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La température de surface lors de la vague de chaleur de fin juillet 2019 sur l’Europe de l’Ouest. Données (Copernicus Sentinel, 2019), processé par l'ESA, CC BY-SA

Les risques de températures extrêmes en Europe de l’Ouest sont sous-estimés

La température de surface lors de la vague de chaleur de fin juillet 2019 sur l’Europe de l’Ouest. Données (Copernicus Sentinel, 2019), processé par l'ESA, CC BY-SA
Robin Noyelle, Université Paris-Saclay; Davide Faranda, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Yi Zhang, University of California, Berkeley

Le 25 juillet 2019, la station météo centenaire de Paris Montsouris a battu son record datant de 1947 en enregistrant une température de 42,6 °C. De son côté, la station de la petite ville de Lytton dans l’ouest canadien a enregistré une température record de 49,6 °C le 30 juin 2021. Dans les deux cas, les précédents records de températures locaux ont été largement battus, respectivement de 2 et 5 °C, ce qui aurait été très improbable sans changement climatique d’origine humaine.

Atteindre des températures aussi élevées a des conséquences importantes sur les êtres vivants — sur les humains notamment. Par exemple, les plantes, dont les cultures, peuvent se déshydrater très rapidement, produisant des conditions favorables à des incendies. Les infrastructures, rails ou bâtiments, sont aussi touchées car elles ne sont pas toujours conçues pour résister à ces températures.

Une méthode classique pour estimer les risques d’occurrence de températures très intenses est statistique. Elle repose sur la « théorie des valeurs extrêmes » qui permet d’estimer une température maximale atteignable à partir de données de température passées, et donc de définir un « worst-case scenario » auquel se préparer. Les scénarios du pire actuellement utilisés sont souvent basés sur cette méthode statistique, qui prend mal en compte les mécanismes physiques des vagues de chaleur.

Une autre façon d’aborder le problème des températures extrêmes est de considérer les mécanismes physiques atmosphériques qui empêchent cette température d’augmenter indéfiniment. Dans une étude parue récemment dans Environmental Research Letters, nous montrons ainsi qu’il n’est pas possible d’écarter la possibilité d’atteindre les 50 °C à Paris – y compris à l’heure actuelle – et que les estimations statistiques des valeurs maximales sont probablement sous-estimées de plusieurs degrés en Europe de l’Ouest.

Comment évalue-t-on les températures maximales atteignables ?

La vague de chaleur canadienne de 2021 était tellement intense que les températures qui ont été atteintes étaient jugées impossibles par les méthodes statistiques.

Suite à ces observations, la communauté des sciences du climat a commencé à donner plus de crédit à ses simulations informatiques qui montraient bien que de tels événements très intenses étaient possibles, mais qui avaient été jugées peu réalistes jusqu’alors, voire comme des artefacts des modèles de climat. Ainsi, après l’événement canadien, plusieurs études ont notamment montré que des événements aussi intenses étaient pourtant simulés correctement par les modèles, ce qui est en un sens rassurant quant à notre compréhension du système climatique.

Mais pour évaluer les températures maximales atteignables et préparer nos sociétés à ces extrêmes, il reste que l’application simpliste de la « théorie des valeurs extrêmes » est mise en défaut.

Récemment, une nouvelle théorie, basée sur la physique cette fois, a été proposée pour estimer les températures maximales théoriques atteignables à nos latitudes. Dans notre étude, nous l’utilisons pour montrer que des bornes maximales supérieures de 5 à 10 °C aux estimations statistiques traditionnelles du worst case scenario pour les grandes villes européennes étudiées sont possibles.

Par exemple, la méthode statistique traditionnelle donne une température maximale pour Paris de 40,8 °C, qui a été dépassée pendant l’événement de 2019 (42,6 °C), tandis que notre estimation donne 46,6 °C. Rappelons que nous parlons ici des températures mesurées à 2 mètres du sol, à l’ombre, sous abri et selon un protocole météorologique précis. Localement les températures peuvent être plus — ou moins — fortes.

Comparaison entre la température maximale enregistrée en juillet 2019, avec la température maximale théorique calculée avec la méthode statistique (troisième colonne) et avec la méthode physique (quatrième colonne). Le tableau donne la valeur médiane estimée et les fourchettes l’incertitude sur cette valeur. Robin Noyelle, CC BY-SA

Les ingrédients indispensables pour générer des vagues de chaleur

Pour générer une vague de chaleur très intense, il faut principalement deux éléments. Le premier est un printemps ou début d’été peu pluvieux qui rend les sols anormalement secs.

Le deuxième est une bulle de haute pression centrée sur la région de la vague de chaleur. Ces hautes pressions dévient vers le Nord les perturbations qui traversent l’Atlantique et nous amènent habituellement de la fraîcheur et de l’humidité océaniques : on parle d’« anticyclone de blocage », habituellement associé à un ciel ensoleillé et sans nuage.

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La combinaison de sols secs et de l’absence de nuages implique que l’énergie reçue du soleil atteint directement le sol. Cette énergie est ensuite transférée : soit pour faire évaporer de l’eau (majoritairement par la transpiration des plantes), ce qui fait diminuer localement la température ; soit pour réchauffer les basses couches de l’atmosphère (inférieures à 1500 mètres d’altitude).

Ainsi, quand les sols sont déjà très secs, la majorité de l’énergie reçue du soleil est utilisée pour augmenter la température de l’air proche du sol.

Organisation schématique et simplifiée de l’atmosphère pendant une vague de chaleur. Adapté et traduit par Robin Noyelle et Elsa Couderc, CC BY-SA

L’humidité du sol limite l’augmentation des températures

Une particule d’air très chaud est moins dense qu’une particule d’air froid : elle a tendance à s’élever. Comme ce sont les basses couches de l’atmosphère qui sont réchauffées par le Soleil, l’air chaud au niveau du sol monte : on parle de convection. Si la convection est suffisamment intense, l’air chaud peut s’élever très haut dans l’atmosphère (plusieurs kilomètres) ce qui le refroidit du fait de la diminution de sa pression. Dans certaines conditions, ce refroidissement fait condenser la vapeur d’eau contenue dans l’air : un nuage apparaît.

