiévale ? Sans doute le désir d’établir un lien affectif entre le voyageur et le monde, par cet effet de miniaturisation-fictionnalisation du réel que le souvenir permet.

De la miniaturisation des choses que l’on cherche à faire entrer dans sa valise, jusqu’à la miniaturisation du monde que l’on rapporte chez soi, ce n’est pas, comme on aurait tendance à le penser, dans un geste d’ouverture abstrait sur le monde que se pense le voyage, mais plutôt dans l’histoire de ses pratiques matérielles, où l’intime prévaut.

Juliette Morice, Maîtresse de conférences en littérature et philosophie des XVIIe et XVIIIe siècles, Le Mans Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Mode masculine : une courte histoire du short

Naomi Braithwaite, Nottingham Trent University

Les shorts courts et sexy pour hommes sont à la mode cet été – c’est le rédacteur en chef du magazine GQ qui le dit, pas moi. L’un des grands partisans de ce look qui affine les cuisses est Paul Mescal, star de Gladiator II, qui a provoqué une frénésie médiatique en apparaissant vêtu d’un minuscule short rayé en coton Gucci pour le défilé masculin de la marque lors de la Semaine de la mode de Milan, en juin dernier.

Ce récent intérêt pour les shorts contraste avec les conseils du créateur de mode Hardy Amies qui écrivait dans son ouvrage de 1964, L’ABC de la mode masculine, que les hommes ne devraient être vus en short que sur la plage ou lors d’une promenade à pied. En fait, jusque dans les années 1950, aux États-Unis, le port du short par les hommes a été entièrement interdit dans certains États, pour des raisons de décence.

Alors, comment le short est-il passé d’un vêtement réputé indécent et fonctionnel à un vêtement simplement court et sexy ?

Les récits historiques tendent à faire remonter l’origine du short aux vêtements des écoliers du XVIII? siècle. Ces shorts étaient généralement amples et froncés au genou, à l’instar des culottes, portées par les jeunes garçons et les membres de l’aristocratie pendant la période de la Régence. Selon l’historienne américaine Ann Lombard, les culottes permettaient aux garçons de courir et de grimper en toute liberté.

La culotte a évolué vers un style très similaire appelé knickerbockers, défini comme un pantalon large et court serré au-dessous du genou. Les knickerbockers sont devenus populaires au XIXe siècle et ont finalement été adoptés par les femmes.

Cependant, en Grande-Bretagne, les écoliers recherchaient une plus grande liberté vestimentaire et ont commencé à préférer les shorts plus courts que les knickerbockers. Apparemment, parce qu’ils étaient beaucoup plus faciles pour aller aux toilettes.

Alors que les shorts devenaient plus courts, ils étaient toujours relégués à l’enfance et, pour les hommes, aux événements sportifs ou décontractés, jusqu’aux première et deuxième guerres mondiales.

En 1914, l’armée britannique était stationnée aux Bermudes et s’est retrouvée dans des conditions beaucoup plus tropicales qu’à l’accoutumée. Heureusement pour eux, Nathaniel Coxon, le propriétaire d’un salon de thé local, avait inventé un short d’apparence plus formelle qui s’arrêtait juste au-dessus du genou pour garder son personnel au frais. C’est ainsi qu’est né le bermuda.

Le défunt premier ministre britannique Winston Churchill aurait déclaré, à la suite d’une visite sur l’île en 1916, que le bermuda était un mauvais choix en matière de mode, sauf s’il venait des Bermudes.

Le bermuda est devenu à la mode aux États-Unis dans les années 1920 et 1930, car il était associé aux voyages et aux loisirs et devenait un signe de richesse. Le bermuda a été mentionné pour la première fois dans American Vogue en 1948 et, dans les années 1950, il est devenu un article de base dans la banlieue américaine.

Le bermuda, même s’il révèle une approche plus conservatrice que le short, reste un essentiel de la mode masculine contemporaine. Cette année, il s’agit d’une tendance dominante dans la mode féminine, Vogue déclarant l’été 2024 comme l’été du « bermuda nu-métal » – un bermuda ample taillé sur mesure qui tombe juste en dessous du genou et qui rappelle la mode grunge des années 90.

Toutefois, c’est au cours des années 1970 et 1980 que les hommes ont commencé à porter des shorts très courts et très serrés, sous l’influence d’une mode des vêtements « sport » dans la mode masculine et de l’engouement pour le fitness des années 1980. Cette tendance est parfaitement résumée par le look de John Travolta dans le film Perfect (1985).

A cette époque, le short était partout. En répertoriant les porteurs de shorts les plus célèbres de tous les temps, magazine GQ, distingue Elton John, photographié alors qu’il quittait l’emblématique Studio 54 de New York dans les années 1970. Mais aussi l’acteur hollywoodien Tom Selleck qui, dans son rôle de Magnum dans les années 1980, était un grand partisan des shorts moulants, bien cela lui ait valu des critiques.

Du podium à la rue, de la plage à la salle de sport, l’ourlet de plus en plus haut des shorts pour hommes fait incontestablement son retour dans la mode masculine contemporaine. Les guides de style regorgent d’articles sur la meilleure façon de porter un short, évoquant le look Mescal avec une chemise boutonnée et des mocassins.

Le raccourcissement des shorts a-t-il créé une objectivation de la cuisse masculine ? Quelle est la « bonne » longueur pour un short ? Selon la marque mondiale de mode et de médias High Snobeity, c’est une question éternelle. Apparemment, les hommes choisissent la longueur de leurs shorts selon deux facteurs en particulier : leur taille et leur confiance en eux.

Pourtant, le fait de se sentir sexy dans ce que l’on porte concerne la mode masculine autant que de la mode féminine.

