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Le virus se transmet par l’exposition à l’urine ou la salive de chauve-souris frugivore du genre Pteropus. Miroslav Srb/Shutterstock

Comment le virus Nipah se transmet ou non à l’homme

Le virus se transmet par l’exposition à l’urine ou la salive de chauve-souris frugivore du genre Pteropus. Miroslav Srb/Shutterstock
Julien Cappelle, Cirad

Jusqu’à 75 % létal, pas de vaccin disponible, des symptômes pouvant inclure une inflammation du cerveau… Lorsque le virus Nipah émerge dans l’actualité, comme c’est le cas aujourd’hui avec deux morts recensés la semaine dernière en Inde, dans la région du Kerala, il a de quoi légitimement effrayer.

Le caractère rare et méconnu du virus est également bien souvent mentionné. Moins ce qui peut ou non faire que ce virus, transmis par l’exposition à l’urine ou la salive de chauve-souris frugivore de du genre Pteropus, puisse ou non émerger.

En tant qu’écologue de la santé spécialiste des zoonoses, cette question fait partie de mes sujets de recherche, notamment au Cambodge, où une équipe pluridisciplinaire dont je fais partie a pu constater que des populations partageaient leur environnement avec des chauves-souris frugivores porteuses du virus Nipah sans pour autant que le virus passe chez les humains.

Alors quels sont les facteurs provoquant ou non une contamination humaine et que pouvons-nous faire pour l’éviter ?

Une corrélation avec la déforestation ?

Le virus Nipah tient son nom du village du même nom dans la région du Negeri Sembilan en Malaisie, d’où était originaire la majeure partie des victimes de la première épidémie connue, en 1999. Épidémie qui demeure aussi la plus grande à ce jour, avec près de 300 cas et plus de 100 morts.

Cette première région d’émergence du virus était, à l’époque, aussi celle d’une des industries d’élevage de porcs parmi les plus prolifiques d’Asie du Sud-Est. Or lors de cette première épidémie, c’est en passant par le porc que les humains, notamment les éleveurs, ont été contaminés. Mais le facteur déterminant de cette première contamination ne se situait pas nécessairement dans les élevages, plutôt à leur bordure, où poussaient un certain nombre d’arbres fruitiers. Des arbres qui ont attiré des chauves-souris frugivores, en quête de nourriture depuis l’émiettement du couvert forestier, leur habitat naturel, du fait de la déforestation.

Un lien a ainsi été posé entre la déforestation et l’émergence du virus : les chauves-souris qui perdent leur habitat naturel vont aller dans des zones agricoles voire dans des zones urbaines et donc se retrouver au contact des populations humaines, ce qui n’était pas le cas avant. Nous avons retrouvé cela également au Cambodge, on l’on a pu observer la résilience de l’espèce Pteropus Iylei, capable de s’adapter à la perte de biodiversité forestière en vivant dans des zones agricoles.

Ce rapprochement géographique favorise les potentielles transmissions vers les humains mais ne suffit pas à l’expliquer. Ainsi au Cambodge, aucun cas n’a été détecté dans les villages où des chauves-souris frugivores porteuses du Nipah sont présentes.

Pour qu’il y ait contamination humaine, il faut une route de transmission du virus de la chauve-souris vers les humains, et c’est notamment un certain nombre de pratiques humaines qui va provoquer cela.

Comment des pratiques agricoles se révèlent déterminantes

Depuis la première émergence du virus Nipah en Malaisie, c’est au Bangladesh que l’on constate le plus d’émergences du virus. Un des principaux facteurs explicatifs de ces foyers réguliers est à trouver dans le mode de production et de consommation de jus de palme. Au Bangladesh, la sève de palmier est récoltée en trouant le tronc des palmiers et en plaçant dessous de grands pots en terre cuite dans lesquels les chauves-souris peuvent venir boire le jus pendant la nuit. Le matin venu, une personne peut ainsi se retrouver à boire du jus frais sans savoir que celui-ci a été contaminé par des chauves-souris qui ont pu, par exemple, uriner dedans, et c’est comme cela que peut advenir une contamination humaine.

