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Dans les films d’horreur, les poupées tueuses continuent à sévir

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The Conversation

Dans les films d’horreur, les poupées tueuses continuent à sévir

Sandra Mills, University of Hull

Annabelle, Chucky et les autres poupées tueuses qui peuplent les films d’horreur illustrent notre fascination culturelle pour l’animisme.


De Longlegs (2024) à M3GAN (2022) en passant par Annabelle : la Maison du mal (2019), les poupées tueuses sont étrangement à l’aise sur grand écran. Au cinéma, leur histoire remonte à The Doll’s Revenge (1907), dans lequel un jeune garçon voit la poupée de sa sœur, précédemment détruite, prendre vie et se réassembler, avant de le mettre en pièces et de le dévorer.

Au cours du XXe siècle, les poupées sont devenues de plus en plus agressives et les années 1980 ont été marquées par un changement important dans le sous-genre des jouets tueurs du cinéma d’horreur. Auparavant régi par les marionnettes et les mannequins de ventriloques, comme dans Dead of Night (1945) et Magic (1978), le cinéma d’horreur des années 80 a mis l’accent sur les poupées malveillantes, comme on peut le voir dans Curtains, l’ultime cauchemar (1983) et Black Devil Doll from Hell (1984).

Mais c’est la dernière partie de la décennie, avec Les Poupées (1987) et Jeu d’enfant (1988), qui a vraiment conquis les fans d’horreur.

Les Poupées est un film quelque peu unique dans la mesure où les poupées qu’il met en scène jouent à la fois le rôle d’antagonistes et d’héroïnes. En suggérant que ces poupées possèdent une sorte de sens moral – aussi tordues soit-elles dans leurs actes – ajoute une dimension supplémentaire à l’archétype de la poupée tueuse présenté jusqu’à présent aux fans du genre.

En effet, Les Poupées encourage activement le spectateur à préférer ces poupées meurtrières à leurs victimes humaines. Les transgressions commises par les humains, notamment le vol et la négligence parentale, les rendent apparemment dignes de cette forme unique de punition.

Ces poupées ne sont pas les personnages produits en série que l’on voit dans Jeu d’enfant. Il s’agit plutôt d’humains métamorphosés en poupées en guise de punition. Il y a une sentimentalité inhérente aux Poupées, dont on peut trouver des échos dans Annabelle (2014), Robert (2015) et The Boy (2016).

Les poupées des années 2000

Jeu d’enfant est le premier épisode de la franchise cinématographique la plus répandue et la plus durable du sous-genre des « poupées vivantes » : Chucky. Charles Lee Ray, surnommé « Chucky », est un tueur en série qui transfère sa force vitale dans une poupée et tente constamment de transférer son âme du jouet à un corps mortel.

Les films Chucky s’étendent sur cinq décennies et six suites cinématographiques directes, en plus d’une série télévisée et d’un reboot. Un nouveau film sur Chucky est prévu pour 2026.

Dans les années 2000, les cinéphiles ont été saisis par l’horreur des maisons hantées, comme en témoignent Les Autres (2001) et Paranormal Activity (2007), et par l’horreur de l’exorcisme, comme en témoignent L’Exorcisme d’Emily Rose (2005) et Le Dernier Exorcisme (2010).

La première apparition de Chucky, dans Jeu d’enfant (1988).

The Conjuring (2013) a habilement marié ces deux sous-genres pour produire un récit prétendument véridique d’horreur domestique qui présente aux spectateurs la poupée démoniaque Annabelle. Ici, la poupée existe principalement en tant que vecteur – un objet hanté qui peut manipuler les personnes et les objets autour d’elle pour exécuter ses ordres macabres.

Annabelle se distingue par son immobilité et son silence, ce qui représente une anomalie dans un sous-genre qui tend à privilégier l’approche « elles marchent, elles parlent, elles tuent ». Les mouvements de la poupée se limitent à quelques mouvements subtils de la tête, et elle ne parle jamais.

Au lieu de cela, Annabelle préfère exécuter sa volonté à travers des hôtes sans méfiance, les privant de leur autonomie dans le processus.

Annabelle, Chucky et d’autres icônes moins connues du sous-genre du film d’horreur avec poupées tueuses illustrent une fascination culturelle durable pour l’animisme (l’attribution de la vie, et parfois d’une âme, à un objet inanimé) et l’anthropomorphisme (l’attribution à un objet inanimé de caractéristiques ou de traits de personnalité ressemblant à ceux de l’homme). Des films plus récents, dont M3GAN, expriment de nouvelles angoisses liées à la surveillance numérique et à l’intelligence artificielle.

L’horreur des poupées « vivantes », après tout, réside dans leur ressemblance troublante avec quelque chose qui, par nature, n’est pas humain. Leurs visages, qu’ils soient en porcelaine ou en plastique, imitent les nôtres et sont donc perturbants.

Alors que le fantasme d’un jouet chéri qui prend vie peut être une possibilité envoûtante, le cinéma d’horreur menace directement cette notion, car les jouets d’enfance qu’il dépeint deviennent des sources de suspicion, d’inquiétude et de terreur, plutôt que de plaisir.

Sandra Mills, Associate researcher, faculty of arts, cultures and education, University of Hull

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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The Conversation

« Allez-vous acheter moins de bouteilles en plastique ? » Une simple question peut changer nos comportements

Bing Bai, Université de Montpellier; Laurie Balbo, Grenoble École de Management (GEM) et Marie-Christine Lichtlé, Université de Montpellier

Envisagez-vous d’acheter moins de bouteilles d’eau en plastique à l’avenir ? Peut-être pas, mais maintenant que la question vous a été posée, vous allez forcément y penser. Cet effet psychologique pourrait être utilisé pour inciter à diminuer à la consommation de plastique.


Avec un taux de croissance de 73 % au cours de la dernière décennie, le marché de l’eau en bouteille est l’un de ceux qui connaissent la plus forte augmentation au niveau mondial. Malheureusement, cette consommation a des conséquences environnementales néfastes : augmentation des déchets plastiques, émissions de gaz à effet de serre liées à la production, le transport et la distribution des bouteilles ou encore surexploitation des ressources en eau pour produire de l’eau en bouteille. Ces impacts ne font qu’aggraver la crise écologique actuelle. Face à cette situation, la réduction de notre dépendance à l’eau embouteillée émerge comme un enjeu environnemental crucial.

En 2020, une étude de Futerra et OnePulse révèle que 80 % des sondés se disent prêts à changer leurs habitudes pour lutter contre le changement climatique et 50 % d’entre eux envisagent de limiter leur usage de plastique. Cependant, peu de recherches ont été dédiées aux stratégies de communication qui permettraient de diminuer la consommation d’eau en bouteille.

Les autoprophéties : une question pour favoriser le changement

Nos recherches explorent l’impact de ce que nous appelons les autoprophéties sur la réduction de l’achat d’eau en bouteille plastique aux États-Unis, en nous appuyant sur un échantillon de 269 personnes. Les autoprophéties désignent un phénomène psychologique selon lequel le simple fait de poser des questions aux individus sur leurs comportements futurs (par exemple : « Allez-vous recycler vos emballages ? ») peut accroître la probabilité qu’ils adoptent ces comportements. Notre étude analyse ce processus et examine comment des facteurs individuels peuvent en moduler les effets.

