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Trottinettes électriques : un bilan environnemental plutôt positif… mais un vrai besoin de régulation

Anne de Bortoli, École des Ponts ParisTech (ENPC)

L’opinion publique pense généralement que les trottinettes électriques sont néfastes pour l’environnement : courte durée de vie, pollution des batteries électriques, remplacement de modes de transport plus vertueux et, finalement, alourdissement du bilan carbone des villes.

Les trottinettes n’auraient donc rien d’une solution d’avenir pour décarboner la mobilité urbaine. Or, si elles présentent bien quelques faiblesses, leurs atouts pour l’environnement sont aussi nombreux.

Évolution de l’empreinte carbone des trottinettes partagées

Apparues à l’été 2018 en France, les premières trottinettes en libre-service font couler beaucoup d’encre. Non conçus à l’origine pour un usage partagé, ces engins présentent alors de courtes durées de vie et des risques de bris en cours d’usage.

Ces véhicules sont à cette période rechargés de manière chaotique par des autoentrepreneurs, ce qui génère des émissions de gaz à effet de serre (GES) élevées, ces entrepreneurs utilisant souvent des

.

Résultat ? L’empreinte carbone des déplacements de ces premières trottinettes partagées s’élève à 109 grammes de CO? équivalent par kilomètre parcouru (gCO2eq/km). Soit trois fois moins que le taxi, mais dix fois plus que le vélo personnel !

Au fil du temps, les opérateurs ont amélioré la conception de leurs engins et leur longévité, ainsi que leur gestion de flotte, en optant pour des vans électriques émettant moins de GES, ou pour des trottinettes à batteries amovibles, faciles à transporter dans de petits véhicules peu émetteurs.

Ainsi, en 2020, j’avais évalué que l’empreinte carbone des trottinettes partagées avait globalement diminué de moitié à Paris, pour atteindre environ 60 grammes de CO2eq/km.

Néanmoins, difficile de suivre l’empreinte carbone véritable des différents services partagés proposés à Paris, car les opérateurs communiquent peu, ou mal, sur les données nécessaires à l’évaluation environnementale – notamment la durée de vie véritable des trottinettes, leur devenir en fin de vie, et les caractéristiques de la gestion de flotte.

Certains opérateurs sous-traitent des évaluations souvent optimisées par des services de conseil ou des chercheurs manquant d’expertise (ou de rigueur ?), tout cela créant de la confusion autour de l’empreinte carbone véritable des services.

Empreinte carbone des autres modes de transport à Paris

L’usage de trottinettes partagées (bien gérées) émet aujourd’hui à Paris environ 60 grammes de CO2eq/km. Qu’en est-il des autres modes de transport parisiens, alors que la Ville de Paris organise ce dimanche 2 avril 2023 une votation citoyenne sur le maintien ou non des trottinettes en libre-service dans la capitale ?

Commençons par la trottinette personnelle : parce qu’un bien personnel est souvent mieux traité que son homologue partagé, et qu’il ne nécessite pas de gestion de flotte, ce véhicule a une empreinte carbone d’environ 12 grammes de CO2eq/km. C’est sensiblement aussi bien que le vélo personnel, le métro ou le RER à Paris.

Notons que le vélo personnel électrique est presque aussi bon que le vélo personnel mécanique… tant que sa longévité kilométrique est assez élevée (donc pas

pour être remisé au placard). Utilisé seulement 1 000 km sur sa durée de vie, j’ai estimé qu’il est aussi mauvais que la voiture thermique (qui utilise des carburants fossiles).

Évidemment, le mode de transport le moins émissif reste la marche (2 grammes de CO2eq/km)… qui ne nécessite que l’entretien des trottoirs.

Classement des différents types de mobilité au regard de leurs émissions de GES. Anne de Bortoli, CC BY-NC-ND

Parmi les pires modes de transport pour le climat : le bus diesel (120 grammes de CO2eq/pkm par passager transporté sur 1 km (pkm)), la voiture personnelle (200 grammes de CO2eq/pkm), et enfin… le taxi (300 grammes de CO2eq/pkm) !

