Les punks, ces pionniers des combats écologiques

Environnement

Détail de la couverture de l’album P.E.A.C.E sorti en 1984. Wikipedia

The Conversation

Les punks, ces pionniers des combats écologiques

Détail de la couverture de l’album P.E.A.C.E sorti en 1984. Wikipedia
Fabien Hein, Université de Lorraine

Formidable élan de créativité et d’énergie artistiques, le punk rock est aussi une constellation d’idées et de pratiques collectives qui forment depuis les années 1980 un puissant mouvement contestataire, notamment en matière d’écologie. Le sociologue Fabien Hein (Université de Lorraine) et l’éditeur et traducteur Dom Blake nous plongent dans ce monde en mouvement avec leur ouvrage « Écopunk », paru le 22 mars 2023 aux éditions Le Passager clandestin, et dont nous vous proposons de découvrir un extrait.


« Si les animaux pouvaient parler. Si les planètes, les arbres, les rivières, les montagnes et les océans pouvaient protester, eux aussi réclameraient l’arrêt des dégradations causées à la nature par l’avidité des êtres humains. L’instinct de conservation est le premier des instincts, mais nous avons été tellement bernés, désinformés, sous-instruits et, en définitive, roulés dans la farine que même des parents bienveillants enseignent, sans en avoir conscience, l’autodestruction et la destruction de la planète à leurs enfants dès le plus jeune âge.

A priori, on pourrait s’attendre à ce que le monde aille vers davantage d’intelligence et de délicatesse. Qu’il réponde aux besoins de la population et résolve les problèmes sociaux. Mais il semblerait que les détenteurs du pouvoir aient choisi de prendre exactement le chemin inverse, générant ainsi toujours plus de faim, d’exploitation, de racisme et de pollution sous l’égide de régimes militarisés à tendance dictatoriale. »

Cette déclaration accompagne la parution, en 1984, d’une compilation de titres joués par 55 groupes punks de divers pays, parmi lesquelles Crass, Dead Kennedys, MDC, Reagan Youth, Conflict ou encore Negazione. Le projet avait été initié en 1982 par le label indépendant du groupe étatsunien MDC, R Radical Records, en association avec le tout nouveau Maximumrocknroll, futur fanzine de référence pour l’ensemble de la scène punk anglo-saxonne.

Le groupe Crass sur scène
Le groupe Crass en concert à Cleator Moor (Grande-Bretagne) en 1984. De gauche à droite : Pete Wright (guitare basse), Steve Ignorant (chanteur), N.A. Palmer (guitare). Trunt/Wikipedia, CC BY-NC-ND

L’album s’intitule P.E.A.C.E./War, l’acronyme PEACE déclinant les principes fondamentaux qui animent ces formations de la scène punk : « peace, energy, action, cooperation, evolution ».

Le texte exprime une préoccupation caractéristique de la scène punk des années 1980 : celle de ne pas dissocier les problèmes environnementaux de l’ensemble des logiques économiques, sociales et politiques qui président à leur manifestation. La destruction de la planète est la conséquence d’une organisation sociale, voire d’une idéologie, qui induit un rapport prédateur au monde et qui passe par le consentement tacite de ceux-là mêmes qui devraient le combattre.

Le texte laisse aussi affleurer deux thèmes écologiques de prédilection de la scène punk de l’époque : le respect impératif du vivant, d’une part ; l’appel à une coexistence pacifiée et sensible avec la nature en général, d’autre part. De fait, par la prise de conscience que le système d’oppression qu’ils dénoncent est aussi un système d’exploitation intensive de la nature, les punks entrent en écologie.

Ils le font en se joignant massivement aux organisations qui, dès les années 1970, organisent la lutte pour la défense des animaux, et ce combat est indissociable d’une éthique impliquant l’adoption d’un régime alimentaire et d’un mode de vie idoines. Mais les punks sont aussi très tôt inquiets de la propension de l’humanité à remettre son destin entre les mains d’une technique devenue hors de contrôle. Leur prise de position contre le nucléaire en est la première expression, mais elle s’étend rapidement à d’autres formes d’exploitation technique et industrielle de la nature et aux multiples infrastructures sur lesquelles elles s’appuient.

Contre la société de l’automobile, en particulier, ils se font les chantres d’un rapport à l’espace privilégiant la lenteur et l’énergie du corps, en défendant collectivement l’usage de mode de transports non technologiques ou, pour emprunter à Ivan Illich l’un de ses concepts phares, « conviviaux ».

Souvent lucides et fort documentés, dotés parfois d’une vision tragique de l’existence, ces punks entrevoient le surgissement d’une rupture écologique majeure. Inquiets de la dégradation de l’environnement, informés de la fragilité des équilibres naturels, hostiles à tout anthropocentrisme, et peu à peu sensibilisés à la beauté de la nature, ils se posent dans un premier temps, comme leur contemporain le philosophe Günther Anders, en « semeurs de panique », afin de « faire comprendre aux hommes qu’ils doivent s’inquiéter et qu’ils doivent ouvertement proclamer leur peur légitime ».

Couverture de l’ouvrage Écopunk
Paru en mars 2023. Éditions Le Passager clandestin, CC BY-NC-ND

Mais leur action ne se résume pas au rôle de lanceurs d’alerte, si efficaces que soient en ce domaine les modes d’expression artistique qui sont les leurs. Ils appuient aussi massivement certaines formes organisées de résistance écologique, et contribuent, en entraînant avec eux une bonne part de la jeunesse révoltée de leur temps, à leur visibilité et, bien souvent, à la consécration des causes qu’elles défendent. Quitte à contribuer, parfois, à la dispersion de ces forces subversives dans le tamis de la culture dominante.

Fabien Hein, Maître de conférences en sociologie, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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