Des chercheurs ont montré que l’on peut expliquer les effets des autoprophéties grâce à la théorie de la dissonance cognitive. Lorsqu’une personne est invitée à prédire son comportement futur, elle peut prendre conscience d’un écart entre ses croyances normatives (ce qu’elle considère comme socialement désirable ou acceptable) et ses comportements. Cette incohérence suscite une dissonance, c’est-à-dire une contradiction, qui motive souvent les individus à modifier leurs actions pour mieux les aligner avec leurs valeurs.

Ressentir à l’avance la culpabilité d’une action contraire à nos valeurs

Dans notre étude, nous montrons le mécanisme émotionnel par lequel la demande d’autoprophétie influence les comportements pro-environnementaux, par l’intermédiaire de la culpabilité anticipée. Dans son ouvrage intitulé Une théorie de la dissonance cognitive, le psychosociologue américain Leon Festinger décrit la dissonance comme un état caractérisé par un inconfort psychologique, provoquant ainsi une aversion et une motivation à changer de comportement. Toutefois, il ne précise pas explicitement la nature de cet inconfort. Des théoriciens ultérieurs de la dissonance ont identifié la culpabilité comme une émotion provoquée par la dissonance dans certaines situations.

Nous avons exploré cette idée en nous concentrant spécifiquement sur la culpabilité, en formulant l’hypothèse que les individus anticipent ce sentiment lorsqu’ils envisagent de ne pas adopter un comportement écologique. C’est notamment le cas lorsque ce comportement est en accord avec leurs croyances normatives (c’est-à-dire les attentes sociales ou culturelles auxquelles se conformer dans certaines situations). Ainsi, cette anticipation de la culpabilité conduit à répondre à des demandes de comportements alignés sur des valeurs écologiques, pour éviter ce sentiment négatif.

Pour tester cette hypothèse, nous avons mesuré la culpabilité chez des participants exposés à une publicité contenant une question de prédiction dont le but était de réduire leurs achats d’eau en bouteille plastique. Ces participants ressentaient à l’avance davantage de culpabilité que ceux du groupe de contrôle, exposés à une publicité sans question de prédiction. Cette culpabilité anticipée réduit, à son tour, leur intention d’acheter de l’eau en bouteille.

Des effets qui varient selon les individus

Nous avons exploré deux facteurs pouvant influencer l’efficacité de la technique des autoprophéties : les croyances normatives et les motivations qui poussent les personnes à s’engager dans une action.

Des recherches antérieures ont souligné l’importance des croyances normatives. Les individus fortement attachés à leurs croyances sont plus enclins à prédire qu’ils adopteront des comportements en accord avec celles-ci et à les mettre réellement en place. Nous avons examiné comment différents types de normes influencent les intentions. En effet, certaines normes sont descriptives (ce que la majorité des gens font), d’autres sont injonctives (ce que nous pensons qu’il est attendu de nous) et enfin certaines sont personnelles (nos propres standards moraux internes).

Les résultats montrent que ces trois types de normes influencent directement le sentiment de culpabilité anticipée. Les participants pensent que la plupart des gens achètent moins de bouteilles, qu’il est socialement attendu de le faire, et que cela correspond à leurs convictions personnelles. Plus ces normes sont fortes, plus la culpabilité anticipée en cas de non-conformité augmente. Cependant, nous n’avons observé aucune interaction entre les normes et la question de prédiction. Cela suggère qu’une question de prédiction ne rend pas les croyances normatives plus saillantes au moment de la prédiction, et qu’elles ne guident donc pas les participants dans leur prise de décision.

Par ailleurs, nous avons étudié la motivation d’approche, c’est-à-dire le désir de s’engager dans des actions qui procurent des expériences positives ou des récompenses. Ainsi, nous pouvons mesurer un score dit de BAS (pour behavioral approach system, ou système d’approche comportementale) : les individus avec les plus forts scores ont plus tendance à essayer de remplir leurs objectifs, qu’ils soient concrets (par exemple atteindre ou saisir un objet), ou plus abstraits (par exemple l’altruisme ou la productivité). Ces individus fournissent des efforts accrus pour atteindre les buts qui leur procurent du plaisir, réduisant ainsi l’écart entre les objectifs qu’ils se sont fixés et ce qu’ils font en réalité.

Les plus enclins à la dissonance sont ceux qui remplissent le moins leurs objectifs

Contrairement à notre hypothèse, les individus qui ont une faible sensibilité aux récompenses et à la recherche d’expériences positives ressentent davantage de culpabilité que ceux avec un fort score. Notre interprétation est que bien que les individus qui ont un score faible à ce test soient moins motivés à agir pour atteindre leurs objectifs, ils prennent d’autant plus conscience de l’écart entre leurs comportements actuels et leurs normes personnelles lorsqu’on leur pose une question à ce propos. Cette conscience accrue de l’inadéquation entre leurs actions et leurs normes, même en l’absence d’une forte motivation, génère un sentiment de culpabilité anticipée plus fort. Par conséquent, bien qu’ils aient moins d’impulsion à agir, cette anticipation de la culpabilité accroît leur intention de réduire leur consommation de bouteilles en plastique.

À l’inverse, les individus avec un score élevé semblent intrinsèquement disposés à aligner leurs actions avec leurs normes, ce qui réduit leur dissonance cognitive. Ils semblent agir de manière proactive pour combler l’écart entre leurs comportements et leurs objectifs, diminuant ainsi la culpabilité anticipée.

Utiliser les autoprophéties dans les campagnes environnementales

Les résultats de notre étude ouvrent des perspectives pour les campagnes de sensibilisation environnementale. Les agences gouvernementales et les ONG peuvent aisément intégrer des questions de prédiction dans leurs communications pour favoriser des comportements écologiques.

Contrairement à de précédents résultats, nos résultats n’ont pas mis en évidence l’effet des croyances normatives sur l’efficacité des autoprophe?ties. Si un tel effet avait été observé, nous aurions constaté que plus les participants adhéraient à des croyances normatives fortes, plus leur comportement aurait été influencé par l’autoprédiction, en particulier en adaptant leurs actions pour correspondre à ces normes. Toutefois, la littérature montre que les normes personnelles influencent la façon dont les individus forment leurs intentions et adoptent des comportements écologiques. Nous recommandons donc d’avoir recours aux normes personnelles dans les campagnes utilisant des autoprophe?ties, par exemple en créant des messages qui mettent en avant la nécessité d’actions pro-environnementales et les conséquences de l’inaction.