La trottinette partagée présente ainsi une empreinte carbone intermédiaire face aux autres modes de transport disponibles à Paris ; quant à la trottinette personnelle, elle constitue une excellente option pour une mobilité peu carbonée.

Bilan carbone annuel direct et indirect des trottinettes à Paris

Le problème que pose les trottinettes partagées à Paris au niveau de leurs émissions de GES, c’est qu’elles sont principalement utilisées à la place de modes moins impactants : en 2019, 22 % du kilométrage parcouru avec les trottinettes électriques partagées remplaçait des déplacements auparavant réalisés à vélo et à pied, et 60 % de ce kilométrage remplaçait des déplacements en métro et RER. Seuls 7 % des kilomètres parcourus en trottinettes partagées remplaçaient des trajets en voiture et taxi.

Ainsi, sur l’année 2019, nous avions estimé que les trottinettes partagées avaient généré 13 000 tonnes de CO2eq supplémentaires dans la ville.

Mais rappelons que les 2,1 millions de Parisiens émettent environ 20 millions de tonnes de CO2eq chaque année. Les trottinettes partagées auraient donc alourdi le bilan carbone de la ville de Paris de… 0,015 % !

À titre de comparaison, si chaque Parisien renonçait chaque année à manger deux steaks hachés de bœuf, cela éviterait au total l’émission d’environ 13 000 tonnes de CO2eq. De plus, à l’échelle d’un pays, les trottinettes en libre-service ont le potentiel de réduire les émissions de GES.

C’est ce que corrobore la mise à jour du bilan carbone des trottinettes partagées de seconde génération à Paris que j’ai réalisé et qui montre une économie annuelle de 7 400 tonnes de CO2eq grâce à ces véhicules, par rapport à une situation sans eux.

Comparaison des différents modes de transport à Paris au regard de leurs effets négatifs sur le climat. Anne de Bortoli, CC BY-NC-ND

En outre, pour comprendre l’impact global des trottinettes sur le climat, il faut tenir compte d’effets plus complexes.

Les services de trottinettes partagées constituent en effet une sorte de « porte ouverte » vers l’acquisition de trottinettes personnelles, bien plus performantes au niveau des émissions de GES. L’enquête que nous avons menée à Paris en 2019 a en effet montré que la plupart des possesseurs de trottinettes les avaient acquises après l’arrivée des trottinettes partagées.

Notre enquête a également montré que 23 % des usagers de trottinettes personnelles couplaient leurs déplacements avec les transports en commun et utilisaient moins leurs voitures.

On le voit, les trottinettes partagées accompagnent les nouvelles façons de se déplacer, réduisant la place accordée à la voiture en ville et participant aux nécessaires transformations de nos modes de vie urbains.

La protection de l’environnement dépasse les questions climatiques

Rappelons-nous aussi que le changement climatique n’est qu’une des urgences écologiques actuelles. La pollution tue, les écosystèmes se meurent, et nous épuisons les ressources naturelles à une vitesse effrayante. Les habitudes de mobilité des pays développés ont une responsabilité majeure dans ce triste bilan.

Il est donc urgent de plébisciter des modes de transport plus vertueux, bien qu’il faille aussi réduire nos déplacements. Dans le cas du transport thermique (utilisant des carburants fossiles), un déplacement en voiture ou taxi est plus impactant qu’un déplacement en moto sur toutes les dimensions environnementales, la moto étant moins lourde et consommant moins. Or, se déplacer en moto génère des dommages aux écosystèmes et aux ressources naturelles deux à trois fois supérieurs au déplacement en trottinettes, partagées comme personnelles.

La trottinette constitue ainsi une alternative vertueuse à tous les modes de transport thermique. Sachant qu’elle n’émet pas de polluants directs, ce qui préserve la qualité de l’air en ville.

