Par le

À la maison, vaut-il mieux aller sur Internet via un réseau mobile ou avec sa box wifi ?

Image de alexeyzhilkin sur Freepik

The Conversation

À la maison, vaut-il mieux aller sur Internet via un réseau mobile ou avec sa box wifi ?

Comment aller sur internet en minimisant son impact énergétique ? FaustoSandoval/Unsplash, CC BY
Denis Langevin, Université Clermont Auvergne (UCA) et Pauline Bennet, Aix-Marseille Université (AMU)

Que ce soit d’un point de vue énergétique, écologique ou une question de vitesse, lorsqu’on navigue sur Internet à la maison, on peut se demander ce qui est le mieux : se connecter à la 5G ou plutôt à sa box ?


Tout d’abord, rappelons que, pour les ordinateurs, une connexion filaire fournit un débit plus élevé et plus stable pour une consommation énergétique comparable au wifi.

Pour les autres appareils, l’énergie consommée provient de l’échange d’information entre votre appareil et le data center, qu’on peut décomposer en deux parties :

  • transmission filaire (fibre optique ou cuivre) entre le data center et un émetteur (antenne-relais ou box wifi),

  • transmission par ondes électromagnétiques entre l’émetteur et l’appareil.

La transmission filaire consomme plus d’énergie par un fil de cuivre que par une fibre optique. Si vous n’avez pas la fibre jusqu’à chez vous, cette partie consomme donc plus que pour une antenne-relais qui est connectée par la fibre (d’un facteur proportionnel à la longueur de la connexion cuivre).

Toutefois, pour la transmission à distance, plus l’émetteur est loin, plus il faut d’énergie. Donc le wifi chez vous consomme moins d’énergie que l’antenne-relais sur la colline d’à côté (en moyenne un facteur 5).

En dehors de l’énergie consommée pour la transmission d’informations, proportionnelle au débit, il y a la consommation « passive » de l’émetteur (le simple fait que votre box soit allumée, par exemple).

L’antenne-relais étant utilisée par de nombreuses personnes, la consommation passive par personne est très faible. À l’inverse, pour une box wifi, 95 % de la consommation énergétique est due à cette consommation passive. Cela dit, il est facile de la diminuer : il suffit de l’éteindre.

Donc il y a quelques cas simples :

  • Si vous avez une box wifi à côté de vous, allumée, il vaut mieux se servir de la box wifi.

  • Quand vous ne vous servez pas de votre box, éteignez-la.

  • Si vous avez besoin d’une grande quantité de données (typiquement, services de streaming), préférez un réseau wifi, voire passez par une connexion filaire.

  • Si vous êtes sur réseau mobile, limitez le débit que vous utilisez (notamment la qualité des vidéos).


Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions.

N’hésitez pas à nous écrire pour poser la vôtre et nous trouverons la meilleure personne pour vous répondre.

Et bien sûr, les questions bêtes, ça n’existe pas !


Pour toutes les autres questions : Vaut-il mieux ne pas avoir de box wifi du tout ? À partir de combien de personnes dans une maison, allumer la box devient-il rentable ? etc. Il n’y a pas de réponses évidentes.

Écologiquement, la question est complexe, car elle prend en compte de nombreux autres paramètres que la consommation d’énergie lors de l’utilisation. Il faut également considérer l’impact de la fabrication des appareils utilisés (qui représente environ 80 % de leur empreinte carbone) et tenir compte de la hausse du débit consommé. La saturation des réseaux mobiles incite en effet les opérateurs à construire de nouvelles antennes-relais, ce qui augmente l’impact environnemental.

La prise en compte de tous ces effets est impossible à résumer dans ce court article. Mais ce n’est pas grave, car les économies d’énergie réalisées en choisissant la bonne méthode d’accès à Internet sont très négligeables devant d’autres actions.

En effet, l’émission de gaz à effet de serre est équivalente pour l’ensemble des actions ci-dessous (8 ou 9 kg eqCO2) :

  • Parcourir 30 km en avion,

  • Manger 250 g de bœuf,

  • Utiliser pendant 5 heures une chaudière à gaz,

  • Parcourir 100 km en voiture à essence,

  • Utiliser pendant 100 heures un four électrique,

  • Laisser allumer une ampoule électrique toute l’année non-stop (environ 10 000 heures),

  • Laisser allumer une box wifi toute l’année non-stop.

Pour résumer, si vous souhaitez diminuer votre empreinte environnementale, nous vous recommandons, par ordre croissant d’importance :

  • d’éteindre votre box wifi quand vous n’en avez pas besoin,

  • de faire réparer vos appareils électroniques,

  • d’acheter en seconde main,

  • de privilégier les transports en commun, le vélo ou la marche,

  • de moins chauffer votre logement (surtout au gaz) l’hiver, et de moins le refroidir en été,

  • de manger moins souvent de la viande (et de privilégier le poulet),

  • de ne pas prendre l’avion.

Calculer son empreinte carbone permet également de se rendre compte concrètement des gestes qui ont un impact réel.

Denis Langevin, Maître de Conférences en Physique, Université Clermont Auvergne (UCA) et Pauline Bennet, Maîtresse de conférences, Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

The Conversation

Ce que nous apprennent les héroïnes de « House of the Dragon » sur l’éthique du « care »

House of the Dragon raconte la confrontation de la reine légitime Rhaenyra et de la reine consort, Alicent, qui a placé sur le trône, à la mort du roi, son fils aîné. HouseoftheDragon©HBO
Benoît Meyronin, Grenoble École de Management (GEM)

House of the Dragon, série produite par la chaîne américaine HBO, a pris la suite de Game of Thrones. Elle montre la quête de légitimité de Rhaenyra et Alicent, malmenées précisément parce qu’elles sont femmes. En quoi une série relevant de la fantasy peut-elle nous aider à décrypter cette éthique de l’attention en l’appliquant à l’univers du management ?


Depuis les travaux fondateurs de la psychologue états-unienne Carol Gilligan dans les années 1980, l’éthique du care a connu des ramifications dans la plupart des sciences humaines et sociales. Il est ainsi possible d’explorer cette éthique dans le monde du travail, en parlant de management par le care. Non pas seulement en vue de prendre en compte des sujets qui mériteraient une attention particulière – les fragilités en entreprise. Mais bien plus comme un prisme global, impliquant une approche managériale nouvelle, tout entière centrée sur l’attention à soi et aux autres.

