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Le glacier Zachariæ Isstrøm en 2016. Ce dernier décharge des icebergs de plusieurs kilomètres de long dans l’océan. Romain Millan, Fourni par l'auteur

Les plates-formes de glace du Groenland, des « barrages » naturels protégeant la calotte polaire qui s’affaiblissent

Le glacier Zachariæ Isstrøm en 2016. Ce dernier décharge des icebergs de plusieurs kilomètres de long dans l’océan. Romain Millan, Fourni par l'auteur
Romain Millan, Glaciologue au CNRS, Université Grenoble Alpes (UGA); Anne Chapuis, chargée de communication CNRS, Université Grenoble Alpes (UGA) et Eliot Jager, Université Grenoble Alpes (UGA)

Les glaciers du Groenland, comme ailleurs dans le monde, perdent de la glace, principalement du fait du réchauffement climatique. La plupart des glaciers de la région ont commencé à perdre de la masse dès le début des années 1980 et 1990, et plus spécifiquement au nord-ouest et au sud-est de la calotte polaire. Contrairement à leurs voisins, les glaciers du nord du Groenland, qui possèdent assez de glace pour élever le niveau marin de plus de deux mètres, étaient restés relativement stables.

Dans cette région, les glaciers possèdent des caractéristiques uniques au Groenland : une fois arrivés au niveau de l’océan, ils se mettent à flotter et forment des plates-formes de glace de plusieurs dizaines, voire des centaines de kilomètres de long. Ces plates-formes de glace, qui sont les extensions naturelles de la calotte, agissent comme d’immenses « barrages » gelés qui régulent la quantité de glace déversée dans l’océan.

Or, ces plates-formes de glace s’amenuisent progressivement, et trois d’entre elles se sont déjà effondrées depuis le début des années 2000. Un signal inquiétant : la fragilisation de ces plates-formes pourrait menacer les glaciers du Groenland et contribuer à accélérer l’augmentation du niveau marin. C’est que nous venons de publier le 7 novembre dans Nature Communications avec des confrères danois et américains.

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Plates-formes de glace et montée des eaux

Pour décrypter l’évolution de ces glaciers, il est nécessaire de comprendre comment fonctionnent les calottes polaires. Cela peut être difficile à imaginer, mais les glaciers s’écoulent sous l’effet de leur propre poids de manière similaire à celui du miel sur une tartine. Tout d’abord, de la neige s’accumule en haut de la calotte, et se transforme petit à petit en glace. Cette masse au sommet va pousser la glace, créant un écoulement, qui va ensuite se mettre à fondre en rencontrant une atmosphère plus chaude à des altitudes plus faibles.

En arrivant sur la côte, la glace va être évacuée par plusieurs branches en suivant des vallées – les fjords – selon deux manières possibles :

  • Soit en formant de grandes falaises de glace, appelées fronts, dont des morceaux vont se détacher en icebergs.

  • Soit le glacier va former de grandes plates-formes flottantes. Dans ce dernier cas, la fonte de la glace par dessous, au contact des eaux chaudes océaniques, va venir s’ajouter à celle causée par les icebergs qui se détachent du front.

Écoulement de la calotte polaire groenlandaise, calculé à l’aide d’images satellites (animation : NASA).

Pour mesurer la santé du glacier et savoir dans quelle mesure ces phénomènes provoquent une élévation du niveau marin, les glaciologues calculent le bilan de masse. Il s’agit de la différence entre l’ensemble de la glace qui s’accumule sur la calotte, et celle qui est évacuée. L’accumulation provient de l’apport successif de couches de neige hivernale. Du côté des pertes, on retrouve plusieurs phénomènes, comme la fonte au contact de l’air ou de l’océan ou la perte sous forme d’iceberg appelé vêlage (voir schéma plus haut). Ce bilan de masse permet alors de connaître précisément la quantité de glace perdue ou gagnée sur une période et d’en déduire la contribution du glacier à l’élévation du niveau marin.

