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Réduire la vitesse maximale sur les routes permettrait de rendre les véhicules électriques compétitifs. Chuttersnap / Unsplash, CC BY

Faut-il limiter la vitesse pour rendre les véhicules électriques plus attractifs ?

Réduire la vitesse maximale sur les routes permettrait de rendre les véhicules électriques compétitifs. Chuttersnap / Unsplash, CC BY
Julien Baltazar, CentraleSupélec – Université Paris-Saclay

La société est de plus en plus consciente des conséquences de l’usage intensif des véhicules thermiques, notamment vis-à-vis de l’approvisionnement en pétrole, du changement climatique et de la qualité de l’air. Pour résoudre ces problèmes, différentes stratégies visant les pratiques de mobilité et l’offre de transport sont à mettre en œuvre.

Vis-à-vis du levier technologique, électrifier le parc automobile est une perspective intéressante, car les véhicules électriques admettent divers avantages par rapport à leurs homologues thermiques. Néanmoins, leur déploiement est associé à des risques et limites, notamment liés aux problématiques d’autonomie, de vitesse de recharge et de dimensionnement des batteries et des stations de recharge.

Dans ce contexte, j’étudie ici les conséquences d’une réduction des vitesses de circulation à 110 km/h sur les performances et l’attractivité des véhicules électriques (qui désignent ici uniquement les véhicules tout-électriques, excluant donc les hybrides). Je me base pour cela sur mes travaux sur l’analyse du déploiement des véhicules électriques dans le contexte des trajets longue distance.

Le véhicule électrique : un véhicule à zéro émission ?

Les véhicules électriques sont parfois désignés comme des véhicules « zéro émission ». Cette expression signifie qu’aucun polluant n’est émis à l’échappement lors de la circulation.

En revanche, cette notion exclut toutes les émissions indirectes, telles que celles liées à la production de l’électricité nécessaire à la recharge de la batterie, ou encore à la fabrication et au traitement en fin de vie du véhicule. La notion d’émission « à l’échappement » exclut également certaines pollutions liées à la phase d’usage du véhicule, notamment celles causées par l’usure des freins, des pneus et de la chaussée.

En dépit de ces nuances, les véhicules électriques émettent globalement moins de polluants que les véhicules thermiques. D’une part, ils émettent moins de polluants atmosphériques lors de la phase d’usage et permettent donc de réduire les dommages causés à la santé, en particulier dans les zones denses.

D’autre part, même en considérant l’ensemble du cycle de vie (de l’approvisionnement en matériaux jusqu’à la fin de vie), une voiture électrique génère en moyenne moins de gaz à effet de serre que ses homologues thermiques. Par exemple, un véhicule électrique rechargé en France et parcourant 225 000 km, génère 74 % de gaz à effet de serre en moins qu’une voiture à essence.

Le temps de trajet, frein majeur à l’acceptabilité

En 2022, en France, seuls 13 % des immatriculations de voitures particulières neuves étaient des modèles tout électriques.

Malgré leurs avantages, les véhicules électriques peinent à se substituer aux véhicules thermiques, notamment parce que l’acceptabilité est limitée par les contraintes d’autonomie et de temps de recharge pour les trajets longue distance.

Prenons l’exemple d’un véhicule ayant une batterie d’une capacité de 50 kWh (cette énergie correspond au « volume » d’électricité qu’elle peut stocker), utilisée sur une plage d’état de charge comprise entre 10 et 80 %, et qui peut être rechargée à 100 kW maximum (cette puissance correspond au « débit » maximal auquel la batterie peut être rechargée ; la puissance moyenne d’une recharge est généralement inférieure à la puissance maximale, typiquement 82 kW pour un véhicule pouvant être rechargé à 100 kW maximum). Ces caractéristiques correspondent à celle d’une Peugeot e-208, qui est représentative du véhicule moyen immatriculé en 2021.

D’après la consommation réelle donnée par le constructeur, le conducteur peut réaliser des trajets à 130 km/h en alternant des phases de circulation de 55 minutes et des pauses de 25 minutes pour faire les recharges.