La façon de récolter le jus de palme peut se révéler déterminante pour la transmission ou non du virus Nipah. Ici un récipient ouvert au Bangladesh. TanmoyBiswas/Shutterstock

Au Cambodge, où l’on n’a pas vu de cas de Nipah émerger parmi les humains, la méthode de collecte du jus de palme est différente. On ne collecte pas la sève des palmiers mais du nectar : les fleurs sont pressées dans de petits conteneurs en bambou ou plastique et c’est beaucoup plus difficile pour les chauves-souris d’y avoir accès. Une différence qui pourrait expliquer l’absence d’émergence.

Un virus qui se transmet encore difficilement d’homme à homme

Concernant le Kerala, les routes de transmission sont encore difficiles à tracer, notamment car lors des dernières émergences du virus, une seule personne était à l’origine de toutes ces contaminations qui touchaient principalement les proches ou le personnel soignant présent autour de ce patient zéro. Or, lorsqu’une seule personne est à l’origine du passage du virus chez l’homme, il demeure très compliqué de savoir si c’est suite par exemple à une consommation de jus de palme ou si c’est via un autre contact avec des chauves-souris frugivores.

Pour l’instant, les foyers indiens et bangladais ont pu être rapidement maîtrisés, du fait de chaînes de transmission inter-humaines limitées et rapidement interrompues avec l’établissement de quarantaines et le traçage des cas contacts. Une tâche plutôt facile lorsqu’il s’agit du virus Nipah, car celui-ci se transmet encore laborieusement d’homme à homme. Là où le Covid peut se transmettre de manière asymptomatique et via des contacts peu rapprochés, la transmission du Nipah est connue pour nécessiter, elle, des contacts rapprochés et engendre des symptômes graves, le plus souvent mortels.

Cependant, plus il y a de transmission vers les humains, plus le risque de voir un virus mieux adapté aux humains émerger augmente. Mais si un variant du virus Nipah évolue et devient plus transmissible aux humains, sera-t-il toujours aussi létal ? Est-ce qu’un passage par un hôte intermédiaire comme ça avait été le cas en Malaisie avec le porc serait nécessaire ? Voici des questions pour lesquelles nous n’avons pour l’instant pas de réponse.

Que faire ou ne pas faire pour mieux maîtriser le virus Nipah ?

Face à la dangerosité potentielle du virus Nipah, il pourrait paraître tentant de se dire que la meilleure chose à faire est de faire partir les colonies de chauves-souris frugivores qui s’implantent à proximité de populations humaines. Cependant, une telle logique se révèle souvent dangereuse et contre-productive, comme le montrent par exemple les tentatives de contrôle de la population de blaireaux responsables des cas de tuberculose bovine en Grande-Bretagne : les campagnes d’abattage mis en place avaient alors surtout provoqué la fuite des blaireaux hors des zones d’abattage et donc la prolifération du virus, puis leur retour, une fois les campagnes d’abattage terminées.

Si cette logique est poussée à l’extrême avec par exemple une hypothétique extermination systématique de la population de chauve-souris d’autres problèmes surgiraient. Outre les inquiétudes éthiques que provoquerait un tel projet, cela mettrait également en péril les activités humaines et les écosystèmes qui bénéficient grandement de la présence des chauves-souris frugivores, pour la pollinisation d’un certain nombre de plantes, et notamment de plantations cultivées par l’homme ou le transport de graines. Il en est de même pour les chauves-souris insectivores qui participent au contrôle des populations d’insectes ravageurs de cultures.

Pour mieux prévenir ce qui conduit à l’émergence du virus Nipah et mieux réagir en cas de transmission vers les humains, il faudrait établir un suivi continu de données environnementales et épidémiologiques, développer des équipes pluridisciplinaires et travailler avec les populations locales à travers des approches participatives pour co-construire des solutions adaptées au contexte socio-économique local. C’est ce que nous tachons par exemple de faire avec le projet Bcoming.

Car les expériences passées montrent qu’il n’est à la fois ni souhaitable ni efficace de tenter d’imposer des systèmes de prévention ou de surveillance aux populations si elle n’en voit pas l’intérêt. Pour la prévention du virus Nipah, une solution simple et peu coûteuse serait de fixer des jupes de protection en bambous autour des pots de collecte, empêchant ainsi la contamination par les chauves-souris. Mais cette solution ne sera adoptée et déployée à grande échelle uniquement si les collecteurs eux-mêmes sont convaincus de son intérêt. Un travail important de dialogue sciences - société reste donc à faire pour mettre en place des solutions de prévention efficaces qui permettront de diminuer durablement les risques d’émergence de maladies zoonotiques.