Avec le réchauffement climatique, deux phénomènes s’accentuent et viennent augmenter les pertes de la calotte du Groenland, alors que les gains restent identiques, ce qui lui fait perdre de la masse.

  • La première cause de ces pertes accrues (60 %) est due à une atmosphère plus chaude, qui augmente la fonte de surface.

  • la seconde partie (40 %) est due à l’accélération de ce mouvement des glaciers, qui provoque une augmentation du vêlage d’icebergs et de la fonte au contact de l’océan. Cet écoulement de glace peut notamment augmenter lorsque le front des glaciers se terminant dans l’océan se retire, ou lorsque les plates-formes de glace s’amincissent. Comme lorsqu’on débouche une bouteille de champagne, des contraintes sont relâchées, entraînant une accélération de la glace.

À elle seule, la calotte polaire groenlandaise a contribué à plus de 17 % de l’augmentation du niveau marin sur la période 2006-2018.

Processus complexes à l’interface air, eau et glace

Les dernières plates-formes du Groenland jouent ainsi un rôle crucial de barrage, qui stabilise la décharge de glace de la calotte. Il est donc crucial de connaître les mécanismes qui les affaiblissent pour prédire l’évolution à venir des calottes polaires, aussi bien au Nord qu’au Sud (en Antarctique, la plupart des glaciers possèdent des extensions flottantes). Mesurer ces changements est néanmoins extrêmement complexe, car ces plates-formes sont à la fois au contact des eaux océaniques et de l’atmosphère.

Coupe schématique d’une plate-forme de glace et des processus qui affectent son évolution. Eliot Jager, Fourni par l'auteur

Il faut ainsi pouvoir distinguer la fonte provenant du réchauffement de l’air de celle provenant du réchauffement de l’océan. En dehors des processus de fonte, l’affaiblissement de ces plates-formes de glace peut également se mesurer par l’ouverture de plus en plus fréquente de crevasses (endommagement), ou encore par le retrait du front de glace et du point d’ancrage des glaciers au sol (qu’on appelle ligne d’échouage).

Pour compliquer encore les choses, ces plates-formes se situent dans des endroits très isolés, presque inaccessibles et avec des conditions climatiques extrêmement difficiles. Mesurer l’ensemble de ces processus sur le terrain est donc très délicat, voire impossible dans certains cas, comme le montre la vidéo ci-dessous. Pour pallier ce problème, l’imagerie satellitaire et les modèles numériques sont des alliés clés.

Vol au-dessus du glacier de Zachariæ Isstrøm, dont la plate-forme s’est effondrée au début des années 2000. À gauche, on observe un chao d’iceberg géant se détachant de la calotte polaire (Romain Millan, Abbas Khan).

Des signes d’affaiblissement au nord du Groenland

C’est en combinant des données obtenues à partir de satellites et d’avion (comme dans la vidéo ci-dessus) que nous avons pu montrer des signes inquiétants d’affaiblissement des glaciers du nord du Groenland. En collaboration avec l’Université de Copenhague, le Service géologique national du Danemark et du Groenland, nous avons pu calculer la quantité de glace perdue par ces plates-formes, soit plus du tiers de leur volume.

En combinant ces données avec des modèles climatiques, nous avons pu reconstituer l’histoire de la fonte sous les plates-formes de glace flottantes. Il s’avère que celle-ci a augmenté drastiquement depuis les années 2000, date à partir de laquelle nous avons pu faire un suivi temporel plus fin de ce processus. En combinant ces résultats avec des observations et des reconstructions des conditions océaniques, nous avons montré une corrélation entre l’augmentation de cette fonte sous-marine et celle des températures de l’océan. Nous avons aussi pu montrer que la fonte sous-marine est responsable de 56 % des pertes de masse des plates-formes. Le vêlage (icebergs tombant des plates-formes dans l’océan) serait lui responsable de 38 % des pertes de masses, et la fonte en surface reste des 6 % restants : c’est donc un paramètre mineur dans l’amincissement.