Mais en se condensant, la vapeur d’eau réchauffe l’air dans laquelle elle est contenue, ce qui peut entretenir son mouvement ascendant. Si le mouvement ascendant est suffisamment fort, un orage se déclenche. La pluie refroidit le sol et stoppe l’augmentation des températures.

Plus il y a de vapeur d’eau dans la particule d’air au départ, plus la condensation est facile : le mouvement ascendant et les chances de précipitations orageuses sont renforcés.

Les cumulonimbus sont des nuages d’orage qui peuvent monter en panache. Brigitte Alliot

L’humidité au niveau du sol joue donc un double rôle pour limiter l’augmentation des températures : elle permet de rafraîchir l’air localement en s’évaporant, et elle limite les augmentations de température en favorisant la convection.

Pourquoi les orages ne se déclenchent pas systématiquement pendant les vagues de chaleur

Mais la convection ne se déclenche pas systématiquement. En effet, pendant les vagues de chaleur les plus intenses, une bulle de haute pression et d’air chaud se trouve au-dessus des régions touchées, à une altitude d’environ 5 à 6 kilomètres, c’est le fameux anticyclone de blocage, qui peut atteindre quelques milliers de kilomètres de large. Un tel anticyclone bloque la condensation de la vapeur d’eau et empêche le déclenchement de la convection profonde et des orages.

C’est donc la combinaison des caractéristiques physiques de cet anticyclone et de l’humidité du sol qui définit les températures maximales atteignables pendant une vague de chaleur.

Dans notre étude, nous montrons que la température maximale définie par les caractéristiques de l’anticyclone de blocage change assez peu entre des conditions anticycloniques passées (entre 1940 et 1980) et présentes (entre 1981 et 2021), alors que les températures maximales observées au sol augmentent fortement, entre 2 et 3 °C selon les régions. Cette augmentation est probablement principalement due à des phénomènes d’assèchement des sols liés au réchauffement climatique d’origine anthropique.

Robin Noyelle, Doctorant en sciences du climat au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE-CEA-IPSL), Université Paris-Saclay; Davide Faranda, Senior Researcher, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Yi Zhang, Postdoctoral scholar, University of California, Berkeley

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Selon une étude, la chaleur pourrait causer plus de 17 millions de décès additionnels dans le monde d'ici 2100. Wikimedia commons, CC BY-SA

Hausse des températures : les sueurs froides du décompte de la mortalité

Selon une étude, la chaleur pourrait causer plus de 17 millions de décès additionnels dans le monde d'ici 2100. Wikimedia commons, CC BY-SA
François Lévêque, Mines Paris

Cette année, déjà marquée par le mois de juillet le plus chaud jamais enregistré sur Terre, les décès liés à la chaleur dépasseront encore de loin la centaine de milliers dans le monde. En 2022 en Europe seule, la saison estivale, avait déjà causé près de 60 000 victimes sur le continent dont 5 000 en France.

Tentons pourtant de gommer nos émotions et de voir les choses de très loin, du balcon de Sirius aurait dit Voltaire. Avec hauteur mais sans donner de leçon. Et puis, cela tombe bien : Sirius portait le nom de Canicula chez les Romains en référence à la petite chienne du dieu chasseur Orion dont l’astre est voisin.

Reconnaissons alors que l’élévation de température due aux émissions de gaz à effet de serre réduit aussi la mortalité liée au froid ; qu’il convient de compter les morts par tonne de CO2, en plus ou en moins – mais aussi d’inclure les décès dans le coût social du carbone ; et enfin, bonne nouvelle, que nos efforts d’atténuation et d’adaptation permettront de sauver des vies humaines par millions.

Des morts liés à la chaleur mais aussi au froid

La surmortalité du réchauffement est manifeste depuis plusieurs décennies. Un demi-pourcent de la mortalité totale mondiale est en effet attribuable à l’effet du changement climatique sur les hautes températures. Un tiers en somme de tous les décès de chaleur.

Mais attention la relation entre élévation de la température et mortalité n’est pas à sens unique. Le réchauffement diminue aussi les journées et les pics de grand froid, et donc la mortalité qui leur est associée. Celle-ci ne se réfère pas spécifiquement au fait que des personnes meurent de froid par hypothermie. De même que la mortalité liée à la chaleur ne se résume pas aux décès par hyperthermie. Les températures plus basses ou plus hautes fragilisent les constitutions et accentuent les troubles pathologiques et, finalement, réduisent l’espérance de vie.

Le réchauffement entraîne donc plus de morts d’un côté mais moins aussi d’un autre. Ce second phénomène qui complique le décompte de la mortalité des nouvelles températures peut être très significatif. Au Mexique, par exemple, il a été calculé qu’une journée à plus de 32 °C se solde par un demi-millier de morts mais qu’une journée à moins de 12 °C par dix fois plus. Très peu d’habitations y disposent en effet de chauffage.

Il convient donc de tenir compte aussi de cette sous-mortalité. Mais dans quelle mesure compense-t-elle la surmortalité de chaleur ? En totalité pour les trente dernières années, selon une étude publiée dans The Lancet en 2021. Un résultat à prendre toutefois avec des pincettes à cause de la méthode suivie qui se fonde sur une température dite optimale, celle correspondant au minimum de décès observés.

Pour le futur, il n’y a en revanche pas de doute sérieux sur le caractère seulement partiel de la compensation.

Une illustration en est donnée par la figure ci-dessous extraite d’un article publié en 2021 dans la revue Scientific Reports.

Citons également une étude qui permet de chiffrer à 17,6 millions les décès additionnels en 2100 liés à l’élévation des températures – en prenant bien en compte la sous-mortalité liée au froid. Ce chiffre repose sur l’hypothèse d’une planète comptant 8 milliards de Terriens et sur l’estimation d’une augmentation nette de la mortalité qui s’élèverait à 220 décès pour 100 000 habitants, soit le ratio d’aujourd’hui pour les décès d’accidents cardiovasculaires. C’est considérable.

La sous-mortalité du froid doit être prise en compte sans fard et sans états d’âme car elle jette une lumière crue sur les inégalités face au réchauffement. Elle accentue les écarts de mortalité au sein d’un même État ou union d’États : entre la population des régions froides et des régions chaudes du Mexique, de l’Inde, des États-Unis ou de l’Europe, par exemple. Elle renforce les inégalités entre régions du monde : les États-Unis et l’Europe devraient connaître à l’horizon 2100 une surmortalité liée à l’élévation des températures légèrement positive et même négative.

