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De nombreuses communes françaises ont pris des mesures pour réduire l’éclairage public dans le cadre de leur plan de sobriété énergétique. Ruben Christen/Unsplash, CC BY-NC-SA

Éclairage public : les Français sont-ils prêts à éteindre la lumière ?

De nombreuses communes françaises ont pris des mesures pour réduire l’éclairage public dans le cadre de leur plan de sobriété énergétique. Ruben Christen/Unsplash, CC BY-NC-SA
Léa Tardieu, Inrae; Chloé Beaudet, AgroParisTech – Université Paris-Saclay et Maia David, AgroParisTech – Université Paris-Saclay

L’éclairage artificiel, public et privé, s’est accru ces dernières années, de concert avec une urbanisation croissante. Outre contribuer à la facture énergétique collective, l’éclairage artificiel nocturne engendre une pollution lumineuse qui affecte la biodiversité végétale et animale, la santé humaine et rend difficiles les observations astronomiques. Or les paysages nocturnes font partie du patrimoine commun de la nation comme en dispose le Code de l’environnement.

Brillance de fond de ciel dans le département de l’Hérault et la Métropole de Montpellier, située non loin de l’emblématique parc national des Cévennes bénéficiant du prestigieux label de Réserve internationale de ciel étoilé depuis 2018. La brillance de fond de ciel est un proxy de la pollution lumineuse, exprimée en magnitude par seconde d’arc2 (mag/arcsec2), qui correspond à la luminosité des étoiles perçue depuis le sol (source La Telescop et DarkSkyLab). La Telescop et DarkSkyLab, Fourni par l'auteur

Pour lutter contre la pollution lumineuse et amorcer leur transition écologique, les communes disposent de plusieurs options, que la situation énergétique actuelle pousse de plus en plus à considérer à travers des plans de sobriété énergétique.

Elles peuvent, par exemple, adapter leur parc d’éclairage ou leurs façons d’éclairer par l’extinction partielle ou totale des luminaires, changer le type de lampes, améliorer l’orientation des lampadaires… (voir à ce propos les recommandations du guide « Trame noire » produit par l’Office français de la biodiversité).

Mais qu’en pense la population directement impactée par ces modifications ?

Afin d’évaluer la sensibilité des personnes aux modifications de l’éclairage public, l’Inrae a conduit une étude fondée sur une « expérience de choix », ciblée sur les habitants de la métropole de Montpellier Méditerranée, et élargie au reste de la France pour avoir des éléments de comparaison.

Trois façons de réduire la pollution lumineuse générée par l’éclairage public

La consultation par notre équipe de recherche de professionnels de l’éclairage, de représentants de collectivité et d’experts du Centre de ressources Trame verte et bleue, a contribué à identifier trois modes de variation de l’éclairage réalistes et capables de réduire la pollution lumineuse et son impact sur la biodiversité : la baisse de l’intensité lumineuse, l’extinction de l’éclairage à différentes heures de la nuit et la modification de la couleur de la lumière, les lumières jaune orangé ayant moins d’impacts que les lumières blanches émettant dans le bleu (lampes LED notamment) sur la biodiversité.

La variation de la taxe d’habitation (ou autre impôt local équivalent) a été intégrée afin de permettre aux individus de prendre en compte l’incidence financière dans leurs choix de préférences pour un profil d’éclairage.

Exemple de carte de choix entre deux options avec changement de régime d’éclairage (situation 1 et Situation 2), et une option sans changement d’éclairage (situation de référence). Neuf cartes de choix, conçues selon un design expérimental efficient, ont été présentées aux individus et illustraient différentes possibilités. Pour chaque carte de choix, les individus devaient plébisciter une option parmi les trois proposées. Les choix sont ensuite traités statistiquement pour sortir des grandes tendances expliquant les variations dans les choix. L’enquête a été réalisée durant l’été 2021, dans la Métropole de Montpellier (1148 réponses) et dans le reste de la France (555 réponses, principalement issues de la métropole de Bordeaux et du Grand Paris). Auteurs, CC BY-NC

Des citoyens plus favorables que d’autres

Les résultats sur l’échantillon de la métropole Montpellier Méditerranée montrent que les citoyens, quels que soient leurs caractéristiques socio-économiques et leur lieu de résidence, sont en moyenne favorables à une modification de l’éclairage public, mais pas nécessairement selon les modalités proposées.

Concernant ces dernières, une forte polarisation des préférences est observée : 80 % des personnes ayant répondu à l’enquête adhèrent aux modifications d’éclairage (les « pro ») et 20 % y sont réticents (les « anti »).

Plus précisément, les premiers sont favorables à une diminution de l’intensité de la lumière et à un changement de couleur du blanc vers l’orangé, très favorables à une extinction de 1h à 5h, et, dans une moindre mesure, favorables à une extinction de 23h à 6h. Ils se déclarent plus fréquemment sensibles à l’environnement et gênés par les lumières intrusives.