La redéfinition de la masculinité dans la mode a commencé dans les années 90 avec la gamme de sous-vêtements pour hommes et les campagnes publicitaires de Calvin Klein, qui ont connu un énorme succès. L’universitaire Shaun Cole a noté que ce passage d’une mode masculine fonctionnelle à une mode plus branchée et plus sexy, incarnée par Calvin Klein, correspond à un changement culturel dans la représentation des corps masculins.

Alors pourquoi ne pas être un peu plus audacieux et combattre la chaleur grâce au port d’un short vraiment court ? Lancez-vous : cette saison, c’est à la mode !

Naomi Braithwaite, Associate Professor in Fashion Marketing and Branding, Nottingham Trent University

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Crèmes solaires : entre protection et danger

Régis Barille, Université d'Angers

L’été est là avec ses beaux jours et ses journées ensoleillées. La température invite à se découvrir et à rester au soleil pour changer la pâleur de la peau. Erreur. Notre peau n’est pas faite pour rester au soleil trop longtemps. Les rayons du soleil présentent un large spectre de longueurs d’onde. Ce spectre contient la lumière ultra-violette (UV), la lumière visible (VIS) qui nous permet de voir et la lumière infrarouge (IR) qui provient des effets thermiques. Plus la longueur d’onde est courte plus elle contient d’énergie et peut donc rentrer plus loin dans la peau.

Domaines du spectre électromagnétique. Bouftoubleu/Wikimedia, CC BY

Intéressons-nous au spectre UV. Il contient les rayons UV-C qui constituent la zone d’énergie la plus élevée du spectre des rayons UV et s’étendent de 100 à 280 nm. Ces rayons sont considérés comme dangereux et sont connus pour causer le plus de dommages à l’ADN humain, mais ils sont actuellement absorbés par la couche d’ozone et ne posent donc pas de problème de santé majeur.

Les rayons UV-B qui s’étendent de 280 à 315 nm sont principalement associés aux brûlures. Bien que l’exposition à court terme à ces rayons provoque des coups de soleil, des périodes d’exposition plus longues sont capables d’augmenter la mélanogénèse et de provoquer une pigmentation, voire un cancer de la peau.

La couleur de notre peau résulte de sa production naturelle de pigments ou mélanine (mélanogenèse). Le bronzage est l’activation de la mélanogenèse par les UV. Environ 1 à 10 % des rayons UV à la surface de la Terre sont des UVB. Comme ces longueurs d’onde sont courtes, elles ne sont capables que d’atteindre l’épiderme et d’endommager l’ADN cellulaire, les protéines et les enzymes qui y sont exposés.

Les rayons UVA ont les longueurs d’onde les plus longues (315-400 nm) et sont capables de pénétrer plus profondément dans le derme. Ces rayons sont généralement connus pour provoquer le photovieillissement de la peau et ont également été associés au cancer. Les UV-A constituent 90 % du rayonnement UV à la surface de la Terre. Les couches externes de la peau reçoivent 18 fois plus d’énergie des UV-A que des UV-B.

Des types de peau différents

Le coup de soleil porte le nom d’érythème. La dose minimale d’érythème (Minimal Erythema Dose en Joules/cm2) est définie comme la dose d’irradiation UVB avec laquelle un érythème cutané minimal est perceptible. La détermination de la MED est une condition sine qua non pour la détermination du facteur de protection solaire ou les tests d’efficacité des produits de protection solaire commerciaux.

La dose minimale d’érythème (MED) est 1000 fois plus élevée pour les UVA que pour les UVB. Il convient de noter que la MED présente des différences inter- et intra-individuelles substantielles. Au moins en ce qui concerne les différences interindividuelles, une part importante de la variation chez les Caucasiens peut être attribuée aux différences dans les types de peau Fitzpatrick (c’est-à-dire que plus le type de peau est élevé, plus la MED est élevée).

L’érythème apparaît chez les individus présentant les types de peau claire de Fitzpatrick II, III et IV principalement. Cette échelle est un système de classification fondé sur la quantité de mélanine présente, la façon dont la peau réagit à l’exposition au soleil et sa tendance à prendre des coups de soleil ou à bronzer. La mélanine détermine la couleur naturelle de la peau ainsi que la façon dont la peau réagit aux rayons ultraviolets (UV) du soleil. L’échelle actuelle classe les peaux de type I à VI. Le type I correspond à une peau qui brûle toujours, tandis que le type VI correspond à une peau qui ne brûle jamais. Plus le type de peau est élevé, plus la MED est grande. La relation entre MED et couleur de peau et âge n’est toujours pas claire. Cependant, Il est considéré qu’il n’y a pas de différence de sexe dans les valeurs de MED.

Les MED ont eu tendance à augmenter avec le type de peau. Cependant, l’échelle de Fitzpatrick des types de peau n’est pas suffisante pour bien distinguer les valeurs. En fait, les valeurs MED pour les UV-A + UV-B, les UV-A et les UV-B séparés se chevauchent pour différents types de peau, de sorte que deux personnes peuvent avoir la même valeur MED, mais appartenir à des types de peau différents.

Comment caluculer le facteur de protection solaire ?

Le facteur de protection solaire (SPF – Solar Protecting Factor) est le rapport entre la dose minimale qui produit un érythème perceptible sur la peau (c’est-à-dire la dose minimale d’érythème (MED)) en présence ou en l’absence de 2 mg/cm2 de crème solaire, en utilisant le rayonnement solaire simulé comme source de lumière.