Il convient également de noter que cette étude se concentre sur les intentions comportementales. Des recherches antérieures ont cependant montré les effets des autoprophéties sur les comportements réels (et non anticipés) et répétés dans le temps. Par exemple, certaines études ont documenté des améliorations dans le recyclage sur des périodes de quatre semaines après le protocole, ou encore une augmentation de la fréquentation des clubs de sport sur des périodes allant jusqu’à six mois après la prédiction. Ces différents résultats nous permettent de constater qu’une simple question, en exploitant un levier émotionnel, peut réellement inciter le public à changer ses pratiques.

Bing Bai, Doctorant en Marketing à l'Université de Montpellier - Attaché d'enseignement à l'EDHEC Business School, Université de Montpellier; Laurie Balbo, Professeure Associée en Marketing _ Directrice des Programmes MSc Marketing et MSc Digital Marketing & Data Analytics, Grenoble École de Management (GEM) et Marie-Christine Lichtlé, Professeur des Universités, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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The Conversation

Inoxtag : l’ascension d’un entrepreneur qui repousse les limites de Youtube

Succès inédit pour un youtubeur passé sur grand écran, le film d'Inoxtag est un véritable phénomène. www.youtube.com/@inoxtag
Oihab Allal-Chérif, Neoma Business School

Inoxtag, célèbre youtubeur de 22 ans, aurait pu continuer à faire des vidéos de gaming, de divertissement et d’humour. Mais il a choisi de réaliser un projet autrement plus ambitieux. Dans le film Kaizen, il documente le défi qu’il s’est lancé : entreprendre l’ascension de l’Everest, après un an de préparation.


On l’a vu partout. En quelques jours, il a été interviewé par Yann Barthès dans Quotidien sur TMC, par

sur Canal+, par
sur M6, par
sur France Inter. Il s’est confié à ses amis
et
sur Twitch. Inoxtag est omniprésent dans les médias dans le cadre de la sortie de son film : Kaizen : 1 an pour gravir l’Everest !

Kaizen : 1 an pour gravir l’Everest !

Dès ses 11 ans, Inoxtag diffuse ses parties de Minecraft et de Fortnite sur YouTube. Il devient une star de la plate-forme à 17 ans après avoir rejoint – en même temps que son acolyte Michou – le label Talent Web de Webedia, dont il est toujours un top créateur. Il rassemble une communauté de plus de 8,5 millions d’abonnés sur sa chaîne, 6,2 millions sur TikTok et 5,9 millions sur Instagram. Ses aventures en solo et avec les autres membres de la Team Crouton ont cumulé des milliards de vues.

Inoxtag aurait pu continuer pendant des années à faire des vidéos de gaming, de divertissement et d’humour comme le font la plupart des autres créateurs de contenu. Pourtant, à 22 ans, il vient de réaliser son plus gros projet. Le film Kaizen, dont le budget est estimé à environ un million d’euros, raconte un an de préparation pour escalader l’Everest, le plus haut sommet du monde, sans aucune connaissance préalable de l’alpinisme. Il n’est pas question ici de commenter la performance sportive –

– mais de s’intéresser à la démarche entrepreneuriale, aux pratiques managériales, et à l’évolution du modèle économique de la création sur YouTube.

Un défi qui questionne la chronologie des médias

Il est plus qu’audacieux de prétendre sortir un film dans 350 salles de cinéma en France et plusieurs dizaines d’autres à l’étranger – Tunisie, Algérie, Maroc, Côte d’Ivoire, Canada, Belgique, Suisse, et Luxembourg – quand ce même film doit être mis en ligne dès le lendemain sur YouTube. Qui acceptera d’aller au cinéma et de payer entre 8 et 15 euros pour voir un documentaire qui sera disponible gratuitement moins de 24 heures plus tard dans son smartphone ? Pourquoi risquer d’organiser une avant-première au Grand Rex – la plus grande salle de cinéma d’Europe – devant 2 700 personnes, dont de nombreuses personnalités ?

24h avec Inoxtag pour la sortie de son documentaire Kaizen !

D’autres youtubeurs ont ouvert la voie. Le documentaire de Seb (AKA Seb la Frite)

avait été projeté dans une seule salle.
, le sixième volet des aventures de Djilsi qui « va quelque part dans le monde au hasard » avec sa bande a été diffusé dans cinq cinémas en partenariat avec CGR.
, sur la traversée de la Méditerranée de Mcfly et Carlito (suite au défi lancé par Michou et… Inoxtag) a bénéficié de 35 avant-premières elles aussi en partenariat avec CGR. Mais il s’agît plus de rencontres avec les protagonistes sans chercher à remplir des centaines de salles.

Pourtant, dès l’ouverture de la billetterie, les plates-formes de Pathé, UGC, mk2 et même Allociné ont toutes crashé les unes après les autres. Certains cinémas qui avaient prévu une seule salle sont passés à deux, puis trois… et même jusqu’à sept salles. Les petits cinémas, mentionnés comme une priorité par Inoxtag pour atteindre son public, ont eux aussi été submergés par les demandes et ont dû créer ou ajouter des séances. Il y aurait eu près d’un millier de séances en France entre la soirée du vendredi 13 septembre et la matinée du samedi 14 septembre. « Une vraie dinguerie » comme dirait Inoxtag.

Il faut bien dire que les résultats exceptionnels impressionnent. Avec 310 000 spectateurs au cinéma en moins de 24 heures, Kaizen bat largement le précédent record pour une sortie événementielle détenu par

du rappeur Nekfeu avec 92 000 entrées. Il est même deuxième du box-office de la semaine derrière Bettlejuice Bettlejuice de Tim Burton. Cela ne tient pas compte des 40 000 entrées à l’étranger.

Avec 11,7 millions de vues en 24 heures sur YouTube, le documentaire Kaizen qui dure deux heures trente dépasse largement le précédent record français détenu par le clip de rap Au DD de PNL qui dure moins de cinq minutes et avait cumulé 7,5 millions de vues en 24 heures. En 8 jours, le film a dépassé 30 millions de vues, atteint les 2 millions de likes et recueilli 135 000 commentaires. C’est un des meilleurs lancements de l’histoire de YouTube selon ses porte-parole.

Inoxtag débriefe le phénomène Kaizen 10 jours après la sortie.

TF1 a acquis les droits pour une diffusion le 8 octobre, juste après Koh-Lanta, et une mise en ligne sur TF1+ à partir du 28 septembre, une première inespérée pour une vidéo YouTube. La chaîne belge Tipik diffusera Kaizen le 26 septembre en prime time. Inoxtag aurait même refusé des offres généreuses de plates-formes de streaming payantes pour garantir que son film reste accessible gratuitement au plus large public.

Si certains professionnels du secteur, comme le CNC, dénoncent un non-respect de la chronologie des médias et un dépassement flagrant du quota de 500 salles normalement attribué à ce genre de projets, d’autres se félicitent de ce succès et soulignent que Kaizen a amené au cinéma beaucoup de spectateurs qui n’y venaient pas ou plus, et que ceux-ci ont pu assister à des bandes annonces qui leur donneront peut-être envie d’y retourner. Le Directeur Général de mk2, distributeur partenaire du film dans le cadre du YouTube Ciné Club par mk2, semble très satisfait d’avoir contribué à un phénomène qu’il dit être sans précédent.