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À cause des besoins de recharge, les véhicules électriques réalisent donc les longs trajets à grande vitesse significativement plus lentement que les véhicules thermiques. À titre de comparaison, les conducteurs de véhicules thermiques qui suivent les recommandations de sécurité routière effectuent des trajets à 130 km/h en faisant 20 minutes de pause toutes les 2 heures.

Améliorer l’attractivité des véhicules électriques

Pour rendre les véhicules électriques plus attractifs, il faudrait que les trajets soient aussi longs en véhicule électrique qu’en véhicule thermique. Deux stratégies sont alors possibles.

La première est d’augmenter fortement les capacités des batteries et les performances des recharges des véhicules électriques. Des batteries de l’ordre de 110 kWh, rechargeables à 320 kW en pointe environ, seraient nécessaires pour effectuer des cycles de 2 heures de circulation à 130 km/h et de 20 minutes de pause.

La seconde stratégie est de réduire les vitesses de circulation sur autoroute pour désavantager les véhicules thermiques. Pour les véhicules électriques, faire des cycles de 2 heures de circulation à 110 km/h et de 20 minutes de pause nécessiterait des batteries de 60 kWh, rechargeables à 170 kW en pointe environ.

Sur autoroute, les bornes de recharge sont majoritairement des bornes à haute puissance permettant une recharge rapide. Elles sont connectées au réseau électrique via de grandes armoires électriques qui permettent d’obtenir de forts courants électriques. Ces armoires sont plus ou moins isolées des usagers, ici, elles sont masquées par des palissades noires. Ionity

Ces deux scénarios induisent des difficultés de mise en œuvre et des risques différents.

Le scénario où les tailles des batteries sont doublées ne semble ni réalisable à court terme compte tenu des contraintes industrielles, ni souhaitable à plus long terme.

D’abord, cette stratégie aurait un effet direct sur les tensions d’approvisionnement en matériaux pour la fabrication des batteries. Or, il ne faut pas substituer la dépendance au pétrole par la dépendance au lithium, au cobalt ou au graphite, qui sont des matériaux considérés comme critiques par la Commission européenne.

De plus, le surdimensionnement des batteries ferait augmenter le coût économique et environnemental des véhicules, alors que l’autonomie n’est une contrainte que pour les trajets longs sur autoroute, qui ne représentent généralement qu’une part marginale de l’usage réel d’un véhicule.

Le second scénario, impliquant de généraliser la circulation à 110 km/h maximum, est quant à lui techniquement atteignable à l’horizon 2030. D’abord, il serait très pertinent pour l’attractivité des véhicules électriques et limiterait la course aux batteries de haute capacité.

De plus, il réduirait les besoins d’infrastructures de recharge sur les autoroutes, permettant une réduction des dépenses et de la consommation de matières premières. En effet, l’installation d’une borne de recharge ultrarapide de 150 kW coûte environ 130 000 euros, dont 45 000 sont subventionnés par des fonds publics, et sa fabrication, armoire électrique incluse, nécessite environ 1,2 tonne de matières (d’après les fiches produits d’EVBox, d’ABB et d’Efacec).

Enfin, ce scénario est également recommandé pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ou la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.

Une responsabilité collective pour un développement maîtrisé des véhicules électriques

Limiter la vitesse maximale autorisée sur autoroute et favoriser l’adoption de véhicules électriques « sobres » permettrait de rendre le processus d’électrification plus robuste, mais aussi plus juste.

Aujourd’hui, pour les trajets longue distance, il existe déjà de grandes inégalités entre les performances de divers véhicules électriques neufs. Par exemple, les véhicules les plus citadins (tels que la Twingo ZE) ne permettent pas de faire des trajets longs. De plus, un véhicule haut de gamme (comme une Tesla Model S) est environ 15 % plus rapide pour réaliser un trajet long avec des recharges qu’un véhicule milieu de gamme (comme la Peugeot e208).

Cette nouvelle forme d’inégalité liée au temps de trajet pourrait s’accentuer avec, d’un côté, l’apparition de nouveaux modèles de véhicules avec des batteries à haute capacité et, de l’autre, un parc de véhicules électriques vieillissants. De plus, ceci constituerait une forme dangereuse d’obsolescence des anciens véhicules : de nouveaux véhicules avec des performances sans cesse augmentées apparaîtront sur le marché, alors que le parc comportera encore de nombreux véhicules plus anciens. La volonté de renouveler son véhicule électrique sera alors exacerbée et poussera à la surconsommation, avec les impacts qui lui sont associés.