En d’autres termes, le SPF est la quantité d’énergie solaire (ou de rayonnement UV) nécessaire pour produire un érythème sur une peau protégée par un écran solaire par rapport à la quantité d’énergie solaire (ou de rayonnement UV) nécessaire pour produire un érythème sur une peau non protégée. Ainsi, les chiffres SPF tels que 15, 30 et 60 indiquent 15, 30 ou 60 fois plus d’énergie solaire (en minutes) nécessaire pour produire un érythème sur la peau protégée (par un écran solaire) par rapport à la peau non protégée. Il est important de comprendre que la protection SPF n’est pas linéaire : le SPF 15 bloque 93 % des rayons UVB, le SPF 50 98 % et le SPF 50+ 98 %..

Selon les recommandations européennes concernant les écrans solaires, le SPF minimum indiqué sur l’étiquette doit être de 6 et le maximum de 50+. Le nombre de niveaux de SPF est limité à huit (SPF 6, 10, 15, 20, 25, 30, 50, 50+) pour faciliter la comparaison entre les différents produits sans réduire le choix du consommateur. Leur efficacité doit être indiquée sur l’étiquette en se référant aux catégories suivantes : « faible » (SPF 6 et 10), « moyenne » (SPF 15, 20, et 25), « élevée » (SPF 30 et 50) et « très élevée » (SPF 50+).

Quels filtres solaires dans nos crèmes ?

Pour obtenir une protection à large spectre (c’est-à-dire une protection à la fois contre les rayons UV-A et UV-B), les fabricants utilisent généralement plusieurs filtres UV organiques (UV-A et UV-B), dans les limites des concentrations et des combinaisons autorisées. Les crèmes solaires en contiennent approximativement 15 % de leur masse, le reste étant des émollients, des émulsifiants, ou des plastifiants. 28 filtres sont approuvés par la communauté européenne et 24 sont identifiés sur le marché des crèmes solaires.

Les filtres UV organiques sont également appelés filtres UV « chimiques ». Les exemples de filtres UVB chimiques comprennent les salicylates, les dérivés du camphre, les cinnamates et les dérivés du PABA (p-aminobenzoic acid) tandis que les filtres chimiques UV-A comprennent les anthranilates, les benzophénones et les dibenzoylméthanes. On trouve aussi des Triazines, Salicylates. Ces filtres agissent en absorbant les rayons UV ce qui les excite leurs électrons. Lorsque les électrons retournent à l’état fondamental, une énergie moindre est libérée sous forme de chaleur qui est dispersée dans la peau. Les filtres UV se caractérisent principalement par la valeur de leur pic d’absorption, qui désigne la longueur d’onde de la lumière à laquelle la substance absorbe le plus, et la valeur du coefficient d’absorption molaire au niveau du pic. Ces paramètres sont directement influencés par la structure chimique et déterminent l’étendue de la protection contre les UV. Les filtres UV peuvent donc être classés UV-A, UV-B ou filtres UV à large spectre (UV-A et UV-B).

La première crème solaire disponible dans le commerce n’a été commercialisée qu’en 1935, une création d’Eugène Shueller, fondateur de L’Oréal. Cette crème solaire s’appelait « Ambre Solaire » et contenait du salicylate de benzyle.

Les effets nocifs des écrans solaires

Malgré les effets bénéfiques des écrans solaires contre les effets nocifs des rayons UV, des inquiétudes croissantes se font jour quant à la sécurité et à la toxicité potentielle des produits solaires. Certains des filtres UV couramment utilisés ont des effets néfastes sur les humains et diverses créatures marines.

Les filtres organiques UV ont été détectés dans les écosystèmes d’eau douce et côtiers, dans la faune aquatique, y compris chez les dauphins, les poissons, les mollusques, et les coraux. Ils pénètrent dans l’environnement directement par le lavage de la peau lors d’activités récréatives, ou indirectement par lessivage à partir de décharges ou d’effluents des stations d’épuration, qui ne sont souvent pas en mesure d’éliminer efficacement ces polluants. En fonction des saisons, de l’emplacement, du niveau d’accès du public et des conditions d’échantillonnage, leur détection dans l’eau peut s’avérer difficile, et des conditions d’échantillonnage, leur détection dans l’eau a varié de ng/L au mg/L.

Chez les poissons ces filtres UV réduisent la fertilité, altèrent les fonctions des organes (cerveau, foi, cœur…) Chez l’humain cela peut perturber les activités œstrogènes, de l’utérus et introduire une toxicité potentielle pour le développement et la reproduction avec des perturbateurs endocriniens.

Une enquête a suggéré que les filtres UV de type Benzophenones qui peuvent compter jusqu’à 10 % des ingrédients et d’autres types de filtres UV largement utilisés ces dernières années sont omniprésents dans les échantillons d’urine des enfants, l’eau du robinet et l’eau distillée des bouteilles à Hongkong.

Maintenant que faut-il faire ? Il existe comme solution soit d’utiliser des crèmes solaires entièrement naturelles avec une efficacité moindre, s’exposer moins au soleil ou encore de se protéger avec des vêtements qui ont la même efficacité qu’une crème SFP50+. Un bon vêtement en coton a une absorption dans l’UV comparable à une crème solaire.

Régis Barille, Professeur en physique à l'université d'Angers, Université d'Angers

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L’hyperculturalisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 : un modèle français

La Marseillailse d’Axelle Saint-Cirel sur le toit du Grand Palais pour Paris 2024. France Télévisions / Capture d'écran
Anne Gombault, Kedge Business School

Depuis leur création, les Jeux olympiques se sont dotés d’un mandat culturel fort. « Le sport, la culture et l’éducation » sont définis comme les piliers essentiels de l’Olympisme dans la Charte olympique ; ils sont son esprit même, selon Pierre de Coubertin.