Les « anti », en revanche, ne sont pas favorables à une baisse de l’intensité de la lumière, indifférent à un changement de couleur du blanc vers l’orangé, légèrement opposés à une extinction de 1h à 5h et fortement opposés à une extinction de 23h à 6h. Ce groupe se caractérise par un usage supérieur de l’espace public de nuit, pour les sorties ou le travail de nuit, et par une population qui estime plus souvent vivre dans des quartiers où l’extinction de la lumière pourrait poser des problèmes de sécurité.

Préférences des deux classes d’individus pour les attributs de l’éclairage dans la métropole de Montpellier Méditerranée. Un modèle statistique (à « classes latentes ») a montré que ces deux classes se dégageaient dans les choix de profils d’éclairage. Auteurs

C’est dans les communes de densité intermédiaire (correspondant aux communes périurbaines de la métropole de Montpellier) que la population enquêtée est la plus favorable à l’extinction de 23h à 6h.

Cela peut s’expliquer par un accès aux transports en commun restreint dans ce type de communes, et donc par un usage de la voiture plus fréquent. Par conséquent, le ressenti de l’insécurité nocturne potentielle y est moindre que dans les milieux plus urbains où les résidents circulent plus souvent à pied.

Le sentiment d’insécurité, un frein majeur

Des statistiques effectuées à partir des résultats de l’enquête ont illustré que les répondants plus âgés, les femmes et les personnes qui se déplacent à pied sont moins susceptibles d’être favorables à une modification importante de l’éclairage public. Cela s’explique dans l’échantillon par un sentiment d’insécurité plus fort pour ces catégories de la population.

Cette perception freine notamment l’adoption d’une mesure d’extinction des éclairages de 23h à 6h. Dans le questionnaire, les réticences évoquées par les répondants vis-à-vis de la régulation de l’éclairage sont la baisse du sentiment de sécurité, voire la crainte d’une progression de la criminalité (agressions et cambriolages) et des risques d’accidents de la route.

D’autres arguments ont été mentionnés dans une moindre mesure, comme la réduction de la visibilité et la peur des chutes, ou le coût de la politique publique.

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Très peu d’études informent des conséquences de la modification de l’éclairage, et notamment de l’extinction, sur la sécurité. Un article publié récemment avance que l’extinction et la baisse de l’intensité lumineuse n’ont aucun impact sur la fréquence des cambriolages, vols à main armée ou violences physiques. On observe même une diminution des vols de voiture dans les zones d’extinction, mais une augmentation de ceux-ci dans les rues adjacentes où l’éclairage reste inchangé, ce qui suggère un déplacement spatial des délits.

Les économies d’énergie, le principal moteur

Reste que, la grande majorité des enquêtés est favorable à l’adaptation de l’éclairage pour réduire la pollution lumineuse. Les moteurs principaux de cette acceptabilité sont, en tête, les économies d’énergie, puis la préservation de la biodiversité. Les impacts sur la santé et sur l’observation du ciel semblent être des conséquences positives plus secondaires.

Pour quelle(s) raison(s) êtes-vous favorable à une modification de l’éclairage ? Auteurs, Fourni par l'auteur

Des résultats similaires dans le reste de la France

À l’échelle française, la même polarisation des préférences en deux classes est observée, les « anti » étant toutefois un peu plus nombreux que sur la métropole de Montpellier (25 % sur la France versus 20 % sur la métropole de Montpellier). Cependant, ces derniers sont moins réticents aux différents changements (et y sont même favorables), mais restent fortement opposés à l’extinction de la lumière de 23h à 6h.

Préférences des deux classes d’individus pour les attributs de l’éclairage (France). Auteurs

Par ailleurs, des différences de facteurs socio-économiques expliquant l’appartenance aux classes apparaissent également. Par exemple, contrairement à ce qui a été observé sur la métropole de Montpellier, il semble que les personnes âgées sur l’échantillon français soient plus enclines à accepter une modification de l’éclairage public que les plus jeunes. Probable explication, ces personnes se déplacent moins la nuit et sont donc moins affectées par un tel changement. Certains facteurs sont similaires, les hommes restent plus susceptibles d’être favorables à une modification de l’éclairage public.

Des enseignements pour les collectivités

Les résultats issus de cette étude quantitative (par une expérience de choix) viennent confirmer ceux de l’étude qualitative conduite dans la métropole de Lille, notamment sur le fait que les individus sont globalement favorables ou très favorables à une modification de l’éclairage public.

Le changement de couleur de la lumière du blanc/bleu à l’orange paraît être une mesure facilement acceptable par la population tout en ayant de fortes répercussions sur la biodiversité. L’extinction de 1h à 5h du matin ou la réduction de l’intensité de la lumière semblent aussi être des mesures facilement adoptables, en particulier dans les quartiers résidentiels, sans trop avoir à craindre d’opposition de la part des résidents.

Les réticences, voire les oppositions, se concentrent sur les extinctions de 23h à 6h, signalant que cette mesure doit faire l’objet d’une concertation préalable et s’adresser à des communes où l’acceptabilité est susceptible d’être la plus importante, comme dans les communes périurbaines. La concertation peut notamment avoir pour objectif de définir les heures d’extinction et d’allumage les plus acceptables par la population.