Julien Cappelle, Écologue de la Santé, Cirad

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Un plat écoresponsable proposé par le restaurant l'Aiguillage à Grenoble : panais entier confit au citron, polenta crémeuse au tofu fumé, condiments d'herbes poivrées et mizuna. Pascale Cholette, Fourni par l'auteur

Les restaurants écoresponsables par le menu

Un plat écoresponsable proposé par le restaurant l'Aiguillage à Grenoble : panais entier confit au citron, polenta crémeuse au tofu fumé, condiments d'herbes poivrées et mizuna. Pascale Cholette, Fourni par l'auteur
Nathalie Louisgrand, Grenoble École de Management (GEM)

Chaque année, en France, ce sont près de 7 milliards de repas qui sont pris au restaurant. Or, depuis quelque temps déjà, dans un contexte prégnant de crise environnementale, les Français s’interrogent sur leur alimentation : ils souhaitent davantage savoir ce qu’ils consomment et visent une restauration plus durable. Alors que débute la semaine européenne du développement durable, à quoi ressemblent les quelques centaines de restaurants écoresponsables de l’hexagone ?

Impacts environnementaux et sociétaux

Les restaurateurs écoresponsables ont repensé leur façon de travailler afin de l’inscrire dans une démarche beaucoup plus durable. Ainsi, au niveau environnemental, l’accent est essentiellement mis sur la réduction de l’empreinte carbone avec l’utilisation de produits locaux, si possible biologiques et de saison ; l’offre de plats végétaux, la limitation du gaspillage alimentaire ; la réduction, le tri et le recyclage des déchets ; la réduction de la consommation d’eau ; l’utilisation d’emballages durables ; l’offre de doggy bags ; le don des produits non consommés à des associations.

Elodie (à gauche), la cheffe du restaurant l’Aiguillage à Grenoble, et l’ensemble de son équipe. Pascale Cholette, Fourni par l'auteur

Ces actions sont importantes dans un pays où le gaspillage alimentaire et les pertes en général atteignent 10 millions de tonnes de produits par an. Il s’agit d’un immense gâchis de ressources naturelles (terres arables et eau) mais aussi une production inutile de gaz à effet de serre (3 % des émissions nationales selon l’ADEME). Or, la restauration est l’un des secteurs les plus impactés par le problème du gaspillage tout particulièrement en ce qui concerne les produits non consommés et la gestion des déchets.

Les actions écoresponsables se jouent aussi au niveau sociétal. Ainsi, pour les restaurateurs écoengagés, il est important de former leur personnel au développement durable pour qu’il se sente impliqué et qu’il y participe pleinement. Si ces initiatives sont individuelles et encore peu nombreuses, l’espoir est placé dans les écoles de cuisine comme Ferrandi ou Lyfe Institut qui sensibilisent leurs étudiants à l’écoresponsabilité. D’autre part, mettre en avant ses engagements durables pour les restaurateurs favorise l’attractivité de l’établissement, la fidélisation des équipes et limite ainsi le turn-over dans un secteur souvent confronté à une réelle pénurie de main-d’œuvre. En effet, pour de nombreux employés et tout particulièrement les plus jeunes, l’engagement écoresponsable d’un restaurant est une garantie de trouver un établissement en phase avec ses valeurs écologiques.

L’importance grandissante des labels

Depuis quelques années, des labels sont apparus pour accompagner et valoriser les engagements et les implications des restaurateurs dans le développement durable. Ces labels sont de plus en plus nombreux avec par exemple le label FIG (Food Index for Good), le Green Food, le titre de Maître restaurateur de France, la « plastic-free certification », etc. Le label Ecotable, créé en 2019, est le premier label de restauration durable en France. Il émane de l’association du même nom. Il permet à tous les types de restaurateurs de s’engager dans l’écoresponsabilité en mesurant leur impact environnemental et en les accompagnant dans leurs démarches écologiques.

