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On peut accéder à votre smartphone à votre insu… à quelles conditions est-ce légal ?

Aurélien Francillon, Institut Mines-Télécom (IMT) et Noémie Véron, Université de Lille

Il est assez fréquent d’entendre parler de compromission de smartphones aujourd’hui : ces intrusions permettent d’accéder aux données qui sont stockées sur le téléphone, ou d’y implanter un logiciel espion. Aujourd’hui, c’est en fait la complexité des smartphones qui les rend si vulnérables aux intrusions (architecture, fonctionnement) et si difficiles à sécuriser complètement d’un point de vue technique.

Le scandale Pegasus a révélé en 2021 au grand public que des intrusions ou attaques de téléphones peuvent se faire à distance, quand elles ont été utilisées contre des journalistes (de Mediapart notamment) pour le compte de gouvernements étrangers. Même Jeff Besos, le CEO d’Amazon, aurait été piraté à distance par une simple vidéo envoyée via la messagerie WhatsApp.

À l’inverse, l’exploitation de failles dans des téléphones sécurisés destinés aux criminels permet aussi aux forces de l’ordre de démanteler d’importants réseaux criminels – c’est le cas par exemple dans l’affaire EncroChat dont les procès sont en cours.

Ces exemples illustrent la tension permanente entre le besoin d’accéder aux données protégées pour des enquêtes menées afin de protéger des citoyens, et le besoin de protéger les citoyens contre les abus de ces accès. Alors, faut-il sécuriser au maximum les téléphones d’un point de vue technique, ou au contraire aménager des « portes dérobées » pour les services de police et de renseignement ?

Qui a – et aura – le droit de pénétrer dans les smartphones ?

En France, le code de procédure pénale et le code de la sécurité intérieure autorisent respectivement les services de police judiciaire et les services de renseignement à capter les données informatiques, c’est-à-dire à récupérer des informations telles qu’elles apparaissent sur l’écran d’une personne (ou sur des périphériques externes), sans qu’elle en soit informée.

Depuis la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, il est même possible d’utiliser des moyens de l’État soumis au secret de la défense nationale afin d’enregistrer, de conserver ou de transmettre les données telles qu’elles sont stockées dans un système informatique. À cela s’ajoute la possibilité pour l’État de mandater des experts – en l’occurrence des sociétés privées spécialisées – afin de pénétrer dans lesdits systèmes.

En 2023, le Gouvernement a tenté une nouvelle fois d’accroître les moyens à la disposition des forces de police en insérant dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 une disposition relative à l’activation à distance des appareils électroniques à l’insu de leur propriétaire ou de leur possesseur afin de procéder à leur localisation en temps réel, à l’activation du micro ou de la caméra et à la récupération des enregistrements.

Cette disposition très controversée a été en partie censurée par le Conseil constitutionnel le 16 novembre 2023. Celui-ci a considéré que l’activation à distance du micro ou de la caméra d’un appareil électronique porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, notamment parce qu’elle permet d’écouter ou de filmer des tiers qui n’ont aucun lien avec l’affaire en cours.

Seule a été déclarée conforme à la Constitution la possibilité de géolocaliser en temps réel une personne grâce à l’activation à distance de son téléphone ou de tout autre appareil informatique tels que des tableaux de bord de véhicule.

Comment les intrusions sont-elles possibles techniquement ?

Indépendamment de la légalité d’une telle action, on peut pénétrer techniquement dans un smartphone en exploitant ses « vulnérabilités », c’est-à-dire en utilisant les failles existantes au niveau matériel ou logiciel.

L’exploitation des vulnérabilités est aujourd’hui protéiforme, tant les intrusions sont multiples et concernent plusieurs niveaux. Les attaques peuvent être effectuées à distance, à travers le réseau, ou directement sur le téléphone si celui-ci est accessible physiquement, par exemple un téléphone saisi lors d’une perquisition. Dans ce cas, les attaquants utilisent par exemple une « attaque par canal auxiliaire » (la consommation électrique d’un téléphone peut notamment révéler des informations) ; créent des erreurs artificielles (par « injection de fautes »), ou attaquent physiquement les cartes à puces ou microprocesseurs. Ces attaques permettent de récupérer les clefs de chiffrement qui permettent d’accéder aux données de l’utilisateur stockées sur le téléphone. C’était le sujet par exemple du projet européen EXFILES.

Si l’on progresse dans les couches du téléphone, il est possible d’exploiter les failles des systèmes d’exploitation des téléphones (leurs bugs, en d’autres termes). Plus un système est complexe et a de fonctionnalités, plus il est difficile de le sécuriser, voire de définir les propriétés de sécurité attendues.

Par ailleurs, dans la plupart des cas, une attaque ne suffit pas à elle seule à s’introduire dans le téléphone cible, c’est pourquoi un exploit moderne combine de nombreuses vulnérabilités et techniques de contournement des contre-mesures présentes.

Enfin, les intrusions peuvent cibler les applications installées sur le smartphone ou les protocoles de communication. Dans ce cas, ce sont des phases critiques de l’utilisation des applications qui sont visées : comme la négociation des clés, l’appairage des appareils ou encore les mises à jour des firmwares over-the-air. Par exemple, en 2019, l’équipe « Project Zero » de Google a découvert des vulnérabilités exploitables à distance sur les iPhones (pourtant réputés pour leur bon niveau de sécurité), qui permettaient de prendre le contrôle du téléphone avec un simple SMS.

Comme cette équipe, de nombreux chercheurs et fabricants découvrent et rapportent les vulnérabilités simplement pour qu’elles soient corrigées. En revanche, d’autres entreprises en tirent bénéfice en créant des « exploits » – des ensembles de vulnérabilités et techniques complexes, qui permettent d’exploiter les téléphones contre leurs utilisateurs et sont vendus au plus offrant – États compris, pour des sommes pouvant atteindre plusieurs millions d’Euros.

Faut-il sécuriser davantage ou au contraire aménager des « portes dérobées » ?

En 10 ans, le niveau de sécurité a considérablement évolué. Les opérateurs privés multiplient les mesures techniques pour s’assurer d’un niveau de sécurité de plus en plus élevé, avec de nouveaux langages de programmation par exemple, ou des modes à haut niveau de sécurité, comme le mode « lockdown » sur les iPhones, qui désactivent de nombreuses fonctionnalités, et réduisent donc la « surface d’attaque ».

Pourtant, il est impossible de proposer des systèmes complexes et sûrs à 100 %, notamment parce que le facteur humain existera toujours. Dans certains cas, le téléphone peut être compromis de manière complètement transparente pour l’utilisateur, c’est une attaque « zéro clic ». Dans d’autres, l’intervention de l’utilisateur reste nécessaire : cliquer sur un lien ou ouvrir une pièce jointe est considérée comme une attaque « un clic ». En tout état de cause, la ruse, la contrainte physique, psychologique ou juridique reste bien souvent un moyen efficace et rapide d’accéder aux données.

Les faiblesses humaines représentent parfois le maillon faible le plus facile à exploiter dans une cyberattaque. xkcd, CC BY-NC

Les difficultés croissantes à pénétrer les smartphones poussent les services de police, notamment par la voix de leur ministre en octobre 2023, à demander régulièrement la mise en place de « portes dérobées » (ou « backdoors ») qui permettent de donner un accès privilégié aux téléphones.