La moyenne citée plus haut de 220 décès pour 100 000 habitants masque en effet une très grande hétérogénéité avec un ratio de +14,8/100 000 et de – 14,3/100 000 pour respectivement les États-Unis et l’Europe, tandis qu’il atteint +334/100 000 pour l’Union indienne.

Selon une étude de synthèse publiée en 2022 sous l’égide de l’American Thoracic Society, la mortalité liée au froid représente la moitié de la mortalité liée à la chaleur en Europe mais seulement le quart pour la région du Moyen-Orient et du nord de l’Afrique.

Les inégalités plus tranchées dès lors que l’on tient compte de la sous-mortalité liée au froid risquent de renforcer les égoïsmes et rendre plus difficiles encore les discussions politiques nationales et internationales sur les efforts d’atténuation. Mais rien ne sert de faire l’autruche. Ni l’expression ni l’animal n’existent sur Sirius.

Une jauge à utiliser vous-même

Le développement des travaux sur la mortalité des températures procure une nouvelle vision et apporte de nouveaux résultats sur le coût des émissions de carbone. Ils permettent de calculer les effets du réchauffement en décès additionnels par tonne d’émission nouvelle et d’intégrer la mortalité dans la détermination du coût social du carbone.

Explications de ce baragouin d’un Sirien :

Il faut compter 0,000226 décès associé à l’émission d’une tonne supplémentaire de dioxyde de carbone. Dit autrement et plus précisément, réduire les émissions de ce gaz d’un million de tonnes épargnerait 226 vies humaines entre 2020 et 2100.

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Faisons plus parlant encore : les émissions de quatre Américains au cours de leur vie correspondent à un décès en plus sur la planète. Ce chiffre choc ainsi que les précédents sont issus d’un article du chercheur Daniel Bressler récemment paru dans Nature Communications. Ils reposent sur l’hypothèse d’une augmentation des températures de +4,1 °C en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle et d’une estimation d’une surmortalité de chaleur cumulée au cours de cette période de près de 100 millions de personnes.

Cette métrique de la mortalité additionnelle par tonne de carbone en plus ou en moins offre une façon simple d’évaluer les effets des projets d’investissement qui émettent de nouvelles émissions ou les réduisent. Vous pouvez vous-même l’utiliser comme jauge lorsque vous hésitez à prendre le train ou l’avion ! De plus, contrairement à la métrique canonique du coût social du carbone, c’est-à-dire du coût monétaire pour la société d’une tonne en plus ou en moins, elle évite deux contraintes : celle de choisir un taux d’actualisation et celle de donner une valeur en dollar ou en euro à une vie humaine.

Combien vaut une vie ?

Vous vous souvenez peut-être d’une controverse entre un économiste américain, William Nordhaus, et un économiste anglais Nicolas Stern, le second aboutissant à un coût social du carbone incomparablement supérieur au premier. Leur divergence s’explique principalement par une position radicalement différente sur le taux d’actualisation à retenir, un paramètre nécessaire pour comparer des dollars ou des euros d’aujourd’hui avec des dollars ou des euros de demain. Un choix acrobatique et périlleux quand demain veut dire en 2100.

L’affectation d’une valeur monétaire à une vie humaine en moins ou en plus est un choix plus délicat et polémique encore. En témoignent les innombrables travaux économiques depuis plus d’un demi-siècle sur la valeur statistique d’une vie ainsi que la farouche opposition que cette démarche rencontre auprès de Terriens qui ne parlent pas le Sirien. La prise en compte d’une vie en moins ou d’une année de vie en moins est un premier choix à trancher que j’ai discuté ailleurs.

Il est décisif car les décès de mortalité liés aux températures concernent principalement des personnes âgées. Un second choix crucial est d’opter pour une valeur universelle ou pour une valeur dépendante du revenu. En termes crus, le décès d’un Indien vaut-il moins que celui d’un Américain ? Discuter de ce choix nous entraînerait trop loin ici.

Surtout qu’il ne remet pas en cause le résultat que je veux souligner : la prise en compte de la mortalité des températures modifie considérablement la donne sur les effets économiques du réchauffement, la perte des vies humaines devenant le premier poste des dommages du réchauffement.

Prenons l’exemple du modèle climat-économie de William Nordhaus de 2016. La mortalité y représente seulement quelques pourcents des dommages. Les décès pris en compte se limitent en effet essentiellement à ceux occasionnés par le travail en extérieur des ouvriers agricoles et du bâtiment. Le coût social de la tonne de carbone s’élève à 38 euros.

En moulinant le même modèle mais en y ajoutant l’ensemble des décès liés à la chaleur, Daniel Bressler aboutit à un coût social du carbone égal à 258 dollars la tonne. Ce chiffre repose sur une valeur universelle d’une année de vie égale à quatre fois la moyenne globale de la consommation par habitant de la planète en 2020, soit 48 000 dollars. Bien entendu, le coût de mortalité du carbone est très sensible à cette valeur. Deux fois plus petite, le coût social de carbone devient 177 dollars/t, tandis qu’une valeur double conduit à 414 dollars/t.

Ce résultat a été confirmé par d’autres travaux. Un modèle récent intégrant un module complet sur les dommages de mortalité parvient à un coût social du carbone à 185 dollars/t dont 90 pour le seul poste de la mortalité.

Un autre article s’intéressant uniquement à ce poste l’estime à 144 dollars/t sur la base d’hypothèses de valeur d’une vie et de taux d’actualisation comparables à ceux du travail de Daniel Bressler. Ses auteurs se livrent par ailleurs à de multiples analyses de sensibilité du coût social de mortalité du carbone à ces deux variables. Il faut par exemple diviser les 144 euros/t à peu près par 3 en passant d’un taux d’actualisation de 2 % à 3 % ou bien en passant d’une valeur d’une vie universelle à une valeur d’une vie variable selon le revenu per capita des pays. Le passage en années de vie correspond de son côté à une division par deux.