Même si l’électrification des véhicules est un des leviers d’action pour rendre la mobilité plus soutenable, les pratiques des usagers et le système de transport doivent s’adapter aux contraintes d’un tel processus. Il y a alors une responsabilité collective à développer par toutes les parties prenantes : chaque usager, constructeur et décideur public est appelé à y contribuer.

Réduire temporairement les vitesses de circulation sur autoroute est une mesure controversée. Elle exige alors un engagement personnel pour adapter la manière de se déplacer et de voyager, un engagement politique pour porter ce projet et garantir le respect des limitations de vitesse, ainsi qu’un devoir de cohérence avec nos voisins européens afin d’harmoniser les vitesses réglementaires sur autoroute.

D’une façon similaire, limiter les vitesses maximales atteignables par les véhicules permettrait également de réduire les excès et de commercialiser des véhicules plus sobres.

Enfin, l’émergence des véhicules électriques montre le besoin d’une vision globale pour mener une transition environnementale : miser sur des espoirs purement technologiques risque d’être insuffisant pour résoudre les grands défis environnementaux et risque de plus de faire naître de nouveaux problèmes de résilience et d’accroître la fragilité des plus vulnérables.

Julien Baltazar, Doctorant en mobilité et management environnemental, CentraleSupélec – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Reine d'abeille entourée d'ouvrières. Freddie-Jeanne Richard, Fourni par l'auteur

Pesticides et abeilles : comment les fongicides s’attaquent à la reine

Reine d'abeille entourée d'ouvrières. Freddie-Jeanne Richard, Fourni par l'auteur
Freddie-Jeanne Richard, Université de Poitiers

Ce n’est plus un secret pour personne tant les alarmes se multiplient : les menaces pèsent sur les pollinisateurs, alors que la grande majorité des plantes à fleurs ont besoin d’eux pour transporter le pollen et donc se reproduire. Pour les attirer, les fleurs ont de nombreuses astuces. Elles utilisent des odeurs, des couleurs, des formes… et peuvent aussi produire du nectar.

Ce travail de pollinisation est effectué par 1080 espèces d’oiseaux, plus de 340 espèces de mammifères décrites et même certains lézards. Au moins 20 000 espèces d’abeilles dans le monde aident plus de 80 % d’espèces de plantes à fleurs à se reproduire. Excellents vecteurs de pollen, les abeilles en utilisent aussi pour leur propre consommation.

La biodiversité étant menacée par des facteurs essentiellement anthropiques (surexploitation, activités agricoles, développement urbain, augmentation des espèces exotiques envahissantes, des maladies et la pollution, le nombre de pollinisateurs ne cesse donc de diminuer, les animaux étant soumis à un large éventail de stress qui, s’ils ne sont pas nécessairement mortels, limitent leurs performances et les services écologiques fournis.

L’énergie des abeilles (Muséum national d’histoire naturelle, 6 avril 2020).

Fongicides et butineuses affaiblies

Conçus à l’origine pour tuer, les pesticides sont des produits chimiques utilisés généralement sur les organismes nuisibles aux cultures – les herbicides pour détruire les herbes et les fongicides les champignons, par exemple.

Le Boscalid est un fongicide de la famille des SDHI, largement utilisé en culture sur les arbres fruitiers et les fleurs de colza. Son action cible la respiration mitochondriale des champignons en inhibant la succinate deshydrogénase essentielle dans la voie de production d’énergie (ATP) – présente chez de nombreuses espèces – avec pour conséquence de cette inhibition une perturbation du métabolisme dont les mécanismes de détoxification.

Les abeilles exposées aux SDHI sont plus sensibles à d’autres pesticides et aux pathogènes. Les fonctions chez elles liées à la recherche de nourriture seraient également perturbées, comme le suggère l’augmentation de la consommation et de la collecte de pollen dans les études de terrain.