Les chercheurs Romain Millan et Anders Bjørk instrumentent le glacier Zachariæ Isttrøm au nord de la calotte Groenlandaise pour mieux connaître son évolution, suite à l’effondrement de sa plate-forme. Anders Bjørk, Fourni par l'auteur

Quelles conséquences pour l’élévation du niveau des mers ?

Le problème, c’est que cet affaiblissement des plates-formes impacte directement les glaciers qui se situent en amont. Sur toute la période d’observation, nous avons ainsi mesuré un recul marqué des lignes d’échouage des glaciers, allant jusqu’à 8 km pour les reculs les plus forts. Les changements observés au niveau de cette frontière naturelle sont des indicateurs sensibles de la réaction du glacier au réchauffement climatique, et également utilisé comme un marqueur d’instabilité.

En mesurant l’écoulement et l’épaisseur des glaciers, nous avons aussi pu calculer la quantité de glace déversée dans l’océan en réponse à cet affaiblissement des plates-formes. Pour certains glaciers, cette décharge de glace a augmenté de plus de 25 %, rejetant ainsi encore plus de glace directement dans la mer.

Une augmentation continue des températures de l’air et de l’océan, comme il a été montré par le dernier rapport du GIEC, pourrait ainsi menacer durablement les dernières plates-formes de glace du nord du Groenland. Par exemple, le glacier Zachariæ Isstrøm, a perdu sa plate-forme flottante au début des années 2000, et nous avons ensuite observé une quantité de glace se déversant dans l’océan qui a presque doublé. Cette région pourrait alors devenir une des régions de la calotte polaire contribuant le plus à l’augmentation du niveau des mers.

Romain Millan, Glaciologue au CNRS, Glaciologue, Université Grenoble Alpes (UGA); Anne Chapuis, chargée de communication CNRS, , Université Grenoble Alpes (UGA) et Eliot Jager, , Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Graines de lentille. INRAE, Fourni par l'auteur

Les légumineuses : bonnes pour notre santé et celle de la planète

Graines de lentille. INRAE, Fourni par l'auteur
Michel Duru, Inrae et Marie-Benoît Magrini, Inrae

Haricots rouges, flageolets, lentilles, pois cassés, pois chiches… les légumineuses forment une famille de plantes aux déclinaisons aussi comestibles que multiples. Ces légumes secs dont les graines sont contenues dans des gousses n’ont cependant pas toujours la cote. Pourtant le développement de leurs cultures et de leur consommation aurait des bienfaits à la fois pour notre santé, celle des animaux, celles des écosystèmes et celles de la planète Terre. Voici comment.

Commençons par un constat : la culture et les usages des légumineuses ont fortement régressé en Europe au cours du 20ème siècle. En France, la consommation de légumes secs est passée de 7,3 à 1,4 kg/personne/an entre 1920 et 1985. Aujourd’hui, à peine un Français sur deux déclare en consommer au moins une fois dans la semaine. Les surfaces cultivées de légumineuses pour l’alimentation humaine peinent à se développer (moins de 1 % des surfaces de grandes cultures). L’intensification agricole amorcée depuis les années 1950 a globalement conduit au déclin de leur culture. De manière concomitante, notre consommation de viande a augmenté pour apporter de plus en plus de protéines.

Plus de légumineuses dans les champs

Comme elles fixent l’azote de l’air, les légumineuses ne nécessitent pas d’apport d’engrais azotés de synthèse. En rotation avec d’autres cultures, les légumineuses permettent aussi de restituer plus d’azote aux cultures suivantes que les espèces non fixatrices. Elles contribuent ainsi à améliorer la fertilité chimique et biologique du sol, ce qui permet de réduire le recours aux engrais pour les cultures suivantes.