Comparatif (sur cycle de vie) des micromobilités personnelles et partagées à Paris, en termes de dommages aux ressources, à la biodiversité, à la santé, de consommation d’énergie primaire, et d’impact au changement climatique. Anne de Bortoli, CC BY-NC-ND

S’interdire d’interdire

À la lumière de toutes ces informations, interdire les trottinettes électriques en libre-service semble ainsi incohérent et contre-productif.

Il y a bien sûr des décisions à prendre pour mieux encadrer leur usage, en renforçant notamment la régulation des services de trottinettes ; ce renforcement doit se baser sur des enquêtes de reports modaux et des évaluations environnementales fiables, réalisées à partir de méthodologies harmonisées adaptées, telles que celles développées avec le World Resources Institute, et de données vérifiées. L’obtention de ces données devrait être exigée par les autorités publiques, comme c’est désormais le cas à San Francisco.

Ajoutons pour finir que l’argument sécuritaire, avançant des taux d’accidents supérieurs des trottinettes sur d’autres modes de déplacement, et en particulier le vélo, ne semble pas corroboré par les études scientifiques, et que le Code de la route français encadre déjà l’usage des trottinettes.

Anne de Bortoli, Chercheuse en carboneutralité et durabilité des transports et infrastructures au CIRAIG (Polytechnique Montréal), chercheuse associée au laboratoire Ville Mobilité Transport (ENPC), École des Ponts ParisTech (ENPC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Détail de la couverture de l’album P.E.A.C.E sorti en 1984. Wikipedia

Les punks, ces pionniers des combats écologiques

Détail de la couverture de l’album P.E.A.C.E sorti en 1984. Wikipedia
Fabien Hein, Université de Lorraine

Formidable élan de créativité et d’énergie artistiques, le punk rock est aussi une constellation d’idées et de pratiques collectives qui forment depuis les années 1980 un puissant mouvement contestataire, notamment en matière d’écologie. Le sociologue Fabien Hein (Université de Lorraine) et l’éditeur et traducteur Dom Blake nous plongent dans ce monde en mouvement avec leur ouvrage « Écopunk », paru le 22 mars 2023 aux éditions Le Passager clandestin, et dont nous vous proposons de découvrir un extrait.


« Si les animaux pouvaient parler. Si les planètes, les arbres, les rivières, les montagnes et les océans pouvaient protester, eux aussi réclameraient l’arrêt des dégradations causées à la nature par l’avidité des êtres humains. L’instinct de conservation est le premier des instincts, mais nous avons été tellement bernés, désinformés, sous-instruits et, en définitive, roulés dans la farine que même des parents bienveillants enseignent, sans en avoir conscience, l’autodestruction et la destruction de la planète à leurs enfants dès le plus jeune âge.

A priori, on pourrait s’attendre à ce que le monde aille vers davantage d’intelligence et de délicatesse. Qu’il réponde aux besoins de la population et résolve les problèmes sociaux. Mais il semblerait que les détenteurs du pouvoir aient choisi de prendre exactement le chemin inverse, générant ainsi toujours plus de faim, d’exploitation, de racisme et de pollution sous l’égide de régimes militarisés à tendance dictatoriale. »

Cette déclaration accompagne la parution, en 1984, d’une compilation de titres joués par 55 groupes punks de divers pays, parmi lesquelles Crass, Dead Kennedys, MDC, Reagan Youth, Conflict ou encore Negazione. Le projet avait été initié en 1982 par le label indépendant du groupe étatsunien MDC, R Radical Records, en association avec le tout nouveau Maximumrocknroll, futur fanzine de référence pour l’ensemble de la scène punk anglo-saxonne.

Le groupe Crass en concert à Cleator Moor (Grande-Bretagne) en 1984. De gauche à droite : Pete Wright (guitare basse), Steve Ignorant (chanteur), N.A. Palmer (guitare). Trunt/Wikipedia, CC BY-NC-ND

L’album s’intitule P.E.A.C.E./War, l’acronyme PEACE déclinant les principes fondamentaux qui animent ces formations de la scène punk : « peace, energy, action, cooperation, evolution ».