Le futur coût social du carbone en discussion aujourd’hui aux États-Unis devrait tenir compte pleinement des pertes de vies humaines. C’est une décision importante car cette donnée est utilisée pour évaluer les décisions d’investissement public. Il est proposé par l’Agence pour l’Environnement et divers experts qu’il passe des 51 dollars/t d’aujourd’hui à 185 dollars/t. De façon générale, l’intégration de la mortalité dans le coût social du carbone en l’augmentant significativement justifie des actions de réduction de beaucoup plus grande ampleur. Elle les rend bénéfiques aux Terriens.

La grande inconnue de l’atténuation

Les chiffres sur la mortalité liée aux températures à l’horizon du siècle prochain qui ont été mentionnés jusque-là reposent sur une vision pessimiste de l’avenir. Ils correspondent au scénario d’une poursuite des émissions de gaz à effet de serre au rythme actuel – le scénario dit RCP 8.5 des travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Leur réduction autorisant une élévation moins forte des températures permettrait de limiter considérablement les dommages de mortalité. Reprenons le ratio des 220 décès pour 100 000 habitants en 2100. Dans le cas d’une stabilisation des émissions à un niveau faible (Scénario dit RCP 4.5) le ratio tombe à 40 décès, soit plus de cinq fois moins ! Si on reprend le coût cité plus haut de mortalité d’une tonne de carbone de 0,000226, l’effet est moins considérable mais reste impressionnant : une élévation de température de 2,4 °C au lieu de 4,1 °C le divise par plus de deux.

Les efforts d’atténuation que nous réaliserons permettent donc de sauver des vies humaines en très grand nombre. Cette conséquence positive de la transition n’est pas assez mise en avant. Vue de Sirius, elle offre pourtant une motivation et une justification simples aux Terriens à consentir des efforts de décarbonation d’envergure.

L’impossible équation de l’adaptation

Quelles que soient les températures futures considérées, les projections de mortalité ne tiennent pas compte d’un autre puissant levier de réduction des décès : les marges d’adaptation des hommes et de la société face à la chaleur. Or, là encore, les effets peuvent être conséquents.

Ils sont toutefois difficiles à quantifier globalement. À ma connaissance, une seule étude s’y est essayée. Elle aboutit à une baisse de l’ordre de 15 % du risque de décès. Ce résultat repose cependant sur un jeu d’hypothèses très restrictives en particulier sur l’absence de politiques publiques d’adaptation. Or elles jouent un rôle clef. Ne serait-ce qu’à travers la mise en place d’alertes aux canicules et de diffusion de messages sur les règles de conduite à adopter pour s’en protéger. S’ajoutent de nombreux investissements publics, en particulier en ville pour lutter contre les îlots de chaleur.

L’été 2022 a été la seconde année la plus chaude que la France ait connue – presque autant que celui de 2003. Il totalise pourtant cinq fois moins de décès en excès.

Affichage municipal de Paris après la canicule européenne de 2003, place Saint-Augustin, à Paris, 27 août 2003. Sebjarod/Wikimedia, CC BY-SA

Cet écart donne à penser que la société a réalisé des progrès dans son adaptation aux vagues de chaleur à répétition. Ce constat est confirmé par à un modèle mis au point par des épidémiologistes et des météorologues. Appliqué à la canicule de 2006 en France, il montre qu’elle se serait soldée sans adaptation par trois fois plus de décès.

Outre l’action publique, les progrès observés s’expliquent également par la diffusion de la climatisation. On en connaît les effets délétères à travers son apport au réchauffement de l’atmosphère par sa consommation d’énergie fossile, ses fuites de gaz frigorigènes et, localement, ses propres rejets d’air chaud. On parle moins de ses effets conséquents sur de la diminution de mortalité.

Une étude américaine a montré que la diffusion de la climatisation aux États-Unis entre 1960 et 2004 a permis d’éviter près d’un million de décès prématurés. A contrario, le moindre usage des climatiseurs au Japon lié à l’augmentation du prix de l’électricité et aux campagnes d’économie d’énergie consécutives à l’accident nucléaire de Fukushima Daïchi a entraîné près de 10 000 décès en excès.

Citons enfin comme moyen d’adaptation les migrations vers des régions aux températures moyennes moins élevées. Il est cependant potentiellement limité car les coûts de changer de lieu de résidence sont substantiels pour les personnes qui l’envisagent et les frontières entre États dressent de formidables contraintes politiques, culturelles et administratives. Les mouvements migratoires liés au réchauffement climatique ont plus de chances de se produire au sein du même pays. Par exemple pour les pays riches des métropoles vers le littoral ou la montagne, ou pour les pays pauvres des zones rurales vers les capitales.

Il n’est plus acceptable d’ignorer tous les Terriens dont la vie sera raccourcie alors que l’on dispose de données de plus en plus complètes et fiables sur la mortalité liée à l’élévation des températures. Compter les personnes manquantes en cas d’inaction face au changement climatique nous met face à nos responsabilités et justifie des investissements ambitieux d’atténuation et d’adaptation.

Avant de retourner sur Sirius, Micromégas a laissé un livre aux habitants de la Terre. Il doit leur permettre de voir « le bout des choses ». Quand les hommes l’ouvrent, ils découvrent des pages blanches. Voltaire rappellera que « L’homme n’est point fait pour connaître la nature intime des choses, qu’il peut seulement calculer, mesurer, peser […] ». Ce n’est déjà pas si mal !

François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Tique Ixodes ricinus mâle trouvé dans la Forêt domaniale de Flines-lès-Mortagne (Nord de la France, près de la frontière belge), juillet 2015. Wikimedia, CC BY-NC-ND

Les maladies à tiques, objets de polémiques

Tique Ixodes ricinus mâle trouvé dans la Forêt domaniale de Flines-lès-Mortagne (Nord de la France, près de la frontière belge), juillet 2015. Wikimedia, CC BY-NC-ND
Philippe Hamman, Université de Strasbourg et Aude Dziebowski, Université de Strasbourg

Notre rapport à la nature est-il complètement fantasmé ? Dans un ouvrage récent, Philippe Hamman et Aude Dziebowski interrogent la façon dont l’humain participe pleinement au monde animal et végétal. Ils reviennent ainsi sur la mise en avant des tiques dans l’espace public et médiatique. Sous l’angle de la territorialisation des savoirs, des perceptions et des pratiques, examinée à la faveur d’un terrain rural dans l’Argonne, ils ont notamment enquêté auprès de quatre groupes sociaux : les chasseurs, les forestiers, les agriculteurs et les associatifs nature et de loisirs. Extraits choisis de l’introduction.