De créateur à entrepreneur et leader

Comme d’autres avant lui – Squeezie et son GP Explorer, Amine et son Eleven All-Star – Inoxtag a su créer l’événement en devenant un véritable entrepreneur et un chef de projet. Il a concrétisé sa vision, donné du sens à sa démarche, fixé des objectifs ambitieux, mobilisé une équipe unie autour de lui et trouvé des partenaires financeurs.

Inoxtag a démontré sa capacité à fédérer des talents, même réfractaires, autour de son projet et à les faire dépasser leurs limites pour réaliser l’impossible. Afin de s’entourer « de personnes qui apportent des perspectives et des énergies complémentaires », il a dû convaincre les bons acteurs, à commencer par le guide, coach et photographe de montagne Mathis Dumas qui dit lui-même qu’il était très perplexe au départ et ne voulait pas risquer d’entacher sa réputation pour un caprice de star. Sa rencontre avec Inoxtag l’a convaincu de la sincérité de son intérêt pour l’alpinisme.

Mathis Dumas, guide de haute montagne, raconte les coulisses de l’Everest d’Inoxtag.

Ce fut aussi très difficile de convaincre le réalisateur du film, Basile Monnot, le producteur Samy Bouyssié, le monteur en chef Quentin Eiden, et le compositeur Mim (Emilien Bernaux) de s’engager dans un projet aussi risqué et avec autant de pression financière, technique et temporelle. L’équipe a installé une station de post-production au camp de base de l’Everest, à 5364 mètres d’altitude, pour sauvegarder et traiter les rushs en temps réel, ce qui a rendu possible la création d’un documentaire de deux heures trente en trois mois pendant lesquels la postproduction a du travailler 16 heures par jours pour tenir les délais.

Au-delà de sa personnalité et de son charisme, Inoxtag a donc prouvé qu’il avait les qualités d’un entrepreneur en étant capable : de ne pas considérer un « non » comme un refus ; de faire changer d’avis ses interlocuteurs et surtout ceux qui ont des préjugés sur lui ; d’être résilient et de s’adapter rapidement aux aléas ; de faire des sacrifices, d’être patient et de relativiser ; d’avoir une approche à court, moyen et long terme ; et de déléguer les tâches à des experts dévoués et capables de travailler ensemble. Il n’est pas donné à tout le monde de diriger une équipe de 150 personnes, surtout dans des conditions aussi extrêmes. Inoxtag l’a fait malgré sa jeunesse et son tempérament qui peut paraître nonchalant.

Conversation entre Inoxtag, Basile Monnot (réalisateur), Samy Bouyssié (producteur), Quentin Eiden (monteur), et Ludoc (producteur exécutif)

Inoxtag raconte que quand il a annoncé le projet, il a engagé personnellement un million d’euros sans les avoir en tant que producteur : « on prend le risque et on verra ». Il a fallu ensuite trouver les financements en s’associant avec des marques, impliquées très en amont du projet avec une volonté de les intégrer de la manière la plus naturelle possible. Inoxtag est le premier créateur de contenu au monde à devenir ambassadeur de la marque Nike. Il a désormais son propre modèle de la chaussure emblématique Tn. Il est aussi ambassadeur AirUp, principal sponsor de ses vidéos depuis deux ans, avec son propre modèle de gourde qu’il a cocréée.

La collaboration entre Inoxtag et AirUp

Parmi les autres partenaires commerciaux du film, on compte Deezer,

, Erborian,
, Thermic, et Orange. Leurs produits apparaissent dans le film, ainsi que dans des posts et des spots publicitaires. Inoxtag ne manque pas une occasion de les citer et de les remercier pour leur soutien. The North Face, marque très présente dans le film, surtout dans les moments les plus intenses, ne fait cependant pas officiellement partie des entreprises qui ont soutenu le projet, bien qu’elle ait fourni du matériel aux sherpas. Inoxtag espère convaincre ce sponsor pour un prochain projet.

Privilégier la qualité et donner du sens

Pour la plupart des youtubeurs, poster des vidéos de manière à la fois fréquente et régulière est fondamental. Même MrBeast, le plus grand youtubeur du monde avec près de 320 millions d’abonnés, tourne en permanence, ne s’accordant que quelques jours de repos par mois pour maintenir une présence constante sur la plate-forme. Alors qu’il publiait une vidéo par semaine sur sa chaîne principale, Inoxtag a divisé sa production par deux pendant l’année de sa préparation pour gravir l’Everest. Puis il a passé presque six mois sans publier de vidéo et sans apparaître sur les réseaux sociaux. Après la sortie de son film, il a annoncé à sa communauté qu’il ne fera plus qu’une seule vidéo en 2024, et cinq ou six seulement en 2025.

Inoxtag décide donc de sortir de la course au contenu et de se focaliser sur des vidéos où le fond et la forme sont plus travaillées. Comme le dit Seb au sujet de ses voyages en

et
, l’envie à la fois de se sentir utile et d’être plus ambitieux conduit certains créateurs à adopter une nouvelle trajectoire. Michèle Benzeno, Directrice Générale de Webedia, explique que nous assistons à une « premiumisation » de l’offre sur YouTube.

Avec Kaizen, Inoxtag met en œuvre des moyens extraordinaires pour parvenir à mélanger le documentaire, le vlog, la simulation 3D, le clip musical et la publicité. Le film s’appuie par exemple sur l’utilisation d’un drone DJI Mavic 3 Pro en conditions extrêmes de froid et de vent à plus de 8000 mètres d’altitude, qui s’est crashé dans la zone de la mort et qu’il a fallu récupérer pour ne pas perdre les rushs. Des caméras Sony FX3, Panasonic S1H, et de multiples GoPro ont été nécessaires pour filmer l’ensemble de l’aventure et produire des images splendides qui ont été retouchées une par une ensuite.

Inoxtag encourage à la déconnexion numérique et à un usage modéré des écrans en partenariat avec Orange.

Bien entendu, le storytelling est très travaillé dans Kaizen. Inoxtag l’a développé dans

et c’est le rôle des créatifs de mettre en scène sa personnalité forte pour en faire ressortir les aspects qui trouveront un écho auprès du public. Mais Inoxtag n’a pas seulement préparé son ascension de l’Everest. Il a aussi mûri son message pendant deux ans. Il explique aujourd’hui que sa plus grande fierté c’est de voir qu’il réunit les générations devant son film et qu’il donne envie aux autres de se lancer dans leurs projets. Pour sa prochaine grande vidéo, Inoxtag envisage de nouveau une sortie événementielle au cinéma.

Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Pour moins se mouiller sous la pluie, vaut-il mieux courir ou marcher ?

Jacques Treiner, Université Paris Cité

Vous avez forcément déjà connu cette situation, que ce soit sous une pluie fine ou un orage, prenons le problème du point de vue de la physique et essayons de calculer la quantité d’eau qui vous tombera dessus en fonction de votre vitesse.