Le texte exprime une préoccupation caractéristique de la scène punk des années 1980 : celle de ne pas dissocier les problèmes environnementaux de l’ensemble des logiques économiques, sociales et politiques qui président à leur manifestation. La destruction de la planète est la conséquence d’une organisation sociale, voire d’une idéologie, qui induit un rapport prédateur au monde et qui passe par le consentement tacite de ceux-là mêmes qui devraient le combattre.

Le texte laisse aussi affleurer deux thèmes écologiques de prédilection de la scène punk de l’époque : le respect impératif du vivant, d’une part ; l’appel à une coexistence pacifiée et sensible avec la nature en général, d’autre part. De fait, par la prise de conscience que le système d’oppression qu’ils dénoncent est aussi un système d’exploitation intensive de la nature, les punks entrent en écologie.

Ils le font en se joignant massivement aux organisations qui, dès les années 1970, organisent la lutte pour la défense des animaux, et ce combat est indissociable d’une éthique impliquant l’adoption d’un régime alimentaire et d’un mode de vie idoines. Mais les punks sont aussi très tôt inquiets de la propension de l’humanité à remettre son destin entre les mains d’une technique devenue hors de contrôle. Leur prise de position contre le nucléaire en est la première expression, mais elle s’étend rapidement à d’autres formes d’exploitation technique et industrielle de la nature et aux multiples infrastructures sur lesquelles elles s’appuient.

Contre la société de l’automobile, en particulier, ils se font les chantres d’un rapport à l’espace privilégiant la lenteur et l’énergie du corps, en défendant collectivement l’usage de mode de transports non technologiques ou, pour emprunter à Ivan Illich l’un de ses concepts phares, « conviviaux ».

Souvent lucides et fort documentés, dotés parfois d’une vision tragique de l’existence, ces punks entrevoient le surgissement d’une rupture écologique majeure. Inquiets de la dégradation de l’environnement, informés de la fragilité des équilibres naturels, hostiles à tout anthropocentrisme, et peu à peu sensibilisés à la beauté de la nature, ils se posent dans un premier temps, comme leur contemporain le philosophe Günther Anders, en « semeurs de panique », afin de « faire comprendre aux hommes qu’ils doivent s’inquiéter et qu’ils doivent ouvertement proclamer leur peur légitime ».

Paru en mars 2023. Éditions Le Passager clandestin, CC BY-NC-ND

Mais leur action ne se résume pas au rôle de lanceurs d’alerte, si efficaces que soient en ce domaine les modes d’expression artistique qui sont les leurs. Ils appuient aussi massivement certaines formes organisées de résistance écologique, et contribuent, en entraînant avec eux une bonne part de la jeunesse révoltée de leur temps, à leur visibilité et, bien souvent, à la consécration des causes qu’elles défendent. Quitte à contribuer, parfois, à la dispersion de ces forces subversives dans le tamis de la culture dominante.

Fabien Hein, Maître de conférences en sociologie, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Des plantes chez soi que pour faire joli ? rawpixel.com/Freepik, CC BY-NC-ND

Derrière les plantes d’appartement, quel désir de nature chez les jeunes urbains ?

Des plantes chez soi que pour faire joli ? rawpixel.com/Freepik, CC BY-NC-ND
Gervaise Debucquet, Audencia; Allan Maignant, Astredhor (Institut technique de l’horticulture) et Anne-Laure Laroche, Astredhor (Institut technique de l’horticulture)

Tout comme l’alimentation, le secteur du végétal n’échappe pas à la prolifération de concepts et d’anglicismes comme « plant addict », « plant parenting » (« parentalité végétale »), et tout récemment « slow gardening » (écojardinage sans stress), lesquels rencontrent un écho particulièrement puissant chez les jeunes urbains. À l’image des applications digitales facilitant l’entretien des plantes, ou encore les modules connectés de petite production alimentaire.

Sont-ils révélateurs d’une conscience écologique aiguë ou de la relation plus profonde que les jeunes générations entretiennent avec le végétal et, plus largement, le vivant ?