Si les SDHI ne présentent pas de toxicité aiguë pour les abeilles domestiques, des observations d’une durée supérieure au test standard de 10 jours ou en extérieur révèlent une augmentation de la mortalité à la suite d’une exposition à des concentrations de SDHI existantes dans la nature. D’autres résultats montrent qu’ils réduisent les performances de vol et l’apprentissage chez les abeilles ouvrières et perturbent la reconnaissance des nids chez les abeilles solitaires.

L’impact sur la reine

Mais d’autres effets indirects pourraient exister : chez l’abeille domestique, la reine détient le monopole de la reproduction et donne naissance à l’ensemble des ouvrières de la colonie. Ne s’accouplant qu’au début de sa vie, elle ne dispose que de quelques jours pour faire le stock de spermatozoïdes nécessaire : le bon déroulement de la reproduction est donc essentiel pour elle et sa colonie.

Elle est en outre dès son émergence alimentée par les ouvrières : dans le cadre d’une étude, nous avons donc nourri des ouvrières avec du Boscalid ou sa formule commerciale, le pictor pro, avec des quantités comparables aux concentrations retrouvées en milieu naturel. Au printemps, les reines émergentes ont été alimentées par ces ouvrières exposées pendant deux jours.

Nous avons pu constater que les reines exposées au fongicide meurent significativement plus pendant et peu après la période des vols nuptiaux. La survie des reines exposées au pictor pro diminue par exemple de 48 % par rapport aux reines non exposées. Les analyses sur la descendance des reines ayant survécu au vol nuptial montrent également qu’elles s’accouplent avec 23 % de mâles en moins que les reines non exposées. Or des études ont montré les effets bénéfiques de la diversité génétique apportée par les accouplements multiples en modifiant les signaux de fertilité des reines (ses phéromones) et la productivité des colonies (plus de miel).

La contamination de l’environnement par les pesticides (largement utilisés en agriculture) contribue largement au déclin de la biodiversité. Nicolas Duprey/Flickr, CC BY-NC-ND

La descendance affectée

Nos résultats montrent donc que le Boscalid perturbe la reproduction, comme l’indique une augmentation spectaculaire de la mortalité des reines pendant et peu après la période des vols nuptiaux.

Mais l’exposition des reines au Boscalid a en outre des conséquences néfastes sur les colonies qu’elles ont ensuite établies : entre autres, la production d’œufs et de larves est plus faible, les colonies sont davantage parasitées par le Varroa – acarien vecteur de maladies chez les abeilles – et des différences apparaissent dans les quantités de stockage de pollen et la taille de la population.

Ces perturbations observées au niveau de la colonie correspondent à des conditions de stress nutritionnel et pourraient donc résulter d’une réduction de l’apport énergétique de la reine aux œufs.

La reproduction, facteur clé dans le déclin des abeilles ?

Nous avons ainsi constaté que les reines exposées présentaient une diminution des niveaux d’expression génétique d’une protéine impliquée dans la formation des corps gras.

Dans l’ensemble, nos résultats confirment la nécessité d’inclure la reproduction dans les caractéristiques mesurées au cours des procédures d’évaluation des risques liés aux pesticides. À ce jour en effet, l’évaluation des risques des pesticides avant l’autorisation de mise sur le marché réalisée sur les pollinisateurs ne considère que les ouvrières sans étudier les effets sur les reproducteurs (femelles et mâles).

Lorsque la reine joue un rôle clé dans la reproduction, comme chez les abeilles domestiques et d’autres insectes monogynes, la dégradation de cette reproduction pourrait être l’un des principaux facteurs de perte des colonies.

Freddie-Jeanne Richard, Enseignante chercheuse en écologie et comportement des invertébrés, Université de Poitiers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Lorsqu'elles sont trop nombreuses, les cyanobactéries peuvent rendre les eaux des lacs impropres à la baignade. Ici, une efflorescence de cyanobactéries sur un lac d'Ile-de-France en août 2022. Sébastien Duperron, Fourni par l'auteur

Dans les eaux de baignade, les cyanobactéries, amies ou ennemies ?