Vous êtes sorti, par un temps incertain, et la pluie se met à tomber alors que vous n’avez pas de parapluie. Le réflexe est de se pencher en avant et d’accélérer le pas, n’est-ce pas ? C’est ainsi qu’on a le sentiment qu’on se mouillera le moins. Il se peut même que l’on accepte de se mouiller plus à condition que cela dure moins longtemps.

Ce comportement est-il justifié ? Peut-on faire un modèle qui permette de répondre à cette question de la plus haute importance ? En particulier, la quantité d’eau reçue dépend-elle de la vitesse ? Existe-t-il une vitesse telle que la quantité d’eau reçue, pour aller d’un lieu à un autre, soit minimale ?

Faisons simple, tout en gardant les éléments importants de la situation. Considérons une pluie homogène qui tombe verticalement. Schématiquement, on peut considérer que le marcheur présente à la pluie des surfaces verticales (le devant et l’arrière du corps) et des surfaces horizontales (la tête et les épaules).

Considérons d’abord les surfaces verticales. En avançant, le marcheur va à la rencontre des gouttes : plus il va vite, plus il va en recevoir. De son point de vue, les gouttes tombent en oblique, avec une composante de vitesse exactement égale à sa propre vitesse de marche : plus il va vite, plus il va recevoir de gouttes. Oui, mais pour aller d’un point à un autre, il va mettre moins de temps, et d’autant moins qu’il va vite ! On voit donc que les deux effets se compensent exactement : plus de gouttes par unité de temps, mais moins de temps passé sous la pluie.


Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions.

N’hésitez pas à nous écrire pour poser la vôtre et nous trouverons la meilleure personne pour vous répondre.

Et bien sûr, les questions bêtes, ça n’existe pas !


Qu’en est-il des surfaces horizontales ? Quand le promeneur est immobile, il ne reçoit la pluie que sur ces surfaces. Quand on le regarde avancer, on voit qu’il reçoit des gouttes qui, auparavant, lui passaient devant, mais il ne reçoit plus des gouttes qui passent maintenant derrière lui : au total, par unité de temps, il reçoit, sur ces surface horizontales, une quantité indépendante de sa vitesse de marche. Mais comme la durée totale de la marche diminue quand la vitesse augmente, la quantité d’eau reçue sur les surfaces horizontales sera plus faible.

Au total, on a donc bien raison d’accélérer le pas.

Pour celles et ceux qui aiment un traitement mathématique des choses, voici de quoi les satisfaire :

Désignons par ? le nombre de gouttes par unité de volume, et par a leur vitesse verticale. Désignons par Sh la surface horizontale de l’individu, et par Sv sa surface verticale.

Si l’on est immobile, on ne reçoit de la pluie que sur la tête et les épaules, c’est donc la quantité d’eau qui arrive sur la surface Sh.

Même si la pluie tombe verticalement, du point de vue du promeneur qui avance à la vitesse v, elle arrive de façon oblique, selon une direction qui dépend de la vitesse v.

Pendant un intervalle de temps T, une goutte parcours une distance a.T. Donc toutes les gouttes qui se trouvent à une distance inférieure vont atteindre cette surface : ce sont les gouttes qui se trouvent dans le cylindre de base Sh et de hauteur a.T, soit :

?.Sh.a.T.

Comme nous l’avons vu, dès que l’on avance, les gouttes paraissent animées d’une vitesse oblique qui résulte de la composition de la vitesse a et de la vitesse v. Le nombre de gouttes qui parviennent à Sh demeure inchangé, car la vitesse v est horizontale, donc parallèle à Sh. En revanche, le nombre de gouttes qui atteint la surface Sv, nul lorsque le promeneur était immobile, est maintenant égal au nombre de gouttes contenues dans un cylindre (horizontal) de base Sv et de longueur v.T, car cette longueur représente bien la distance horizontale parcourue par les gouttes pendant cet intervalle de temps.

Au total, le promeneur reçoit un nombre de gouttes donné par l’expression :

?.(Sh.a + Sv.v). T

Il faut à présent tenir compte de l’intervalle de temps pendant lequel le promeneur va se mouiller. S’il doit parcourir une distance d à la vitesse constante v, l’intervalle de temps est donné par le rapport d/v (ce qui suppose évidemment v non nul !). En reportant dans l’expression ci-dessus, on obtient le résultat final :

?.(Sh.a + Sv.v). d/v = ?.(Sh.a/v + Sv). d

Nous obtenons donc le double résultat suivant :

  • D’une part, la quantité d’eau reçue sur la tête et les épaules est d’autant plus petite que la vitesse est grande.

  • D’autre part, la quantité d’eau reçue sur la partie verticale du corps est indépendante de la vitesse, la diminution du temps de parcours étant exactement compensée par l’augmentation du nombre de gouttes reçues.

Moralité : on a bien raison de se pencher et de presser le pas ! Mais attention, se pencher augmente Sh : il faut donc que cette augmentation soit compensée par l’augmentation de la vitesse !

Jacques Treiner, Physicien théoricien, Université Paris Cité

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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« The Apprentice », ou le capitalisme prédateur selon Donald Trump

Apprentice Productions/DCM
Sophie Louey, Sciences Po

La sortie en France le 11 octobre du film The Apprentice, biopic qui relate une partie de la vie de Donald Trump, coïncide avec l’approche de l’élection présidentielle aux États-Unis. Réalisé par Ali Abbasi, le film sélectionné au Festival de Cannes de 2024 met en scène – sans concessions – l’ascension entrepreneuriale de Donald Trump avant son entrée en politique.


Sur l’affiche du film, les symboles abondent : la dominante de doré renvoie à la richesse économique de Donald Trump (incarné par Sebastian Stan) assis sur ce qui s’apparente à un trône. À ses côtés se trouve le personnage d’Ivana Zelní?ková, future Mme Trump (jouée par Maria Bakalova) représentée en statue de la Liberté dont la force de l’allégorie est contrebalancée par la petitesse. Roy Cohn, l’avocat amoral qui fut son mentor (incarné par Jeremy Strong) pose quant à lui debout derrière Donald Trump, une main sur son épaule.

Le film explore la question suivante : par quels processus sociaux le jeune Donald Trump est-il devenu un homme d’affaires redoutable et redouté dans la société américaine des années 1970-1980 ? Pour ce faire, il dévoile l’importance des ressources héritées et gagnées pendant les premières décennies de sa carrière entrepreneuriale.

Entrepreneur et héritier

Au tout début du film, Donald Trump collecte des loyers auprès d’habitants blancs (seuls locataires acceptés par la société familiale) en situation de grande pauvreté vivant dans des logements vétustes. Ces tâches sont réalisées pour le compte de son père Fred Trump, promoteur immobilier, qu’il assiste dans l’entreprise familiale (héritée et reprise à sa propre mère Elizabeth Trump).

Le film est ponctué de scènes de regroupements familiaux (des repas en particulier) et d’interactions variées entre les membres de la famille Trump, rendant compte d’un climat familial lourd, rythmé par les jugements du père adoubant ou condamnant les actes et situations de ses enfants. Ce dernier considère par exemple qu’un de ses fils, devenu pilote d’avion, est une « honte » pour la famille alors que Donald Trump, bien que sujet à des critiques récurrentes, se voit reconnu comme hériter, tandis que les filles sont invisibilisées.