Ainsi, dans les années 90, la NSA souhaitait imposer aux fabricants et opérateurs de télécommunication une puce de chiffrement, le « Clipper Chip », qui incluait une telle porte dérobée permettant aux services de renseignement de déchiffrer les communications.

Dans la même veine, les forces de police contactent parfois les fabricants pour qu’ils leur donnent un accès à l’équipement, ce qui occasionne des tensions avec les opérateurs privés. En 2019, Apple avait refusé un tel accès au FBI, qui avait fini par utiliser une attaque matérielle sur le téléphone en question.

Plus récemment, en novembre 2023, de nombreux chercheurs s’opposaient à un article du règlement européen eIDAS qui forcerait les navigateurs à inclure des certificats imposés par les gouvernements européens. De tels certificats permettraient d’intercepter les communications sécurisées (HTTPS) des citoyens, sans que les éditeurs de navigateurs ne puissent révoquer ces certificats s’ils étaient utilisés de manière abusive.

Nous pensons que réduire la sécurité des systèmes en y introduisant des portes dérobées nuit à la sécurité de tous. Au contraire, augmenter la sécurité des smartphones protège les citoyens, en particulier dans les pays où les libertés individuelles sont contestées.

Si la surveillance de masse et l’insertion de backdoors dans les produits sont un danger pour la démocratie, est-ce qu’exploiter des vulnérabilités existantes serait un moyen plus « démocratique » de collecte des informations à des fins judiciaires ? En effet, ces techniques sont nécessairement plus ciblées, leur coût élevé… et si ces failles sont exploitées massivement elles sont rapidement détectées et corrigées. Avec la constante augmentation de la sécurité des téléphones, jusqu’à quand cela sera-t-il économiquement possible pour les services de police et judiciaires ?

En effet, bien que l’élimination de toutes les vulnérabilités soit sans doute illusoire, est-ce que le coût de leur découverte et de leur exploitation devient exorbitant ou bien est-ce que l’évolution des techniques de découverte de vulnérabilités permettra de réduire leur cout ?


Le PEPR Cybersécurité et son projet REV (ANR-22-PECY-0009) sont soutenus par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

Aurélien Francillon, Professeur en sécurité informatique, EURECOM, Institut Mines-Télécom (IMT) et Noémie Véron, Maître de conférences en droit public, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Vins et bières sans alcool : comment se rapprocher du goût « original »

Il existe une large gamme de bières sans alcool. Shutterstock
David Bean, Federation University Australia et Andrew Greenhill, Federation University Australia

La consommation d’alcool fait partie de la tradition française depuis des siècles, elle reste ancrée malgré ses risques et les quelque 40 000 décès annuels qu’elle provoque.

Cependant, une partie de la population désire réduire cette consommation en participant à des événements comme le « Dry January » et d’une manière générale les rayons des supermarchés commencent à se remplir de vins ou de bières sans alcool d’une qualité gustative bien supérieure à ce qui pouvait se faire dans le passé.

Comment, grâce à la microbiologie, conserver les goûts des boissons tout en éliminant l’alcool ?

Avec une augmentation de la demande, la plupart des marques de bière mondiales offrent maintenant des substituts sans alcool. Shutterstock

Tout commence par la fermentation

Les boissons alcoolisées sont produites grâce à des microbes, le plus souvent des levures, qui transforment les sucres en éthanol (alcool) au cours du processus de fermentation.

Outre la production d’éthanol, la fermentation entraîne également la production d’autres molécules qui vont participer à la saveur du produit final. Le processus de fermentation fait donc partie intégrante de la saveur de la bière et du vin, on ne peut pas s’en passer pour fabriquer des boissons à faible teneur en alcool ou sans alcool.

Pensez à la différence entre le jus de raisin non fermenté et le vin : ce n’est pas seulement la présence d’alcool qui crée le profil aromatique du vin.

Ainsi, la production de la plupart des vins et des bières sans alcool commence par le processus de fermentation typique, après quoi l’alcool est éliminé à l’aide de différentes techniques.

Deux techniques pour éliminer l’alcool

Les deux méthodes les plus courantes pour produire de la bière et du vin sans alcool sont la filtration et la distillation. Ces deux systèmes sont technologiquement avancés et coûteux, de sorte qu’ils ne sont généralement utilisés que par les grands producteurs.

Dans le cas de la filtration membranaire – et plus particulièrement d’une technique appelée « osmose inverse » – la bière et le vin sont pompés sous pression à travers des filtres dont les trous sont si petits qu’ils séparent les composés en fonction de leur taille moléculaire. Les molécules relativement petites, telles que l’eau et l’éthanol, passent au travers, mais pas les autres.

L’eau est continuellement ajoutée au mélange des composés « aromatiques » de plus grande taille pour reconstituer la bière ou le vin. Ce processus se poursuit jusqu’à ce que tout l’éthanol ait été éliminé.

Un autre procédé est la distillation, dans laquelle les composés sont séparés en fonction de leur température d’ébullition. La distillation nécessite donc de la chaleur, et la chaleur modifie la saveur de la bière et du vin, ce qui donne un produit moins proche de l’original.

Pour minimiser l’impact sur la saveur, la distillation utilisée pour fabriquer des produits sans alcool s’effectue à très basse pression et sous vide. Dans ces conditions, l’éthanol peut être éliminé à environ 35 °C-40 °C, contre 80 °C à la pression atmosphérique. Ce phénomène est basé sur le même principe que celui qui explique pourquoi l’eau bout à une température plus basse en altitude qu’au niveau de la mer.

Une grande variété de styles de bières est désormais disponible sous forme sans alcool. Shutterstock

Les petites brasseries se démarquent

Si l’augmentation de la production de bières à faible teneur en alcool ou sans alcool reflète la préférence des consommateurs, elle est également due en partie à la large gamme de bières artisanales désormais disponible.

Des brasseries artisanales produisent des bières à faible teneur en alcool sans équipement très coûteux. Elles y parviennent en manipulant soigneusement le processus de fermentation à l’aide de deux méthodes principales.

Dans la première méthode, les brasseurs réduisent intentionnellement la quantité de sucres disponible pour la levure. Avec moins de sucre à utiliser, la levure produit moins d’éthanol.

Il existe plusieurs façons d’y parvenir, notamment en augmentant ou en diminuant la température pendant l’empâtage (le processus d’extraction des sucres simples du grain d’orge). Le brasseur peut également arrêter le processus de fermentation avant que trop de sucre ne soit transformé en alcool.

La salle de brassage de l’Université de la Fédération dispose de tous les outils nécessaires à la réalisation d’un bon brassin, y compris des cuves de fermentation coniques. Federation University, Author provided

La deuxième méthode consiste à utiliser des levures différentes. Traditionnellement, la plupart des bières sont produites à l’aide de la levure Saccharomyces. Cette espèce a été domestiquée il y a de cela des millénaires pour fabriquer de la bière, du vin et du pain.