Lorsqu'elles sont trop nombreuses, les cyanobactéries peuvent rendre les eaux des lacs impropres à la baignade. Ici, une efflorescence de cyanobactéries sur un lac d'Ile-de-France en août 2022. Sébastien Duperron, Fourni par l'auteur
Sébastien Duperron, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN); Benjamin Marie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et Cécile Bernard, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

L’été 2022 a été le plus chaud enregistré en France depuis 1900. Et s’il vous est venu l’idée de vous rafraîchir en allant vous baigner dans un lac, une rivière ou une base de loisirs, vous en avez peut-être été empêché en raison d’une fermeture pour cause de prolifération de cyanobactéries, qui peuvent s’avérer toxiques pour notre santé ou celles de nos animaux.

Mais qui sont ces cyanobactéries ? Quels problèmes posent-elles ? Sont-elles nos amies ou nos ennemies ?

Les cyanobactéries, ingénieures de la biosphère

Peut-être faut-il commencer par les présentations. Les cyanobactéries sont, comme leur nom l’indique, des bactéries microscopiques, de couleur bleu-vert.

Mais elles ne sont pas seulement des micro-organismes qui gâchent nos baignades ! Loin d’être de simples « nuisibles », ce sont avant tout les inventeuses de la photosynthèse oxygénique (qui utilise du CO2 et produit de l’O2, comme celle utilisée par les arbres). Elles sont donc à l’origine de toute la photosynthèse et de l’oxygénation de notre planète… sans lesquelles nous n’existerions pas. Rien que ça !

Petit retour en arrière. L’origine des cyanobactéries remonte aux temps très anciens de l’Archéen, entre 2,7 et 3,5 milliards d’années. À cette époque, d’autres bactéries utilisent déjà des machineries moléculaires appelées photosystèmes, capables de convertir l’énergie lumineuse en énergie chimique, permettant leur croissance et leur multiplication. Grâce à ces photosystèmes, ces bactéries peuvent déjà convertir du carbone inorganique (comme le dioxyde de carbone atmosphérique) en molécules complexes nécessaires au vivant (comme les sucres, les lipides ou les acides nucléiques).


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Mais pour la première fois, les cyanobactéries vont associer deux photosystèmes distincts et complémentaires. Cela va leur permettre de réaliser une forme alors inédite de photosynthèse, particulièrement productive, qui produit comme « déchet » du dioxygène.

Grâce à cette productivité, le succès écologique des cyanobactéries est très rapide, et elles se développent très largement… transformant au passage toute la chimie de la biosphère.

Jusque-là, en effet, océans et atmosphère ne contenaient que très peu d’oxygène, et abritaient donc des micro-organismes anaérobies. Or, le développement de ces cyanobactéries pratiquant la photosynthèse oxygénique va produire beaucoup, beaucoup d’oxygène ! Cet oxygène s’accumule d’abord dans les océans puis, au cours du dernier milliard d’années écoulé, dans l’atmosphère.

Mais ce n’est pas tout. Il y a environ un milliard d’années, les cyanobactéries sont entrées en symbiose avec une lignée d’organismes unicellulaires dotés d’un noyau. Elles ont ainsi donné naissance aux chloroplastes, des petits compartiments verts responsables de la photosynthèse présents dans les cellules des micro- et macro-algues, et des végétaux terrestres.

Efflorescence de cyanobactéries sur un lac d’Ile-de-France en août 2022. Sébastien Duperron, Fourni par l'auteur

Les cyanobactéries sont donc à l’origine de toute la photosynthèse et de l’oxygénation de notre planète ! Notre existence même en est une conséquence, d’une part puisque l’oxygène est indispensable à toute vie animale, et d’autre part puisque nous dépendons largement des plantes pour notre alimentation.

Les effets néfastes des cyanobactéries

Mais revenons au présent, et à nos cours d’eau ou nos lacs. Quand la température s’élève, la photosynthèse s’accélère. Si l’on ajoute à cela l’eutrophisation, c’est-à-dire l’enrichissement des eaux par des nutriments comme le phosphore ou l’azote de nos engrais, le résultat ne se fait pas attendre : les cyanobactéries prolifèrent. L’eau claire du lac devient une soupe verte ou rouge, selon les espèces… Une simple conséquence de leur redoutable efficacité !

Ces phénomènes sont connus depuis l’Antiquité, ou encore chez les Aztèques et les Mayas, dans certains plans d’eau douce tout comme dans les Océans. Cependant, le réchauffement climatique ainsi que l’augmentation des activités humaines (agriculture, rejet d’eaux usées insuffisamment traitées…) au cours des dernières décennies ont augmenté la fréquence et l’intensité de ces épisodes.