Le film dévoile en partie combien l’ascension entrepreneuriale de Donald Trump est déterminée d’une part par une socialisation primaire poussant à l’entreprise de soi les fils de la fratrie et d’autre part par des ressources familiales dont il a hérité en même temps qu’il en a joué. Sa place dans l’entreprise familiale lui permet de fréquenter des clubs et d’entrer dans des réseaux de relations sociales affairistes. Bien que l’entreprise familiale vive quelques remous – imprécisément restitués dans le film – Donald Trump joue de ses positions et relations pour sans cesse grandir économiquement et socialement.

Un entrepreneur arriviste

Tout au long du film, Donald Trump est présenté comme un entrepreneur arriviste organisant des « coups » et jouant avec le droit pour atteindre ses objectifs. Le film met en avant combien des soutiens politiques et judiciaires permettent à l’homme d’affaires de mettre en œuvre des projets fortement contestés par les New-Yorkais. De la création de la Trump Tower aux constructions de casinos en passant par les hôtels, les projets entrepreneuriaux de Donald Trump s’inscrivent dans une période de fort développement économique. Les espaces urbains, notamment New York et Atlantic City, sont transformés et se gentrifient progressivement.

Si l’ascension économique de Donald Trump doit beaucoup aux relations d’entraides construites notamment par sa fréquentation de clubs affairistes, on perçoit aussi qu’il n’a de cesse d’utiliser stratégiquement ces relations pour atteindre ses objectifs. Ces entraides sont relatives : Donald Trump semble plus en bénéficier qu’en apporter lui-même à d’autres. La relation avec son mentor rencontré au début des années 1970, l’avocat Roy Cohn (sujet de la pièce de théâtre Angels in America de Tony Kushner), le démontre parfaitement. Si ce dernier forme Donald Trump aux rouages et stratégies affairistes, en usant d’actions illégales, le mentoré exprime peu de reconnaissance à l’égard de celui-ci.

Une figure de domination et de violence masculine

Tout au long du film, Donald Trump incarne aussi une figure de domination et de violence masculine, notamment par la mise en scène de ses rapports avec Roy Cohn et Ivana Zelní?ková (la future Mme Trump). Ces deux relations et leurs évolutions se superposent au développement des affaires économiques de Donald Trump.

Concernant la relation amicale et affairiste avec Roy Cohn, si le mentoré suit d’abord plusieurs années son mentor et le sollicite à chaque difficulté, progressivement ce mentor se trouve fragilisé et devient alors inutile aux yeux de Donald Trump. À mesure que l’un grandit, l’autre sombre dans des difficultés économiques et dans la maladie dans l’indifférence du premier. Atteint du Sida, Roy Cohn ne bénéficie d’aucun soutien de Donald Trump. Les quelques aides sollicitées sont ignorées ou lorsqu’elles sont considérées reçoivent des retours teintés de cynisme et de dégoût. Les réflexions et actions homophobes de Donald Trump marquent des violences répétées à l’égard de ce mentor en déclin.

La relation entre Donald Trump et Ivana Zelní?ková est mise en image au rythme des étapes de leurs rapprochements (rencontre, mise en couple, mariage, entrée dans la parentalité) puis de leurs éloignements. Il travaille à la conquérir en utilisant de multiples stratégies de drague après l’avoir repérée dans le club qu’il fréquente. Bien qu’elle signifie ne pas être intéressée et déjà en couple, il ne cesse de revenir vers elle (il la poursuit littéralement) jusqu’à ce qu’elle cède. La violence semble caractériser la relation de bout en bout.

D’abord, l’engagement dans les affaires d’Ivana Zelní?ková est présenté comme très irritant pour Donald Trump. Il exprime regretter se retrouver avec une « associée » plutôt qu’avec une femme alors même qu’elle a renoncé à une partie de ses projets propres entrepreneuriaux. Ensuite, le film montre un viol dans l’enceinte du domicile conjugal. Cette scène est basée sur des faits réels puisque Ivana Zelní?ková a accusé Donald Trump de viol en 1989 – viol montré dans le film – et a fait une déposition en 1990 dont elle s’est ensuite rétractée.

Ce film se rapproche ainsi d’autres mises en scène de parcours entrepreneuriaux (on citera par exemple Le Fondateur de John Lee Hancock sur Ray Kroc entrepreneur de McDonald’s) participant à une déconstruction du mythe de l’entrepreneur ou encore du golden boy qu’a pu incarner, comme d’autres, Donald Trump.

En donnant à voir les rôles déterminants de plusieurs membres de l’entourage dans cette trajectoire, on perçoit que plus Donald Trump « grandit » économiquement et socialement, plus il domine et violente les membres de son entourage le plus proche (on pensera aussi en plus des violences précédemment citées à la mise en scène d’une tentative d’abus de faiblesse du père, ou encore du refus d’une main tendue à son frère).

Donald Trump, par cette mise en scène d’une partie de sa vie, devient l’allégorie d’un capitalisme prédateur. Les trois conseils prodigués par Roy Cohn à Donald Trump sont pleinement appropriés par ce dernier tout au long de sa carrière économique : toujours attaquer ; ne rien avouer ; toujours revendiquer la victoire. Des règles que Donald Trump semble avoir adoptées tel quel dans sa carrière politique.

Sophie Louey, Sociologue chercheuse à Sciences Po Paris, Sciences Po

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Parfum contre poubelles : pourquoi notre cerveau perçoit les odeurs comme bonnes ou mauvaises ?

Notre perception des odeurs est le fruit à la fois de nos gènes et de nos expériences de vie. Annie Spratt/Unsplash, CC BY
Hirac Gurden, Université Paris Cité

Petit jeu olfactif. Prenons ensemble quelques secondes pour penser à une odeur agréable que nous aimons, puis à une odeur désagréable que nous n’aimons pas. Personnellement, je dirai que j’apprécie l’odeur de citron, mais que celle de l’ail me déplaît. Nous venons de faire un tour du côté de nos préférences olfactives individuelles. En effet, pour chaque odeur, nous lui attribuons une appréciation sensorielle, comme un curseur cérébral, allant de l’agréable au désagréable, en passant par le neutre, et toutes ces positions définissent notre lien aux odeurs. Mais nos préférences olfactives ne se résument pas qu’à ce « j’aime/je n’aime pas » et proviennent de mécanismes cérébraux complexes et fascinants qui sont très étudiés par les neuroscientifiques.

Nous sentons différemment au cours de notre vie

Les préférences olfactives apparaissent très tôt dans notre vie, dès notre naissance. De façon innée, les odeurs contenant du soufre par exemple signent dans la nature la présence de putréfaction ou de plantes toxiques. Elles sont donc répulsives pour le nouveau-né, qui ne les a pourtant jamais senties auparavant. La raison est ici évolutive, puisque les êtres ne pouvant détecter et percevoir ce type d’odeurs n’ont pas survécu. Nous sommes désormais tous équipés d’un circuit cérébral qui lie l’odeur d’œuf pourri à une expression du visage caractéristique de dégoût.