L’étude statistique des réponses au questionnaire met également en évidence qu’informer la population sur les effets néfastes de la pollution lumineuse, en particulier sur la biodiversité et la consommation d’énergie, est un levier qui favorise l’acceptabilité des changements d’éclairage par la population.

Elle souligne enfin que les personnes habitant dans des villes ayant déjà mis en place des mesures de réduction de la pollution lumineuse sont plus à même d’accepter des avancées plus ambitieuses (comme l’extinction de 23h à 6h). L’instauration progressive des modifications dans le temps et dans l’espace serait ainsi préférable afin d’augmenter l’adhésion de la population aux régulations de l’éclairage pour diminuer la pollution lumineuse.

Léa Tardieu, Chercheuse en économie de l’environnement, Inrae; Chloé Beaudet, Doctorante en économie de l’environnement, AgroParisTech – Université Paris-Saclay et Maia David, Chercheuse en économie de l’environnement, AgroParisTech – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Si la population mondiale continue d’augmenter, c’est en raison de l’excédent des naissances sur les décès. Shutterstock

8 milliards d’humains : sommes-nous trop nombreux sur Terre ?

Si la population mondiale continue d’augmenter, c’est en raison de l’excédent des naissances sur les décès. Shutterstock
Gilles Pison, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Figure 1. Cliquer pour zoomer. Gilles Pison (à partir de données des Nations unies), CC BY-NC-ND

La population mondiale compte 8 milliards d’habitants en 2022. Elle n’en comptait qu’un milliard en 1800 et a donc été multipliée par huit depuis (voir la Figure 1 ci-contre). Elle devrait continuer à croître et pourrait atteindre près de 10 milliards en 2050. Pourquoi la croissance devrait-elle se poursuivre ? La stabilisation est-elle envisageable à terme ? La décroissance tout de suite ne serait-elle pas préférable ?

Si la population mondiale continue d’augmenter, c’est en raison de l’excédent des naissances sur les décès – les premières sont deux fois plus nombreuses que les seconds. Cet excédent apparaît il y a deux siècles en Europe et en Amérique du Nord lorsque la mortalité commence à baisser dans ces régions, marquant les débuts de ce que les scientifiques appellent la transition démographique. Il s’étend ensuite au reste de la planète, lorsque les avancées de l’hygiène et de la médecine et les progrès socio-économiques atteignent les autres continents.

Une population africaine en pleine croissance

Figure 2. Cliquer pour zoomer. Gilles Pison (à partir de données des Nations unies), CC BY-NC-ND

La croissance démographique décélère pourtant. Elle a atteint un taux maximum de plus de 2 % par an il y a soixante ans et a diminué de moitié depuis, pour atteindre 1 % en 2022 (voir la Figure 2 ci-contre).

Elle devrait continuer de baisser dans les prochaines décennies en raison de la diminution de la fécondité : 2,3 enfants en moyenne par femme aujourd’hui dans le monde, contre le double (cinq enfants) en 1950. Parmi les régions du monde dans lesquelles la fécondité est encore élevée (supérieure à 2,5 enfants), on trouve en 2022 presque toute l’Afrique, une partie du Moyen-Orient et une bande en Asie allant du Kazakhstan au Pakistan en passant par l’Afghanistan (voir la carte ci-dessous). C’est là que se situera l’essentiel de la croissance démographique mondiale à venir.

L’un des grands changements à venir est le formidable accroissement de la population de l’Afrique qui, Afrique du Nord comprise, pourrait tripler d’ici la fin du siècle, passant de 1,4 milliard d’habitants en 2022 à probablement 2,5 milliards en 2050. Alors qu’un humain sur six vit aujourd’hui en Afrique, ce sera probablement plus d’un sur trois dans un siècle. L’accroissement devrait être particulièrement important en Afrique au sud du Sahara où la population passerait de 1,2 milliard d’habitants en 2022 à 3,4 milliards en 2100 d’après le scénario moyen des Nations unies.

Carte de la fécondité dans le monde en 2022. Cliquer pour zoomer. Ined, Fourni par l'auteur

À quoi s’attendre dans les décennies à venir

Ces chiffres sont des projections et l’avenir n’est évidemment pas écrit.

Il reste que les projections démographiques sont relativement sûres lorsqu’il s’agit d’annoncer l’effectif de la population à court terme ; c’est-à-dire pour un démographe, les dix, vingt ou trente prochaines années. La majorité des hommes et des femmes qui vivront en 2050 sont déjà nés, on connaît leur nombre et on peut estimer sans trop d’erreurs la part des humains d’aujourd’hui qui ne seront alors plus en vie. Concernant les nouveau-nés qui viendront s’ajouter, leur nombre peut également être estimé, car les femmes qui mettront au monde des enfants dans les 20 prochaines années sont déjà nées, on connaît leur effectif et on peut faire également une hypothèse sur leur nombre d’enfants, là aussi sans trop d’erreurs.