Les travaux de recherche sur le sujet font apparaître quatre phases : de 1912 à 1948, la production et exposition de beaux-arts classiques reliant art et sport, l’introduction du folklore national à partir de 1952, puis des arts contemporains (arts de la scène, design graphique, avant-garde) en 1968 jusqu’au tournant des années 2012 avec un élargissement à la fusion culturelle et à l’innovation sociale (santé, environnement, technologie).

Paris 2024 ouvre peut-être une nouvelle phase réunissant patrimoine et création, reliant l’art et le sport en incluant toutes les formes de culture.

D’autres travaux soulignent les différents positionnements des programmations culturelles des précédents JO, débattant des sensibilités des organisateurs et du Comité International Olympique.

Une observation de l’édition en cours de Paris 2024 permet d’analyser, dans cette nouvelle phase de « patrimoine innovant », une hyperculturalisation, affirmant le positionnement unique d’une culture française sans limites faite d’hybridation, de fusion de contenus culturels hétérogènes, familiers et étrangers, et de co-appropriation.

Une plate-forme majeure de diplomatie culturelle pour la France

Le programme culturel des JO (relais de la flamme, cérémonies, olympiades) est codifié et régulé par le CIO et l’historique des jeux selon un ensemble de protocoles, rituels et symboles. Il laisse cependant une place importante à l’interprétation des pays hôtes qui peuvent assurer une direction artistique et culturelle du méga-événement, affirmant fièrement la marque (« nation branding ») et les valeurs de leur nation dans cette opportunité majeure de dialogue avec le reste du monde. La culture est ainsi mobilisée comme un outil politique global au service de l’image voulue de la nation. Elle permet de raconter une histoire de la nation (« narratives of the nation »), de l’unir en interne, de la divertir et de la promouvoir à l’externe, économiquement aussi (attractivité de la destination).

Quelques exemples : Berlin en 1936 a dramatiquement utilisé l’art et la culture pour la propagande nazie. Mexico 1968, après Los Angeles 1932, s’est affirmée comme une des éditions les plus artistiques grâce à la richesse de sa programmation (arts de la scène, cultures folkloriques, actions pour les enfants). Barcelone 1992 a mis à l’honneur la ville vitrine d’une Espagne démocratique et contemporaine. Sydney 2000, résiliente et multiculturelle, a valorisé le processus de réconciliation avec sa communauté aborigène. Vancouver 2010 a joué la carte des nouvelles technologies et de la participation culturelle des citoyens. Pékin 2008 a fait la démonstration culturelle de la puissance de la Chine. Londres 2012 a misé sur l’attractivité de l’ensemble du territoire de la Grande-Bretagne et sur le changement social en pleine crise financière mondiale.

La France a choisi d’examplifier la place de la culture en France : la force de son État culturel, sa politique culturelle ultra prolifique, son patrimoine matériel et immatériel exceptionnel, ses structures de création multidisciplinaires, l’excellence de ses arts de la scène, ses arts visuels et graphiques, y compris ses formes de culture urbaine, son artisanat d’art et son design, ses industries créatives dont son industrie du luxe leader dans le monde (partenariat premium de LVMH), son industrie du tourisme, mais aussi son industrie des jeux vidéos et du divertissement, avec l’apparition du personnage masqué d’Assassin’s Creed d’Ubisoft ou des Minions lors de la cérémonie d’ouverture.

La valorisation du patrimoine français au cœur d’une offre culturelle foisonnante

La France a mis en place une stratégie patrimoniale, dans une double logique durable et expérientielle pour accueillir ces jeux d’été, sur l’ensemble du territoire du pays.

Le relais de la flamme a été porté successivement par dix mille personnalités du sport, de la culture ou de la société dans plus de quatre cents villes de différentes régions de France, y compris cinq territoires ultra-marins. Il a permis de valoriser l’histoire de France et son patrimoine (par exemple les grottes de Lascaux, le site d’Alésia, le Mémorial de Verdun…), son patrimoine naturel et immatériel.

Des sites patrimoniaux prestigieux ont servi de cadre original aux épreuves olympiques (le Château de Versailles pour les sports équestres et le pentathlon, le beach volley et le skateboard au pied de la Tour Eiffel).

La Seine, patrimoine naturel et culturel, et son paysage urbanistique, a été choisie comme point central de la cérémonie d’ouverture, au lieu du grand stade usuel, et la place de la Concorde accueillera celle des Jeux paralympiques. Le patrimoine immatériel de l’histoire et de la francophonie a été convoqué pendant la cérémonie d’ouverture (Christine de Pizan, Paulette Nardal, Edith Piaf…).

Dans cette théâtralisation patrimoniale des Jeux, cet « hyperespace », deux mille projets de la programmation « Olympiade cuturelle », partout en France, ont mis en avant une offre exceptionnelle. Obligatoire depuis Sotckolm 1912, nommé comme tel depuis Barcelone 1992, ce label estampille expositions, événements ou offres de médiation, accessibles gratuitement, mis en œuvre par le comité d’organisation des Jeux qui assure visibilité et mise en réseau. Il signe la personnalité des villes hôtes (“city branding”.

Plus fortement que lors des éditions précédentes, une part significative de ces « olympiades culturelles » a été faite à l’héritage olympique et au sport : expositions sur l’olympisme (au Musée de l’Histoire de l’immigration, « Olympisme, une histoire du monde ») ; expositions arts et sport (« Des exploits, des chefs d’œuvre » à Marseille) et divers projets de valorisation par des institutions patrimoniales ; grande collecte des archives du sport, inventaires du patrimoine mobilier sportif (Musée National du Sport), des architectures du sport (service d’Ile de France). Parmi les œuvres d’art contemporain, citons l’installation de Laurent Perbos « La Beauté et le Geste », inaugurée dès avril par l’Assemblée Nationale avec un discours féministe et inclusif appuyé de sa Présidente Yaël Braun-Pivet.