Mais il existe des milliers d’espèces de levures, et certaines produisent très peu d’éthanol. Ces levures gagnent en popularité dans la production de bières à faible teneur en alcool. Elles fournissent toujours les composés aromatiques attendus, mais avec des niveaux d’alcool très bas (parfois même inférieurs à 0,5 %).

Bien que la plupart des souches de levure soient disponibles dans le commerce et décrites scientifiquement, certaines brasseries restent secrètes quant à la souche exacte qu’elles utilisent pour produire des bières à faible teneur en alcool.

Plusieurs entreprises se consacrent au développement de nouvelles souches de levure pour le marché de la brasserie. Outre l’utilisation de souches d’origine naturelle, deux souches peuvent être croisées pour créer des hybrides. Shutterstock

De moins en moins de différence

Il est difficile de fabriquer une bière ou un vin à faible teneur en alcool ou sans alcool qui aurait exactement le même goût que ses équivalents à teneur élevée en alcool. En effet, l’éthanol contribue au profil aromatique des boissons alcoolisées, c’est plus évident dans le vin (généralement environ 13 % d’alcool) que dans la bière (environ 5 %).

L’élimination de l’éthanol et de l’eau entraîne également l’élimination de molécules de petites tailles et de composés volatils (produits chimiques qui se vaporisent dans des conditions atmosphériques normales) – bien que les fabricants fassent de leur mieux pour les réintégrer dans le produit final.

De même, la modification des conditions de brassage ou l’utilisation de souches de levure non conventionnelles pour la bière à faible teneur en alcool conduit également à des profils aromatiques différents de ceux obtenus par un processus classique.

Malgré ces défis, les producteurs améliorent constamment leurs produits. Nos enquêtes ont montré que même certains buveurs de bière expérimentés ne peuvent pas distinguer les bières sans alcool de leurs équivalents alcoolisés.

Donc, si l’humeur ou les circonstances le justifient, n’hésitez pas à essayer une bière ou un vin à faible teneur en alcool ou sans alcool pendant ce mois de janvier. Vous serez peut-être surpris par l’amélioration de la gamme et de la qualité de ces produits.

David Bean, Senior Lecturer in Microbiology and Fermentation Technology, Federation University Australia et Andrew Greenhill, Associate Professor in Microbiology and Fermentation Technology, Federation University Australia

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Les animaux sont-ils des choses ? Ce que dit le droit

S’il y a bien des êtres-vivants qui sont en attente de droits, effectifs, significatifs, ce sont les animaux. Shutterstock, CC BY-SA
Jean-Benoist Belda, Institut catholique de Lille (ICL)

Dans le cadre de son programme en faveur d’une agriculture et d’une production alimentaire durables, la Commission européenne a récemment indiqué vouloir faire évoluer la législation européenne sur le bien-être animal. Son projet a été présenté le 7 décembre dernier et s’attarde uniquement sur le temps de transport des animaux. En apprenant cela, certains militants pour la cause animale pourraient trouver que ces mesures sont insuffisantes et en viendraient à se poser la question : le droit peut-il être vraiment efficace pour protéger les animaux et améliorer leur bien être ?

De prime abord, le droit peut paraître inaccessible. Il est en effet créé, utilisé, manipulé par des professionnels qui usent d’un langage technique très particulier. Cependant, le droit, c’est aussi nous : citoyens, citoyennes. Nos choix de citoyens et de consommateurs sont plus importants qu’on ne le pense. Ces choix deviendront potentiellement la règle de droit de demain.

On a pu constater ce mouvement dans la prise de conscience générale de la nécessité de lutte contre le réchauffement climatique. Ces préoccupations ont pu migrer vers le domaine juridique et ont vu émerger des règles de protection, de conservation, de respect (les îles Loyauté ont par exemple donné en juin dernier une personnalité juridique à des entités naturelles pour les protéger). On touche même ici à l’idéal de Justice qui, selon le juriste romain Ulpien, « est une volonté constante et durable d’attribuer à chacun son droit. »

Cependant, s’il y a bien des êtres-vivants qui sont en attente de droits, effectifs, significatifs, ce sont les animaux. On peut même parler d’animaux non-humains car ne l’oublions pas, en tant qu’êtres-humains, nous sommes aussi des animaux.

Les animaux sensibles

Au cours de notre vie, nous avons et aurons toutes et tous l’occasion d’avoir au moins une interaction avec un animal. L’expérience peut être agréable, douce, craintive ou génératrice de traumatismes. Ce qui est certain c’est que les animaux non-humains sont eux aussi des êtres-vivants qui ressentent, qui vivent leur vie pour eux, qui peuvent éprouver la joie comme la peine, le bien-être comme la souffrance. Pourtant, cette reconnaissance de la sensibilité n’a pas toujours été d’actualité.

Au XVIIe sicèle, le mathématicien, physicien et philosophe René Descartes, le fameux auteur du cogito « je pense donc je suis » brillait par un triste rationalisme. Il perpétua l’idée de l’animal-machine : les animaux étaient assimilés à des choses et devaient, pour cette raison, répondre aux besoins de l’homme. Le postulat était simple : « les bêtes n’ont pas seulement moins de raison que les hommes, elles n’en ont point du tout ».

Les animaux sont trop souvent assimilés à des choses qui doivent répondre aux besoins humains. Pexels, CC BY-NC

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Il faudra véritablement attendre le début du XX? siècle pour voir apparaître un mouvement significatif, philosophique et juridique, qui s’intéresse à la sensibilité des animaux en la considérant au même niveau que celle des êtres-humains. Ce mouvement questionna notre rapport aux animaux non-humains et plus précisément nos démonstrations d’inhumanité à leur égard par exemple les tortures expérimentales en laboratoire. Selon ce mouvement de pensée, et sur la base de cette sensibilité collective, partagée mais si souvent niée, les droits des animaux non-humains sont donc intimement liés à ceux des êtres-humains.

Les animaux et leurs droits

C’est par un décret, en 1959, que la question de la protection animale entre dans le droit : les mauvais traitements exercés envers les animaux sont interdits. Ensuite, en 1976, est promulguée une loi sur la protection de la nature, par laquelle la qualité d’« être sensible » de l’animal est consacrée, sans qu’aucune disposition ne permette pour autant d’en assurer une protection.

Suit alors une prise de position philosophique, proclamée en 1978, à travers la Déclaration universelle des droits de l’animal, reconnaissant ce dernier comme doté d’un système nerveux et possédant des droits particuliers.

Enfin, c’est par la loi du 16 février 2015 qu’est introduit dans le code civil un nouvel article : « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. ».

Que comprendre ? La sensibilité des animaux non-humains est reconnue par le code civil mais ils sont toujours soumis au régime des biens, des choses. Selon une approche pessimiste, nous pourrions identifier une incohérence voire une hypocrisie. Selon une approche optimiste, nous pouvons lire que les animaux non-humains ne sont plus des choses mais sont soumis à leur régime. La nuance est importante car elle ouvre la voie à une autre considération de l’animal non-humain.

Les animaux sont-ils des choses ?

Le problème, avec le droit, c’est qu’il fonctionne par catégories à pourvoir : si nous ne sommes pas des personnes, alors nous sommes des choses. Et inversement.