House of the Dragon se déroule 170 ans avant les événements relatés dans Game of Thrones. La série met aux prises deux camps animés par la quête du pouvoir : celui de la reine légitime Rhaenyra, désignée par son père – le roi Viserys –, et celui de la reine consort, Alicent, qui a placé sur le trône son fils aîné à la mort du roi. La série confronte ainsi deux personnages féminins au premier plan, secondées par des hommes et des femmes. Cela constitue en soi une introduction pertinente à l’éthique du care : celle-ci en effet est d’essence féministe.

Héroïne et care

L’éthique du care n’a eu de cesse de mettre en lumière les inégalités de genre au travail et dans la division sociale du travail. L’économie du care – à l’hôpital, à l’école, dans les crèches ou les Ehpad – demeure encore très largement supportées par les femmes. En 2023, 90 % des postes de soins infirmiers et de garde d’enfants au niveau global sont occupés par des femmes. Le contexte de la crise sanitaire et la généralisation du télétravail a renforcé le care du quotidien porté davantage par les femmes que par les hommes.

Dans House of the Dragon, les rapports de pouvoirs sont aussi des rapports de lutte des genres. La série montre la quête de légitimité d’une héritière féminine, malmenée précisément parce qu’elle est une femme. Rhaenyra et Alicent sont souvent renvoyées à leur condition, qu’il s’agisse du devoir d’engendrer un héritier mâle, comme de leur capacité à conduire une guerre. Elles doivent l’une et l’autre, faire face à un entourage, exclusivement masculin (à l’exception d’une cousine pour Rhaenyra), qui régulièrement met en doute leurs capacités à conduire les affaires du royaume.

Combien de femmes, en entreprise, ont vécu cette situation ? Si vous en doutez, voici les propos que j’ai entendus en janvier 2025 dans le cadre d’une soutenance professionnelle dans le milieu du logement social, à propos d’une prise de poste : « Certains pensaient qu’une femme n’avait rien à faire dans un quartier sensible. » Présomption d’incompétence…

Volonté de connexion

Caroll Gilligan rappelle que « le care n’est pas essentiellement ou exclusivement la préoccupation des femmes ». Ce qui le caractérise par-dessus tout, c’est la volonté de « connexion » et la « centralité de la relation ».

House of the Dragon questionne ainsi la figure de la soumission masculine au pouvoir d’une femme (Rhaenyra). Mais le ralliement de Daemon, l’époux de Rhaenyra, à la conquête du pouvoir de cette dernière, au détriment de sa propre ambition, rejoint in fine la quête d’apaisement du roi Viserys, lequel, avant de décéder, voyait sa famille se déchirer sous ses yeux.

Une très belle scène rassemble ainsi cette famille désunie, au cours de laquelle Viserys témoigne tout à la fois de sa vulnérabilité – il est mourant et défiguré par la maladie – en retirant son masque, et de son profond désir de voir ses proches se rapprocher et non plus se confronter. L’essence du care, c’est ce « paradigme de l’attention », qui s’exprime ici dans une volonté de maintenir, coûte que coûte, les liens, la relation, la connexion.

La vulnérabilité, ce sujet tabou en entreprise

L’éthique du care se singularise également par sa prise en compte de notre vulnérabilité ontologique.

Femmes l’une et l’autre, Rhaenyra et Alicent ont fait l’expérience du deuil très tôt dans leur vie. Elles ont, l’une comme l’autre, perdu leurs mères. Lorsqu’elles vivent encore l’une et l’autre à Port Réal, dans le Donjon rouge – le château royal – une scène très forte les rassemble. Elle montre Rhaenyra, à peine sortie de couches, se rendre dans la chambre de la reine, qui requiert sa présence (pour voir le nouveau prince né). Aidée par son époux, elle traverse le château et se rend pleine de morgue et de défi, à ce rendez-vous. La fragilité inhérente à la maternité, bien qu’il s’agisse en l’occurrence de deux femmes concernées, est instrumentalisée de part et d’autre. L’une, pour montrer son pouvoir et s’enquérir du sexe de l’enfant. L’autre, pour manifester sa force de caractère.


Abonnez-vous dès aujourd’hui !

Que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez notre newsletter thématique « Entreprise(s) » : les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts.


Or la vulnérabilité reste un sujet complexe à appréhender en entreprise. Les décideurs, les managers, sont censés porter leurs responsabilités indépendamment de ce qu’ils sont, de leur état de santé, des maux dont ils peuvent souffrir et qui ne sont pas forcément visibles. En ce sens, la série nous invite à nous questionner sur la fragilité, son aveu ou son silence. Elle rappelle les rapports de force qui se jouent en entreprise, comme dans un château royal fictif… Les études et enquêtes publiées sur la santé mentale au travail , comme les témoignages partagés le 4 février 2025 par les salariés atteints d’un cancer (Journée mondiale contre le cancer), en sont des illustrations.

Interdépendances

La série met magistralement en lumière le fait que nous dépendons les uns des autres. Aucun camp ne peut l’emporter sans rassembler autour de lui des alliés. Nul ne peut prétendre réussir sans le concours de vassaux et de dragonniers issus du peuple – n’en déplaise à la noblesse, qui pense avoir le monopole des dragons. La quête de vassaux occupe ainsi une bonne partie des épisodes. Le personnage le moins attentionné, Aemon, en fera probablement l’amère découverte dans la saison 3. À trop vouloir jouer seul, à ne pas savoir s’entourer et nouer d’indispensables alliances, il s’isole.

Ceux qui avancent, dans House of the Dragon, sont ceux qui savent renouer des liens, qui s’attachent à ne pas les défaire pour le moins. Or, quelle entreprise ne déplore pas le manque de collaboration, le surpoids de silos ou encore les comportements opportunistes autocentrés ? House of the Dragon souligne l’éthique du care, de l’attention : celle dont nous avons besoin, que nous recevons, est tout aussi essentielle que celle que nous prodiguons. Je dépends de toi tout autant que tu dépends de moi.