On peut aujourd’hui considérer que la question des maladies à tiques fait l’objet d’une couverture médiatique à la télévision, à la radio et dans la presse, et l’on sait l’importance des médias comme intermédiaires pouvant fonctionner comme

un amplificateur ou un filtre (« The medium is the message », selon la formule de

Marshall McLuhan, 1964). Le sujet réapparaît régulièrment en fonction d’une actualité saisonnière – par exemple, et sans valeur exhaustive, à l’été 2022, des articles de vulgarisation et de prévention y ont été

consacrés quasi-simultanément – et en relation avec des épisodes de mobilisation de collectifs de personnes touchées par la borréliose ou maladie de Lyme (infection qui peut avoir des conséquences neurologiques, articulaires ou cardiologiques…), ou encore de dissensus sur le diagnostic, source d’anxiétés et de désaccords.

Dans le cadre d’une thèse d’exercice de médecine, une étude bibliométrique conduite de 2006 à 2017 à partir de différents médias français et avec un focus sur l’Alsace atteste également la visibilité attribuée à la maladie de Lyme et ses conséquences sanitaires et sociales, avec un nombre croissant d’articles et de mentions). Les polémiques se concentrent, depuis les années 2000, sur des formes dites de « Lyme chronique » et des situations d’« errance médicale » de patients en souffrance).

Si « la multiplication des témoignages suggère un phénomène répandu », le rapport de la Mission d’information de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale publié en juillet 2021 note « l’absence totale d’études permettant de préciser cette intuition » et « le développement d’une offre de soins parallèle non régulée ».

Parmi ses conclusions, la Mission énonce :

« Pour dépassionner les enjeux autour de la maladie de Lyme et des patients en errance se réclamant de cette maladie, un effort considérable d’information, de pédagogie et de communication doit être accompli » (ibid., p. 65).

Ceci vise la prise en charge médicale et intègre aussi plus largement, en amont des pathologies déclarées, « les mesures de lutte contre les tiques dans une démarche One Health – Une seule santé », selon les termes du premier Plan natio- nal de lutte contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques, lancé en 2016. Ce dernier précise :

« La connaissance de l’aire de distribution des vecteurs [ici les tiques susceptibles de transmettre la borréliose], de la prévalence des pathogènes dans les populations de vecteurs ainsi que les principaux facteurs permettant de prédire la densité de tiques sont des éléments indispensables à l’évaluation du risque ».

Des médias aux comportements

Une telle recommandation conduit à réfléchir à la question suivante : la construction médiatique plus visible d’un problème public vient-elle pour autant percoler au niveau des représentations, sinon des pratiques des acteurs en situation d’être confrontés aux tiques ?

Cette interrogation renvoie aux perceptions plus ou moins constituées des tiques et des maladies liées, en matière de savoirs – scientifiques ou vernaculaires – et d’usages – plus ou moins territorialisés –, c’est-à-dire : une perception avérée ou non d’évolutions croissantes du phénomène et des risques associés ; des mesures de précaution adoptées ou pas en regard d’activités professionnelles (forestiers…) ou de loisirs (promeneurs…) dans des espaces de contacts avec les tiques, à commencer par les forêts ou les hautes herbes, etc.

Un cerf braconné, sur lequel les points noirs visibles illustrent la présence commune de tiques sur le grand gibier en Argonne. Romuald Weiss, technicien forestier territorial ONF, clichés transmis lors d’un déplacement de terrain en mai 2022

Sur ce plan, la littérature ne dégage pas de corrélation systématique entre des perceptions graduelles d’un risque et des précautions renforcées en conséquence. Il n’est pas rare que les études concluent plutôt à un faible niveau d’adoption de comportements de prévention y compris dans les régions où le risque mesuré de la maladie de Lyme apparaît élevé, ainsi qu’il a été pointé au Canada.

Il ne faut en effet pas oublier, du point de vue des sciences sociales, que « les perceptions profanes […] sont socialement différenciées, sujettes au “biais d’optimisme” et influencées par les récits personnels », comme le rappellent certains auteurs au sujet de l’hésitation vaccinale.

Une autre étude, conduite aux États-Unis dans le Michigan, le Minnesota et le Wisconsin, où l’enjeu des maladies à tiques est saillant, a souligné l’écart entre une sensibilité générale déclarée très élevée à ces maladies (pas moins de 98 % de l’échantillon) versus une perception de menace directe dans l’environnement de proximité bien moindre (25 %).

Le paradoxe n’est qu’apparent : les auteurs soulignent que l’adoption de mesures de prévention et le contrôle régulier des tiques au sortir d’une activité sont reliés à une perception immédiate du risque autour du domicile, au diagnostic avéré d’un proche ou encore au sentiment de prévalence de la maladie parmi la communauté des contacts de la personne.

En France, un Rapport d’information de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale relatif au financement et à l’efficacité de la lutte contre la maladie de Lyme a fait un état des lieux de la mise en œuvre du Plan national Lyme de 2016.

La rapporteuse se veut nuancée pour ce qui a trait aux actions de sensibilisation. Elle évoque les avancées en matière de sensibilisation du grand public » et « les progrès en matière de sensibilisation des professionnels », tout en ajoutant : « Si de réels progrès ont été accomplis en termes de connaissance générale et de prévention de la maladie, plusieurs points de vigilance demeurent ».

Du point de vue de la santé au travail, si l’on pense par exemple aux forestiers, la rapporteuse « note avec satisfaction que la Mutualité sociale agricole (MSA) et Office national des forêts (ONF) se sont saisis du sujet », mais relève que « les actions engagées par l’ONF [fourniture de tire-tiques, de pantalons de travail adaptés…] ne suffisent pas à limiter la progression du nombre de maladies professionnelles reconnues au titre de la maladie de Lyme au sein de cet établissement ».