Ce label mesure la cohérence écologique des restaurants et délivre un, deux ou trois écotables en fonction de leur degré d’écoresponsabilité. Pour en obtenir un, le restaurateur doit respecter les saisons, proposer au minimum 15 % de produits issus de l’agriculture bio ou de filières agricoles durables. Pour deux écotables, on monte à 30 % de produits bio et à 50 % pour trois. Les critères de saisonnalité des produits, de tri, de valorisation des déchets, de choix de producteurs ou encore de propositions d’alternatives végétariennes font aussi partie du cahier des charges. Aujourd’hui ce sont environ 250 restaurants en France qui sont labélisés, parmi lesquels le restaurant l’Aiguillage à Grenoble, qui détient trois écotables et qui propose une cuisine saine, locale et soucieuse de l’environnement.

Le guide Michelin a lui aussi décidé, en 2020, de prendre en compte l’engagement écoresponsable des restaurants figurants dans son guide (assiettes Michelin, Bib gourmands et étoiles Michelin) en créant l’étoile verte.

Le chef isérois Christophe Aribert, au fort engagement écoresponsable, détient deux toiles rouges et une étoile verte Michelin. Studio Papi aime Mamie, Fourni par l'auteur

Pour se voir attribuer [l’étoile verte], il faut montrer un fort engagement dans une approche durable de la gastronomie, avec le respect de la terre, des saisons, des animaux, mais aussi offrir une cuisine plus verte, avec l’utilisation de produits locaux et bio, une bonne gestion des déchets ou encore de bonnes performances énergétiques. Cependant, à ce jour, seuls 90 restaurants la détiennent, parmi lesquels le chef isérois deux étoiles Christophe Aribert de la Maison Aribert. Ce chef, au très fort engagement écoresponsable, respecte entre autres « les saisons, les produits de saison, les produits locaux et les gens qui les produisent. » Il détient d’ailleurs aussi trois écotables et la « plastic-free certification ».

Greenwashing et freins financiers

Si on assiste à une prise de conscience générale des enjeux de la durabilité de l’alimentation, aussi bien par le grand public que par les professionnels, la situation n’est cependant pas encore idyllique.

En effet, on ne trouve en France que quelques centaines de restaurants écoresponsables – principalement à Paris – dans un pays qui compte environ 175 000 établissements selon l’Insee, soit environ 0,2 % des restaurants, ce qui est minime. Ensuite, les labels servant à les identifier ne sont pas toujours très clairs pour des clients qui ne savent pas forcément les reconnaître. De plus, ces labels émanent essentiellement d’initiatives privées et supposent une adhésion en contrepartie.

Même si l’engagement de la plupart des restaurateurs qui souscrivent à ces labels ne fait aucun doute, on pourrait se demander, tout comme Le Parisien, si le niveau de garantie est le même que celui qui pourrait être apporté par un référentiel officiel doté d’un cahier des charges transparent, validé par les pouvoirs publics et audité par un organisme indépendant.

D’autre part, on peut s’interroger sur une éventuelle forme de greenwashing même dans certains restaurants labellisés. S’il n’est nullement question de remettre en cause les différents labels, une étude faite dans les restaurants détenteurs de l’étoile verte a relevé des incohérences avec le modèle écoresponsable. Les enquêteurs se sont, par exemple, rendus compte que certains produits n’étaient pas locaux ou que l’impact carbone des assiettes n’était pas toujours respecté (de la viande de bœuf était parfois proposée.) Selon eux, dans ces restaurants, les produits bovins, bovidés, les crustacés, le chocolat et le café devraient être proscrits.

Un autre frein au développement des restaurants écoresponsables est d’ordre financier. En effet, de nombreux professionnels estiment que mettre en place des pratiques de développement durable dans leur restaurant par exemple une restauration bio et locale est très intéressant mais que cela coûte plus cher que d’utiliser les produits habituels. Les clients ne sont pas toujours prêts à payer plus et le risque pour le restaurant est une réduction de la rentabilité. Voilà pourquoi ils aimeraient pouvoir obtenir des aides et des subventions. D’autre part, tous les restaurants n’ont pas la place pour produire leur compost ou pour avoir plusieurs poubelles dans leur cuisine. Enfin, un restaurant milieu de gamme n’aura sans doute pas les mêmes moyens financiers, ni les mêmes retombées économiques qu’un restaurant étoilé s’il souhaite devenir écoresponsable.