« Passion-raison »

Pascal Chabot formule cette notion : « de la passion-raison, voilà ce qui fait sens, et qui émane du centre actif autour duquel l’être tâche de s’unifier ». Cette vision d’un être humain réunifié, dans laquelle l’affectif et le rationnel ne s’opposent plus, est centrale dans l’éthique du care. Car il s’agit bien de capter et mêler, comme nous les vivons, les flux incessants entre ces deux sphères. Le philosophe rappelle que l’expérience de travail n’est pas imperméable à ces échanges :

« À leur travail aussi, les êtres sont plus attachés qu’on ne le dit ordinairement. C’est rarement à moitié que la personne s’engage, surtout si le temps a permis de multiplier les liens et les échanges. Le travail, c’est du familio-concurrentiel. […] Ce qui signifie aussi que l’on ne travaille ordinairement pas qu’avec une partie de soi-même, laissant le reste de sa personne hors champ. »

Cette porosité de la frontière érigée entre nos vies personnelles et professionnelles, de plus en plus manifeste dans un monde numérisé, est au cœur d’une série dans lesquelles les personnages sont inextricablement liés par des liens affectifs et familiaux. House of the Dragon nous questionne donc aussi sur la part des émotions en entreprise et dans nos modes de management, en considérant que, loin d’être illégitimes, elles y ont une place qui mérite d’être travaillée…

Benoît Meyronin, Professeur senior à Grenoble Ecole de Management, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

The Conversation

Série « Severance » : que disent les neurosciences de la procédure de dissociation ?

Dans la série « Severance », lorsqu’ils sont au bureau, les personnages ayant subi une procédure de dissociation ne savent rien de leur vie hors du travail. Une fois sortis des locaux, ils n’ont aucune idée de leur vie professionnelle. Apple TV+
Rachael Elward, London South Bank University et Lauren Ford, London South Bank University

Severance, la série qui imagine une opération chirurgicale qui sépare littéralement vie privée et vie professionnelle, revient pour une deuxième saison. Si le concept de cette captivante œuvre de science-fiction peut paraître totalement irréaliste, elle aborde des aspects neuroscientifiques intéressants.

L’esprit humain peut-il vraiment être scindé en deux par une opération chirurgicale ?


Fait étonnant, des patients au « cerveau scindé » existent depuis les années 1940. Pour contrôler les symptômes de l’épilepsie, ces patients ont subi une intervention chirurgicale visant à séparer les hémisphères gauche et droit. Des opérations similaires sont encore pratiquées aujourd’hui.

Des recherches ultérieures sur ce type de chirurgie ont montré que les hémisphères séparés des patients au cerveau divisé pouvaient traiter l’information de manière indépendante. Cela soulève l’inconfortable possibilité que la procédure puisse créer deux consciences distinctes cohabitant dans le même cerveau.

Dans la première saison de Severance, le personnage de Helly R (incarnée par Britt Lower) connaît un conflit entre son « innie » (le côté de son esprit qui se souvient de sa vie professionnelle) et son « outie » (le côté en dehors du travail). De la même manière, il existe des preuves d’un conflit entre les deux hémisphères des vrais patients au cerveau divisé.

Lorsque l’on parle avec des patients au cerveau scindé, on communique généralement avec l’hémisphère gauche du cerveau, qui contrôle la parole. Cependant, certains patients peuvent communiquer avec leur hémisphère droit en écrivant, par exemple, ou en arrangeant des lettres de Scrabble.

La bande-annonce de la saison 2 de Severance.

On a demandé à un jeune patient quel métier il aimerait exercer plus tard. Son hémisphère gauche a choisi un emploi de bureau consistant à faire des dessins techniques. Son hémisphère droit, en revanche, a arrangé les lettres pour épeler « coureur automobile ».

Des patients au cerveau scindé ont également rapporté « syndrome de la main étrangère », où l’on a l’impression que l’une de leurs mains bouge de son propre chef. Ces observations suggèrent que deux « personnes » conscientes distinctes peuvent coexister dans un même cerveau et avoir des objectifs contradictoires.

Dans la série Severance, cependant, l’innie et l’outie ont tous deux accès à la parole. C’est un indicateur que cette « procédure de dissociation » fictive implique une séparation plus complexe des réseaux cérébraux.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Un exemple de séparation complexe des fonctions a été décrit dans l’étude du cas clinique de Neil, en 1994. Neil était un adolescent avec un certain nombre de problèmes à la suite d’une tumeur de la glande pinéale. L’une de ces difficultés était une forme rare d’amnésie : Neil ne pouvait pas se souvenir de ce qu’il avait fait de sa journée ou rapporter ce qu’il avait appris à l’école. Il était également devenu incapable de lire, bien qu’il puisse écrire, et de nommer des objets, bien qu’il puisse les dessiner.

Étonnamment, Neil est parvenu à poursuivre ses études. Les chercheurs se sont intéressés à la manière dont il arrivait à faire ses devoirs alors qu’il ne se souvenait pas de ce qu’il apprenait.

Ils l’ont interrogé sur un roman qu’il étudiait à l’école, Rosie ou le goût du cidre de Laurie Lee. Lors d’une conversation à l’oral, Neil ne se souvenait de rien concernant le livre, pas même du titre. Mais lorsqu’un des chercheurs lui a demandé d’écrire tout ce dont il se souvenait à propos du livre, il a écrit « Rouge Geranium fenêtres cidre avec Rosie Dranium odeur de poivre humide [sic] et champignons » – des mots tous liés au roman. Neil ne sachant pas lire, il a dû demander au chercheur : « Qu’est-ce que j’ai écrit ? »

Neil a également été capable écrire d’autres souvenirs qui semblaient perdus, notamment sa rencontre avec un homme atteint de gangrène à l’hôpital. Pour chaque cas, il était inconscient de son propre souvenir jusqu’à ce qu’il l’écrive et qu’on le lui relise. Le cas de Neil est un exemple stupéfiant. Il laisse penser qu’avoir des souvenirs inaccessibles à notre propre conscience est possible.

Dans Severance, l’outie d’Irving (John Turturro) peut accéder aux souvenirs de l’environnement de travail de son innie par le biais de la peinture. Il peint les longs couloirs de l’étage où travaille son innie, bien qu’il n’en ait aucun souvenir conscient. Dans la série, la procédure de dissociation consiste peut-être à bloquer l’accès conscient à la mémoire de la même manière que cet accès a été bloqué chez Neil.

Le rôle de l’hippocampe

Quelles régions du cerveau pourraient être au cœur de la procédure de dissociation de la série télévisée ? La région la plus associée au souvenir des événements de la journée de travail est l’hippocampe. Fait intéressant, cette même région cérébrale prend également en charge la représentation de l’espace.

Le fait que la même structure neuronale permette à la fois de se souvenir qu’un nouveau collègue a rejoint votre équipe aujourd’hui et de représenter la disposition du bureau suggère que l’hippocampe pourrait être une bonne cible pour cette procédure fictive.

Dans Severance, le passage de l’état de innie à celui de outie se fait à la limite du bureau, c’est-à-dire aux portes de l’ascenseur. Cela rappelle « l’effet de la porte », le phénomène par lequel le passage d’une porte vous fait oublier quelque chose.