Or, ces proliférations de cyanobactéries sont néfastes pour la faune, la flore et la santé humaine.

Ainsi, même si la photosynthèse produit de l’oxygène, la biomasse de cyanobactéries produite lors des proliférations est rapidement dégradée par des bactéries qui vont consommer cet oxygène. Cela conduit in fine à l’anoxie des eaux (c’est-à-dire un manque d’oxygène) et à l’asphyxie des animaux, en particulier les poissons qui peuvent ainsi mourir brusquement.

D’autre part, certaines espèces de cyanobactéries (dites cyanobactéries toxinogènes) synthétisent de puissantes toxines, appelées cyanotoxines. Les plus préoccupantes pour la santé humaine sont les microcystines, les cylindrospermopsines, les anatoxines, les saxitoxines et les nodularines.

Après ingestion, contact ou inhalation, elles agissent sur différents organes comme le foie (effets hépatotoxiques), le système nerveux (effets neurotoxiques), les systèmes reproducteurs (effets reprotoxiques) ou les muqueuses (effets dermatotoxiques), avec des conséquences pouvant aller jusqu’à la mort. Des cas d’intoxications, dont celles mortelles de chiens, sont ainsi rapportés chaque année en période estivale.

En France, les cyanotoxines les plus fréquentes sont réglementées et régulièrement dosées dans les eaux de consommation et de loisirs. Lorsque les valeurs seuils de cyanobactéries toxinogènes ou de cyanotoxines sont dépassées, les autorités peuvent être amenées à limiter les activités voire fermer l’accès aux plans d’eau, ou limiter l’utilisation ou la consommation de l’eau.

Les cyanobactéries sont aussi des alliées pour la santé

Heureusement, toutes les cyanobactéries ne produisent pas de toxines, et elles ne produisent pas que des toxines.

La microalgue Limnospira fusiformis observée grâce à un microscope optique. Charlotte Duval/MNHN, Fourni par l'auteur

Elles sont en effet considérées comme des chimistes hors pair, produisant une grande diversité de molécules bioactives, dont certaines trouvent des applications dans le domaine de la santé. Dans une synthèse récente, notre équipe a ainsi recensé la production par les cyanobactéries de 10 classes de composés chimiques, présentant au moins 14 types d’activités potentiellement bénéfiques, et dont la plupart demeurent à explorer.

Parmi les exemples les plus emblématiques, la dolastatine 10 est à l’origine de la commercialisation d’un médicament anticancéreux (le brentuximab vedotin) utilisé dans le traitement du lymphome dans la maladie de Hodgkin.

Un autre exemple est celui de la cyanobactérie Limnospira (anciennement nommée Arthrospira) utilisée comme complément alimentaire depuis des siècles et commercialisée sous le nom générique de « Spiruline ». Cette cyanobactérie est riche en protéines, en minéraux, en vitamines et acides gras insaturés.

Avec plus de 1700 espèces connues et bien davantage encore restant à décrire, les cyanobactéries représentent donc une ressource importante pour l’innovation bioinspirée.

Les cyanobactéries, sentinelles avant tout

Il est probable que les proliférations de cyanobactéries soient encore fréquentes l’été prochain, et qu’elles nous priveront parfois d’activités nautiques, de pêche, ou de baignade. Plus grave, dans de nombreuses régions du monde, elles affectent directement les ressources en eau potable dont dépendent les populations.

Mais au-delà de leur impact sur nos activités, ces épisodes révèlent avant tout les déséquilibres et la mauvaise santé des écosystèmes aquatiques.

Fortement liée aux activités humaines qui contribuent à l’eutrophisation des eaux, l’augmentation des proliférations de cyanobactéries partout dans le monde doit nous interpeller sur les menaces qui pèsent sur la qualité de l’eau et la biodiversité, et soulignent à quel point le bien-être de l’humain est intimement lié à celui des écosystèmes aquatiques.