Un positionnement créatif et inclusif affirmé

Si le patrimoine est bien au cœur de cette édition de Paris 2024, c’est sa dimension vivante et créative qui a été mise en avant, avec cette idée de le faire dialoguer avec la création. Le choix d’un metteur en scène de théâtre, Thomas Jolly, pour les spectacles des cérémonies figure ce positionnement créatif. Archétypes de ce lien patrimoine-création : l’affiche « néo-art déco » d’Ugo Gattoni, reliant Paris 2024 à Paris 1924 ou la composition du tableau d’Aya Nakamura devant l’Académie Française, dansant avec la Garde Républicaine, devenue virale.

La pop culture était présente dans à la cérémonie d’ouverture, dans la diversité de la musique (classique, variété, rap, métal, électro) et la présence des célébrités : Lady Gaga, Céline Dion, Philippe Katerine devenu une star en Chine, en attendant Tom Cruise pour la clôture.

L’innovation technologique était également à l’honneur avec la torche designée par Matthieu Lehanneur, la cavalcade de Zeus sur la Seine et la vasque réalisées par le studio d’architecture et de design nantais Blam, la flamme électrique de la vasque (EDF Pulse Design), le ballon (Aerophilesas et artéOh), les lasers de la Tour Eiffel (LSE)… La France s’affirme ainsi comme une grande nation créative contemporaine plutôt que comme une vieille grande nation culturelle.

La polémique suscitée par la cérémonie d’ouverture a marqué une ligne de fracture caricaturale, finalement bien française là aussi, entre un monde patrimonial conservateur et un monde de la création disruptif, qui s’ignorent le plus souvent et parfois – heureusement – collaborent pour le meilleur. Mais au-delà des réactions identitaires, il faut relever que l’inclusivité affirmée de Paris 2024 (valorisant la diversité ethnique, sexuelle, de genre, de handicap, etc.) s’inscrit pleinement dans le cahier des charges du CIO.

Plusieurs initiatives publiques (Arrivée symbolique de la flamme à Marseille, sports urbains, cultures urbaines, « Parc des Jeux » à la Courneuve, Fan zones…) ont voulu faire des Jeux « un accélérateur », selon l’expression du Maire de Saint-Ouen-sur-Seine Karim Bouamrane, un levier de développement pour les banlieues, dont sa ville et son département la Seine-Saint-Denis.

Patrimonalisation, créativité, inclusivité : la gouvernance culturelle de la France s’est affirmée pleinement dans ces Jeux : la culture reste toujours politique.

Anne Gombault, Professeure de stratégie et comportement des organisations, directrice de Kedge Arts School, Kedge Business School

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Nadia Comaneci - First Perfect 10 | Montreal 1976 Olympics. Capture Video Youtube

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Nadia Comaneci, « la petite fée de la gymnastique » et l’envers du décor

La gymnaste aux JO de Montréal, en 1976. Capture d'écran, dailymotion.
Michel Raspaud, Université Grenoble Alpes (UGA)

Vendredi 26 juillet au soir, lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024, le Comité d’organisation convoquait quatre super légendes du sport et de l’olympisme pour porter la flamme sur la Seine, entre le Trocadéro et le jardin des Tuileries. Carl Lewis (9 médailles d’or), Serena Williams (4), Rafael Nadal (2) et Nadia Com?neci (5) l’ont transmise à Teddy Riner et Marie-Josée Pérec (eux-mêmes triple médaillés) qui, conjointement, ont allumé la vasque.

Voilà qui vient rappeler le statut exceptionnel toujours accordé à la gymnaste par le monde sportif, près d’un demi-siècle après ses performances de Montréal. Mais quelle fut la vie de cette fillette qui n'avait alors que quatorze ans ?

Dans la nuit du 27 au 28 novembre 1989, par température négative, dans l’obscurité et le silence absolus, durant plus de six heures de marche sur terrain verglacé, de lacs à moitié gelés et de forêt dense, un groupe de sept personnes traverse clandestinement la frontière entre la Roumanie et la Hongrie, prenant le risque considérable pour l’une d’entre elles de se faire arrêter ou de prendre une balle dans le dos. Elle se nomme Nadia Com?neci, et c’est une icône planétaire de la gymnastique artistique féminine, plus connue à travers le monde que le Conducator de la Roumanie socialiste, Nicolae Ceau?escu !

Depuis 1976 et l’éclosion aux yeux du grand public (mais pas des spécialistes) de Nadia Com?neci lors des Jeux olympiques de Montréal, première gymnaste à obtenir la note parfaite de 10.00 lors de ses exercices aux agrès ou au sol (sept fois lors de ces Jeux), au point que le tableau électronique n’étant pas prévu pour une telle note dut afficher 1.00, qu’a-t-il bien pu se passer pour que la personnalité la plus emblématique et positive à l’étranger du régime de la dictature roumaine, quitte ainsi le pays ?

Les débuts d’une gymnaste hors-pair

Nadia Elena Com?neci est née le 12 novembre 1961 à One?ti (judet de Bac?u), en Moldavie roumaine, au pied des Carpates, de Gheorghe et ?tefania Com?neci. Son père est mécanicien automobile et doit marcher près de vingt kilomètres chaque matin pour se rendre à son travail (et idem le soir pour rentrer), et sa mère est femme au foyer. Elle aura un frère, Adrian, de cinq ans plus jeune.

