Sports de plein air : comment verdir les compétitions dédiées aux sportifs amateurs ?
Matthieu Quidu, Université Claude Bernard Lyon 1; Brice Favier-Ambrosini, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et Guillaume Dietsch, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)À quelques mois des Jeux olympiques de Paris, la question de l’empreinte carbone des compétitions sportives se pose, notamment pour les grands événements de pleine nature.
Mais elle ne concerne pas que les fédérations professionnelles. Avec le retour des beaux jours, c’est une question que les sportifs amateurs aussi sont amenés à se poser.
Des modèles alternatifs sont justement en pleine émergence, davantage orientés vers la sobriété. Sans viser un inventaire exhaustif, nous en livrons ci-dessous un bref tour d’horizon, en nous intéressant spécifiquement aux développements actuels autour du trail.
Des événements moins impactants pour l’environnement
C’est d’abord grâce à un cahier des charges engagé dans la lutte contre la dégradation environnementale que certaines organisations entendent agir. Nous pouvons ici mentionner la marque « écotrail international », qui propose un « circuit de trail-running écoresponsable », utilisant notamment les sentiers naturels qui composent encore certaines zones urbaines.
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Le premier enjeu consiste à s’appuyer sur les acteurs locaux du territoire afin de le (re)découvrir, dans une optique d’éco-responsabilité, d’équité, de solidarité, d’accessibilité et de convivialité, tout en incitant fortement :
à l’utilisation des transports durables,
à la réhabilitation du patrimoine local et naturel,
aux circuits alimentaires courts, avec des ravitaillements composés de produits locaux et de saison, tandis que le surplus est redistribué aux associations locales.
Selon la même logique, on peut également citer l’association Ploggathon : sports events for the planet. Pour rappel, le « plogging » est une activité consistant à ramasser un maximum de déchets durant des sorties de course en environnement naturel.
L’association propose une aide à l’écoconception d’événements outdoor du « monde de demain » afin de « minimiser leur impact environnemental au cours de la préparation et du déroulement ». Concrètement, il s’agit de « réduire au strict minimum la consommation d’énergie fossile et de ne pas créer nous-mêmes des déchets ».
Dans le cadre d’une « économie de fonctionnalité, préférant l’usage à la possession », l’association veille à réutiliser un maximum de matériaux déjà existants, à privilégier les mobilités douces, les transports en commun et le covoiturage, à promouvoir des programmes de plantation d’arbres fruitiers ou encore à donner une seconde vie aux déchets ramassés.
Vers des courses à taille humaine ?
Une autre tendance réside dans la création de courses à des échelles plus restreintes. Celles-ci ont fait l’objet des travaux de thèse de Simon Lancelevé, qui étudie notamment la Chartreuse Terminorum, organisée depuis 2017 en Isère. Sa particularité réside dans le très faible nombre de finishers – 2 % seulement, incluant quatre premières éditions sans finisher – mais aussi d’inscrits, seulement 40 sportifs chaque année.
Selon le sociologue, c’est l’incertitude du format qui attire les participants. En effet, les prétendants ignorent s’ils ou elles seront autorisés à participer : il n’existe pas d’inscription payante, mais une énigme à résoudre et une quasi-lettre de motivation à adresser aux organisateurs.
Parmi ces candidats, seul un tiers pourra effectivement participer à la course. Ils ou elles ne connaissent pas non plus à l’avance le lieu et l’heure exacts du départ et ne découvriront qu’au dernier moment la « boucle secrète », à effectuer cinq fois dans chaque sens. La course devra de plus être effectuée en autonomie, en remplissant des énigmes et en arrachant des pages de livres cachés.
Simon Lancelevé insiste sur son caractère non seulement atypique mais aussi radical, voire « hors normes », en même temps que sur sa valeur subversive sous la forme d’une « résistante en acte ». En effet, la Terminorum « renverse bon nombre de codes dominants de l’ultra-trail dont le coût substantiel d’inscription, des sélections drastiques, des aides à la navigation, les taux élevés de finishers ».