Cependant, les odeurs soufrées ne resteront que partiellement répulsives pour l’adulte : nous sommes très sensibles à l’odeur soufrée du gaz de ville qui nous alerte, mais les odeurs soufrées dégagées par la cuisson de l’ail ne sont plus aversives pour les personnes qui en apprécient la consommation dans un plat. À l’inverse, quelques très rares odeurs comme celle de la vanille ou de la banane peuvent être perçues instantanément et de façon plaisante par le nouveau-né. Mais, nous l’avons vu avec l’exemple de l’ail, ces perceptions et préférences innées restent limitées et vont rapidement et fortement évoluées avec le vécu de chacun. Le contexte social et culturel (familial, scolaire…) va influencer et placer notre odorat à la croisée des chemins individuels et culturels.

Poubelles contre parfums

Les réactions de rejet par rapport à une odeur sont liées à sa concentration dans l’air. Déclarer « ça sent trop fort » s’accompagne généralement d’une réaction de dégoût facial. Ainsi, les poubelles dégagent de grandes quantités d’odeurs, fortement marquées par le soufre et l’azote et des molécules de la famille de l’acide butyrique, des composées qui sentent toujours mauvais pour tout le monde.

Pour des odeurs qui ne sont pas dans ces catégories olfactives, comme les parfums, ce sont les associations entre odeurs et vécus positifs ou négatifs qui marqueront le plaisir ou le déplaisir de ces odeurs en mémoire. Ainsi, une majorité de personnes déclarera que la lavande sent bon et une minorité qu’elle ne sent pas bon, de même pour tel ou tel parfum, tout cela suivant les événements de la vie de chacun.

Le plaisir de la perception des odeurs fondé sur nos gènes et nos expériences

Les sensibilités olfactives liées à la qualité et à la quantité des odeurs varient donc à la fois sur une base génétique et cérébrale. En effet, chaque individu ne possède pas le même nombre de famille de récepteurs aux odeurs, ni la même quantité exacte de ces récepteurs, ce qui peut fortement changer notre perception et nos préférences. Par exemple, il est avéré que certaines personnes détectent bien plus intensément que d’autres l’odeur de coriandre. Cette hyperstimulation a pour effet d’évoquer une odeur de punaise écrasée ou un goût de savon. Ces personnes possèdent en effet un grand nombre de récepteurs spécifiques à cette odeur, ce qui provoque ce dégoût. À cette variabilité génétique, s’ajoutent les expériences de vie.

Un jour d’anniversaire ou des vacances, nos souvenirs sont marqués par des signatures olfactives précises : l’odeur du gâteau au chocolat, ou les odeurs de plage et de la mer sur la côte, qui seront toujours perçues de façon agréable. Mêmes endroits et mêmes odeurs, mais cette fois une autre personne vit malheureusement un accident. Les odeurs de la côte prennent alors une valence négative, car elles ont été associées à une situation dangereuse ou à risque. Le cerveau construit donc constamment des associations entre nos perceptions sensorielles et notre vécu, un mécanisme qui guide grandement nos comportements.

Ainsi, c’est à la fois notre patrimoine génétique et le contexte de la perception de nouvelles odeurs qui nous donnent des capacités de détection et d’appréciation des odeurs qui nous sont propres. Les odeurs sont catégorisées selon leur valence (positive, négative ou neutre), ce qui fait que nous les percevons de façon agréable, ou neutre ou désagréable… Et le tout peut changer, sous l’effet de nouvelles expériences : le cerveau est un organe qui s’adapte en permanence.

La complexité du cerveau olfactif

Le plaisir olfactif est fortement associé à l’activation dans le cerveau du circuit de la récompense, qui implique des neurotransmetteurs, c’est-à-dire des molécules permettant la communication entre les neurones. C’est le cas notamment de la dopamine, qui joue un rôle crucial dans la sensation de plaisir et de récompense. Lorsqu’une odeur est perçue comme étant agréable, le circuit de la récompense est activé, libérant de la dopamine dans des régions comme le noyau accumbens. Cette libération de dopamine renforce l’association entre des expériences agréables (anniversaire + gâteau au chocolat + famille + amis + cadeaux) et motive les comportements de recherche de plaisirs similaires. On attend alors avec impatience notre anniversaire pour revivre cette situation agréable marquée par des odeurs positives.

Plaisir et déplaisir sont également basés sur des émotions comme la joie ou le dégoût qui sont exprimées grâce à l’activation d’une structure dénommée l’amygdale, pas celle qui est au fond de notre gorge, mais bien un groupe de neurones dans notre cerveau. Ainsi, c’est l’activité complexe d’un grand ensemble de régions cérébrales qui fixe nos préférences olfactives.

Pour finir, retour du petit jeu olfactif. Remémorons-nous les deux odeurs auxquelles nous avons pensé en début d’article et essayons de décrire les émotions et les souvenirs qui leur sont liés. Nous ne serons pas étonnés de nous rendre compte que nous les avons choisies à cause du contexte et des événements et des sentiments qu’elles nous évoquent : un bel exemple du cerveau olfactif en action, qui connecte notre histoire personnelle à notre environnement social et culturel, en portant attention à l’univers des odeurs qui nous entoure.


Pour en apprendre plus sur le fonctionnement extraordinaire de l’odorat dans notre quotidien, découvrez le livre Sentir de Hirac Gurden (éditions Les Arènes).

Hirac Gurden, Directeur de Recherches en Neurosciences au CNRS, Université Paris Cité

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Quel prix êtes-vous prêts à payer pour aller au cinéma ?

La façade du Grand Rex, à Paris. A Hellmann, CC BY
Laurent Aléonard, Pôle Léonard de Vinci

Si vous choisissez le Pathé Palace, dans le quartier de l’Opéra, à Paris, pour votre prochaine séance de cinéma, il vous en coûtera 25 euros. L’apparition de ces salles « premium » répond à deux objectifs : renouveler les publics et en capter de nouveaux en réinventant le spectacle cinématographique « haut de gamme ». Mais est-ce vraiment une stratégie gagnante ?


Une étude du CNC publiée en mai 2022 le soulignait déjà : le coût de la sortie au cinéma reste le principal frein à aller voir un film en salle. Alors, comment expliquer que dans le même temps des circuits, au premier rang desquels Pathé, qui fait figure de pionnier en France, mais aussi des exploitants indépendants, se lancent dans l’ouverture de salles luxueuses – comme le Pathé Palace à Paris, ouvert en juillet – affichant des tarifs jugés stratosphériques (de 15 à 25 €), lorsque le prix moyen du billet de cinéma est de 7,20 € ?