Sébastien Duperron, Professeur d'écotoxicologie microbienne, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN); Benjamin Marie, Research scientist, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et Cécile Bernard, Professeure du Muséum national d'Histoire naturelle., Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Des plantes chez soi que pour faire joli ? rawpixel.com/Freepik, CC BY-NC-ND

Derrière les plantes d’appartement, quel désir de nature chez les jeunes urbains ?

Des plantes chez soi que pour faire joli ? rawpixel.com/Freepik, CC BY-NC-ND
Gervaise Debucquet, Audencia; Allan Maignant, Astredhor (Institut technique de l’horticulture) et Anne-Laure Laroche, Astredhor (Institut technique de l’horticulture)

Tout comme l’alimentation, le secteur du végétal n’échappe pas à la prolifération de concepts et d’anglicismes comme « plant addict », « plant parenting » (« parentalité végétale »), et tout récemment « slow gardening » (écojardinage sans stress), lesquels rencontrent un écho particulièrement puissant chez les jeunes urbains. À l’image des applications digitales facilitant l’entretien des plantes, ou encore les modules connectés de petite production alimentaire.

Sont-ils révélateurs d’une conscience écologique aiguë ou de la relation plus profonde que les jeunes générations entretiennent avec le végétal et, plus largement, le vivant ?

Mieux cerner leur degré d’« affiliation » à la nature permet d’expliquer le fossé fréquemment observé entre la conscience écologique et la mise en œuvre de comportementaux vertueux ; bien qu’assez stable chez les individus, ce plus ou moins grand sentiment de proximité avec la nature peut évoluer au gré des expériences, des émotions au contact du vivant, ne serait-ce qu’au travers des soins apportés à des plantes d’intérieur.

En janvier 2020, mille jeunes urbains, âgés de 25 à 40 ans, ont répondu à une enquête récemment publiée et conduite par ASTREDHOR et Audencia Business School. Cette enquête explore différentes dimensions de leurs relations au végétal dans l’espace privé.

Les jeunes urbains ont-ils beaucoup de plantes chez eux ? Rêvent-ils d’en avoir plus ? Qu’attendent-ils idéalement de leurs plantes ? Comment perçoivent-ils les activités autour du jardinage ? L’étude s’est également intéressée au lien social généré par les plantes, y compris sous l’angle des réseaux sociaux. Elle explore aussi le lien entre conscience environnementale, engagement en matière d’alimentation durable et relations aux plantes.

Conscience écolo, esthétisme et bienfaits psy

Les évocations spontanées associées aux plantes d’intérieur chez les jeunes urbains se traduisent majoritairement en matière de bien-être mental procuré par le végétal, comme la relaxation, la détente mais aussi l’esthétisme. Bien-être physique également qui s’est révélé par les évocations des « services » rendus par les végétaux en matière de qualité de l’air. 19 % de jeunes urbains déclarent cependant rester indifférents aux plantes.

Le vert comme une barrière pour contenir le stress de la vie urbaine. Annie Spratt/Unsplash, CC BY-NC-SA

Si les jeunes urbains sont en attente d’une reconnexion à la nature, leur vision des plantes semble plutôt anthropocentrée, tournée vers l’usage, les utilités de la plante – en particulier son bénéfice potentiel pour lutter contre le stress ou l’anxiété générés par la vie urbaine.

Mieux comprendre le fonctionnement du vivant et ses exigences n’est pas clairement une préoccupation première, au contraire : certaines de ces exigences pour les maintenir en vie, comme l’arrosage par exemple, sont perçues comme des contraintes.

S’occuper de ses plantes, corvée ou plaisir ?

Le soin apporté aux plantes est perçu comme une tâche qui prend du temps et occupe de l’espace, très souvent restreint en milieu urbain. Dans notre enquête, 60 % des jeunes urbains habitent en appartement et sont de ce fait obligés de jardiner « hors sol », 14 % d’entre eux ne disposent pas d’espace extérieur et sont potentiellement contraints de jardiner « en intérieur ».

La présence d’insectes et de terre est aussi très souvent perçue comme une source de nuisances ou de « saleté ». Interrogés sur leur plante idéale, les jeunes urbains citent en premières qualités des critères de facilité, de résistance et de durée de vie. Cela ne préjuge pas pour autant du plaisir qu’ils prennent à jardiner, mais un clivage a été observé. La moitié des jeunes urbains déclare apprécier rempoter, tailler, entretenir. Pour l’autre moitié, ces activités sont plutôt perçues comme une contrainte.