Il est illusoire de penser pouvoir agir sur le nombre des hommes à court terme. La diminution de la population n’est pas une option. Car comment l’obtenir ? Par une hausse de la mortalité ? Personne ne le souhaite. Par une émigration massive vers la planète Mars ? Irréaliste. Par une baisse drastique de la fécondité et son maintien à un niveau très inférieur au seuil de remplacement (2,1 enfants) pendant longtemps. C’est déjà ce qui se passe dans une grande partie du monde, les humains ayant fait le choix d’avoir peu d’enfants tout en leur assurant une vie longue et de qualité.

Mais il n’en résulte pas immédiatement une diminution de population en raison de l’inertie démographique : même si la fécondité mondiale n’était que de 1,5 enfant par femme tout de suite comme en Europe, la population continuerait d’augmenter pendant encore quelques décennies. Cette dernière comprend en effet encore beaucoup d’adultes en âge d’avoir des enfants, nés lorsque la fécondité était encore forte, ce qui entraîne un nombre élevé de naissances. Les personnes âgées ou très âgées sont en revanche peu nombreuses à l’échelle mondiale et le nombre de décès est faible.

La question de la baisse de la fécondité

Les démographes ont été surpris il y a quarante ans quand les enquêtes ont révélé que la fécondité avait commencé à baisser très rapidement dans beaucoup de pays d’Asie et d’Amérique latine dans les années 1960 et 1970. Ils ont dû notamment revoir sensiblement à la baisse leur projection démographique pour ces continents.

Une autre surprise, plus récente, est venue de l’Afrique. On s’attendait à ce que sa fécondité baisse plus tardivement qu’en Asie et en Amérique latine, en relation avec son retard en matière de développement socio-économique. Mais on imaginait un simple décalage dans le temps, avec un rythme de baisse similaire aux autres régions du Sud une fois celle-ci engagée. C’est bien ce qui s’est passé en Afrique du Nord et en Afrique australe, mais pas en Afrique intertropicale où la baisse de la fécondité, bien qu’entamée aujourd’hui, s’y effectue plus lentement. D’où un relèvement des projections pour l’Afrique qui pourrait rassembler plus d’un habitant de la planète sur trois en 2100.

Figure 4. Cliquer pour zoomer. Gilles Pison (à partir de données des Nations unies), CC BY-NC-ND

La fécondité diminue bien en Afrique intertropicale, mais dans les milieux instruits et en villes plus que dans les campagnes où vit encore la majorité de la population. Si la baisse de la fécondité y est pour l’instant plus lente que celle observée il y a quelques décennies en Asie et en Amérique latine (voir la Figure 4 ci-contre), cela ne vient pas d’un refus de la contraception.

La plupart des familles rurales ne se sont certes pas encore converties au modèle à deux enfants, mais elles souhaitent avoir moins d’enfants et notamment plus espacés. Elles sont prêtes pour cela à utiliser la contraception mais ne bénéficient pas de services adaptés pour y arriver. Les programmes nationaux de limitation des naissances existent mais sont peu efficaces, manquent de moyens, et surtout souffrent d’un manque de motivation de leurs responsables et des personnels chargés de les mettre en œuvre sur le terrain. Beaucoup ne sont pas persuadés de l’intérêt de limiter les naissances y compris au plus haut niveau de l’État, même si ce n’est pas le discours officiel tenu aux organisations internationales.

C’est là une des différences avec l’Asie et l’Amérique latine des années 1960 et 1970 et l’un des obstacles à lever si l’on veut que la fécondité baisse plus rapidement en Afrique subsaharienne.

À long terme : l’explosion, l’implosion ou l’équilibre ?

Au-delà des cinquante prochaines années, l’avenir est en revanche plein d’interrogations, sans modèle sur lequel s’appuyer.

Celui de la transition démographique, qui a fait ses preuves pour les évolutions des deux derniers siècles, ne nous est plus guère utile pour le futur. L’une des grandes incertitudes porte sur la fécondité. Si la famille de très petite taille devient un modèle dominant de façon durable, avec une fécondité moyenne inférieure à deux enfants par femme, la population mondiale, après avoir atteint le niveau maximum de dix milliards d’habitants, diminuerait inexorablement jusqu’à l’extinction à terme.

Mais un autre scénario est possible dans lequel la fécondité remonterait dans les pays où elle est très basse pour se stabiliser à l’échelle mondiale au-dessus de deux enfants. La conséquence en serait une croissance ininterrompue, et à nouveau la disparition de l’espèce à terme, mais cette fois par surnombre. Si l’on ne se résout pas aux scénarios catastrophes de fin de l’humanité, par implosion ou explosion, il faut imaginer un scénario de retour à terme à l’équilibre.

Ce sont les modes de vie qui comptent

Les humains doivent certes dès maintenant réfléchir à l’équilibre à trouver à long terme, mais l’urgence est le court terme, c’est-à-dire les prochaines décennies.