L’hippocampe segmente notre expérience en épisodes pour un rappel ultérieur. Le fait d’entrer dans un nouvel espace indique qu’un nouvel épisode a commencé, ce qui entraîne une augmentation de l’oubli des informations qui s’étendent sur ces épisodes. L’effet est toutefois subtil. Bien que vous puissiez parfois entrer dans la cuisine et oublier pourquoi vous y êtes entré, vous n’oubliez pas que vous avez des enfants, contrairement à l’effet dramatique provoqué par la procédure de séparation de la série.

Peut-être que, dans la série, l’intérêt de l’hippocampe pour les limites spatiales déclenche le passage entre innie et outie.

Malheureusement, l’idée que la procédure de dissociation de la série puisse impliquer une simple incision de l’hippocampe présente deux failles cruciales.

Premièrement, ce n’est pas seulement la mémoire épisodique et spatiale qui est dissociée dans Severance. Les travailleurs disposent d’un grand nombre de connaissances sémantiques (par exemple, des faits concernant Lumon, l’entreprise pour laquelle ils travaillent, et son fondateur) qui sont inaccessibles à leurs outies. Ils forment également des mémoires émotionnelles liées aux récompenses qu’ils reçoivent pour leur travail et aux punitions qu’ils reçoivent dans la salle de pause.

Ces formes de mémoire reposent sur bien plus que l’hippocampe, et l’hippocampe lui-même fait partie d’un réseau de mémoire épisodique à l’échelle du cerveau qui est activé lors de la récupération de la mémoire épisodique.

Le deuxième défaut est que la mémoire elle-même n’est pas un processus isolé. Elle est étroitement liée à la perception, à l’attention, au langage et à de nombreux autres processus. Le système de mémoire humaine est bien trop complexe pour être entièrement divisé en deux, mais comme le montre Severance, il est fascinant d’imaginer cette possibilité.

Rachael Elward, Senior Lecturer, Neuroscience and Neuropsychology, London South Bank University et Lauren Ford, PhD candidate in cognitive neuroscience, London South Bank University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

The Conversation

« Better Man » : le biopic musical de Robbie Williams en singe savant

Daniel O'Brien, University of Essex

Sorti en salles le 22 janvier 2025, Better Man, le biopic basé sur la vie de Robbie Williams questionne la célébrité en représentant l’artiste sous la forme d’un chimpanzé. Un choix apparemment étrange, qui se révèle très efficace.


Je me souviens encore des sentiments mêlés qui m’habitaient, adolescent en 1997, en achetant Life Thru A Lens, mon premier album de Robbie Williams. J’hésitais, craignant qu’il soit trop « pop » pour s’intégrer dans ma modeste mais grandissante collection de CD d’artistes qui, plus tard, incarneraient la vague Britpop.

Pourtant, l’irrévérence assumée de l’album, mêlée à des moments de vulnérabilité, en faisait quelque chose que je me sentais à l’aise d’intégrer à la bande-son de ma vie d’adolescent. Ces souvenirs me sont revenus en regardant Better Man (2024), le nouveau biopic musical de Michael Gracey. Ce film retrace le parcours de Robbie Williams vers la gloire, tout en explorant sa quête d’authenticité et son sentiment d’inadaptation en tant qu’artiste et individu.

Le chanteur-compositeur est présent tout au long du film, mais hors écran, en tant que narrateur guidant les spectateurs à travers son histoire : son enfance à Stoke-on-Trent auprès de parents divorcés, son intégration et son renvoi du groupe Take That, ses soirées débridées, sa brève idylle avec Nicole Appleton, et sa carrière solo. Le récit, parfois brutalement honnête, n’épargne personne, pas même Robbie Williams.

Les thèmes principaux du film – l’insécurité, la quête d’authenticité et le désir d’acceptation – s’entrelacent tout au long du récit. Comme l’explique Robbie Williams :

« Robbie est devenu un personnage, une façade derrière laquelle je pouvais me cacher. »

Cette phrase offre une clé de compréhension de l’étonnant choix visuel du réalisateur : représenter Williams sous la forme d’un singe en images de synthèse. En effet, l’acteur Jonno Davies, qui interprète le rôle, apparaît sous la forme d’un chimpanzé numérique qui chante, danse et parle.

Cette stylisation passe inaperçue aux yeux des autres personnages humains de Better Man. Le film ne cherche pas à adopter un ton de science-fiction comme, par exemple, dans La Planète des singes : Suprématie (2017). Et contre toute attente, c’est pour cette raison précise que le film utilise les effets numériques de manière plus subtile et efficace.

Ces effets visuels rappellent au spectateur l’artificialité inhérente à l’industrie musicale et les ravages que peut provoquer une identité fabriquée – notamment chez les artistes qui n’ont que peu de contrôle sur celle-ci. Ce choix esthétique a été inspiré par la description que Williams a donnée de lui-même comme d’un « singe de spectacle ».

On pourrait également y voir un clin d’œil aux articles de 2008, qui rapportaient que Williams se promenait à Los Angeles déguisé en gorille après une période de repli sur lui-même. À l’instar de ce costume ou même du groupe virtuel Gorillaz de Damon Albarn, l’avatar du chimpanzé incarne un rôle liminal : l’artiste est à la fois présent et absent. C’est un thème que le film s’efforce d’explorer à la fois dans son contenu et sa forme, souligné par la narration hors champ de l’artiste.

Cette construction fragmentée et axée sur le divertissement de l’identité prolonge les thèmes explorés dans The Greatest Showman (2017), également réalisé par Gracey. Better Man, cependant, aspire (du moins dans son scénario) à un réalisme plus brut, avec un langage explicite dès les premières scènes. Ce n’est pas un film destiné aux plus jeunes fans qui ne connaissent peut-être Robbie Williams qu’à travers une autre créature animale, dans Le tigre qui s’invita pour le thé (2019), l’adaptation de Robin Shaw où le chanteur interprète la chanson principale.

Ce qui m’a particulièrement captivé dans ce film, c’est l’honnêteté et la banalité de Williams. Il ne prétend pas être exceptionnellement talentueux, mais plutôt être quelqu’un dont la célébrité initiale repose sur son personnage espiègle, souvent présenté comme un mécanisme d’adaptation face au rejet.