Où est l’animal ? Certains diront que c’est une « chose particulière ». Cet entre-deux n’est pas considéré par le droit et cela a son importance puisque les règles de protection des animaux non-humains dépendent de cette considération. Le régime des biens, des « choses », continue en grande partie de s’appliquer pour ces êtres qui vivent, éprouvent de la joie, du plaisir, de la peur ou de la souffrance.

Les animaux domestiques emportent le plus notre empathie car ils vivent et évoluent avec nous, car nous pouvons d’un regard parfois amusé, parfois subjugué, être témoins de leur autonomie de vie, leur ingéniosité, leur affection. Mais qu’en est-il des animaux d’élevage ? Sont-ils inférieurs ? Qu’en est-il des animaux sauvages que le droit considère comme des res nullius, des choses sans propriétaire légal, qui peuvent être capturés, blessés, maltraités ou mis à mort en toute impunité ? Sont-ils eux aussi inférieurs ?

Les animaux domestiques emportent le plus notre empathie car ils vivent et évoluent avec nous. Mais qu’en est-il des animaux d’élevage ? Sont-ils inférieurs ?. Pexels, CC BY-SA

La réponse, nous la connaissons : non, ils ne sont pas inférieurs. Ils sont constitués comme les animaux domestiques à qui l’on prête de l’attention, de l’affection et dont l’intelligence est démontrée scientifiquement. Le droit a cependant décidé de catégoriser. Et nous pouvons en convenir : l’idéal de Justice n’est nulle part dans cette initiative de classer, discriminer, au point de considérer que la mort d’une catégorie est moins importante que la mort d’une autre.

Une solution, changer nos habitudes ?

Si le droit est pour l’instant générateur de cette injustice, il peut au contraire devenir un levier de changements très significatifs. Ce sens, à nous de l’injecter dans la société. Comment ? En changeant certaines de nos habitudes de consommation, principalement.

Très concrètement, trois pôles d’exploitation animale peuvent être identifiés : l’alimentaire (pour la consommation de viande), l’industrie du textile (cuir, fourrure) et les loisirs (corrida, combats de coqs et chasse à courre, entre autres).

Pour ne parler que de l’alimentaire, 1060 milliards d’animaux sont tués par an pour la consommation de viande. Pour atteindre ce nombre, il est nécessaire de maintenir une cadence effrénée qui aboutit à des violations de la réglementation et des maltraitances.

L’illustration est flagrante dans les abattoirs mais également pour des produits plus « exceptionnels » comme le foie gras, qui consiste à développer chez les canards mâles, avant de les tuer, une maladie du foie. Pour justifier ce zoocide (le terme zoocide a été proposé par Matthieu Ricard, docteur en génétique cellulaire et moine bouddhiste pour définir le massacre animal organisé et de masse. Ce terme fait écho à la notion de génocide définie par l’ONU) il est indispensable de démontrer la nécessité vitale de la consommation de chairs. Or, la médecine, la biologie, la philosophie sont fermes : il n’existe aucune nécessité vitale. Pas plus que dans le fait de porter du cuir, de la laine ou assister à une corrida. Que des plaisirs : gustatifs, d’apparence ou récréatifs.

Cela signifie-t-il que nous devons choisir entre culpabilité ou frustration ? Est-ce à dire qu’il faille se priver de tout plaisir ? Évidemment que non. Le plaisir est essentiel à l’être-humain mais il peut survenir en évitant la mort d’animaux. Beaucoup d’alternatives végétales existent aujourd’hui pour pouvoir ressentir ce plaisir sans participer à ce zoocide. Notre conscience de citoyen, a fortiori dans une époque où cette exploitation est également délétère pour le climat, peut trouver une voie médiane : celle qui respecte la vie d’êtres-vivants sensibles. Nous adoptons déjà au quotidien, de plus en plus naturellement, des réflexes respectueux de l’environnement. Nous pouvons trier, choisir des mobilités douces. Nous le faisons parce que nous sommes toutes et tous concernés par l’état de santé de la Terre. Il est peut-être temps à présent de poser notre regard sur ces êtres-vivants sensibles qui ne demandent qu’à vivre et de participer à cette exaltante entreprise : nos habitudes d’aujourd’hui peuvent véritablement être le droit de demain.

Jean-Benoist Belda, Docteur et Enseignant-chercheur en droit privé et sciences criminelles, Institut catholique de Lille (ICL)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Qu’est-ce qui sépare vraiment l’humain de l’animal ? Une histoire de la classification zoologique

L'humain fait partie du groupe des primates, tout comme l'orang-outan. Joshua J. Cotten/Unsplash, CC BY
Pascal Tassy, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

En ces temps de crise de la biodiversité et de questionnements sur le vivant, la vieille question de la dualité homme-animal est, semble-t-il, toujours d’actualité. Même si le « vraiment » de la question laisse entendre qu’au fond la séparation n’est pas si profonde.

Sur le plan de la biologie, de la zoologie même devrait-on préciser, le paradoxe a été levé depuis longtemps. L’homme est un animal. Il ne peut donc se séparer de lui-même.

La question n’est donc plus de nature scientifique, mais philosophique et sociologique. Il reste que pour la plupart d’entre nous la réponse scientifique importe peu tant les termes sont connotés. Affirmer que l’homme est un animal a peu de poids. L’affirmation serait-elle admise que la question deviendrait : qu’est-ce qui distingue l’humain des autres animaux ?

L’humain classé parmi les primates par Linné

Depuis des siècles les caractéristiques biologiques de l’humanité ont toutes été intégrées dans le panorama des traits des êtres vivants en général et des animaux en particulier. Et pourtant l’homme s’est quasiment toujours singularisé par rapport au reste du monde vivant. Toute une tradition de réflexion philosophique et spirituelle s’oppose à la vision unitaire de la science biologique.

C’est là le grand problème que Linné au 1VIIIe siècle a cru résoudre définitivement. Dans son Systema Naturae dont la 10e édition datant de 1758 est considérée comme le point de départ de la nomenclature zoologique moderne, l’homme, genre Homo, est classé, parmi les animaux, dans l’ordre des Primates – les « premiers », noblesse oblige –, mais en compagnie de trois autres genres : Simia (les singes), Lemur (les lémuriens incluant, pour Linné, le galéopithèque, un petit mammifère arboricole planeur d’Indonésie) et Vespertilio (les chauves-souris).

Ce choix est significatif et fait de Linné un pionnier qui, d’une certaine manière, dépassa les concepts de la majorité de ses successeurs du 1IXe siècle. De fait en 1910, une fois la biologie devenue évolutionniste, l’anatomiste William K. Gregory nomma Archonta un groupe réunissant les primates (singes, lémuriens, homme), les chauves-souris (ordre des chiroptères), le galéopithèque (ordre des dermoptères) à quoi s’ajoutent des mammifères insectivores inconnus de Linné, les toupayes (mammifères arboricoles d’Asie).

Un toupaye. W. Djatmiko/Wikimedia, CC BY

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L’homme était non seulement un membre des Primates, mais aussi un membre des Mammalia (tous ces termes sont dus à Carl Von Linné). On peut remonter la hiérarchie classificatoire est inclure l’homme dans les amniotes, dans les vertébrés, dans les animaux. Les animaux c’est-à-dire dans les classifications le règne des Animalia, aujourd’hui appelé Metazoa (mot qui signifie la totalité des animaux) – les deux termes sont synonymes.