L’humanité n’échappera pas à un surcroît de 2 milliards d’habitants d’ici 2050, en raison de l’inertie démographique que nul ne peut empêcher. Il est possible d’agir en revanche sur les modes de vie, et ceci sans attendre, afin de les rendre plus respectueux de l’environnement et plus économes en ressources. La vraie question, celle dont dépend la survie de l’espèce humaine à terme, est finalement moins celle du nombre que celle des modes de vie.


Retrouvez Gilles Pison dans le podcast du Muséum national d’histoire naturelle « Pour que nature vive », avec l’épisode « Sommes-nous trop nombreux sur Terre ? ».

Gilles Pison, Anthropologue et démographe, professeur au Muséum national d'histoire naturelle et chercheur associé à l'INED, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Un membre du projet de reforestation de Pesalat, sur l’île de Bornéo, replante des arbres dans une zone de marécage tourbeux défrichée par les incendies et l’exploitation forestière. World Ressources Institute, CC BY

Climat : planter des millions d’arbres pour lutter contre le réchauffement… mais pas n’importe comment

Un membre du projet de reforestation de Pesalat, sur l’île de Bornéo, replante des arbres dans une zone de marécage tourbeux défrichée par les incendies et l’exploitation forestière. World Ressources Institute, CC BY
Lander Baeten, Ghent University; Charlotte Grossiord, EPFL – École Polytechnique Fédérale de Lausanne – Swiss Federal Institute of Technology in Lausanne; Christian Messier, Université du Québec à Montréal (UQAM); Haben Blondeel, Ghent University; Hervé Jactel, Inrae; Joannès Guillemot, Cirad; Kris Verheyen, Ghent University et Michael Scherer-Lorenzen, University of Freiburg

Compte tenu de l’accentuation des dérèglements climatiques, il est indispensable de restaurer les espaces forestiers et de veiller à la pérennité des nouvelles plantations. Le Tree Diversity Network, un réseau international de recherche, s’y emploie.

Si l’intérêt des responsables politiques pour les cérémonies de plantation d’arbres ne date pas d’hier, les projets de reboisement raisonnés revêtent aujourd’hui une importance grandissante, comme le montre la multitude d’initiatives internationales visant à décupler la couverture forestière mondiale en réhabilitant des millions d’hectares de terres dégradées et déboisées.

Lancé en 2017, le plan stratégique des Nations unies pour les forêts est sans aucun doute l’une des initiatives les plus emblématiques en ce sens, puisqu’elle vise à accroître la couverture forestière mondiale de 3 % d’ici à 2030 ; cela équivaut à 120 millions d’hectares, soit une superficie plus de deux fois supérieure à celle de la France.

Mobilisant plus de 60 pays, le Défi de Bonn a quant à lui pour objectif de restaurer le double de la surface visée par le plan de l’ONU, soit 350 millions d’hectares, sur la même période.

Pour les écologues forestiers, ces efforts indispensables soulèvent néanmoins de grandes interrogations. Comment faire en sorte que les forêts restaurées assurent toutes les fonctions que nous attendons d’elles ? Que faire pour les rendre résilientes afin qu’elles continuent de pleinement jouer leur rôle à l’avenir, tout particulièrement dans le contexte des dérèglements climatiques à l’œuvre ? Dans quelle mesure la restauration des zones forestières peut-elle contribuer à résoudre d’autres problèmes majeurs à l’échelle mondiale, tels que la lutte contre l’appauvrissement de la biodiversité et la dégradation de l’environnement ?

Choisir les zones propices au reboisement

Pour passer des promesses des responsables politiques à une restauration efficace des forêts, assurée par les acteurs de terrain, il est nécessaire de s’appuyer sur la science. Le principal défi consiste à recenser les zones de la planète les plus adaptées au reboisement, en ayant recours à une planification intégrée du paysage qui tienne notamment compte des considérations suivantes :

  • répondre aux besoins croissants en matière de production alimentaire ;

  • éviter de cibler les espaces riches en biodiversité tels que les prairies naturelles, qu’il convient de ne pas convertir en zones boisées, même si elles se prêtent a priori aux plantations sylvicoles ;

  • tenir compte des atouts économiques et culturels qu’offrent les autres modes d’utilisation des sols.

Des chercheurs s’emploient à établir des cartes détaillées visant à illustrer ce potentiel de restauration à l’échelle mondiale en dehors des zones forestières, agricoles et urbaines existantes. Malgré tout, la question de savoir quelle proportion de ces terres devrait être transformée en forêts suscite de nombreux débats.

Bien sélectionner les essences

Une fois définies les zones de reboisement appropriées, le défi suivant consiste à déterminer la nature des plantations, laquelle s’avère décisive au regard des efforts déployés. Les forêts couvrent aujourd’hui environ 30 % des terres émergées de la planète, et selon l’Évaluation des ressources forestières mondiales menée en 2020 par la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), les forêts plantées représentent d’ores et déjà 290 millions d’hectares, soit environ 7 % de la superficie forestière mondiale, et fournissent près de 50 % des volumes de bois récoltés.