Le film montre que son besoin d’attention résulte en partie de l’absence occasionnelle de son père, Pete Conway (interprété par Steve Pemberton), un artiste raté qui vit pour la scène sans jamais avoir percé. Le jeune singe se retrouve à méditer sur le mantra de son père : « Tu es quelqu’un ou tu n’es personne », ce qui donne lieu à des moments tendres avec sa grand-mère Betty (Alison Steadman), dépeinte comme l’une des relations les plus positives de sa jeunesse.

Les images de Williams et Betty, assis ensemble sur le canapé, illuminés par la lueur de la télévision qui diffuse The Two Ronnies, apportent au film une touche de nostalgie. Mais la vénération malsaine et irréaliste qui accompagne la célébrité mondiale est également présentée comme une expérience destructrice, précédant l’addiction aux drogues et l’isolement de la star.

Ces thèmes sont loin des conventions habituelles des comédies musicales. Les personnages se mettent à chanter spontanément (sur des morceaux de Take That ou de Robbie Williams), en alternance avec des scènes centrées sur des répétitions et des concerts, nous rappelant la réalité construite de la vie de pop star.

La force du film réside dans sa capacité à montrer le vernis d’un succès stratosphérique qui masque l’insécurité humaine juste en dessous de la surface, incarnée par le modèle de singe inspiré à la fois des traits de Robbie Williams et de Jonno Davies. Pour moi, c’est une des meilleures raisons de le voir. Mais si vous en avez besoin d’une autre, la bande-son, avec de nombreux morceaux familiers, incluant un montage spectaculaire et énergique de Rock DJ, en est une. Allez voir Better Man et laissez-vous divertir.The Conversation

Daniel O'Brien, Lecturer, Department of Literature Film and Theatre Studies, University of Essex

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Photo de Michael Fousert sur Unsplash

Photo de Daniele D'Andreti sur Unsplash

The Conversation

Renaissance du Louvre : entre gloire et fissures, quel avenir pour le plus grand musée de France ?

Marie-Alix Molinié-Andlauer, Sorbonne Université

À la suite d’une note alarmante de la présidente du Louvre évoquant de nombreuses « avaries » menaçant à la fois la sécurité des visiteurs et la préservation des œuvres, Emmanuel Macron annonce une « nouvelle renaissance » du musée. Ce chantier colossal de 10 à 15 ans soulève de nombreuses interrogations. Pour Marie-Alix Molinié-Andlauer, « le Louvre n’est pensé que comme un symbole, il est déterritorialisé ». Les réalités opérationnelles seraient-elles sacrifiées au profit de belles annonces devant la Joconde ? Décryptage.


Problèmes de sécurité, équipements techniques obsolètes, climatisation défaillante pour les œuvres, ascenseurs en panne pour les personnes à mobilité réduite… Le Louvre se délite à vue d’œil et pourtant ce musée continue à attirer toujours plus de monde (9 millions d’entrées en 2024).

Les chiffres de fréquentation témoignent d’une tension entre l’attractivité de ce musée et les contraintes structurelles liées au bâtiment – un ancien palais royal empêchant d’accueillir plus de visiteurs. La particularité de ce géosymbole est sa proximité avec le pouvoir, notamment le pouvoir présidentiel. Les grands travaux du Louvre sont impulsés en 1981 par le président Mitterrand ; en 2000, le président Chirac inaugure le pavillon des Sessions ; en 2012, c’est au tour du président Hollande d’inaugurer le nouveau département des arts de l’Islam. En 2017, Emmanuel Macron célèbre sa victoire devant la pyramide et, en 2025, il annonce la « nouvelle renaissance » du Louvre.

C’est toute la particularité du musée du Louvre qui, au-delà d’un patrimoine national, est un véritable symbole. Outre ces événements, le musée accueille régulièrement des visites d’État pour montrer une certaine image de la culture française. Pourtant, celle-ci n’est pas un bloc homogène. Elle se conjugue au pluriel et aujourd’hui elle se morcelle dans la société, mais également dans et au-delà des murs du plus grand musée de France.

Les ambitions contemporaines des président(e) s

Parmi les annonces d’Emmanuel Macron pour cette « nouvelle renaissance du Louvre », la première est le déplacement du tableau le plus emblématique du musée, la Joconde (symbole de la période Renaissance). Actuellement, elle est exposée dans la salle des États et est entourée d’une quarantaine d’œuvres, devenues invisibles tant cette voisine captive le public. L’idée serait de la déplacer sous la Cour carrée, pourtant située en zone inondable, à proximité de la nouvelle entrée du musée. Munis d’un billet spécial, les visiteurs pourraient alors la contempler dans un espace qui resituerait l’œuvre dans l’histoire de l’art. Une expérience 100 % Joconde serait donc proposée.

La deuxième annonce est celle d’une entrée au niveau de la colonnade, de Perrault, à l’est du musée. Cet espace, entouré par les « fossés Malraux » est peu accueillant et peu praticable en temps de pluie, accentuant la rupture avec la ville. Intégrer une nouvelle entrée à cet endroit permettrait de redéfinir et désengorger les circulations au sein du musée.

En revanche, le déplacement d’une telle entrée ne doit pas résulter d’un déplacement du problème d’un point A vers un point B. Il s’agit de réfléchir à comment mieux intégrer des entrées – ce qui en contexte Vigipirate relève de l’exploit – pour repenser la circulation dans sa globalité et une meilleure relation entre le Louvre et la ville. Car, outre les fossés qui sanctuarisent le musée au cœur de la ville, les différentes architectures urbaines – renaissance et néoclassique du musée et haussmanniennes pour les bâtiments voisins – accentuent cette rupture. Il y aurait une réflexion architecturale à mener pour redessiner cette partie du paysage urbain de Paris à l’aide d’un travail de « contraste retardé » qui favoriserait l’articulation entre les espaces.

La nouvelle entrée du Louvre se fera par cette façade. Jean-Pierre Dalbéra / Flickr, CC BY-SA

Enfin vient l’idée d’un tarif plus élevé pour les visiteurs étrangers extra-européens. Cette augmentation comblerait en partie le manque à gagner pour enclencher toutes ces mesures. Emmanuel Macron a indiqué qu’elles ne coûteraient pas un centime aux contribuables. Pourtant, le coût des travaux serait estimé à plus de 700 millions d’euros, une somme vertigineuse quand on connaît le contexte économique actuel.

On peut notamment s’interroger sur la possibilité de mettre en place cette tarification spéciale sans porter atteinte à la protection des données personnelles. Y aura-t-il une obligation d’acheter son billet en ligne et d’y présenter son passeport ? Des files seront-elles créées, comme à l’aéroport, avec une ligne pour « Européens » et une autre pour le public « extra-européens » ? En ces temps troublés, l’idée d’une mesure stigmatisante des étrangers extra-européens ne devrait pas trouver écho au sein d’un lieu de culture et, qui plus est, au sein d’un lieu aussi emblématique que le musée du Louvre.