Le terme de Metazoa à la sonorité incontestablement scientifique ne heurte aucune oreille. Dire que l’homme est un métazoaire ne choque personne. Dire qu’il est un métazoaire parce qu’il est pluricellulaire et possède une protéine qui structure le lien entre les cellules – le collagène – est affaire de spécialistes et empêche invariablement toute percée philosophique. Aucune sensibilité là-dedans. Un animal, c’est autre chose, n’est-ce pas ?

Les successeurs de Linné ont voulu placer l’humain hors du règne animal

Linné à sa manière a été un révolutionnaire. Ses successeurs se sont attachés à défaire le regroupement des Primates. Le naturaliste français Armand de Quatrefages classa en 1861 l’homme seul dans le « règne humain », caractérisé par « l’âme humaine » reprenant une suggestion émise plus de quarante ans auparavant par l’agronome lamarckien Charles-Hélion de Barbançois : classer l’homme dans un règne à part, le « règne moral ».

Quatrefages s’attacha autant à réfléchir à l’unité de l’espèce humaine qu’à analyser la singularité de ses composantes. Pour Quatrefage, en savant positiviste, c’est-à-dire qui s’en tient aux faits, la notion de Règne (la plus haute des catégories de la classification) s’impose à l’esprit humain : les caractères qui définissent l’homme sont évidents et ne sont liés à aucune hypothèse ou théorie.

L’âme humaine, différente de l’âme animale serait un pur fait d’observation. Auparavant, l’anatomiste allemand Johann Friedrich Blumenbach et l’anatomiste français Georges Cuvier opposèrent l’homme seul (ordre des Bimana) aux autres primates (ordre des Quadrumana). Le naturaliste allemand J. C. Illiger avait classé l’homme seul (seul à être debout) dans les Erecta, tandis que l’anatomiste britannique Richard Owen, adversaire résolu du darwinisme, en fit le seul représentant des Archencephala, introduction notable du cerveau comme spécificité humaine.

On peut remarquer toutefois qu’à l’exception de Quatrefages, tous les autres auteurs cités subordonnent l’espèce humaine au règne animal et à la classe des mammifères. On saisit bien la difficulté de ces anatomistes distingués qui, bien conscients des caractères morphologiques et physiologiques qui tout en intégrant parfaitement l’homme dans les mammifères, étaient tentés irrépressiblement, aussi en tant que croyants, de l’opposer au reste de la création.

« L’homme sage »

L’anatomiste, celui qui décide, c’est bien l’homme, Homo sapiens (« l’homme sage » que Linné n’a pas nommé comme tel par hasard). On aura donc compris que ces affirmations taxinomiques ont pour objet de placer l’Homo sapiens à part, en fonction de traits qui lui sont propres, du psychisme à la bipédie, et non d’identifier une séquence de caractères partagés par l’homme et différents animaux.

Que l’homme soit opposé au reste du règne animal ou bien à son plus proche parent animal revient au même. Un évolutionniste tel que Julian Huxley prit en 1957 l’exemple de la classification de l’homme pour illustrer sa conception du « grade évolutif ». L’activité intellectuelle de l’homme est telle qu’elle lui suffit pour concevoir une niche écologique sans précédent. Le cerveau humain situerait l’homme, seul, au niveau de la plus haute des catégories, le règne : le règne des Psychozoa.

On le sait, le plus proche parent vivant de l’homme (Homo) est le chimpanzé (Pan). Dans les années 1960, les premières classifications incluant les deux genres dans la famille des Hominidae firent scandale. Le tableau de famille était dégradé, gâché, détruit.

7 millions d’années d’évolution

La biologie moléculaire nous dit que l’homme et les chimpanzés sont presque identiques génétiquement parlant. Mais c’est en pure perte : on reconnaît aisément un homme d’un chimpanzé. On devrait dire : on reconnaît aisément les deux animaux. La baleine bleue et la musaraigne aussi sont des animaux, et même des mammifères, certes bien distincts. Leurs différences sont infiniment plus grandes que celles qui séparent l’homme et le chimpanzé, mais elles ne sont pas importantes à nos yeux d’hommes sages. Philosophiquement parlant, ce ne sont pas elles qui nous concernent. L’anthropocentrisme est patent. En fait, après des centaines de millions d’années d’évolution animale, la lignée humaine est celle des chimpanzés se sont séparées il y a 7 millions d’années environ.

Sept millions d’années d’évolution : voilà qui est responsable de l’existence des humains et des chimpanzés à la surface de la planète. Et rien d’autre.

L’homme est pétri de caractères animaux depuis le liquide amniotique dans lequel baigne l’embryon rappelant les origines aquatiques des animaux jusqu’à l’éminence mentonnière qui fait saillie à l’avant de la mâchoire inférieure (la grande invention ostéologique des humains !) en passant par tous les traits de vertébrés, de tétrapodes, de mammifères et de primates. L’homme n’est qu’un animal comme les autres et différent de tous les autres comme le sont toutes les espèces animales les unes des autres.

Peut-on se contenter d’une telle affirmation ? Les mots du quotidien sont lourds de sens et de contresens. Le verbe persiste, tenace. Malgré l’idéologie et la perte des repères scientifiques, on n’aura pas la mauvaise grâce de s’en plaindre puisque le verbe, après tout, est l’une des caractéristiques d’Homo sapiens, au moins dans la nature actuelle.

Pascal Tassy, Professeur, paléontologue, paléomammalogie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Comment les abeilles se tiennent chaud en hiver ?

Eric Darrouzet, Université de Tours

En hiver, de nombreux insectes disparaissent. Ils se réfugient dans des endroits protégés du froid et des intempéries et attendent, endormis, la venue du printemps. Les colonies d’abeilles mellifères font de même, et les ruches ne présentent aucune activité hivernale visible, mais elles doivent conserver la chaleur que produisent les abeilles. La survie de la colonie en dépend grandement.

Les abeilles ne sortent pas en raison du froid et restent regroupées pour former ce que l’on appelle la « grappe hivernale ». Elles sont plus ou moins en léthargie, elles présentent une activité limitée. Elles se déplacent un peu, notamment pour s’alimenter : elles consomment les réserves de miel qu’elles ont stockées avant l’hiver, ou des blocs de sucre que les apiculteurs leur ont fournis par crainte d’un manque de nourriture. Grâce à cet apport énergétique, elles contractent régulièrement leurs muscles thoraciques pour produire de la chaleur. Elles maintiennent ainsi au sein du groupe une température supérieure à 10 °C qui assure leur survie, quelle que soit la température extérieure.

Dès le retour des beaux jours et de températures plus clémentes, la température au sein des ruches pourra remonter et restera maintenue aux alentours de 35 °C – la température optimale pour assurer le développement des larves et le renouvellement des ouvrières adultes au sein des colonies.