C’est également l’aspect communautaire et relationnel qui est mis en avant dans ces courses à taille humaine, par opposition à la dimension souvent impersonnelle – pour ne pas dire anonyme – des événements sportifs de masse. Une critique du modèle dominant de l’ultra-trail qui est partagée aussi bien par les organisateurs ou organisatrices que par les coureurs ou coureuses, pour la majorité très ancrés dans le milieu montagnard et ayant participé à des courses prestigieuses vis-à-vis desquelles ils ou elles ont développé un regard très distancié.
Un deuxième format qu’étudie également Simon Lancelevé s’inscrit dans les courses dites « backyard ». Développées à partir de 2011 aux États-Unis, aujourd’hui organisées également en France, elles consistent à reproduire toutes les heures, et le plus de fois possible, une boucle peu technique de 6,7 km. Tout dépassement de la barrière horaire conduit à l’élimination du participant. La course s’arrête dès qu’il ne reste plus qu’un seul protagoniste en lice, qui est déclaré vainqueur.
Ces courses « backyard » se caractérisent tout à la fois par une volonté de rusticité récusant toute aide « artificielle » (bâtons, musique, accompagnateur), de confidentialité (200 à 300 participants inscrits par le bouche-à-oreille) et de convivialité (en favorisant l’entraide entre participant·e·s qui sont, davantage que dans les courses dites « classiques », des locaux).
Selon le sociologue, transparaît chez les organisateurs de ce type de course un certain « mythe du retour aux origines » couplé à un « désir de résistance » à l’encontre de ce qu’ils et elles jugent comme une « massification et une rationalisation d’une pratique devenue trop commerciale ».
« Nez contre fesses dans les single tracks »
Une dernière tendance significative du renouvellement des formats contemporains d’ultra-trail nous semble illustrée par les FKP (pour « Fastest Known Time », temps le plus rapide connu, en français). Il s’agit d’une course réalisée sur un mode asynchrone où les segments sont publiés en ligne et où chacun peut s’élancer lorsqu’il ou elle le souhaite.
Prédominent ici des logiques axées sur l’aventure et l'autonomie. Chacun saisit ensuite ses résultats sur une plate-forme numérique, le classement s’actualisant en temps réel à chaque nouvelle performance. Ces formats ont notamment pris de l’ampleur durant la pandémie du Covid-19, à la suite des annulations en série des courses « classiques » en présentiel synchrone.
En y participant, les élites leur ont donné une certaine visibilité, à l’instar de l’ultratrailer Matthieu Blanchard. Parmi les avantages de l’asynchronie, figure la possibilité de réduire l’impact environnemental, en comparaison d’un événement de masse surfréquenté.
Même en dehors de ces compétitions atypiques, certains sportifs vont reproduire des itinéraires équivalant à ceux des courses officielles (en reprenant la distance et le tracé), mais de manière asynchrone (c’est-à-dire en dehors du temps même de l’événement) et autonome (sans assistance ni ravitaillement).
L’enjeu consiste ici à s’éloigner de la logique massifiée du « nez contre fesses dans les single tracks » (pour reprendre l’expression évocatrice d’un coureur amateur que nous avons interrogé) au profit d’une plongée dans l’immensité de l’environnement naturel.
Les sportifs cherchent également à se placer intentionnellement dans des situations moins confortables du point de vue de la construction de l’itinéraire, tout en acceptant une part de vulnérabilité et d’incertitude, caractéristiques selon eux de la logique d’aventure. Il s’agit également de gagner en discrétion, en limitant sa visibilité et les traces laissées dans l’environnement, ce qui permet de retrouver une pratique plus « animale », « instinctive », voire « sauvage ».
Sortir d’un modèle sportif destructeur pour l’environnement
Les amateurs passionnés de sports de nature n’ont pas tous le même positionnement vis-à-vis de l’impact écologique des événements outdoor. Nous avons mené une étude sociologique auprès de sportifs et sportives se réclamant, dans leurs pratiques physiques, d’une certaine forme de minimalisme et de détachement matériel. Notamment vis-à-vis des montres connectées, du suréquipement matériel et/ou des chaussures lourdes de sport.