Dès ses premières années, Nadia développe une motricité multiforme sans doute décisive dans son évolution sportive ultérieure : elle grimpe aux arbres aussi haut que possible, se laisse tomber, se balance de branche en branche ; elle adore jouer au football avec les garçons, va à la pêche avec sa grand-mère, fait la roue, du patin à roulettes, du vélo, saute sur son lit, passe ses jours et ses nuits à courir dans le village, et donne des coups de poing aux garçons qui refusent de la laisser jouer dans l’équipe…

Pour canaliser ce trop-plein d’énergie de ce « garçon manqué », sa mère l’emmène, alors qu’elle est encore à la maternelle, au club de gymnastique local Flac?r? (la Flamme) : « Quand je suis entrée dans la salle, je savais que je me fondrais dans cet univers, ou du moins, que je le voulais. J’étais submergée par sa taille, par ma propre timidité et par les possibilités infinies de jouer que chaque tapis, saut, barre parallèle et poutre offrait ».

Nadia commence alors la gymnastique sous les auspices de Marcel Duncan, puis plus tard de Maria Simionescu, spécialiste de gymnastique artistique féminine, avec qui elle apprend les bases. Le maire de la ville fait beaucoup pour développer le club avec l’aide des professeurs, puis du Conseil national pour l’éducation physique et sportive (CNEFS), ainsi que du ministère de l’Enseignement et de la Fédération roumaine de gymnastique (FRG), obtenant la construction d’une salle spécialisée (inaugurée en 1968) et l’ouverture du Lycée d’éducation physique en septembre 1969 (Olaru, p. 36-39). C’est cette structure qu’intègre Nadia.

Pour leur part, les époux Béla et Márta Károlyi, tous deux nés en 1942, après avoir fait leurs études d’éducation physique à Cluj, rejoignent One?ti en 1968, mais dans deux établissements différents. Si Márta se voit attribuer un poste d’entraîneuse en gymnastique artistique auprès de l’expérimenté Valeriu Munteanu, Béla se retrouve en charge de l’équipe féminine de handball avec laquelle il parvient en finale d’une importante compétition nationale. Ce n’est qu’en 1971, à la suite des départs de Marcel Duncan puis Valeriu Munteanu que Béla Károlyi abandonne le handball et devient le nouvel entraîneur de gymnastique du groupe auquel appartient Nadia. Ce n’est donc pas lui qui découvre Nadia, comme il le prétend dans son autobiographie (Karolyi & Richardson, 1994, p. 43), cette affabulation étant l’un de ses traits de caractère pour s’attribuer le beau rôle.

Insultes, punitions et coups

Toujours est-il que ce sont bien les époux Károlyi qui, dans un contexte local et national favorable, vont bâtir une équipe de fillettes qui va révolutionner la gymnastique féminine. Béla Károlyi, plus encore que Márta, est d’une exigence folle avec les jeunes gymnastes, surveillant tous leurs faits et gestes et plus encore leur alimentation, les faisant répéter jusqu’à l’épuisement les routines au sol et sur les différents agrès. Il est aussi d’une extrême sévérité, délivrant insultes, punitions, voire coups. Après Montréal, Nadia ne s’en accommodera plus, même si elle reviendra vers lui par la suite.

Bien que les gymnastes roumaines se soient illustrées aux championnats d’Europe de 1975 en Norvège (Nadia gagnant 4 médailles d’or et une d’argent), les JO ont une autre envergure et un autre retentissement. Or, la gymnastique n’est pas qu’un sport de démonstration, mais aussi de notation par des juges qui ont tendance à minorer les notes des gymnastes moins connues par rapport aux plus réputées. Et la pression du public et des médias peut avoir de l’influence. Aussi, lors de la journée d’entraînement podium (qui précède le début des compétitions), Béla use du stratagème de ne pas faire rentrer tout de suite l’équipe à l’appel du speaker, attendant que tous les yeux des spectateurs et médias soient braqués sur la porte. Nadia souligne qu’« il a aussi créé un environnement dans lequel je pouvais briller […]. Certains entraîneurs sont simplement entraîneurs. D’autres comme Béla sont entraîneurs, publicitaires, agents, et défenseurs, le tout en un seul homme […]. En 1976, personne ne connaissait l’équipe roumaine, et Béla savait que cela devait changer si nous voulions avoir une chance de gagner ».

Une gymnaste instrumentalisée par le pouvoir

La gymnastique est très vite devenue un sport prioritaire pour le pouvoir. Ainsi, les professionnels du sport semblaient se promener « avec un détecteur d’enfants doués dans les écoles, les [recrutant] assez tôt pour pouvoir en faire des champions », ce qui séduisait les milieux modestes, leur ouvrant des perspectives d’ascension sociale.

Il y avait aussi un intérêt stratégique pour l’État et le Parti, d’après Mihaela G., sociologue dont les propos sont rapportés par Lola Lafon : « les gymnastes mangeaient peu, elles étaient très rentables ; trop jeunes pour émettre une opinion sur ce qui se déroulait dans le pays, elles ne demanderaient pas l’asile politique à l’occasion d’une quelconque compétition à l’Ouest ».

Dans les années qui suivirent, le corps de Nadia change, et elle doit s’adapter à sa nouvelle morphologie de femme. Quittant l’adolescence, elle a aussi d’autres aspirations en termes de vie sociale et doit préparer son avenir. Elle n’en continue pas moins de gagner des titres (championnats d’Europe, du monde, et JO de Moscou en 1980), malgré des difficultés personnelles et les fluctuations de sa relation avec Béla. En 1981, lors d’une tournée de gala en Amérique du Nord dont elle fait partie, Béla, Márta et le chorégraphe Geza Pozsar font défection. « Si Bela n’avait pas fui, on m’aurait toujours surveillée, mais sa défection a braqué les projecteurs sur ma vie, et c’était aveuglant. J’ai commencé à me sentir comme une prisonnière ».