Interrogés sur leur plante idéale, les jeunes urbains citent comme premières qualités des critères de facilité, de résistance et de durée de vie. Cassidy Phillips/Unsplash, CC BY-NC-SA

Enfin, la presse et les réseaux sociaux se font l’écho d’une tendance au « plant parenting » chez les jeunes, à l’image de l’éducation d’un enfant ou de l’adoption d’un animal de compagnie. Même si 43 % des jeunes urbains déclarent s’attacher à une plante comme ils le feraient à un animal, 26 % d’entre eux n’ont pas ou plus de plantes car en partie mortes.

Chez les jeunes urbains, il est donc difficile de parler d’une véritable reconnexion au vivant ou encore de la restauration d’une véritable « affiliation » à la nature, alors que de nombreux anthropologues pointent la nécessité de dépasser le dualisme humain-nature dans les pays occidentaux en vue de la transition écologique.

La relation aux plantes chez les convertis aux circuits courts alimentaires

La question de l’alimentation durable prend de plus en plus de place dans notre société, notamment chez les jeunes générations. Ainsi, dans notre enquête, 44 % des jeunes urbains déclarent être flexitariens (forte réduction de la consommation de viande, sans se l’interdire pour autant) et 39 % achètent régulièrement ou exclusivement des aliments issus de l’agriculture biologique. S’occuper des plantes s’inscrit-il dans le prolongement de cette conscience écologique ?

Nous avons croisé ces éléments relatifs à la conscience environnementale des jeunes urbains avec leur perception des activités de jardinage. Les résultats montrent une continuité entre la conscience environnementale des jeunes urbains et leur appétence pour les plantes.

Notre enquête révèle également que les jeunes urbains qui font des choix pour une alimentation durable (achats réguliers auprès des circuits courts alimentaires ou consommation fréquente d’aliments certifiés bio) sont les plus enclins à verdir leur environnement et à valoriser les soins requis par le végétal.

De la ville comestible à la résilience urbaine

Face à la croissance urbaine, les services écosystémiques des plantes (réduction des îlots de chaleur, ombrage, hygrométrie, etc.) ne sont plus à démontrer et les actions individuelles des citoyens-jardiniers peuvent contribuer activement à la résilience urbaine face au changement climatique.

Pour encourager ce jardinage privé, il faudrait savoir compter sur les liens sociaux induits par l’entretien de plantes, y compris d’intérieur. En effet, selon notre enquête, les jeunes urbains qui valorisent l’entretien et la préservation de leurs plantes sont les plus à même d’entretenir les échanges et liens sociaux avec le voisinage ou les amis autour du végétal ; ils éprouvent un fort sentiment d’appartenance à une communauté « verte ».

Ceux-là mêmes se retrouvent dans l’engouement des jeunes générations pour les « villes comestibles » qui promeuvent activement l’alimentation durable, via notamment les circuits courts urbains ou périurbains, lesquels peuvent induire en retour un sentiment d’appartenance à ces collectifs. Il pourrait être opportun d’encourager les synergies entre les communautés alimentaires et les communautés autour du jardinage pour faciliter une véritable reconnexion au vivant, dépassant la vision d’une nature « utile », et ainsi inciter à une plus grande présence du végétal dans les lieux de vie privés.

Manger et jardiner constituent deux activités qui permettent à homo urbanus de maintenir, restaurer ou encore resserrer son sentiment d’affiliation avec la nature, le végétal. Les confinements successifs dus au Covid-19 ont montré combien ces deux activités étaient essentielles à l’équilibre psychologique des citoyens, au premier rang desquels les urbains qui ont fortement réinvesti la cuisine maison et le soin aux plantes d’intérieur.

Gervaise Debucquet, Enseignante-chercheuse, socio-anthropologie de l’alimentation, Audencia; Allan Maignant, Directeur ASTREDHOR Loire-Bretagne, Astredhor (Institut technique de l’horticulture) et Anne-Laure Laroche, Animation d'une Unité Mixte Technologique STRATège, Astredhor (Institut technique de l’horticulture)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.