Malgré l’engouement pour une alimentation durable, les restaurants écoresponsables semblent avoir du mal à se développer en France. Pour l’heure, il n’est pas si simple que cela pour les restaurateurs de s’engager dans cette démarche, d’autant plus que cette dernière coûte cher.

Nathalie Louisgrand, Enseignante-chercheuse, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Face aux épisodes de sécheresse ou d'inondations qui mettent à mal les récoltes, la forêt peut devenir nourricière IITA/Jonathan Odhong, CC BY-NC-SA

Les forêts : réserve nourricière face aux aléas climatiques

Face aux épisodes de sécheresse ou d'inondations qui mettent à mal les récoltes, la forêt peut devenir nourricière IITA/Jonathan Odhong, CC BY-NC-SA
Jessica Meyer, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Julie Lochard, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Philippe Delacote, Inrae

On ne compte plus les bienfaits des forêts : barrière contre l’érosion des sols, réserve de biodiversité, puits de carbone… À cette liste doit également être ajouté un bénéfice plus méconnu : les forêts peuvent en dernier recours nourrir des populations vulnérables, tout particulièrement celles dépendantes du secteur agricole dans les pays du Sud, qui sont très exposées aux sécheresses, inondations ou tempêtes.

Ces événements météorologiques extrêmes ont un impact direct sur les rendements agricoles, la mortalité du bétail, et la dégradation des écosystèmes. Face à ces nombreux risques, les populations rurales mettent en place un grand nombre de stratégies d’adaptation de court ou moyen terme, comme le recours au crédit, la migration et la diversification des cultures.

Fruits, racines, champignons, chasse…

Parmi ces stratégies, les forêts peuvent également faire office de filet de sécurité important. Car les forêts tropicales sont riches en produits susceptibles d’être collectés, afin d’être vendus sur les marchés locaux ou consommés directement : fruits, racines, plantes médicinales, champignons, produits de la chasse… Les possibilités de collecte sont importantes et peu corrélées aux rendements agricoles. Ainsi, un ménage dont la production agricole chute à cause d’une sécheresse pourra toujours se procurer des produits forestiers.

Cette activité a également le grand bénéfice d’être accessible à la majorité des ménages, même les plus démunis, car elle nécessite peu d’investissement et ne requiert pas de compétence particulière. Ainsi la collecte de produits forestiers est souvent décrite comme une option de dernier recours, pour les ménages ayant peu ou pas d’accès aux marchés de l’assurance et du crédit, et peu d’alternatives de gestion du risque agricole (manque d’opportunités de travail en dehors du secteur agricole, freins aux migrations…).

Au Malawi, des agriculteur attendent la pluie qui permettra d’irriguer leurs cultures. Julian Lott

350 millions de personnes dont la subsistance dépend des forêts

Au total, la Banque Mondiale estime que 350 millions de personnes dans le monde dépendent des forêts pour leur subsistance. Cependant, si cette collecte de produits forestiers peut s’avérer un bon filet de sécurité face au risque agricole, cette activité demeure trop peu productive et rentable pour devenir l’activité principale des ménages agricoles, au risque de les piéger dans un état de pauvreté permanente.

En outre, la capacité des forêts à fournir un filet de sécurité efficace dépend du niveau de pression qui s’exerce sur les ressources forestières. Une exploitation excessive des produits forestiers pourrait compromettre ce rôle des forêts, voire engendrer une dégradation des ressources.

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La compilation de diverses données

Pour évaluer l’efficacité de ce filet de sécurité que peuvent être les forêts, un article récent de Jessica Meyer analyse comment l’alimentation des ménages évolue lorsqu’un choc météorologique survient, et dans quelle mesure la présence des forêts permet de tempérer ce choc. Pour ce faire, l’analyse se base sur le cas du Malawi et combine trois ensembles de données :