Au cours de la décennie 1980, l’icône de la Roumanie a une vie des plus banales : travail pour la FRG, fonctions à la Fédération internationale mais interdiction de voyager en dehors du bloc de l’Est, et à l’âge de 25 ans, le gouvernement lui prend une partie de son salaire car elle n’a pas d’enfant. En effet, Nicolae Ceau?escu avait développé une politique nataliste (décret anti-avortement 770/1966) : « dès qu’elle a grandi, Nadia n’y a pas échappé, elle a été “inspectée”, comme nous toutes, par la “police des menstruations”, ces médecins qui nous auscultaient chaque mois sur notre lieu de travail et nous pressaient de faire des enfants, encore », comme en témoigne Madalina L., universitaire, dans La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon.

Fuir pour survivre

Pour Nadia, la vie se réduit à « survivre, m’occuper de [son] frère et faire en sorte que la maison reste au moins partiellement chauffée pour l’hiver ». À l’automne 1989, Nadia fait la rencontre fortuite d’un Roumain émigré aux États-Unis qui va l’entraîner à prendre une décision radicale, et en parle à son frère : « Tu n’as plus rien à faire dans ce pays, m’a dit Adrian. La façon dont le gouvernement te traite est humiliante. Si tu veux fuir, tu devrais essayer ».

À cette époque, Nadia se rend compte que « le procédé de déshumanisation en Roumanie ainsi que les dangers et les incertitudes de la défection m’ont montré le peu de contrôle que j’avais sur les circonstances de ma vie ». Aujourd’hui, mariée (en 1996) à Bart Conner (double champion olympique de gymnastique en 1984), mère d’un garçon de dix-huit ans, vivant à Norman (Oklahoma), Nadia conclut : « Je suis partie parce que je voulais découvrir ce que l’avenir me réservait. Or, je n’avais plus d’avenir en Roumanie, à ce moment-là ».

Michel Raspaud, Professeur des Universités, Université Grenoble Alpes (UGA)

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La croisière maritime, histoire d’une mobilité touristique

Livret à l'usage des passagers du paquebot Pasteur des Messageries Maritimes, dans les années 1960. (French Lines & Compagnies)
François Drémeaux, Université d'Angers

En un peu plus d’un siècle, le regard des sociétés occidentales sur les mers et les océans a considérablement changé. Espace largement méconnu et suscitant la peur jusqu’au XIXe siècle, c’est aujourd’hui la première destination du tourisme de masse. Du balnéaire à la croisière, il n’y a qu’un quai, franchi chaque année par un nombre croissant de vacanciers. En 1995, on comptait 6,3 millions de croisiéristes dans le monde. La barre des 30 millions a été franchie en 2023.

Avec un peu de recul, il s’agit d’une part modeste (3,1 %) d’un tourisme international qui a concerné 963 millions d’individus en 2022. Souvent pointée du doigt, la croisière maritime est considérée comme un loisir parfois problématique, décriée pour le gigantisme inesthétique de certains navires et la pollution qu’ils génèrent. À bien des égards, elle fait simplement écho à toute l’industrie du tourisme depuis la massification de ses équipements, à la différence que la croisière est, par définition, mobile.

Au XIX?, un prolongement du Grand Tour

Cette mobilité est d’abord réservée aux élites, et elle est perçue comme une nécessité – voire une contrainte – pour découvrir des territoires éloignés. À partir de la fin du XVIIe siècle, les jeunes aristocrates européens se consacrent au Grand Tour, un voyage initiatique qui les conduit à parcourir les centres culturels du continent. Avec la pression impériale des Occidentaux sur le bassin méditerranéen et le repli de l’empire ottoman à partir des années 1820, l’orientalisme se développe et pousse certains voyageurs à s’aventurer en mer.

Quand il entreprend son Voyage en Orient en 1832, Alphonse de Lamartine affrète une embarcation avec 19 membres d’équipage pour son seul usage. Rares sont les contemporains à pouvoir s’offrir un tel luxe. L’année suivante, soixante curieux s’entassent à bord du Francesco I° pour ce qui est probablement la première croisière maritime au sens moderne. Il s’agit d’un bateau marchand à vapeur récent, spécialement réaménagé pour l’occasion. La liste des passagers révèle une classe sociale favorisée mêlant bourgeois et aristocrates épris d’horizons lointains. Les conditions de voyage sont rudimentaires malgré un coût élevé mais, outre le transport, le navire offre l’avantage d’un hôtel flottant qui pallie le manque d’infrastructures des escales.

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Ces premières aventures montrent qu’il n’est jusqu’alors pas possible de se déplacer en mer ou sur les océans sans emprunter un bateau qui soit avant tout dédiée au transport de marchandises. Et à moins d’affréter entièrement le navire, le voyageur doit utiliser les lignes régulières qui sont peu à peu inaugurées dans le deuxième tiers du XIXe siècle. C’est là qu’intervient le paquebot. Comme son nom l’indique en anglais, le packet boat transporte des paquets. Pour que l’acheminement de ces colis et du courrier soit périodique et fiable, les grandes nations européennes subventionnent des compagnies maritimes pour opérer ces paquebots sur des routes stratégiques. Ces navires sont plus sûrs et deviennent donc également l’embarcation privilégiée des passagers.

La destination comme objectif du voyage

Les compagnies maritimes saisissent l’essor du phénomène touristique et proposent de louer – noliser pour être précis – leurs navires pour des croisières. Il ne s’agit plus d’effectuer une ligne régulière mais, pour reprendre le vocabulaire militaire, de croiser sur les eaux d’un même parage. C’est ainsi que naît le terme de croisière. C’est par habitude et abus de langage que l’on associe le paquebot, dont l’objectif est de traverser un océan rapidement et avec régularité, à la croisière, dont l’objectif commercial est de réaliser une boucle maritime pour le loisir des passagers.