Les experts forestiers s’intéressent tout particulièrement aux essences à planter, sachant qu’elles détermineront la composition des parcelles reboisées pour les décennies à venir. Il convient donc de veiller à ce qu’elles présentent de bonnes performances, en présentant par exemple un fort potentiel de croissance, de bonnes capacités en matière de séquestration du carbone et une forte contribution à la biodiversité.

Elles doivent par ailleurs être en mesure de faire face aux défis environnementaux croissants du XXIe siècle, et tout particulièrement aux dérèglements climatiques, en résistant à des périodes de sécheresse sans précédent, telles que celles qui ont frappé de nombreuses parties de l’Europe au printemps et à l’été 2022.

Malheureusement, aucune essence ne présente à elle seule toutes ces caractéristiques, ce qui oblige à faire des compromis lorsqu’il s’agit de faire des choix dans le cadre des projets de reboisement.

Privilégier les plantations diversifiées

Jusqu’à présent, la plupart des projets de plantation d’arbres à grande échelle se sont fondés sur la monoculture d'un nombre très réduit d’essences à vocation commerciale (comme les pins, épicéas ou eucalyptus). Or, il est à craindre que ces monocultures ne soient pas à même de résister aux menaces environnementales croissantes. Fort heureusement, des scientifiques du monde entier ont établi des plantations expérimentales comparant forêts pures et mélangées, qui sont riches en enseignements pour imaginer des plantations plus performantes et résilientes.

Les expérimentations menées dans le cadre du réseau Tree Diversity visent à évaluer de manière rigoureuse la façon dont les essences se développent, croissent et résistent lorsqu’on les associe les unes aux autres.

Ces études relativement récentes ne portent pour l’instant que sur des arbres d’une vingtaine d’années, et donc sur les premiers stades de l’évolution des forêts.

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À l’heure actuelle, nos travaux concernent essentiellement la croissance des arbres. Nous nous efforçons ainsi de déterminer s’ils grandissent plus rapidement lorsqu’ils partagent leur espace de croissance avec d’autres essences dont les besoins diffèrent. Nous étudions également la résistance de diverses essences aux variations climatiques et à d’autres phénomènes potentiellement nocifs comme les attaques de champignons pathogènes et insectes ravageurs.

Les équipes du TreeDivNet interviennent dans la plupart des grandes zones climatiques du globe, notamment boréales et tempérées, méditerranéennes et tropicales.

Ces plantations expérimentales couvrent plus de 850 hectares – l’équivalent de 1 200 terrains de football – et représentent l’une des plus vastes installations de recherche en écologie au monde, où sont menées pas moins de 30 études sur l’évolution d’environ 250 essences et plus d'un million d'arbres. Des données cruciales y sont recueillies, afin de nous permettre d’en savoir davantage sur les combinaisons d’essences qui permettent d’obtenir les meilleures performances de croissance et staockage de carbone en présentant la meilleure résistance aux menaces pesant sur les forêts.

Résister aux phénomènes extrêmes

Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement de la planète, les chercheurs du TreeDivNet unissent leurs efforts afin de déterminer quelles associations d’essences sont les plus adaptées pour permettre aux plantations de prospérer dans un contexte environnemental incertain et en pleine mutation.

Leur contribution potentielle aux efforts d’atténuation des dérèglements climatiques et d’adaptation à leurs effets repose sur la capacité des jeunes plants à survivre aux phénomènes extrêmes, comme la sécheresse et les incendies, ainsi qu’aux insectes ravageurs tels que les scolytes.

Nos travaux ont permis d’estimer la survie de centaines de milliers d’arbres au cours de leurs premières années de croissance, et les premiers résultats révèlent que les plantations mixtes sont moins exposées à un risque d'échec total de reprise après plantation.

La réduction du risque de mortalité des arbres dans les plantations mixtes, due à l'effet « portefeuille » ou d’« assurance écologique », pourrait ainsi offrir une stratégie d’adaptation aux gestionnaires forestiers qui s’efforcent d’assurer la pérennité des forêts dans des contextes futurs incertains. Comme ces expressions l’indiquent, ce phénomène s’apparente à la manière dont nous diversifions notre épargne pour garantir des revenus plus réguliers à long terme.

Les arbres que nous étudions sont soumis à des tests poussés reposant sur des techniques de pointe. Des radiographies de carottes de bois permettent de recenser les sujets dont la croissance a été retardée par la sécheresse ou d’autres aléas, tandis que l’observation des isotopes du carbone nous indique s’ils ont subi un stress hydrique, ce qui ralentit le cas échéant la photosynthèse.

Notre objectif consiste à synthétiser ces observations sous forme de profils écologiques pour les différents types d’arbres, afin d’aider les gestionnaires de forêts à choisir les combinaisons d’essences les plus à même de faire face aux défis à venir.