Emmanuel Macron parle de pouvoir accueillir 12 millions de visiteurs d’ici 10 à 15 ans. Avec ses couloirs étriqués et son architecture patrimoniale contrainte par le respect des normes des architectes des bâtiments de France, l’ancien palais royal ne peut absorber tant de visiteurs et, pourtant, le financement des travaux reposerait principalement sur la billetterie. En effet, si on reprend les quatre principales ressources du musée en 2023, en dehors des subventions de l’État qui sont autour de 100 millions d’euros, la première ressource est la billetterie (95,9 millions d’euros).

Depuis 2016, le mécénat est une ressource de plus en plus importante pour le musée du Louvre.

Viennent ensuite d’autres pôles qui seraient également mis à contribution : la licence de la marque Louvre Abu Dhabi (83,1 millions d’euros qui émanent de l’accord intergouvernemental signé en 2007 entre la France et les Émirats arabes unis et prolongé de 10 ans,jusqu’en 2047), la valorisation du domaine (25,2 millions d’euros) et le partenariat médias et mécénat (20,6 millions d’euros). Pour le mécénat, on suppose l’implication du groupe LVMH, ainsi que d’autres événements régulièrement accueillis par le musée. S’il est considéré comme fonds propre, il ne faut pas oublier que le mécénat est défiscalisé de 40 à 60 %, donc en partie payé par les contribuables.

Le symbolisme du Louvre confronté aux réalités du terrain

La question du financement de ces travaux laisse les syndicats du musée du Louvre circonspects. Plus largement, les annonces suscitent un accueil très mitigé. Aussi séduisantes soient-elles, elles paraissent déconnectées de la réalité du terrain, bien moins glamour, que vivent les salariés, contractuels et prestataires du fait des conditions de travail et d’accueil.

Ces grandes annonces traduisent un arbitrage difficile : opter pour un fonctionnement normal avec une jauge gérable au sein d’un musée hors norme, ou choisir un fonctionnement à flux tendu pour répondre à la demande d’un public toujours plus grand et désireux de visiter un symbole culturel.

Au-delà de l’expérience muséale, il y a une dimension pratique et matérielle. En 2016, le « projet Pyramide » à 53,5 millions d’euros était censé améliorer l’accueil des visiteurs face à la structure vieillissante de l’entrée principale, souvent assimilée à un hall de gare. Il n’a pas permis de réel changement, si ce n’est que les sorties se font par le Carrousel. Or, les individus de passage suffoquent aux premières chaleurs sous cette structure de verre. Dans le département des arts de l’Islam, la proximité avec la Seine provoque des odeurs parfois désagréables et, en temps de crue, les réserves sont en alerte. Le déménagement de certaines de ces réserves vers le Centre de conservation et de ressources à Liévin (Pas-de-Calais), non loin du Louvre-Lens, répond en partie à ce besoin de préservation et conservation des œuvres. Le musée est inadapté aux changements climatiques et aux pratiques muséales.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Penser le Louvre dans un maillage culturel et sociétal

Dans ce projet, il y a une ambiguïté entre une volonté de mieux intégrer le musée à son territoire et l’accueil de ces 12 millions de visiteurs. Car, que ce soit le Louvre ou son territoire alentour, aucun des deux ne peut absorber 12 millions de visiteurs par an, en termes de gestion des flux. Ce musée n’est pas un vaisseau déterritorialisé et sanctuarisé, il s’inscrit dans un territoire avec toute sa complexité.

Peut-être devrait-il plutôt être question de repositionner le musée dans la société, de favoriser une meilleure expérience qualitative du musée et de son territoire alentour ? Le Louvre est au cœur de Paris, dans un maillage culturel dense. Ces lieux de la culture doivent pouvoir se répondre pour permettre de changer de perspectives sur le Louvre et pour mieux le comprendre dans son ensemble urbain. Cette dimension territoriale ne peut se lire sans la dimension sociale attachée au musée : les discours proposés et les œuvres montrées sont autant de portes vers la confrontation à l’altérité.

La dimension symbolique et la notoriété du Louvre sont fortes. Ce musée en arrive à la fois à être désincarné de toute forme de spatialité et à incarner à lui seul la France. En 2017, le candidat Macron avait indiqué son intention de mettre en chantier le pays à coup de réformes successives. Après Notre-Dame de Paris, le Louvre deviendra un chantier de plus, mais à destination de quelle France ?

Le Louvre a également une dimension politique dans le sens noble du terme. Lieu de pouvoir, lieu de rencontre, lieu de revendication contre des mécènes aux pratiques environnementales douteuses ou pour justifier les restitutions des œuvres d’art. Le Louvre montre aux yeux du monde des géographies et des positionnements pluriels au service de l’histoire de l’art et de l’histoire contemporaine. Il est infiniment politique, il s’y reflète toute la complexité et toutes les contradictions de notre monde, tel un miroir de notre société, où les barrières symboliques et physiques s’érigent, au lieu d’œuvrer pour tous les ponts qui mériteraient d’être créés.

Marie-Alix Molinié-Andlauer, Docteure en Géographie politique, culturelle et historique, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de freepik

The Conversation

Les films de spectre : entre épouvante, horreur et fantastique

Dark Water, d’Hideo Nakata, film de spectre par excellence. The Jokers/Les Bookmakers, CC BY-SA
Jean-Baptiste Carobolante, ESA / École Supérieure d'Art / Dunkerque - Tourcoing

Du 29 janvier au 2 février 2025 a lieu la 32e édition du Festival international du film fantastique de Gérardmer qui, cette année, met à l’honneur le réalisateur nord-américain Ti West, mais aussi les productions horrifiques vietnamiennes. De nombreux films de la sélection relèvent d’une catégorie horrifique particulière, le cinéma de spectre. Focus.


Le festival a célébré quelques chefs-d’œuvre du cinéma de spectre en les honorant de nombreux prix. Dark Water (Hideo Nakata, 2002), La Maison des ombres (Nick Murphy, 2011), ou encore It Follows (David Robert Mitchell, 2014) et Mister Babadook (Jennifer Kent, 2014) – parmi d’autres – ont marqué Gérardmer et le cinéma d’épouvante. Or, ces quatre films possèdent la spécificité de se démarquer du traditionnel film de fantôme.