Répartition des précipitations au Malawi. Moyenne des valeurs de l’indice standardisé de précipitation et d’évapotranspiration (SPEI) calculée pour chaque localité, et pour chaque vague d’enquête sur les ménages. Les valeurs positives du SPEI correspondent à des conditions locales plus humides par rapport à la moyenne des années passées, alors que les valeurs négatives du SPEI correspondent à des conditions plus sèches. Jessica Meyer, Fourni par l'auteur
Couvert forestier au Malawi. Moyenne des valeurs de la couverture forestière, exprimée en pourcentage, calculée pour chaque localité et pour chaque vague d’enquête sur les ménages. Les points rouges correspondent aux zones d’énumération utilisées par la Banque Mondiale pour collecter les données sur les ménages. Jessica Meyer, Fourni par l'auteur

Le cas du Malawi se révèle particulièrement pertinent pour examiner le rôle des forêts en tant que filet de sécurité face aux aléas météorologiques. Avec 80 % de sa population qui dépend de l’agriculture pluviale, le secteur agricole du pays, et son économie en général, sont fortement vulnérables face aux épisodes météorologiques extrêmes, tels que les sécheresses, les précipitations intenses et les inondations, qui deviennent de plus en plus fréquents.

Le Malawi : un cas particulièrement probant

Durant la période 2015-2016, le Malawi a été touché par une inondation, suivie d’une sécheresse, entraînant des pertes cumulées estimées à 700 millions de dollars selon la Banque Mondiale. En 2019, le Malawi a subi de graves inondations après le passage du cyclone Idai, et en 2023, le cyclone Freddy a provoqué des pluies torrentielles et des inondations importantes à travers le pays.

De plus, le Malawi est l’un des pays les plus pauvres au monde. Selon le FMI, 50,7 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté, et 25 % des Malawites sont caractérisés d’extrêmement pauvres. Il est également l’un des pays les plus touchés par l’insécurité alimentaire, se classant au 91ème rang sur 113 selon l’indice mondial de la sécurité alimentaire en 2022 et avec près de 18 % de la population souffrant de sous-nutrition.

Dans ce contexte de vulnérabilité climatique et économique couplé à une grande insécurité alimentaire, l’exploitation des produits forestiers peut donc s’avérer cruciale pour réduire l’exposition et la sensibilité aux risques des communautés agricoles au Malawi. Les forêts de type Miombo, qui s’étendent sur une grande partie de l’Afrique centrale et australe, renferment de surcroît une diversité de ressources telles que des fruits, des champignons, du miel, des chenilles, etc., qui peuvent offrir un filet de sécurité efficace en cas de choc.

Au Malawi, dans de nombreuses zones, l’accès aux forêts et l’utilisation des produits forestiers sont régis par le droit coutumier et les pratiques traditionnelles. Il est aussi important de souligner que les forêts ont la capacité de contribuer directement à l’atténuation des épisodes de sécheresse et d’inondation de par leur influence sur le climat.

Chocs climatiques et perte d’alimentation diversifiée

Les résultats de l’analyse ont pu montrer que les ménages qui subissent des chocs météorologiques ont une alimentation moins diversifiée : les sécheresses et excès de pluie ont des impacts négatifs sur leurs activités agricoles, ce qui réduit leurs moyens de subsistance et contraint donc la qualité de leur alimentation. Cependant, la présence de forêts à proximité tend à limiter la portée négative de ces chocs sur l’alimentation, en particulier quand il s’agit de sécheresses.

En. Jessica Meyer, Fourni par l'auteur

Face aux chocs climatiques, certains ménages demeurent cependant mieux lotis que d’autres : ceux qui possèdent du bétail peuvent reconstituer en partie leur revenu grâce à la vente de produits issus de l’élevage. Pour ces ménages, le recours aux ressources forestières est ainsi moins nécessaire.

D’autres options de gestion du risque sont également étudiées, comme la possession de biens durables (qui peuvent aussi être revendus en cas de pertes de revenus) ou le ganyu, c’est-à-dire la possibilité de travailler ponctuellement dans les champs voisins. Ici, les résultats sont moins contrastés : la présence de forêts permet de réduire l’impact négatif des chocs météorologiques sur l’alimentation, que les ménages soient en possession ou non de biens durables, qu’ils puissent avoir ou non recours au ganyu.