Mieux cerner leur degré d’« affiliation » à la nature permet d’expliquer le fossé fréquemment observé entre la conscience écologique et la mise en œuvre de comportementaux vertueux ; bien qu’assez stable chez les individus, ce plus ou moins grand sentiment de proximité avec la nature peut évoluer au gré des expériences, des émotions au contact du vivant, ne serait-ce qu’au travers des soins apportés à des plantes d’intérieur.

En janvier 2020, mille jeunes urbains, âgés de 25 à 40 ans, ont répondu à une enquête récemment publiée et conduite par ASTREDHOR et Audencia Business School. Cette enquête explore différentes dimensions de leurs relations au végétal dans l’espace privé.

Les jeunes urbains ont-ils beaucoup de plantes chez eux ? Rêvent-ils d’en avoir plus ? Qu’attendent-ils idéalement de leurs plantes ? Comment perçoivent-ils les activités autour du jardinage ? L’étude s’est également intéressée au lien social généré par les plantes, y compris sous l’angle des réseaux sociaux. Elle explore aussi le lien entre conscience environnementale, engagement en matière d’alimentation durable et relations aux plantes.

Conscience écolo, esthétisme et bienfaits psy

Les évocations spontanées associées aux plantes d’intérieur chez les jeunes urbains se traduisent majoritairement en matière de bien-être mental procuré par le végétal, comme la relaxation, la détente mais aussi l’esthétisme. Bien-être physique également qui s’est révélé par les évocations des « services » rendus par les végétaux en matière de qualité de l’air. 19 % de jeunes urbains déclarent cependant rester indifférents aux plantes.

Le vert comme une barrière pour contenir le stress de la vie urbaine. Annie Spratt/Unsplash, CC BY-NC-SA

Si les jeunes urbains sont en attente d’une reconnexion à la nature, leur vision des plantes semble plutôt anthropocentrée, tournée vers l’usage, les utilités de la plante – en particulier son bénéfice potentiel pour lutter contre le stress ou l’anxiété générés par la vie urbaine.

Mieux comprendre le fonctionnement du vivant et ses exigences n’est pas clairement une préoccupation première, au contraire : certaines de ces exigences pour les maintenir en vie, comme l’arrosage par exemple, sont perçues comme des contraintes.

S’occuper de ses plantes, corvée ou plaisir ?

Le soin apporté aux plantes est perçu comme une tâche qui prend du temps et occupe de l’espace, très souvent restreint en milieu urbain. Dans notre enquête, 60 % des jeunes urbains habitent en appartement et sont de ce fait obligés de jardiner « hors sol », 14 % d’entre eux ne disposent pas d’espace extérieur et sont potentiellement contraints de jardiner « en intérieur ».

La présence d’insectes et de terre est aussi très souvent perçue comme une source de nuisances ou de « saleté ». Interrogés sur leur plante idéale, les jeunes urbains citent en premières qualités des critères de facilité, de résistance et de durée de vie. Cela ne préjuge pas pour autant du plaisir qu’ils prennent à jardiner, mais un clivage a été observé. La moitié des jeunes urbains déclare apprécier rempoter, tailler, entretenir. Pour l’autre moitié, ces activités sont plutôt perçues comme une contrainte.

Interrogés sur leur plante idéale, les jeunes urbains citent comme premières qualités des critères de facilité, de résistance et de durée de vie. Cassidy Phillips/Unsplash, CC BY-NC-SA

Enfin, la presse et les réseaux sociaux se font l’écho d’une tendance au « plant parenting » chez les jeunes, à l’image de l’éducation d’un enfant ou de l’adoption d’un animal de compagnie. Même si 43 % des jeunes urbains déclarent s’attacher à une plante comme ils le feraient à un animal, 26 % d’entre eux n’ont pas ou plus de plantes car en partie mortes.

Chez les jeunes urbains, il est donc difficile de parler d’une véritable reconnexion au vivant ou encore de la restauration d’une véritable « affiliation » à la nature, alors que de nombreux anthropologues pointent la nécessité de dépasser le dualisme humain-nature dans les pays occidentaux en vue de la transition écologique.