Notons tout d’abord que la définition d’un genre culturel est essentiellement une question de terme. Dans l’un des ouvrages qu’il a consacrés au sujet, l’historien de la littérature Joël Malrieu avait démontré que la notion de « fantastique » était, à l’origine, une construction publicitaire datant des années 1820 pour faire vendre, en France, les écrits d’E.T.A Hoffmann en opposition à la littérature « gothique » anglaise – alors que rien ne séparait fondamentalement ses fictions de ceux d’une Mary Shelley dont Frankenstein venait de paraître. Pourtant, nous employons toujours le terme aujourd’hui pour parler d’une littérature et d’un cinéma « fantastiques » qui seraient différents de l’horreur.

Plus qu’une notion, un type de peur

Ce qui importe, ce ne sont donc pas vraiment les catégories cinématographiques, mais les peurs que les films mettent en scène. Le philosophe Éric Dufour, dans un ouvrage consacré au cinéma d’horreur, a notamment relevé que le fantastique est affaire de monstruosité en hors champ – le monstre n’est jamais révélé aux spectateurs qui se demandent alors si les événements paranormaux sont véritables ou s’ils sont le fruit de la folie du personnage –, alors que le cinéma d’horreur, lui, rend visible ce qui est d’habitude dissimulé – globalement, tout ce qui est abject : les entrailles, le sang, mais aussi l’immoralité.

De cette division nous comprenons alors que le fantôme, en tant que monstre invisible, est voué à être lié au fantastique tandis que le tueur masqué, ouvrant le corps de ses victimes, serait le monstre idoine du cinéma d’horreur. Pourtant, la réalité des productions cinématographiques déjoue rapidement ces affiliations.

En 1973, sortait sur les écrans L’Exorciste, de William Friedkin qui mit à mal les catégories cinématographiques : le monstre y était une puissance invisible (le démon Pazuzu) qui s’incarnait dans le corps d’une jeune fille pour la rendre spectaculairement abjecte. Pazuzu est un trope du fantastique – voire du gothique, car le roman Le Moine, de Matthew Gregory Lewis, publié en 1796, était déjà une affaire de démon jouant avec des corps censés être purs –, alors que le corps de Reagan, la jeune victime, avec sa tête tournant sur elle-même relève totalement de l’horreur.

Pour se dépêtrer de ces catégorisations et mieux comprendre ce qui fait que l’humain est attiré par les récits terrifiants, il nous faut finalement comprendre qu’un film comme L’Exorciste est une œuvre mettant en scène un monstre particulier, le spectre, qui est le miroir parfait de notre époque.

L’angoisse de l’incarnation

Bien que nous confondons souvent les deux termes, fantôme et spectre diffèrent fondamentalement. Alors que le premier renvoi à l’idée d’une âme errante qui aurait besoin d’aide pour rejoindre l’au-delà, le spectre, lui, fut définit dès le XVIIe siècle comme une puissance néfaste sans corps qui va chercher à tout prix à s’incarner, afin de répandre sa haine sur Terre. Le fantôme en appelle à notre sollicitude lorsque le spectre soulève notre peur millénaire pour la puissance ubique et manipulatrice du mal. Car, le spectre, en tant que puissance sans corps, va chercher à tout prix à s’incarner.

Cette volonté d’incarnation se trouve, depuis les années 1970, au cœur des fictions horrifiques qui illustrent parfaitement les craintes que nous évoquent nos sociétés mondialisées, et cela s’est accéléré avec l’avènement des nouvelles technologies et d’Internet. Les films Ring (Hideo Nakata, 1998) et Le Projet Blair Witch (Myrick et Sanchez, 1999) portaient à l’écran nos peurs d’une hantise généralisée des images, de leurs dispositifs de captation (caméra, appareil photo) et de diffusion (télévision, puis tout support doté d’un écran).

Bande-annonce de Mister Badabook, de Jennifer Kent.

Puis c’est surtout le cinéma de James Wan, et notamment ses sagas Insidious (débutée en 2010) et Conjuring (entamée en 2013) qui ont mis en scène de façon populaire et spectaculaire nos peurs spectrales. Dans ces sagas, l’incarnation spectrale suit toujours une même gradation qui arrive parfaitement à absorber toutes nos peurs contemporaines : nous y trouvons d’abord une hantise des dispositifs. L’électricité dysfonctionne, la radio diffuse des messages étranges, les écrans grésillent, ou alors les photographies voient leur surface immuable être modifiée. Le démon invisible, spectre néfaste, advient donc dans notre monde par nos moyens de communication, qui sont aussi des médiums d’archives.

De fait, nos capacités d’échange et de mémoire sont les premières victimes de la hantise. Puis, c’est la maison, le climat, la voiture, c’est-à-dire tout ce qui nous permet d’habiter le monde, qui subit les assauts du spectre. Une tempête empêche les personnages de quitter leur maison en même temps que celle-ci semble accueillir une présence invisible terrifiante. Le lieu de repli habituel devient espace d’agression, nous n’avons plus de refuge ni d’espace à soi.

Enfin, le dernier stade de la hantise est toujours celui de la possession des corps. Le spectre qui nous a progressivement coupés du monde entre en nous pour meurtrir nos chairs et nous faire commettre tout un ensemble d’actes abjects et immoraux sans que nous ne puissions les empêcher.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Ce schéma classique du cinéma de spectre, ou de ce que les Anglo-Saxons nomment depuis H. P. Lovecraft « supernatural horror », se retrouve dans la majorité des films d’épouvante contemporains, qu’importent les pays et les traditions. Une société produit toujours les récits horrifiques qui lui permettent, de façon cathartique, de poser des mots, des images ou des sons sur ce qui l’angoisse le plus.

Or, dans un monde au capitalisme généralisé qui s’est emparé de nos capacités de désirer, d’échanger, d’habiter, de vivre en harmonie avec nos corps, voire de rêver, rien n’est plus parlant que les démons et les spectres pour illustrer nos terreurs. La théoricienne du cinéma Maxime Scheinfeigel affirmait dans son ouvrage Cinéma et magie, en 2008, que chaque lieu équipé d’une télévision est potentiellement aliéné, car hanté par le domaine des doubles et des simulacres. Or, dans un monde où les écrans sont partout, nous sommes tous en permanence vulnérables face aux spectres et à leur hantise.