Des forêts nourricières mais menacées

Au total, ce travail montre l’importance des ressources forestières pour les populations rurales, en particulier dans un contexte climatique où les événements météorologiques extrêmes deviennent de plus en plus prégnants. Ainsi la préservation des forêts est nécessaire non seulement d’un point de vue global, pour la conservation du carbone et la conservation des écosystèmes et de la biodiversité, mais elle est aussi essentielle pour la résilience des populations du sud.

Les forêts au Malawi sont cependant soumises à d’importantes pressions. En 1990, la surface forestière du pays représentait 37,1 % de son territoire, alors qu’en 2020, ce chiffre était descendu à 23,8 %. La perte du couvert forestier au Malawi peut principalement être attribuée à l’expansion agricole et à la surutilisation de la biomasse, comme le bois, le charbon et les résidus agricoles utilisés notamment pour la cuisson et le chauffage. Réussir à combiner la préservation des ressources forestières tout en permettant un accès aux populations les plus vulnérables représente donc un enjeu majeur pour le pays.

Jessica Meyer, Doctorante en Sciences Économiques , Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Julie Lochard, Professeure des Universités en Économie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Philippe Delacote, Directeur de recherche en économie à l'INRAE et Chaire Economie du Climat, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Doit-on considérer qu'avoir des enfants équivaut à une surconsommation ? Piyaset/Shutterstock

À l’heure du dérèglement climatique, doit-on arrêter d’avoir des enfants ?

Doit-on considérer qu'avoir des enfants équivaut à une surconsommation ? Piyaset/Shutterstock
Martin Sticker, University of Bristol et Felix Pinkert, Universität Wien

En 2009, le statisticien Paul Murtaugh et le climatologue Michael Schlax calculaient que la naissance d’un seul enfant dans un pays à fortes émissions de gaz à effet de serre comme les États-Unis générerait autour de 10 000 tonnes de CO2 supplémentaire relâchées dans l’atmosphère. C’est-à-dire cinq fois les émissions produites par un parent moyen au cours de sa vie.

Ce chiffre est si élevé car tout enfant nouveau et susceptible d’avoir, le temps voulu lui-même des enfants, perpétuant ainsi les émissions pour de nombreuses générations à venir.

D’aucuns dressent ainsi une analogie entre la procréation et la surconsommation. Tout comme la surconsommation, la procréation est un acte par lequel vous produisez sciemment plus d’émissions de carbone qu’il n’est éthique de le faire. Suivant ce résonnement, si nous condamnons la surconsommation, alors nous devrions être cohérents et tiquer également lorsqu’il est question de procréation.

Compte tenu de l’impact potentiel sur le climat de la naissance d’un seul enfant, certains universitaires en éthique affirment qu’il existe des limites morales à ne pas dépasser lorsqu’il est question de la taille de nos familles. En règle générale, ils suggèrent de ne pas avoir plus de deux enfants par couple, voire pas plus d’un. D’autres ont même affirmé que, dans les circonstances actuelles, il serait préférable de ne pas avoir d’enfants du tout.

Ces idées ont gagné du terrain grâce aux efforts de groupes militants tels que le mouvement BirthStrike et l’organisation caritative Population Matters outre-Manche.

Les spécialistes en éthique à l’heure du dérèglement climatique s’accordent à dire que la crise actuelle est sans précédent et qu’elle nous oblige donc à repenser ce qui peut être exigé des individus d’un point de vue éthique. Mais proposer des limites à la taille des familles reste pour beaucoup problématique, et ce pour un certain nombre de raisons.

Certains chercheurs en éthique suggèrent de limiter la taille des familles. Liderina/Shutterstock

1. Cela pointe du doigt certains groupes

À cet égard, le philosophe Quill Kukla nous met en garde contre le danger de la stigmatisation. Poser une limite à la taille des familles pourrait impliquer que certains groupes, qui ont, ou sont perçus comme ayant, plus d’enfants que la moyenne, sont à blâmer pour le dérèglement climatique. Ces groupes sont généralement des minorités ethniques et des personnes défavorisées sur le plan socio-économique.

Quill Kukla s’est également inquiétée du fait que si nous commençons à parler de limiter le nombre d’enfants que nous avons, le fardeau pourrait retomber de manière disproportionnée sur les épaules des femmes. Or les femmes sont déjà l’objet de nombreuses contraintes les incitant à se conformer à l’idée que la société se fait du nombre d’enfants qu’elles devraient ou ne devraient pas avoir.