La caméra thermique, un outil de suivi hivernal des ruchers

Pour les apiculteurs, la période hivernale sert à préparer la nouvelle saison apicole, en bricolant et en préparant les cadres de ruches qui recevront les nouvelles productions de miel de la nouvelle année. Cette période est toutefois compliquée car ils ne doivent pas ouvrir les ruches pour vérifier l’état de leurs colonies, car si la température descend en dessous de 10 °C au sein de la ruche, la colonie peut mourir.

Comment savoir alors si les colonies vont bien, si le nombre d’abeilles n’est pas trop bas, si elles ne sont pas malades, s’il n’y a pas de mortalité excessive, si elles ont assez de réserves de nourriture… ceci sans aller regarder dans les ruches ?

Les apiculteurs, surtout professionnels, ont besoin d’outils de suivi non intrusifs de leurs colonies. La prise de mesures de température au sein des ruches est une analyse intéressante qui permet un suivi de la santé des colonies. Toute colonie en bonne santé maintient sa température au-dessus de 10 °C-12 °C. Diverses techniques permettent cela, notamment par la mise en place de sondes thermiques au sein des ruches. Toutefois, elles nécessitent une installation parfois assez lourde, et surtout peuvent ne pas permettre une mesure thermique fine au sein de la grappe, celle-ci pouvant se positionner en divers endroits dans la ruche.

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L’imagerie infrarouge est ainsi une alternative de choix. Ce rayonnement étant corrélé à la chaleur, une caméra infrarouge, dite thermique, permet de visualiser de l’extérieur, et sans toucher aux ruches, la température émise par les abeilles qui réchauffe les parois des ruches. Une couleur bleu-violet homogène de la ruche indique classiquement une absence de chaleur, donc une colonie qui est malheureusement morte. Par contre, une zone plus ou moins étendue colorée en jaune et blanc indique la position de la grappe d’abeille qui émet de la chaleur.

L’image thermique de la ruche permet de suivre sa température, de visualiser la localisation de la grappe d’abeille et ainsi de vérifier que la colonie est toujours vivante. Une caméra thermique peut, de fait, devenir un outil important pour assurer le suivi hivernal des colonies d’abeilles. Néanmoins, le prix de ces caméras reste relativement haut.

Eric Darrouzet, Chercheur sur les insectes sociaux, spécialiste du frelon asiatique, Université de Tours

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Pourquoi l'avenir n'est peut-être pas toujours devant nous

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Ruth Ogden, Liverpool John Moores University

Imaginez l’avenir. Où se situe-t-il pour vous ? Vous voyez-vous avancer à grands pas vers lui ? Peut-être est-il derrière vous. Peut-être même au-dessus de vous.

Et le passé ? Vous imaginez-vous en train de regarder par-dessus votre épaule pour le voir ?

La façon dont vous répondez à ces questions dépend de qui vous êtes et d’où vous venez. La façon dont nous nous représentons l’avenir est influencée par la culture dans laquelle vous avez grandi et par la ou les langues que vous parlez.

Pour de nombreuses personnes ayant grandi au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans une grande partie de l’Europe, l’avenir se trouve devant elles et le passé est derrière. Les personnes appartenant à ces cultures perçoivent généralement le temps comme linéaire. Elles se voient comme allant continuellement vers l’avenir parce qu’elles ne peuvent pas retourner dans le passé.

Dans d’autres cultures, cependant, la localisation du passé et du futur est inversée. Les Aymaras, un groupe indigène d’Amérique du Sud vivant dans les Andes, considèrent que l’avenir est derrière eux et le passé devant eux.

Les scientifiques l’ont découvert en étudiant les gestes du peuple aymara lors de discussions sur des sujets tels que les ancêtres et les traditions. Les chercheurs ont remarqué que lorsque les Aymaras parlaient de leurs ancêtres, ils avaient tendance à faire un geste devant eux, indiquant que le passé était devant. En revanche, lorsqu’ils étaient interrogés sur un événement futur, leurs gestes semblaient indiquer que l’avenir était perçu comme étant derrière eux.

Regarder vers l’avenir

L’analyse de la façon dont les gens écrivent, parlent et font des gestes à propos du temps suggère que les Aymaras ne sont pas les seuls. Les locuteurs du darij, un dialecte arabe parlé au Maroc, semblent également imaginer que le passé est devant et le futur derrière. C’est également le cas de certains locuteurs vietnamiens.

Mais le futur ne se trouve pas toujours derrière ou devant nous. Il semble que certains locuteurs du mandarin représentent le futur comme étant en bas et le passé comme étant en haut. Ces différences suggèrent qu’il n’existe pas de lieu universel pour le passé, le présent et le futur. Au contraire, les gens construisent ces représentations en fonction de leur éducation et de leur environnement.

La culture n’influence pas seulement notre vision de l’avenir. Elle influence également la manière dont nous nous imaginons y parvenir.

Il est facile de supposer que tout le monde pense à l’avenir de la même manière que vous. StunningArt/Shutterstock

En France et aux États-Unis, les gens se voient généralement marcher le visage tourné vers l’avenir. Pour les M?ori de Nouvelle-Zélande, cependant, le centre d’attention lorsqu’ils se déplacent dans le temps n’est pas le futur, mais le passé. Le proverbe M?ori Kia whakat?muri te haere whakamua se traduit par « Je marche à reculons vers l’avenir avec les yeux fixés sur mon passé ».

Pour les M?ori, ce qui se trouve devant nous est déterminé par ce qui peut être ou a été vu. Les M?ori considèrent le passé et le présent comme des concepts connus et vus parce qu’ils se sont déjà produits. Le passé est conceptualisé comme étant devant une personne, là où ses yeux peuvent le voir.

L’avenir, en revanche, est considéré comme inconnu parce qu’il ne s’est pas encore produit. Il est considéré comme derrière vous parce qu’il n’est pas encore visible. Les M?ori se perçoivent comme marchant à reculons plutôt qu’en avant vers l’avenir parce que leurs actions futures sont guidées par les leçons du passé. En faisant face au passé, ils peuvent porter ces leçons dans le temps.

Différentes approches

Les scientifiques ne savent pas exactement pourquoi chaque personne se représente le passé, le présent et l’avenir différemment. L’une de leurs hypothèses repose sur l’idée que nos perspectives sont influencées par le sens dans lequel nous lisons et écrivons. Les recherches montrent que les personnes qui lisent et écrivent de gauche à droite dessinent des lignes temporelles dans lesquelles le passé se trouve à gauche et le futur à droite, ce qui reflète leurs habitudes de lecture et d’écriture.

En revanche, les personnes qui lisent de droite à gauche, comme les arabophones, dessinent souvent des lignes temporelles dans lesquelles les événements du passé se trouvent à droite et ceux du futur à gauche. Cependant, le sens de lecture ne peut expliquer pourquoi certaines personnes qui lisent de gauche à droite pensent que l’avenir se trouve « derrière ».

Selon une autre théorie, les valeurs culturelles peuvent influencer notre orientation vers l’avenir. Les cultures varient en fonction de l’importance qu’elles accordent aux traditions. Les chercheurs pensent que votre conception spatiale de l’avenir peut être déterminée par le fait que votre culture met l’accent sur les traditions du passé ou se concentre sur l’avenir.