La relation aux plantes chez les convertis aux circuits courts alimentaires

La question de l’alimentation durable prend de plus en plus de place dans notre société, notamment chez les jeunes générations. Ainsi, dans notre enquête, 44 % des jeunes urbains déclarent être flexitariens (forte réduction de la consommation de viande, sans se l’interdire pour autant) et 39 % achètent régulièrement ou exclusivement des aliments issus de l’agriculture biologique. S’occuper des plantes s’inscrit-il dans le prolongement de cette conscience écologique ?

Nous avons croisé ces éléments relatifs à la conscience environnementale des jeunes urbains avec leur perception des activités de jardinage. Les résultats montrent une continuité entre la conscience environnementale des jeunes urbains et leur appétence pour les plantes.

Notre enquête révèle également que les jeunes urbains qui font des choix pour une alimentation durable (achats réguliers auprès des circuits courts alimentaires ou consommation fréquente d’aliments certifiés bio) sont les plus enclins à verdir leur environnement et à valoriser les soins requis par le végétal.

De la ville comestible à la résilience urbaine

Face à la croissance urbaine, les services écosystémiques des plantes (réduction des îlots de chaleur, ombrage, hygrométrie, etc.) ne sont plus à démontrer et les actions individuelles des citoyens-jardiniers peuvent contribuer activement à la résilience urbaine face au changement climatique.

Pour encourager ce jardinage privé, il faudrait savoir compter sur les liens sociaux induits par l’entretien de plantes, y compris d’intérieur. En effet, selon notre enquête, les jeunes urbains qui valorisent l’entretien et la préservation de leurs plantes sont les plus à même d’entretenir les échanges et liens sociaux avec le voisinage ou les amis autour du végétal ; ils éprouvent un fort sentiment d’appartenance à une communauté « verte ».

Ceux-là mêmes se retrouvent dans l’engouement des jeunes générations pour les « villes comestibles » qui promeuvent activement l’alimentation durable, via notamment les circuits courts urbains ou périurbains, lesquels peuvent induire en retour un sentiment d’appartenance à ces collectifs. Il pourrait être opportun d’encourager les synergies entre les communautés alimentaires et les communautés autour du jardinage pour faciliter une véritable reconnexion au vivant, dépassant la vision d’une nature « utile », et ainsi inciter à une plus grande présence du végétal dans les lieux de vie privés.

Manger et jardiner constituent deux activités qui permettent à homo urbanus de maintenir, restaurer ou encore resserrer son sentiment d’affiliation avec la nature, le végétal. Les confinements successifs dus au Covid-19 ont montré combien ces deux activités étaient essentielles à l’équilibre psychologique des citoyens, au premier rang desquels les urbains qui ont fortement réinvesti la cuisine maison et le soin aux plantes d’intérieur.

Gervaise Debucquet, Enseignante-chercheuse, socio-anthropologie de l’alimentation, Audencia; Allan Maignant, Directeur ASTREDHOR Loire-Bretagne, Astredhor (Institut technique de l’horticulture) et Anne-Laure Laroche, Animation d'une Unité Mixte Technologique STRATège, Astredhor (Institut technique de l’horticulture)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Des randonneurs à ski à Molines-en-Queyras, début mars 2022. Fifi montagne

Dans les Hautes-Alpes, les stations de ski à l’épreuve du changement climatique

Des randonneurs à ski à Molines-en-Queyras, début mars 2022. Fifi montagne
Cécilia Claeys, Université de Perpignan; Anouk Bonnemains, Université de Lausanne et Mikaël Chambru, Université Grenoble Alpes (UGA)

Si l’enneigement s’est depuis nettement amélioré, le début de la saison hivernale 2022-2023 a été marqué par un manque significatif de neige dans les stations de ski françaises.

Certaines n’ont pu offrir que des langues de neige de culture bordées de pentes herbeuses. D’autres n’ont pas pu ouvrir leur domaine tant les températures ont été anormalement douces. Or, selon les experts du changement climatique, ces conditions anormales sont en passe de devenir la nouvelle norme.