Radiographie d’une carotte de bois provenant d’un tilleul (Tilia cordata) cultivé dans le cadre de l’expérimentation belge FORBIO : à gauche, le cœur de l’arbre ; à droite, son écorce. La croissance annuelle se présente sous forme de bandes distinctes, les plus larges correspondant aux années de forte pousse. Lander Baeten/Ghent University, Fourni par l'auteur

Pour un recours concret à la science

Bien que nos travaux soient essentiellement menés par des chercheurs, nous souhaitons avant tout qu’ils servent aux gestionnaires des forêts sur le terrain. Dans les mois à venir, nous allons chercher à nous rapprocher des propriétaires et gestionnaires forestiers en nous appuyant sur les avancées scientifiques pour contribuer à la mise en œuvre de pratiques de boisement viables susceptibles d’être adoptées par le plus grand nombre.

Il est par ailleurs indispensable de nouer des liens pérennes avec les parties prenantes du secteur forestier du monde entier. De tels partenariats pourraient en effet favoriser la transition écologique permettant de passer de monocultures limitées à quelques essences commerciales à des plantations riches en biodiversité et bien adaptées à divers facteurs de stress, notamment dus aux dérèglements climatiques, pour les décennies à venir.


Le projet de recherche « CAMBIO », dans lequel s’inscrit la présente publication, a bénéficié du financement de la Fondation BNP Paribas au titre de son programme de mécénat « Climate and Biodiversity Initiative ».

Traduit de l’anglais par Damien Allo pour Fast ForWord

Lander Baeten, Associate professor conservation ecology, Ghent University; Charlotte Grossiord, Professor of environmental sciences and engineering, EPFL – École Polytechnique Fédérale de Lausanne – Swiss Federal Institute of Technology in Lausanne; Christian Messier, Full professor, forest ecology, Université du Québec à Montréal (UQAM); Haben Blondeel, Postdoctoral associate, Ghent University; Hervé Jactel, Directeur de recherche en écologie forestière, Inrae; Joannès Guillemot, Researcher in forest ecophysiology, Cirad; Kris Verheyen, Professor, forest ecology and management, Ghent University et Michael Scherer-Lorenzen, Professor, Biodiversity and Ecosystem Functioning, University of Freiburg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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La rivière urbaine qui traverse Veules-les-Roses (Seine-Maritime) en Normandie. isamiga76 / Flickr, CC BY-NC-SA

Et si on rendait leur place aux petits cours d’eau urbains et péri-urbains ?

La rivière urbaine qui traverse Veules-les-Roses (Seine-Maritime) en Normandie. isamiga76 / Flickr, CC BY-NC-SA
Laurent Lespez, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Marie-Anne Germaine, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

À l’approche des Jeux olympiques de 2024, la baignade dans la Seine revient dans l’actualité. S’il soulève de nouveaux défis en matière d’amélioration de la qualité de l’eau, cet objectif fait suite à des projets centrés sur les fleuves et les grandes rivières qui ont consisté à valoriser les fronts d’eau en ville comme cela a été le cas avec les berges de la Seine à Paris, des bords du Rhône à Lyon ou de la Garonne à Bordeaux.

Dans l’ombre de ces cours d’eau, les petites rivières urbaines ont longtemps été délaissées. Elles représentent pourtant la part principale du réseau hydrographique qui traverse les grandes agglomérations (73 % en Île-de-France) et le cadre de vie d’une grande partie des citadins.

Elles peuvent offrir une réponse à la demande croissante de nature en ville exacerbée par la crise sanitaire en fournissant une connexion avec une nature de proximité, mais aussi contribuer à des enjeux rendus urgents par le changement climatique tels que la réduction de l’îlot de chaleur urbain ou la préservation de la biodiversité.

De nombreux projets se sont focalisés sur la valorisation des berges des fleuves dans les grandes villes, moins se consacrent aux petites rivières urbaines. Jeanne Menjoulet/Flickr, CC BY-NC-SA

Des cours d’eau dégradés et oubliés

Mal traitées au fil du temps, les petites rivières urbaines sont souvent enterrées, busées, rectifiées et ont fini par être oubliées, car assimilées à un égout ou un fossé

.

Avalées par l’extension urbaine et associées à une image négative du fait de leur artificialisation, elles constituent également une des dimensions de l’eau en ville les moins étudiées. Les analyses hydrologiques ont depuis longtemps démontrées qu’elles souffrent de l’urban stream syndrome lié à l’augmentation des zones imperméables, des réseaux de drainage et à la canalisation.

L’accroissement du ruissellement entraîne une amplification et une accélération des inondations aggravant la vulnérabilité des populations riveraines. Il provoque aussi l’incision et l’élargissement des lits mineurs, menaçant l’équilibre du système fluvial et la sécurité d’infrastructures (ponts, berges aménagées) et de terrains riverains.

Les petites rivières urbaines sont également soumises à une diminution des débits estivaux voire des assecs. Elles se distinguent enfin par une dégradation généralisée de la qualité de l’eau) et des habitats et donc de la biodiversité aquatique.

Souvent classées comme des masses d’eau fortement modifiées, elles sont considérées à l’échelle mondiale comme « our least restorable ecosystems ».

Un renouveau du regard

Pourtant, les petites rivières urbaines constituent l’une des rares infrastructures naturelles encore disponibles en ville pour fournir des services écosystémiques. Depuis une quinzaine d’années, elles redeviennent des [enjeux du projet urbain].