Animés par une volonté de simplicité, de sobriété, de rusticité voire de frugalité, ces derniers manifestent des attitudes variées vis-à-vis des courses instituées. Rares sont ceux et celles qui continuent à participer à des événements de masse. Lorsque c’est le cas, ils veillent pour la plupart à privilégier les modes de transport doux, à réduire les distances de déplacement et à créer du lien social avec les autres compétiteurs.
Certains se sont davantage éloignés des compétitions de masse, privilégiant désormais une connexion non médiée à la nature. Ils ont pu y participer par le passé, mais avec des expériences mitigées, à l’instar de ce coureur, déclarant avoir été littéralement « écœuré » et « dégoûté » par la quantité de bouteilles en plastiques et de publicité pour l’automobile sur le marathon de Paris :
« Rien que pour aller récupérer son dossard, c’était l’horreur, comme chez Ikea, on ne peut pas sortir du truc, tu es obligé de faire le tour par tous les stands ».
Les ambiances exclusivement orientées vers la performance sont également rejetées en bloc par certains sportifs minimalistes :
« sur le marathon, tu es 40 000 et les mecs, ils se comportent comme s’ils allaient gagner. “Ah non, tu vas faire quatre heures, calme-toi, quoi, c’est bon”. Désormais, je fais les petits trails dans les villages à côté. Et moi ça me va très bien. C’est cool, bonne ambiance. Tu as une petite bière à l’arrivée ».
Certains sont également échaudés par les frais élevés d’inscription et critiques face à la surenchère libérale associée. Ces sportifs tendent donc à privilégier des compétitions de moindre ampleur, moins médiatisées et plus locales, dynamisant les territoires et engagées dans une démarche écoresponsable. Celles-ci peuvent se réaliser sans chronométrage afin de privilégier le lien social et la connexion à la nature plutôt que la performance chiffrée.
Vers des pratiques sportives minimalistes ?
Quelques sportifs amateurs, plus rares, vont jusqu’à se désigner comme des « éco-aventuriers », organisant eux-mêmes leurs propres défis minimalistes réalisés dans un cadre associatif, qu’il s’agisse de battre des records de plogging ou de s’engager dans des randonnées itinérantes en bikepacking.
En plus de promouvoir une démarche écoresponsable (ramassage des déchets ou tourisme durable), il s’agit, dans le cadre de ces défis sportifs soutenables, de partager des expériences, de créer du lien social, des rencontres et des échanges. Comprendre : de transmettre, à rebours des événements massifiés considérés comme des « non-lieux » (au sens de Marc Augé), anonymes, voire impersonnels.
Chez ces amateurs, une pratique sportive résolument sobre et minimaliste revêt la signification d’un engagement politique, non pas par le discours et l’argumentation, mais par l’action et la volonté d’inspirer ou de rayonner, plus que de convaincre. Les défis sportifs sont ainsi mis au service de la préservation du vivant, qu’il s’agisse de la nature ou des humains, dans une optique inclusive.
Mais la consommation sportive ne s’arrête pas à la participation à des événements ou compétitions, que ceux-ci s’inscrivent dans le schéma compétitif de masse ou dans l’un des modèles alternatifs ici évoqués. Au-delà des expériences que l’on cherche parfois à cumuler, la consommation concerne également l’acquisition de biens matériels, qu’il s’agisse de chaussures, de dispositifs numériques, d’habits ou de vélos.
Là aussi, des modèles alternatifs mériteraient d’être pensés dans le sens de la sobriété, de l’écoresponsabilité et de la durabilité. Le minimalisme volontaire pourrait-il se généraliser (et se démocratiser) au point de devenir la future norme des sports de plein air ?
Matthieu Quidu, Maître de conférences en sociologie du sport, Université Claude Bernard Lyon 1; Brice Favier-Ambrosini, Professor, Educational sciences, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et Guillaume Dietsch, Enseignant en STAPS, Agrégé d'EPS, UFR SESS-STAPS, Université Paris-Est Créteil, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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