Dans les cultures qui soulignent l’importance du progrès, du changement et de la modernisation, l’avenir est normalement à l’avant-plan – par exemple, en France et aux États-Unis. En revanche, dans les cultures qui accordent une grande importance à la tradition et à l’histoire ancestrale, comme au Maroc et dans les groupes indigènes tels que les M?ori, le passé est au centre des préoccupations et se trouve donc généralement au premier plan.

Ces différences peuvent également avoir des répercussions sur les initiatives visant à relever les défis mondiaux. Si l’avenir n’est pas toujours au premier plan, les mantras des campagnes occidentales sur le thème « aller de l’avant » et « laisser le passé derrière soi » risquent de ne pas trouver d’écho auprès de nombreuses personnes.

Toutefois, si nous pouvons nous inspirer des représentations du temps dans d’autres cultures, nous pourrons peut-être recadrer notre compréhension de certains des problèmes les plus urgents du monde. Aborder l’avenir en jetant régulièrement un coup d’œil sur le passé pourrait conduire à un avenir plus juste pour tous.

Ruth Ogden, Professor of the Psychology of Time, Liverpool John Moores University

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Noël en 2050, une dystopie douce

Pascal Lardellier, Université de Bourgogne – UBFC

Nous avons demandé à quelques autrices et auteurs d’imaginer à quoi pourraient ressembler les fêtes de fin d’année en 2050. Pascal Lardellier, spécialiste de l’anthropologie des mondes contemporains et Professeur à l’Université de Bourgogne, a signé plusieurs ouvrages touchant aux différents aspects du lien social et de la culture, ainsi qu’aux relations amoureuses dans les réseaux numériques. Il vient de publier « Éloge de ce qui nous lie. L’étonnante modernité des rites » (L’Aube, 2023). Il s’est prêté au jeu, et projette les grandes questions qui agitent notre société contemporaine dans un avenir proche – transformation des liens sociaux, surveillance généralisée, changement de nos modes de consommation – non sans humour !


24 décembre 2050, 20 heures, heure de Paris. La famille, ou plutôt « la communauté inclusive et ouverte de celles et ceux qui s’apprécient durablement » est rassemblée. Dans un logement naturellement partagé (le « co- » est devenu un mode de vie naturel et presque obligé), deux veillées auront lieu, rassemblant deux « collectifs collaboratifs et conviviaux » dans des lieux distincts de l’appartement. Mais la cérémonie est sensiblement la même. On s’efforce de suivre les « protocoles de convivialité » proposés par le Gouvernement, bornant le nombre de convives, la répartition de genres, le séquencement de la soirée, ce qui peut circuler et s’échanger, ou pas.

Une soirée respectueuse avant tout

Dans la pièce baptisée « Louisa et Emile » (du nom des grands-parents, qui ont fait le choix d’une euthanasie simultanée il y a 2 ans, à 80 ans), tous sont assis en rond sur de petits tabourets dans la salle à manger, rebaptisée la « pièce pour toutes et tous ». Et un cercle d’écrans de tablettes format XXL est posé, face extérieure vers le groupe, au centre du cercle. Effet miroir entre les présents, et ceux qui assisteront à la soirée en direct live depuis leur réseau. Ce dispositif de « visio de vie » est un White Mirror.

Des capteurs sensoriels et des extensions diffusant des odeurs et des saveurs de synthèse permettront, à certains moments de la soirée, de partager des sensations. Communion des corps et des cœurs, par-delà la distance et l’absence.

D’ailleurs, cette soirée ne s’appelle plus vraiment « veillée de Noël ». Cette appellation, longtemps de mise, a été déclassée par quelque chose d’un peu plus inclusif, qui respecte de manière œcuménique les croyances des unes et des autres ; ou leurs non-croyances d’ailleurs.

C’est donc « l’esprit de l’arbre sacré » que l’on célèbre. Curieux retour animiste ou païen aux origines de Noël. L’ère chrétienne n’a fait que se les approprier. Et le procès des appropriations culturelles, en effet, a été fait et bien fait. Celles-ci concernent les autres cultures, mais aussi le passé bien sûr.

Le repas pourra commencer, après un apéritif essentiellement composé de jus de fruits et de boissons aux plantes infusées. Très peu d’alcool est servi désormais, même si les parents (un rien rétrogrades) boiront une coupe de vin à bulles.

On commence par une série de courts discours, que chacun prononce à tour de rôle, en célébrant, dans ses propos, le collectif rassemblé, mais aussi des valeurs sociétales de tolérance, d’ouverture, de fraternité et d’inclusivité.

Après cette série de toasts, qui verra circuler parmi le groupe une coupe remplie de fruits secs, les festivités peuvent commencer.

Les absents le sont parce qu’ils n’avaient pas à être contraints par une fête peut-être conservatrice. Elle aurait imposé une violence symbolique en exigeant que l’on soit présent « IRL », In Real Life. Alors qu’on peut tout à fait l’être URL, en visio. Et puis il faut penser au coût carbone faramineux de ces anciennes transhumances qui voyaient jusqu’aux années 2030 les familles se réunir « par la force des choses » (même s’il y avait du plaisir et de la sincérité, probablement), à se raconter les mêmes histoires, à s’offrir les mêmes cadeaux dispendieux et inutiles, et puis trop manger pendant trois jours.

D’ailleurs on notera que la viande se fait rare aux tables de fin d’année de 2050, très rare. Elle a été remplacée par divers produits de synthèse produits localement à base d’insectes, de légumineuses, ou de légumes et céréales compressés. Et ce pour diverses raisons, de bien-être animal, de respect de la vie, autant que de « capital santé ». Chacun a d’ailleurs une appli qui lui permet de savoir ce que chaque plat ingurgité lui apporte en termes de calories, de lipides, de glucides, en temps réel. Un voyant rouge peut s’allumer en cas d’excès !

Contrôle, autocontrôle et contrat

Nous sommes dans une société du panoptique social institué – des QR codes partout, sésames sans lesquels on n’entre pas, et l’on ne sort pas non plus ! – et du contrôle total : omniprésence des caméras dans les lieux publics. Mais on accepte de bonne grâce ce principe, car c’est dans l’intérêt général, semble-t-il, et dans l’intérêt de chacun, déjà. D’ailleurs, l’appartement est aussi équipé de discrètes caméras, qui scrutent faits, gestes et paroles.

Chaque cadeau a été pensé en fonction d’un prix qui correspond peu ou prou au prix des cadeaux offerts en retour. De toute façon, des applis très pratiques permettent de calculer au centime près la balance de ces cadeaux. On scanne et hop, le prix, l’équivalent, en fonction du profil de la personne. Et l’important, avant tout, est que cette balance ne soit pas déséquilibrée. On ne dit rien, l’algorithme s’en charge, mais on n’en pense pas moins. On n’a plus à réaliser ce calcul intérieur auquel on se livrait avant : « le pull en cachemire que je lui offre, 80 euros, son livre, 50 seulement… ». L’algorithme neutralise les tensions, apaise les déceptions possibles. Et puis cela évite les psychodrames qui ont tant amusé le cinéma français au siècle dernier.