Le film Poltergeist (Tobe Hooper) montrait déjà, en 1982, une maison imploser sous l’effet d’un spectre advenant via l’écran de télévision. L’an dernier, au festival de Gérardmer, c’est le film argentin

(Demián Ruga, 2023) qui remportait le prix du Public. Ce long-métrage nous montre une société entière qui peu à peu s’effondre car un démon s’incarne dans tous les corps – celui d’un homme, d’une enfant, d’un chien… –, comme si la hantise flottait maintenant dans l’air, ou dans les ondes.

Jean-Baptiste Carobolante, Professeur d'histoire et théorie de l'art, ESA / École Supérieure d'Art / Dunkerque - Tourcoing

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de wirestock sur Freepik

The Conversation

Pourquoi les hommes n’ont-ils pas d’os dans le pénis (contrairement aux singes) ?

Les chimpanzés et les bonobos, contrairement aux humains, ont un os pénien. Mario Plechaty Photograph/Shutterstock
A. Victoria de Andrés Fernández, Universidad de Málaga

Les problèmes d’érection sont un casse-tête pour des milliers d’hommes (et leurs partenaires) dans le monde entier. Pourquoi l’évolution a-t-elle privé Homo Sapiens d’un os pénien ?


Qu’est-ce qu’une érection d’un point de vue physiologique ?

Dans des conditions physiologiques « normales », un contexte propice à l’activité sexuelle active le système nerveux autonome, ce qui provoque une augmentation des niveaux d’oxyde nitrique (un vasodilatateur) dans les artères et les muscles lisses du pénis. Il en résulte un afflux de sang dans les corps caverneux du pénis et, dans une moindre mesure, dans les corps spongieux. Les muscles ischio-caverneux et bulbo-spongieux compriment de façon simultanée les veines des corps caverneux, limitant l’écoulement et la circulation de ce sang hors du pénis.

En conséquence de l’ouverture de la porte d’entrée du sang et de la fermeture des portes de sortie, les corps caverneux se remplissent de liquide en raison d’une augmentation progressive de la pression sanguine, et le pénis entre en érection. Lorsque l’activité parasympathique diminue et que les muscles se relâchent, le sang est évacué par les veines et le pénis redevient flasque.

À cause de certains problèmes de santé, tant physiques (principalement cardio-vasculaires) que psychologiques, ce système cesse de fonctionner correctement, ce qui rend les rapports sexuels impossibles.

Existe-t-il des mécanismes alternatifs dans la nature ?

De manière assez surprenante, le pénis humain et la manière dont il entre en érection sont tout à fait exceptionnels. En effet, la plupart des mammifères disposent d’une « aide osseuse » pour maintenir le pénis en érection. Il s’agit du baculum (ou, os pénien), un os situé le long du pénis, qui permet au mâle de pénétrer efficacement à tout moment, mais qui favorise surtout l’allongement de la durée de la copulation.


Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions.

N’hésitez pas à nous écrire pour poser la vôtre et nous trouverons la meilleure personne pour vous répondre.

Et bien sûr, les questions bêtes, ça n’existe pas !


Cet os est étonnamment varié. En effet, « le plus divers de tous les os » (comme on l’appelle désormais) prend non seulement des formes multiples, mais présente aussi des tailles très différentes : de quasi vestigiale (taille très réduite), chez certaines espèces de lémuriens, à des dimensions surprenantes, comme les 65 cm de long que l’on trouve chez les morses.

En revanche, les marsupiaux, les hyènes, les lapins, mais aussi les équidés partagent avec les humains cette absence d’os pénien. Ce groupe de « mâles discriminés » manque également d’un second avantage, puisque le baculum, lorsqu’il est allongé, protège l’urètre lors d’une copulation prolongée en limitant sa constriction, en le maintenant ouvert et en facilitant l’écoulement des spermatozoïdes.

Mais pourquoi les hommes n’ont-ils pas d’os pénien ?

Si les premiers primates, apparus à la fin du crétacé, avaient cet os et que celui-ci a été conservé dans la plupart des groupes de mammifères qui ont émergé, pourquoi a-t-il disparu dans la lignée évolutive qui a donné naissance à notre espèce ?

L’explication pourrait être qu’il favoriserait les stratégies de reproduction dans les populations présentant des niveaux élevés de sélection sexuelle postcopulatoire. En effet, les espèces de primates polygames (où la compétition sexuelle est très intense) ont des os péniens plus longs que les monogames, ce qui leur permettrait de prolonger le coït. En d’autres termes, la femelle serait « occupée » plus longtemps, ce qui l’empêcherait de s’accoupler à d’autres mâles et, par conséquent, augmenterait la probabilité que l’heureux partenaire transmette ses gènes à la génération suivante. Cette hypothèse a été testée chez les primates polygames, où la compétition sexuelle est très intense.

Elle a également été testée dans une expérience originale avec deux groupes de souris, dont l’un a été contraint à la monogamie. Sur 27 générations, la taille de l’os du pénis du groupe monogame a diminué. Il semble donc que si une espèce devient monogame, la pression de sélection en faveur du maintien de l’os est réduite.

D’autre part, il y a environ deux millions d’années, le morceau de chromosome contenant la séquence d’ADN codant de cet os a été perdu. Cette mutation génétique (délétion) s’est produite alors que notre lignée de primates bipèdes (les homininés) était déjà bien avancée et séparée, depuis 4 millions d’années, de celle à l’origine des chimpanzés et des bonobos (qui sont polygames et possèdent un os).

Cela nous amènerait à la conclusion intéressante que les homininés sont devenus monogames à cette époque, supprimant ainsi les pressions évolutives en faveur du maintien de l’os.

Qui est vraiment perdant dans cette histoire, les hommes ou les femmes ?

Dans The Unfair Sex, récemment publié, j’explique que les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être lorsqu’elles sont vues à travers un prisme évolutionniste.

Dans le cas de l’os pénien, apparemment, il semble clairement désavantageux de devoir « faire un effort » pour l’érection du pénis, surtout lorsque beaucoup de problèmes, physiques ou psychologiques, peuvent générer plus d’une situation « inconfortable » pour les hommes. Cependant, en analysant ce fait d’un point de vue évolutif, les choses ne sont pas si claires. Avec la disparition des niveaux élevés de compétition sexuelle postcopulatoire, le seul objectif des homininés mâles lors de la copulation se limiterait exclusivement à l’éjaculation.

Si, en matière d’efficacité biologique, il n’y a pas de différence entre un rapport sexuel « rapide » ou long… Ne peut-on pas penser que ce sont les femelles qui sont vraiment perdantes ?

A. Victoria de Andrés Fernández, Profesora Titular en el Departamento de Biología Animal, Universidad de Málaga

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.