Dans le massif du Parpaillon, entre les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes, l’altitude de l’isotherme 0 °C est ainsi appelée à augmenter et gagnera même 300 mètres au printemps à l’horizon 2050, estiment certains scientifiques.

Dans ce contexte, la diversification de l’offre touristique des stations comme stratégie d’adaptation au changement climatique tend à faire consensus. Elle donne cependant lieu à des situations contrastées sur le terrain : débat, controverses, conflits, etc. Les tensions se cristallisent notamment autour des enjeux économiques et environnementaux de l’enneigement artificiel utilisé pour compenser le manque croissant de neige naturelle.

Depuis 2018, nous menons des recherches pour mieux cerner et comprendre ces situations.

Les Hautes-Alpes sont un département présentant une diversité de type de stations et confronté de longue date au manque neige, comme au début des années 90 dans le massif du Queyras.

Il existe autant de façons d’envisager la diversification que de territoires spécifiques. Dans le jeu argumentatif s’observe un gradient de postures dont les deux extrémités sont :

  • D’un côté, la diversification ne peut être qu’un complément au modèle de la station de ski qui doit demeurer l’offre touristique principale.

  • De l’autre, la diversification est appréhendée comme un moyen de sortir du modèle du « tout-ski ».

Cela révèle les dilemmes de transition auxquels font face aujourd’hui les stations de ski dans leur ensemble, « entre agir créatif, inerties et maladaptation », comme le montre le géographe Philippe Boudeau, qui questionne « le statut et la place du fait récréatif dans les territoires ».

Une diversification ski-centrée

Dans le massif du Dévoluy, à la frontière des Alpes du Nord, la diversification prend la forme d’investissements coûteux centrés sur les stations et pensés comme des compléments à l’activité ski, qui demeure l’offre touristique structurante.

En 2013, un centre multisports de 3 200 m2 est inauguré dans la station de Superdévoluy. Il regroupe deux terrains de basket couverts, un mur d’escalade, quatre terrains de squash, une salle de musculation, un spa. En 2019, un centre de balnéothérapie est lancé, cette fois-ci à la Joue du Loup, adossé à un projet de développement immobilier.

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Ces deux investissements d’ampleur, notamment 6,8 millions d’euros pour le centre de balnéothérapie, ont pris le dessus sur un autre projet de diversification impulsé en 2013. Ce dernier proposait de créer un espace muséographique dédié à la science afin de développer un tourisme scientifique hors station : « Le Dévoluy du sous-sol aux étoiles ». Il s’appuyait notamment sur la présence de l’observatoire astronomique piloté par l’Institut de radio-astronomie millimétrique (IRAM).

À l’issue des élections municipales de 2020, la nouvelle équipe modifie radicalement ce projet de tourisme scientifique. Les ambitions muséographiques sont revues à la baisse et déplacées sur le domaine skiable.

Il doit désormais prendre place dans la gare d’arrivée d’une remontée mécanique en projet, dont l’objectif est de monter en altitude le départ des pistes. Il inclut aussi la création d’un lac d’altitude constitué à partir des deux actuelles retenues collinaires utilisées pour produire de la neige de culture. Le coût de ces nouveaux aménagements est annoncé à 28 millions d’euros. Ce choix donne à voir une forme ski-centrée d’adaptation au changement climatique dans le Dévoluy.

Une diversification hésitante

Plus à l’est, le Parc naturel régional du Queyras est marqué par une diversification contrastée, potentiellement controversée comme le rappelle l’épisode récent du projet d’astrotourisme scientifique à Saint-Véran. Porté par la municipalité en 2019, il est soupçonné par ses opposants d’être un prétexte pour renforcer le modèle de la station de ski. Il donne lieu à une controverse dans le village, qui se solde par l’abandon du projet en 2020 suite à l’élection d’une nouvelle équipe municipale.