Un technicien territorial de l’ONF en Argonne porte l’équipement caractéristique en forêt : un pantalon déperlant avec guêtres intégrées (tout en évoluant bras nus, au cœur du printemps). Aude Dziebowski/UMR SAGE

Pas assez d’informations publiques

On le comprend, ces constats d’ensemble gagnent à être confrontés au terrain. En matière d’intéressement du grand public, le Baromètre national santé 2019 (enquête par échantillonnage probabiliste conduite par téléphone auprès de personnes de 18 à 85 ans en France métropolitaine) fait état d’une progression des indicateurs de connaissance de la population française par rapport à la précédente enquête de 2016. La part de réponses positives à la question : « Avez-vous déjà entendu parler de la maladie de Lyme ? » a crû de 66 % à 79 %, et de 29 % à 41 % pour l’item : « Considérez-vous être bien informé sur la maladie de Lyme ? »

Cette dernière proportion, même accrue, traduit une limite dans les niveaux d’information, de connaissance ou d’intérêt réels. Cela a été souligné plus largement dans la littérature).

Plus encore, la perception d’une exposition à un risque demeure limitée à 25 % des déclarants en 2019 (par rapport à 22 % en 2016). C’est pourquoi le rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale de 2021 estime qu’« une part importante de la population demeure encore à informer » et que « l’amélioration de la prévention suppose également un effort dans la durée », regrettant par exemple « le nombre limité de panneaux implantés [à l’entrée des forêts domaniales] et leur défaut d’entretien ».

En forêt domaniale de Signy-l’Abbaye, si certaines zones forestières voient leur accès déconseillé voire fermé au grand public en raison des scolytes, avec une signalétique ad hoc, il n’en va pas de même pour les tiques. Aude Dziebowski/UMR SAGE

On retrouve ici les échelles d’application fines. C’est tout l’intérêt de lier perceptions des tiques, connaissances et pratiques sociales dans des territoires d’incidence notable, à l’exemple du cadre rural et forestier de l’Argonne, dans la région Grand Est, dans lequel nous avons enquêté afin d’aller plus en profondeur.

Une approche sociologique de la question des tiques à partir du terrain rural argonnais (Aude Dziebowski/Youtube, 2023).

La construction sociale de la maladie

Il peut aussi y avoir le sentiment d’une certaine disjonction entre des connais-

sances biologiques et médicales issues de la recherche, et leur appropriation ou non par le public, y compris par les groupes sociaux les plus concernés. Les débats entre chercheurs, médecins et patients autour de la « construction sociale » de la maladie de Lyme renforcent ce phénomène.

Abigail A. Dumes a ainsi exploré, aux États-Unis, les conflits de revendication autour de formes de maladie de Lyme « chronique », et dégagé, sous le regard ethnographique, la notion de « corps divisés » : l’expérience du patient se retrouve en décalage avec la perception scientifique, médicale ou sociale, et aux prises avec des batailles de légitimités entre ces groupes pour imposer chacun leur vérité.

L’auto-ethnographie proposée par Sonny Nordmarken (2019) est une illustration parmi d’autres : à partir de sa propre expérience de la maladie de Lyme, il analyse comment, selon lui, les professionnels de santé reproduisent des formations culturellement dominantes et institutionnalisées, au détriment des corps qui ne correspondent pas aux catégories établies du savoir médical, et identifie ce qu’il nomme un « savoir incarné dissident » (dissenting embodied knowledge).

En France aussi, la borréliose est l’objet de controverses sur sa détection (tests diagnostiques) et sa prise en charge (efficacité/individualisation des traitements). « On a construit une maladie », déclare par exemple un infectiologue à la presse en 2018, alors que le syndrome « chronique » après une piqûre de tique est désormais évoqué dans les recommandations de la Haute autorité de santé.

Ces différends publicisés sont clairement retracés dans le Rapport d’information de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale publié le 7 juillet 2021. La Commission des finances de l’Assemblée nationale évaluant le Plan national Lyme note pareillement le fait que « la confiance entre les institutions, les associations de patients et certains professionnels s’est profondément érodée ».

Il ne s’agit alors pas de simplement plaquer sur les représentations et les pratiques sociales diverses des uns et des autres (un chasseur, un forestier, un propriétaire foncier, un agriculteur, un randonneur, un promeneur en famille ou un touriste, sinon même un urbain dans son jardin…) les dissensions « conçues » d’experts ou « vécues » de malades), tout en rappelant qu’en tant que telle, la mise en place d’un suivi épidémiologique exprime une hybridation entre science et connaissance pour l’action, expertise et décision, c’est-à-dire un certain brouillage des frontières de la connaissance).

Un point de vue d’acteur : David Pierrard, régisseur du domaine privé de Belval, en Argonne : Les maladies à tiques représentent-elles une préoccupation au quotidien ? (Aude Dziebowski/Youtube, 2023).

Des tiques et des hommes, juin 2023. Editions BDL

Les auteurs ont publié en juin 2023 Des tiques et des hommes : chronique d’une nature habitable. Entre territorialisation, sanitarisation et responsabilisation, aux éditions Bord de l’Eau.

Philippe Hamman, Professeur de sociologie, Université de Strasbourg et Aude Dziebowski, Chercheuse, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Paris est une des pires villes européennes en temps de canicule. Comment changer cela ?

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Marianne Cohen, Sorbonne Université; Laurence Eymard, Sorbonne Université; Romain Courault, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Serge Muller, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

En compilant des données sur plus de 800 villes européennes, une récente étude scientifique a estimé que Paris était une des villes d’Europe les plus meurtrières en cas de canicule.

Pour comprendre pourquoi, il faut se pencher sur la notion d’îlot de chaleur urbain (ICU). Un phénomène bien connu des météorologues et qui exacerbe l’augmentation locale des températures avec la multiplication des pics de chaleur en période estivale.

Or toujours selon cette étude parue dans le Lancet Planetary Earth 90 % des Parisiens étaient exposés à un îlot de chaleur urbain de forte intensité (entre 3 et 6 °C de différence) et 10 % à un îlot de chaleur urbain de très forte intensité (plus de 6 °C de différence) en 2021.

La carte a été réalisée par interprétation visuelle des teintes dominantes de la carte de thermographie d’été de l’APUR à l’intérieur des îlots statistiques de l’Insee (Bouddad et al. 2017). Les zones laissées en blanc sur la carte correspondent soit à des espaces inhabités (zones industrielles et portuaires, aéroports), soit à des quartiers habités par des ménages de catégorie moyenne. Fourni par l'auteur

Si aujourd’hui protéger des pics de chaleur les habitats des villes est devenu un enjeu de santé publique et d’environnement, ces enjeux ont rarement préoccupé les partisans du développement urbain aux siècles passés.