Certes, ces inquiétudes ne concernent pas directement les obligations morales réelles qui nous incombent en matière de réduction des émissions. Mais elles mettent en évidence la nature délicate du débat sur les limites éthiques de la procréation.

2. Cela pose question du point de vue de la responsabilité

C’est un problème philosophique qui remet en question la conception de la responsabilité qui sous-tend les arguments en faveur des limites à la procréation. Nous pensons généralement que les gens ne sont responsables que de ce qu’ils font eux-mêmes, et non de ce que font les autres, y compris leurs enfants adultes.

De ce point de vue, les parents pourraient avoir une certaine responsabilité dans les émissions générées par leurs enfants mineurs. Il est concevable qu’ils aient également une part de responsabilité dans les émissions que leurs enfants adultes ne peuvent pas éviter. Mais ils ne sont pas responsables des émissions superflues de leurs enfants, ni des émissions de leurs petits-enfants et des générations suivantes.

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Ainsi décomposée, l’empreinte carbone de la naissance d’un enfant est beaucoup moins importante et ne se distingue plus des autres choix de consommation. Selon une estimation qui suit cette logique, chaque parent est responsable d’environ 45 tonnes d’émissions de CO2 supplémentaires. Cela équivaut à prendre un vol transatlantique aller-retour tous les quatre ans de sa vie.

A plane departing from Manchester Airport, UK. Plane Photography/Shutterstock

3. Les effets seraient simplement trop lents

Nous sommes déjà témoins des signes d’effondrement du climat. Les glaces fondent, les océans se réchauffent et de nombreux records climatiques ont été atteints cet été.

Pour éviter l’aggravation des effets du changement climatique, les climatologues s’accordent sur le fait que nous devons d’urgence parvenir à un niveau d’émissions nettes nulles. Les objectifs les plus couramment proposés pour atteindre ce but sont d’ici 2050 ou 2070. Dans de nombreux pays, ces objectifs ont été inscrits dans la loi.

Cependant, compte tenu de la nécessité de réduire d’urgence les émissions, la limitation de la procréation est une réponse tout à fait inadéquate. En effet, les réductions d’émissions qui en résulteront ne prendront effet que sur une période beaucoup plus longue. Ce n’est tout simplement pas là qu’il faut chercher les réductions d’émissions que nous devons réaliser maintenant.

4.La voie vers le zéro net

Étant donné que la limitation de la procréation ne permet pas de réduire les émissions assez rapidement, les émissions par habitant doivent drastiquement diminuer, et vite. Mais cela ne dépend pas uniquement du pouvoir des consommateurs individuels ou des futurs parents.

Nous sommes en fait confrontés à un problème d’action collective. Car la responsabilité éthique de la réduction des émissions ne repose pas seulement sur les épaules des individus, mais aussi sur celles des sociétés, de leurs institutions et de leurs entreprises.

Et si nous parvenons collectivement à réduire nos émissions par habitant à zéro net d’ici 2050, le fait d’avoir un enfant aujourd’hui n’entraîne qu’une faible quantité d’émissions. Après 2050, les enfants et leurs descendants cesseraient d’augmenter les émissions nettes.

Cependant, malgré les engagements politiques pris pour atteindre cet objectif, on ne sait toujours pas s’il sera atteint. Plus de 1,7 trillion de dollars américains devraient être investis dans les technologies d’énergie propre au niveau mondial cette année, ce qui représente de loin la somme la plus importante jamais dépensée pour l’énergie propre en une année. Malgré cela la faisabilité d’un tel défi climatique suscite de nombreux débats.

Les arguments philosophiques suivant lesquels nous devrions avoir moins d’enfants remettent en question notre compréhension de ce que la moralité peut exiger à l’ère du dérèglement climatique. Ils remettent également en question le fait que les choix les plus significatifs que nous puissions faire en tant qu’individus soient de simples choix de consommation (par exemple, devenir végétarien). Mais le débat philosophique sur l’obligation d’avoir moins d’enfants est complexe et reste ouvert.

Martin Sticker, Lecturer in Ethics, University of Bristol et Felix Pinkert, Tenure-track Assistant Professor, Universität Wien

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.