À Aiguilles, un guide de haute-montagne a créé en 2009 le premier parcours balisé de ski de randonnée en France en lieu et place de l’ancienne station de ski alpin fermée en 2007 suite à la réorganisation des sites sur le massif. En 2014, l’expérimentation est abandonnée faute de soutien institutionnel, avant d’être relancée en 2022 en lien avec la reconversion définitive du domaine alpin, portée par la nouvelle municipalité. Quinze ans auront donc été nécessaires pour que cette initiative novatrice commence à trouver sa place dans la future offre touristique du Queyras.

Un raid à ski anthropologique dans le Queyras pour mettre en dialogue les sciences sociales avec un territoire, Labex ITTEM.

À Abriès, le maire nouvellement élu en 2020 affiche son ambition de baisser la pression touristique sur le territoire dans une perspective d’après « tout-tourisme ». Pour autant, cela ne se traduit pas par un arrêt programmé des investissements dans l’activité ski alpin pour les années à venir (renouvellement de remontées mécaniques, modernisation du réseau d’enneigement artificiel, création de nouveaux lits touristiques).

Dans le Queyras, la diversification oscille ainsi entre le renforcement du modèle moderniste de la station de ski alpin et le foisonnement d’innovations sociales cherchant à développer l’attractivité économique des villages hors de celui-ci. Actuellement, la seconde ne parvient pas à prendre le pas sur la première. Le Queyras est donc en pleine hésitation transformative dans ses logiques d’adaptations en cours face au changement climatique.

Des usages spontanés par les usagers

À Céüse, au sud-ouest du Queyras, la diversification se fait par les pratiquants eux-mêmes depuis l’arrêt des remontées mécaniques de la station en 2018 suite à des difficultés de gestion et à un manque d’enneigement de longue date. Contrairement au discours médiatique évoquant une « station fantôme », le site fait l’objet d’une fréquentation récréative intense par les habitants du territoire.

Ces usages réinventés du domaine skiable de Céüse sont d’ores et déjà quatre saisons et pluriactivités, s’adaptant aux irrégularités d’enneigement. Ils alternent entre randonnées à ski, en raquettes, à pied ; s’y pratiquent aussi le snowkite (sport consistant à glisser avec un snowboard ou des skis tracté par un cerf-volant de traction) et la luge.

Un adepte de snowkite, avec la Céüse au premier plan et le Dévoluy en second plan. Author provided

Ces usages spontanés s’affranchissent du recours à l’enneigement artificiel. Ils correspondent aux préconisations de plusieurs études commanditées par les instances politiques depuis 1993 prônant systématiquement la voie de la diversification à Céüse.

Cependant, la communauté de commune en charge de la station ne parvient pas encore à valoriser ces pratiques au profit d’une redynamisation territoriale.

Dans les Hautes-Alpes, les stations de ski à l’épreuve du changement climatique

Face au changement climatique, les stations des Hautes-Alpes s’adaptent, non sans débats et conflits : le ski doit-il demeurer l’offre touristique principale ?

Avec la fermeture définitive des remontées mécaniques en 2020, l’enjeu est de transformer une petite station de ski n’ayant jamais trouvé un modèle économique viable en opportunité de diversification comme alternative au « tout ski ». En 2021, l’émergence d’une nouvelle dynamique associative contribue à relancer les débats sur le devenir de Ceüse. Les crispations pro versus anti station de ski s’y déploient de nouveau, sans pour autant bloquer les débats.

Un nouveau projet porté par la communauté de communes est lancé. Il ambitionne de changer l’image de « station fantôme » de Céüse et d’y structurer une offre récréative quatre saisons (balisages d’itinéraires de randonnées à pied, en vélo, en raquettes et à ski, développement du parcours de course d’orientation…). À Ceüse se pose aujourd’hui la question de l’institutionnalisation de cette diversification spontanée et de sa valorisation pour l’économie locale.

Cécilia Claeys, Professeure de Sociologie, Université de Perpignan; Anouk Bonnemains, Géographe, Université de Lausanne et Mikaël Chambru, Maître de conférences en sciences sociales, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.