Les villes ont d’abord été construites pour protéger leurs habitants avant d’intégrer des objectifs hygiénistes. Plus récemment, le pétrole bon marché et la voiture individuelle ont favorisé la mise en place de politiques familiales et d’aménagement facilitant l’étalement urbain.

À Paris, on qualifie de canicule un épisode d’au moins 3 jours consécutifs où les températures maximales dépassent 31 °C et les températures minimales 21 °C. Celle de 2003 a constitué un évènement extrême qui a suscité une prise de conscience européenne, vu son ampleur géographique et son impact sanitaire. Depuis, les canicules se succèdent et vont encore s’amplifier d’ici à 2050, sans réelle mise en débat politique des modèles d’urbanisation sauf exception.

Les vagues de chaleur représentent pourtant un danger direct pour la santé des populations, et affectent particulièrement des quartiers déjà vulnérables. Tâchons donc de comprendre d’abord pourquoi l’effet d’îlot de chaleur urbain est particulièrement néfaste en Île-de-France, avant de voir comment nous pourrions y remédier.

L’îlot de chaleur urbain

Toutes les surfaces artificielles génèrent de la chaleur en excédent, la température moyenne en ville étant supérieure de quelques dixièmes de degrés (bourg de petite taille) à plusieurs degrés (métropole) par rapport à celle de la campagne environnante. Par exemple, un écart de 4 °C a été observé entre le centre de Paris et les bois périphériques lors de la canicule de 2003.

Pour comprendre pourquoi, plusieurs facteurs sont à prendre en compte.

L’ICU augmente avec :

  • La chaleur due aux activités humaines (combustion, climatiseurs, chauffage, serveurs…).

  • La nature et la couleur des matériaux : béton, asphalte, tuiles et autres matériaux minéraux et synthétiques sombres qui absorbent l’énergie solaire le jour, et la réémettent la nuit (rayonnement thermique).

  • La hauteur et l’espacement entre les bâtiments : une forte densité de bâti piège l’air chaud et limite le refroidissement des surfaces et des murs. Les immeubles de haute taille et les extensions horizontales de la métropole provoquent un ralentissement aérodynamique, limitant l’évacuation de la chaleur.

À l’inverse, les facteurs d’atténuation sont :

  • Les sols naturels, la végétation et l’eau : un sol constitué de gravillons contient des poches d’air (isolantes), qui limitent l’absorption de chaleur et sa couleur claire réfléchit le rayonnement solaire. L’eau a, elle, un fort pouvoir rafraichissant, grâce à l’évaporation en surface. La végétation en bonne santé joue le même rôle, par sa transpiration. Elle peut se développer dans tous les interstices du bâti, plus facilement et durablement que des nappes d’eau.

  • L’ombre : les sols ombragés par les bâtiments riverains, des ombrières (structures destinées à fournir de l’ombre) ou par des arbres de haute taille accumulent moins de chaleur.

  • Les sols, murs et toits clairs réfléchissant la lumière du soleil. Ils emmagasinent donc moins de rayonnement que les matériaux sombres. En revanche, la réflexion du soleil peut aggraver la chaleur de l’air à proximité de la surface dans la journée.

  • Localement, les surfaces chaudes provoquent une dépression atmosphérique, qui favorise la circulation de l’air venant des périphéries plus fraîches (brise thermique nocturne.

De même, le relief favorise pendant la nuit la circulation de l’air vers le bas des pentes.

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Les différents paramètres énoncés ci-dessus font que la Métropole du Grand Paris (MGP) présente un très fort îlot de chaleur urbain. Le tissu urbain continu autour de Paris intra muros aggrave encore plus cette situation.

Dans les quartiers périphériques où habitent les ménages les plus modestes, le bâti est mêlé à des zones industrielles et commerciales, et les températures diurnes atteignent des valeurs extrêmes dues à des revêtements imperméables et sombres prépondérants.

Au contraire, à l’ouest de Paris et dans la boucle de la Marne où vivent les ménages les plus aisés, les températures sont moindres, soit proches de la moyenne, soit plus fraîches, du fait de l’extension de zones pavillonnaires avec jardins, souvent situées à proximité de grands espaces verts.

La circulation de l’air y est également favorisée par les couloirs de fraîcheur rentrant dans la ville (air le long de la vallée de la Seine, ou venant des forêts proches sur les plateaux au Sud-Ouest). Inversement, la circulation de l’air est freinée dans le cœur de ville, dans les quartiers nord et de proches banlieues denses, par la minéralité et la hauteur des bâtiments (dont beaucoup d’immeubles sur dalle).

La dalle très minérale du quartier d’affaires de La Défense, vue depuis la Grande Arche. Serge Muller, Fourni par l'auteur

Certains modèles d’urbanisme, comme les cités-jardins ou les ceintures vertes, alternatives impulsées au tournant du XXe siècle pourraient être des sources d’inspiration, grâce à des surfaces plus importantes de végétation arborée, sols perméables, rivières et étangs pérennes, contribuant aussi au bien-être des habitants.

La cité jardin de Payret-Dortail au Plessis-Robinson : construite dans les années 1920, elle mêle petits collectifs et pavillons, séparés par des jardins et des rues arborées. Laurence Eymard, Fourni par l'auteur

C’est le cas pour le Grand Londres, qui en plus d’être bordé de zones humides et de grands réservoirs d’eau jouit de grands parcs et d’un réseau hydrographique accentuant la fraîcheur maritime. Du fait de son urbanisme moins dense et de sa situation légèrement plus septentrionale le Grand Londres connaît des températures bien moindres que le Grand Paris.

Comme le Grand Paris est déjà largement construit, il s’agit ici de proposer avant tout des solutions d’adaptation et d’atténuation aux canicules et autres extrêmes climatiques, le tout sans aggraver les inégalités existantes.

Un urbanisme à repenser face au changement climatique

Densifier encore fortement le tissu urbain, comme le prévoit le schéma directeur de l’Île-de-France aura pour effet d’augmenter la superficie du dôme de l’îlot de chaleur urbain, et exacerbera très probablement son intensité maximale au centre, étant donné que la circulation de l’air risque d’être bloquée en périphérie. Comme les Parisiens ont pu le vivre, notamment en 2022, le centre de la métropole deviendra invivable en période chaude. Cela conduira à une aggravation des inégalités sociales, sans résoudre les problèmes structurels de l’Île-de-France, puisque la seule issue des ménages est de partir en périphérie voire en province pour les plus chanceux.