Après un repas frugal et respectueux de la vie et de l’environnement, après que chacun ait pris la parole solennellement sans la couper à autrui (attention aux micro-agressions !), vient le moment des cadeaux.

Le père Noël est tombé en désuétude, il serait très violent d’imposer aux enfants de fausses croyances qui pourraient les traumatiser, le jour où ils apprendraient que leurs parents leur ont menti pendant tant d’années. Rupture du pacte de confiance égalitaire présidant au juste avènement de la « famille démocratique ». Et puis l’enchantement à ses limites, surtout quand il s’agit d’un vieil homme blanc à la gentillesse poissarde et kitsch, de surcroît sponsorisé de manière subliminale par une marque de soda américain.

Le fond sonore de la soirée est constitué de flûtes de pan et de mélodies New Age, ayant prouvé qu’elles harmonisent les ondes cérébrales.

Des cadeaux utiles et responsables

Les cadeaux ont été déposés devant chacun, on les reçoit à tour de rôle en apportant des commentaires sur la valeur symbolique, mais aussi énergétique et utilitaire de ce qui lui a été offert.

Ce sont des choses utiles avant tout, et produites dans un rayon de 10 km à la ronde. Tout le monde a renseigné depuis quelques mois des listes (non pas de ses envies) mais de ses « nécessités contingentes » ; ces cadeaux se devant de surcroît d’être écoresponsables dans leur production et dans leur livraison. Ils faut même payer une taxe aux communautés qui les ont produits. Tout cela, l’algorithme s’en charge.

Mais d’ailleurs, pourquoi offrir ? Certes, on se plie là à une coutume ancienne, à une tradition désuète, qui oblige un peu, mais c’est presque drôle, finalement, de faire un détour par des proches pour acquérir quelque chose qu’on aurait pu commander et recevoir dans les 2 heures, livré par drone.

Les convives désirant s’affranchir de ces conventions peuvent opter pour le Secret Santa, qui consiste à choisir une seule personne, forcément spéciale, à qui on offre un présent. Là, le cadeau unique et dédié prend tout son sens, et les autres ne doivent surtout pas prendre ombrage. Aucune injure ne leur est faite, il faut comprendre qu’un présent unique revêt une valeur morale et écologique immense. Et l’an prochain, ça sera peut-être notre tour, si l’attitude durant l’année est appréciable. Donc des efforts d’altruisme, de serviabilité et de bienveillance à produire, afin d’être récompensé. Ainsi, des cadeaux non plus automatiques mais vraiment mérités, telle est la règle prévalant aux échanges de présents. Seuls les enfants y échappent jusqu’à 11 ans. Après, il est normal qu’ils aient intégré les logiques présidant à des relations sociales équitables et respectueuses.

Les enfants qui ont moins de huit ans ont réalisé en ateliers « Collectif et générosité » des objets symboliques, mettant à l’honneur « la communauté qui s’aime », le respect et la tolérance. Il convient de n’oublier personne. Et les mêmes applis veillent scrupuleusement à rappeler la liste de la gratitude et de la reconnaissance dues à chacun et à tous.

Après que la parole ait circulé, que les cadeaux aient été ouverts et approuvés, la soirée se termine doucement. On grignote des graines multicolores en devisant paisiblement. Les conciliabules prennent surtout garde à n’exclure personne. D’ailleurs, les caméras fourniront le lendemain des « graphes relationnels » envoyés aux participants, qui se devront d’être équilibrés.

Certains quittent un moment le cercle, pour se permettre un petit live avec des amis qui ne sont pas de la partie. On se souhaite gentiment des vœux de paix, de bonheur et d’harmonie. Point d’embrassades à la fin du repas. La distanciation est devenue une norme morale et sociale presque intangible. Il ne saurait être question d’effusions physiques attentatoires à la sphère intime de chacun. On se fait des Namasté, cette salutation s’est généralisée. Ou alors des petits signes de la main, et cela suffit.

Des protocoles de conversation ont lentement été mis en place. On ne doit pas se couper la parole, il faut s’écouter en se regardant dans les yeux, et parler à tour de rôle. D’ailleurs, des petits signes de la main indiquent qu’on en a terminé.

Le retour, pour ceux qui habitent la même ville, se fera via des systèmes de transports collectifs ou partagés. Il est hors de question d’utiliser une voiture individuelle.

Au-delà de l’uchronie, les lumineuses perspectives de l’anthropologie

Maintenant, dépassons l’uchronie, qui se voulait divertissante, à défaut d’être réaliste (quoique…)

Si les choses se passent ainsi en 2050, il y aurait quelques enseignements anthropologiques à tirer :

La perpétuation des rites, interpersonnels et communautaires. Des rites procédurisés et algorithmisés, mais qui subsistent. Ils s’adaptent avec une incroyable plasticité aux époques, aux cultures et aux valeurs ambiantes, mais ils subsistent, comme formes symboliques. Oui, en 2049, on se réunit, on fait cercle et corps, on célèbre ensemble des valeurs, mais le collectif avant tout. Et on se souvient de la lumineuse intuition de Durkheim : « ce ne sont pas leurs dieux que les communautés célèbrent dans leurs rites, mais elles-mêmes ».

Rites communautaires, mais interpersonnels aussi. Et encore perceptible à l’œuvre dans nos saynètes le souci de ne pas offenser, de ne pas faire perdre la face. Tout en célébrant, via les civilités, « la face sacrée de l’autre » (E. Goffman), même si le sacré est discret.

De même, étonnante résurgence dans le « Noël 2050 » de croyances antiques et même archaïques, animistes et paganistes, pleines de pensée magique et de références chamaniques (la mise au diapason des consciences individuelles via musiques et rythmes spécifiques). Or, nos rites contemporains viennent pour la plupart de si loin. Résonne en eux l’écho d’un autre Occident. Ils sont des palimpsestes, que l’on relit, et où l’on se relie…

Enfin, la lumineuse circularité du don, tel que théorisée par Marcel Mauss, garde encore une formidable vigueur : donner et recevoir des présents, esthétiser la transaction dans un contexte qui équilibre les tensions possibles par un juste calcul de ce qui est donné, et rendu, encore au cœur du lien, même si celui-ci, en 2050, est devenu bien émollient, chacun étant terrifié des conséquences (morales et pénales) de ses paroles et de ses actes.

Passent les tendances et les individus, restent à l’œuvre des formes robustes, et des dynamiques puissantes. Elles sont le ressac du social.

Si l’on peut, au vu des connaissances actuelles, souhaiter le recul de l’individualisme, de l’usage déraisonné des énergies fossiles et de la surconsommation, le Noël trop lisse et plein de contraintes que j’ai imaginé ne fait pas vraiment rêver. Il reste dès lors à imaginer, à écrire, à décrire un Noël 2050, utopique cette fois-ci, plein de liesse, de délices, de saveurs, de sève et de joie. Gageons que les mille narrations festives et les rites de fin d’année, bien vivaces, y seraient plus beaux encore. Et que dans cette soirée magique, la confiance prévale encore sur le calcul et contrat.

Pascal Lardellier, Professeur à l'Université de Bourgogne Franche-Comté, Chercheur au laboratoire CIMEOS, Université de Bourgogne – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.