Dans un article paru en septembre 2023, je défendais l’hypothèse, à priori paradoxale, que la pérennité du cinéma en salles, activité culturelle éminemment populaire, passait entre autres stratégies d’innovation, par la création de salles dites « premium ». Ces cinémas se caractérisent par leur niveau de confort, le luxe de leur aménagement, leurs performances technologiques, et des services censément privilégiés proposés avant ou pendant la séance. Elles visent à renouveler les publics et en capter de nouveaux en réinventant le spectacle cinématographique « haut de gamme ». Mais tout cela a un coût, celui de l’innovation, avant d’avoir un prix, celui que vous serez prêts à payer… ou pas.

La double stratégie d’innovation des salles de cinéma « premium »

A la lumière de quelques récentes ouvertures (la salle ?ma à Mougins dans le Var, et à Paris la salle « Inifinite » du Grand Rex, ainsi que les Pathé Parnasse et Pathé Palace), les salles « premium » répondent à une double stratégie d’innovation : la réinvention du lieu cinéma autour du confort et du prestige du spectacle cinématographique d’une part, la réinvention du lieu cinéma autour d’une offre étendue de services fortement différenciant socioculturellement (y compris le prix) d’autre part.

Le premier axe stratégique, autour du confort et du prestige, n’est que partiellement innovant : il se distingue surtout par le concentré, dans un même lieu, de toutes les technologies les plus performantes à ce jour (projection laser, Dolby Vision, son Dolby Atmos, écran cinéma RealD, écran LED Onyx), des agencements les plus confortables et luxueux, et la promesse d’une expérience attendue à coup de superlatifs. La réelle innovation se joue plutôt sur la dimension prestige : très contrainte dans un bâtiment préexistant, elle viendra de la possibilité de repenser l’architecture même de la salle de cinéma pour en faire un lieu à nul autre pareil : c’est en partie le cas du Pathé Palace, l’ancien cinéma Paramount intégralement reconstruit autour d’un impressionnant puits de lumière. Mais c’est surtout le cas de l’?ma Cinéma de Mougins, qui réinvente le « théâtre cinématographique » dont l’intérieur est agencé sous forme de loges réparties sur toute la hauteur de la salle, à équidistance de l’écran.

Le deuxième axe stratégique, fondé sur des services à forte valeur ajoutée, n’est pas davantage une innovation en soi. De nombreux cinémas non « premium » disposent de bars et de distributeurs de boissons et snacks, consommables en salles. C’est plutôt sur le mode de distribution de ces services que les salles « premium » tentent sinon d’innover, du moins de prendre de l’avance : réservations en ligne couplant billets et « Food & Beverage », restauration servie à la place, espace-bar exclusif à la salle et accessible pendant la séance. Le Pathé Palace propose en outre un service de conciergerie comparable à celui d’un hôtel, un bar à vin, ainsi qu’un espace dédié aux enfants, équipés de distributeurs de confiseries […] et de poufs multicolores.

Les premières observations du cas ?ma Cinéma

Confirmant la réelle dimension innovante de la salle, ouverte en mai 2024, le public des Balcons de Mougins plébiscite les loges : leur taux d’occupation dépasse les 60 % sur les 5 premières semaines d’exploitation, et elles sont réservées plusieurs jours à l’avance par des spectateurs réguliers et assidus. Les exploitants ont noté que des spectateurs sont revenus plusieurs fois dans la même semaine, pour apprécier le même film des différents points de vue qu’offre chacune des loges par rapport à l’écran. Si l’effet de nouveauté en est la principale raison, de nombreux spectateurs demandent à voir le film dans la salle ?ma exclusivement (le cinéma dispose de deux autres salles « traditionnelles »), et le choix du public occasionnel d’aller au cinéma semble déterminé par la salle et l’expérience particulière qu’elle procure.

L’engouement pour la salle ?ma a eu un impact positif sur les recettes de boissons et snacks, avec une montée en gamme des consommations (vin, macarons, mais aussi le champagne, devenu le 4e produit le plus vendu). Enfin, on note que les spectateurs prennent beaucoup de photos de la salle, de son entrée et de son espace-bar, et les partagent sur les réseaux sociaux, contribuant au marketing du cinéma et à la constitution d’une communauté qui lui est attachée. Naturellement, ces quelques observations empiriques ne valent pas bilan. Elles fournissent en revanche quelques pistes de réflexion sur le futur des salles « premium ».

Le double défi de la programmation et du prix

Si nous avons relativisé la dimension réellement innovante des cinémas « premium », ce n’est pas pour en dévaloriser la nouveauté, mais bien pour identifier les véritables défis qui conditionneront leur pérennité économique, une fois l’effet découverte passé, et leur public clairement identifié.

La technologie, rapidement banalisée, n’y a qu’une part relative, d’autant que les spectateurs ne perçoivent pas nécessairement la différence de qualité d’image et de son entre tous les procédés. Le confort, digne du salon chez soi, renvoie précisément à… « chez soi », et aux mêmes facilités de se mouvoir et de se restaurer pendant le film.

C’est donc bien sur la composante prestige que les salles « premium » devront se différencier durablement, par la singularité du lieu (notamment de leur architecture), mais aussi par leur programmation. Or, si aujourd’hui cette programmation privilégie le cinéma à grand spectacle, elle ne se distingue guère de celle des autres cinémas, y compris dans l’offre de spectacles vivants sur grand écran. Il reste à faire de la salle « premium » un cinéma d’avant-premières permanentes, qui font l’évènement, pour du grand spectacle comme pour du cinéma d’auteur et des films de patrimoine.

Et aussi paradoxal, voire provocateur, que cela puisse paraître, cette différenciation se fera par le prix, celui d’une attente culturelle « haut de gamme ». De ce point de vue, le Pathé Palace se distingue par une politique particulièrement audacieuse (et immédiatement décriée sur les réseaux sociaux), en imposant un seul tarif, 25 € (9,50 € pour les moins de 14 ans), tous les jours et à toutes les séances (y compris le matin), et surtout en excluant toutes les formules d’abonnement et de cartes du circuit Pathé ! Les autres salles « premium », y compris le Pathé Parnasse, pratiquent à l’inverse une « simple » majoration variant de 2 à 5 € appliqués aux tarifs habituels, y compris les formules d’abonnement et de cartes fidélité. Dans le cas de la salle ?ma de Mougins, qui dispose également d’une centaine de places en parterre « classique », la différence minime de 2 € entre loge et parterre explique sans doute en partie l’engouement du public.

Plus que jamais la question demeure : quel prix serons-nous prêts à payer pour nous déplacer et accéder à un spectacle cinématographique à nul autre pareil, au même titre qu’une sortie à l’opéra, au concert ou au théâtre ? La réponse viendra de la sanction du marché, mais aussi d’une programmation réellement innovante qu’il reste à imaginer pour ces salles. Et elle sera aussi contenue dans le maintien ou pas par Pathé de sa tarification élitiste pour son nouveau navire amiral…


Tous nos remerciements à Nicolas Chican, cofondateur de ?ma Cinéma, pour les informations transmises.

Laurent Aléonard, Directeur délégué et Directeur académique de l'EMLV, Pôle Léonard de Vinci

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.