Afin de garantir une qualité de vie satisfaisante sans accroître sa superficie et ses disparités sociales et spatiales, la piste la plus prometteuse est donc d’exploiter les sources internes de rafraîchissement et d’optimiser la circulation de l’air à toutes les échelles.

Ce qu’il faut préserver et améliorer

Les arbres existants, qu’ils soient implantés dans des espaces verts, le long d’alignements, ou dans des cités-jardins, de même que les zones perméables non recouvertes de bitume, les terrains de sport non recouverts de revêtements synthétiques, doivent être préservés, multipliés et étendus.

Le jardin du Trocadéro (Paris 16?), un espace vert à couvert végétal diversifié. Serge Muller, Fourni par l'auteur

Les zones agricoles situées à l’extérieur de la Métropole du Grand Paris pour la plupart (ex. Plateau de Saclay, Triangle de Gonesse), doivent aussi être conservées ou préservées, car les sols y sont perméables et relativement frais (hors longue période de sécheresse). À l’échelle du territoire, il est indispensable de conserver les zones de faible densité urbaine, car elles apportent une surface de sol naturel intéressante (jardins individuels ou de petits groupes d’immeubles), et un potentiel de circulation de l’air par la faible hauteur de bâti.

C’est pourtant l’inverse qui se produit dans la Métropole du Grand Paris. Les cités-jardins, du fait du vieillissement du bâti, sont menacées de destruction, alors qu’elles devraient être réhabilitées et classées, car ce modèle d’urbanisme est pertinent à la fois d’un point de vue social et bioclimatique. Les nouvelles constructions dans d’anciennes zones pavillonnaires classées comme des îlots d’habitats dans le Mode d’Occupation des Sols (Inventaire numérique de l’occupation des sols en Île-de-France établi par l’Institut Paris Région) occupent l’essentiel du terrain, les jardins étant détruits. La multiplication des infrastructures souterraines limite également les possibilités de végétalisation. Les aménagements pour les Jeux olympiques et paralympiques sont à cet égard insuffisamment vertueux.

Les projets urbains en cours de réalisation pour cette échéance ont été conçus il y a dix ans à une époque d’insouciance aujourd’hui révolue. En témoigne la récente remise à jour du Schéma directeur de la Région Île-de-France. Ces projets devraient ainsi être amendés pour réduire l’impact des vagues de chaleur (notamment prohiber les revêtements sombres des immeubles (murs, volets et toits), favoriser la circulation de l’air dans les appartements, isoler les murs par l’extérieur, espacer les immeubles et les entourer de jardins arborés de pleine terre. De même, les projections de croissance démographique et de besoins en logements de la Métropole du Grand Paris devraient être réactualisées à l’aune de l’ère post-pandémie de Covid-19, qui les a réduites.

Végétaliser certes, mais comment ?

La Métropole du Grand Paris est particulièrement dépourvue en végétation arborée, comme le montre la carte de l’Atelier parisien d’Urbanisme, mise à jour en 2021. Des compléments de plantations d’arbres sont donc hautement souhaitables, dans tous les espaces appropriés. Ces plantations devront être adaptées aux conditions climatiques des prochaines décennies. Elles pourront prendre des formes différentes et complémentaires en fonction des espaces :

  • Multiplication des plantations d’essences variées et adaptées le long des avenues afin d’accroître l’ombrage des chaussées et trottoirs, de constituer des corridors favorables à la circulation de la biodiversité et de favoriser des voitures moins climatisées. À l’origine, les plantations sur les grands boulevards ont été dominées par un petit nombre d’espèces. Sur 1900 arbres des Champs-Élysées, par exemple, 900 environ sont des marronniers et 560 des platanes. Ce type de monoculture n’est clairement pas à favoriser, de par le caractère d’adaptation limité de ces espèces face au dérèglement climatique, du danger que court une plantation avec seulement quelques espèces face à d’éventuelles menaces pathogènes et de la pauvreté de ce type de plantation pour la biodiversité.
Ensemble de Paulownia. Serge Muller, Fourni par l'auteur
  • Création et/ou extension de nouveaux parcs, jardins et squares urbains, sur le modèle multifonctionnel des parcs haussmanniens de Paris constituant des espaces de récréation (et de refuge, même nocturne lors des épisodes de canicules) pour les populations.

  • Accroissement de la végétalisation (avec l’inclusion de végétaux arbustifs et herbacés) sur les places minéralisées de la métropole, sur le modèle des plantations d’arbres réalisées à la place de la Comédie de Montpellier ou à la place de la gare de Strasbourg.

  • Maintien de friches spontanées, à l’image de celles qui se sont développées en bordure de la « petite ceinture parisienne ».

  • Création de nouvelles forêts ou de bosquets denses urbains, constituant des îlots de fraîcheur, à l’exemple des « micro-forêts Miyawaki » (de l’ordre de quelques centaines de m2) ou de projets sur des surfaces plus conséquentes (de l’ordre de l’hectare) comme celle en cours de réalisation de la place de Catalogne à Paris.

Ensemble végétal structuré avec strates arborescente, arbustive et herbacée, rue Vercingétorix (Paris 14?). Serge Muller, Fourni par l'auteur

L’ensemble de ces formations végétales, complémentaires et adaptées à chaque situation locale, contribuera à accroître l’indice global de canopée de la Métropole du Grand Paris et à tendre vers une réelle « forêt urbaine » qui constitue la meilleure adaptation possible des villes aux canicules à venir.

Il est aussi important, à l’échelle régionale, de relier ces zones végétalisées par des corridors de fraîcheur, orientés de façon à optimiser la circulation des brises dominantes arrivant des zones agricoles, forestières ou humides plus fraîches situées en périphérie.

Marianne Cohen, Professeure des universités en Géographie, Sorbonne Université; Laurence Eymard, Directrice de recherche CNRS émérite, chercheuse dans le domaine du climat et de l'environnement, Sorbonne Université; Romain Courault, Maître de conférences en Géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Serge Muller, Professeur émérite, chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.