Ce sont d’abord les destinations qui priment, car on ne s’aventure que rarement sur les mers pour son plaisir jusqu’au début du XXe siècle. Les récits de naufrages ou évoquant la solitude et les difficiles conditions de vie en mer agissent comme des repoussoirs. Les aménagements intérieurs des navires reflètent d’ailleurs cette crainte : avec peu d’ouvertures, les espaces communs sont tournés vers l’intérieur. Il faut souffrir la mer pour gagner les territoires convoités.

C’est dans cet esprit que s’organise l’une des premières croisières françaises en 1896. La Compagnie des Messageries Maritimes s’associe à la Revue Générale des Sciences pour proposer aux lecteurs un voyage à la découverte des vestiges de la Grèce antique à l’occasion des premiers jeux olympiques modernes. Un paquebot de 1870, Sénégal, est aménagé pour l’occasion et accueille plus d’une centaine de passagers. L’opération remporte un franc succès, au point de se répéter deux à trois fois par an par la suite.

Le premier navire construit dans le seul et unique but de la croisière semble être Prinzessin Victoria Luise, lancé en 1900 pour la compagnie allemande Hamburg America Line. On y compte 161 membres d’équipage pour 200 passagers, tous de première classe. Il s’agit d’une initiative relativement confidentielle au regard des flux transatlantiques, mais c’est l’amorce d’un phénomène nouveau. Avec le tarissement des flux migratoires vers l’Amérique, les compagnies maritimes repensent leurs stratégies commerciales. On ne mise plus sur la quantité de candidats à l’immigration, mais sur celles et ceux qui peuvent se permettre de traverser l’Atlantique pour le plaisir. Cette clientèle minoritaire se mêle à la communauté d’affaires dans un fastueux confort qui occupe alors la majorité de l’espace des nouveaux paquebots.

Au début du XXe siècle, les Britanniques inaugurent la tradition des dîners en smoking à bord, les Allemands introduisent la haute-gastronomie embarquée, et les Français misent sur la décoration somptueuse des navires. Dans les années 1930, la synthèse de ces efforts donne lieu à une profusion de luxe sur des navires toujours plus puissants : Normandie pour les Français, Queen Mary pour les Britanniques, Bremen chez les Allemands ou encore Rex en Italie. Les traversées sont encore la raison d’être de ces bateau qui, parfois, dérogent à leur routine pour se transformer en navires de croisière. C’est le cas de Normandie en 1938. Avec plus de mille passagers entre New York et Rio de Janeiro, c’est un record pour l’époque.

La croisière comme destination en soi

Après la Seconde Guerre mondiale, l’aviation commerciale prend de l’ampleur. Dès 1957, les passagers sont plus nombreux à survoler l’Atlantique qu’à traverser l’océan sur les paquebots. Les Trente Glorieuses démocratisent le tourisme lointain et l’avion permet de gagner des destinations exotiques plus rapidement. Au cours de ces décennies, la marine marchande connaît de profondes mutations, marquées par la conteneurisation pour le fret et le déclin rapide du transport de passagers. Nombre de compagnies maritimes disparaissent, fusionnent et/ou s’adaptent.

Certaines négocient habilement ce virage en proposant des croisières où le navire devient l’attraction principale, l’objet même du voyage. En 1972, la nouvelle compagnie américaine Carnival lance le concept de fun ship. Sur des paquebots réaménagés, piscines et cafétérias remplacent fumoirs et dîners guindés. D’exclusif, le voyage devient « all inclusive ». Tout est prévu à bord pour le touriste qui, parfois, s’abstient même de descendre en escale. Les ponts du navire – les sun decks – s’accommodent au nouveau rapport aux corps, exhibés au soleil.

Tandis que les Américains font une percée fulgurante sur ce marché, la France rate le coche. Bloquée sur un modèle économique obsolète, la Compagnie Générale Transatlantique peine à transformer son France (inauguré en 1962) en un outil rentable. Revendu à la Norwegian Caribbean Line après bien des déboires, le navire est modifié et poursuit, après 1979, une belle carrière sous le nom de Norway.

Tout un symbole, la série américaine

La Croisière s’amuse en français – connaît un succès retentissant à partir de 1976, provoquant même une hausse considérable des réservations. Avec ses amourettes et ses petits drames près du bar ou de la piscine, le navire Pacific Princess est un gigantesque exemple de placement de produit au profit de la compagnie Princess Cruises. Tout le secteur en bénéficie.

Depuis les années 1970, la taille moyenne des navires de croisière destinés au grand public n’a cessé de croître. En 1987, Sovereign of the Seas accueillait près de 3 000 passagers avec un tonnage de 73 529 t. Depuis janvier 2024, Icon of the Seas en reçoit 7 600 pour un tonnage de 248 663 t. Ces embarcations ont surtout gagné en largeur et en hauteur pour mieux se replier sur leurs activités intérieures.

Une démesure qui n’est pas sans conséquence pour l’environnement ou les capacités d’accueil des ports d’escale. Les oppositions se multiplient d’ailleurs, de Marseille à l’Alaska en passant par Venise. La croisière maritime est-elle donc condamnée ? L’activité est lucrative et plébiscitée, il semble difficile d’envisager un ralentissement de cette mobilité touristique. D’autres modèles existent – plus souvent haut de gamme – ou restent à développer. Ils reposent avant tout sur des choix de société et sur des investissements dans la recherche, pour mettre le cap sur de plus petites unités et s’appuyer sur de nouvelles énergies ou, bien sûr, retrouver la propulsion vélique.

François Drémeaux, Enseignant-chercheur en histoire contemporaine, Université d'Angers

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