Certaines font l’objet d’emblématiques remises à ciel ouvert, de reméandrage, de restauration des berges ou encore d’enlèvement de seuils. Encouragés par la directive-cadre sur l’eau et visant à « réparer » ces cours d’eau, ces projets s’inscrivent souvent dans une stratégie de lutte contre les inondations.

La Bièvre a la Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne). Laurent Lespez, Fourni par l'auteur

S’accompagnant de la restauration d’espaces d’expansion des crues et de plantations, ces projets ont aussi pour but de participer à la préservation de la biodiversité. Les outils génériques utilisés par les gestionnaires (CARHYCE, I2M2, etc.) peinent cependant à définir des trajectoires d’amélioration de ces rivières.

Il apparaît alors nécessaire de développer des diagnostics hydro-écologiques plus appropriés tenant compte des conditions locales propres à chaque cours d’eau et chaque tronçon afin de proposer des pistes d’amélioration durable plutôt que des solutions standardisées. Il s’agit par exemple de dépasser le diagnostic préférentiel des milieux aquatiques à l’échelle du chenal pour promouvoir des indicateurs intégrant la biodiversité terrestre (trame turquoise) et intégrer les corridors écologiques fournissant des services majeurs).

Une gestion morcelée

Paradoxalement, les cours d’eau suburbains sont les plus appropriés pour associer les populations locales au projet écologique. À l’inverse des grands fleuves navigables dont la gestion est assurée par l’État, la propriété des berges et du fond du lit des petits cours d’eau est morcelée entre une multitude de propriétaires formant une mosaïque d’espaces publics et privés complexifiant leur gestion. Le projet doit donc être multidimensionnel, incluant l’amélioration du potentiel récréatif et du cadre de vie et intégrer riverains et populations locales à la définition des objectifs ainsi qu’à l’action.

Alors que la loi de 1992 reconnaît l’eau comme patrimoine commun de la nation, l’État s’engage à améliorer la qualité de l’eau et des milieux sans maîtrise foncière tandis que les propriétaires riverains sont eux absents des instances de gouvernance de l’eau.

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L’entretien et les choix de gestion de ces petits cours d’eau soulèvent ainsi de nombreux défis interrogeant le modèle français de gouvernance de l’eau. Ces singularités font des petites rivières urbaines un archétype des environnements ordinaires et conduisent à interroger les modalités d’une co-construction d’un bien commun intégrant l’ensemble des acteurs de la rivière.

Réenchantement

Alors que les commutations automobiles des ménages périurbains ont participé à la déconnexion des lieux de vie quotidiens et dans la perspective de « la ville du quart d’heure », les petites rivières urbaines offrent des aménités de proximité dont la valorisation a été jusqu’alors négligée. Leur restauration est l’opportunité d’intégrer les préoccupations des habitants et usagers en matière d’environnement, de paysage, d’accès ou encore de valeurs et de construire une connaissance de ces cours d’eau, de leur fonctionnement et de leur histoire.

Le Morbras dans la cuvette de Champlain à La Queue-en-Brie (Val-de-Marne). Laurent Lespez, Fourni par l'auteur

Pourtant, les pratiques des propriétaires riverains, premiers gestionnaires, demeurent très mal connues. De nouvelles connaissances reposent sur la caractérisation de la connectivité sociale des petites rivières urbaines qui intègrent des indicateurs tels que la visibilité et l’accessibilité des berges et de l’eau définissant des potentiels d’usage. Des travaux ancrés dans le champ de la political ecology ont analysé la place accordée aux communautés locales, notamment défavorisées, dans ces projets et la manière dont ils peuvent répondre aux enjeux de justice environnementale.

Finalement, il s’agit de dépasser la proposition d’un décor ou d’une infrastructure naturelle sans lien avec les espaces traversés en considérant que la restauration écologique définit une nouvelle matérialité qui prend place dans des territoires hydrosociaux vivants. Mais alors que la relation ville-rivière est bien documentée pour les grands cours d’eau, elle demeure très peu étudiée pour les petites rivières.

Reconstituer la trajectoire de ces environnements permet de reconstituer l’évolution de la relation à la rivière alors qu’ils sont caractérisés par un renouvellement des populations riveraines limitant la transmission de la mémoire des lieux (risque d’inondation, patrimoine, attachement). Cette dimension permet de compenser le concept d’amnésie environnementale générationnelle et contribue à faire de la rivière un commun au-delà des propriétaires riverains pour favoriser l’émergence d’un attachement à cette nature urbaine et développer une culture de la rivière.

Face à l’urgence écologique, nos travaux conduits en particulier au sein du groupe Paristreams ont [pour objectif] de « rendre visible ce que les autres ne savent plus voir, faire sentir ce à quoi ils ne sont plus sensibles », des macroinvertébrés aux crues, du patrimoine hydraulique à la végétation rivulaire, afin de réenchanter la gestion des petites rivières urbaines pour promouvoir une transition socio-environnementale durable.

Laurent Lespez, Professor, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Marie-Anne Germaine, Enseignante-chercheuse en géographie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.