La culture des légumineuses permet aussi d’allonger les rotations de culture, ce qui contribue à réduire l’utilisation des pesticides et facilite la gestion des mauvaises herbes. Tous ces effets vertueux au champ ont un impact également positif à l’échelle planétaire avec moins d’émissions de gaz à effet de serre (GES) du fait d’un moindre besoin en engrais azotés de synthèse. Par exemple, remplacer une culture de céréale par du pois et/ou du soja dans le cas d’une rotation de trois à cinq ans, permet de réduire de 20 % les apports d’azote de synthèse, de 80 % la formation d’ozone, de 90 % l’eutrophisation des eaux et des GES, et de 15 % l’acidification des océans.

Fleur de pois pollinisée. INRAE, Fourni par l'auteur

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Plus de légumineuses dans l’auge

Nourrir le bétail avec certaines légumineuses riches en tanins, comme le sainfoin, permet également de se passer d’antiparasitaires, de réduire ainsi les résidus de produits vétérinaires dans les écosystèmes, et donc les nuisances pour la santé humaine.

Développer la culture de légumineuses en France pour nourrir le bétail permettrait également de réduire la déforestation provenant des tourteaux de soja massivement importés en Europe pour l’alimentation des élevages, et par conséquent les externalités associées (gaz à effet de serre, érosion de la biodiversité, risque de zoonoses). Enfin, nourrir les cheptels avec des légumineuses fourragères permet de réduire les émissions de méthane du fait d’une meilleure digestibilité que les graminées.

La luzerne, une source possible d'alimentation pour le bétail. INRAE, Fourni par l'auteur

Plus de légumineuses dans l’assiette

Les légumineuses associées aux céréales ont une composition en acides aminés complémentaires qui permet de remplacer une partie des protéines animales. Les plus forts consommateurs de légumineuses sont de ce fait mieux protégés contre le risque de mortalité par infarctus et par cancer. Leur consommation régulière permet aussi de pallier notre carence en fibres et de mieux nourrir notre microbiote.

Un régime plus riche en légumineuses permet aussi de réduire fortement l’empreinte environnementale, car les protéines végétales nécessitent de 5 (porc, poulet) à 10 (viande rouge) fois moins de ressources (terre, eau, énergie) et émettent de 5 (porc, poulet) à 10 (viande rouge) fois moins de GES et d’azote.

Les lentilles, une source de protéine végétale. INRAE, Fourni par l'auteur

Pourquoi si peu de légumineuses malgré tous ces bienfaits ?

Au vu de ces nombreux bienfaits avérés, on peut se demander pourquoi on trouve si peu de légumineuses dans les champs et dans notre assiette. Une partie de la réponse à cette question se trouve justement dans la façon dont ces bienfaits sont usuellement présentés.

Pris isolément les effets positifs des légumineuses ne sont pas perçus comme suffisamment significatifs car trop diffus (réduction des émissions de GES, fertilité des sols), ou conditionnels (effet sur la santé si une consommation régulière) ou indirects (moins de déforestation pour cultiver du soja). C’est une des raisons pour lesquelles les politiques publiques n’ont jusqu’à ce jour pas permis de relancer significativement les légumineuses alors que des millions d’euros y ont été consacrés.

À l’inverse, une vision systémique permet de percevoir l’effet global des légumineuses, et de montrer qu’elles sont clefs pour la transition agricole et alimentaire. Cette approche pousse alors à construire des politiques publiques qui combinent les enjeux de l’alimentation humaine (par ex. plus de lentilles, haricots, pois chiches…), l’alimentation animale (par ex. plus de luzerne, trèfle, de féveroles, lupins…) et des écosystèmes (via ces cultures pré-citées et aussi comme plantes de services entre deux cultures de rente pour réduire les engrais et pesticides).

Penser de cette manière systémique appelle donc un changement de posture des politiques publiques dans l’anticipation et la gestion des problèmes sanitaires et environnementaux. Car c’est une mobilisation simultanée d’acteurs de domaines très différents qu’elle nécessite. Pour aller dans cette direction la première étape consiste sans doute à s’accorder sur un récit mettant en évidence ces synergies, comme cela a été proposé par un chercheur en Angleterre sur les légumineuses.

Pour cela, la construction de différents scénarios est un moyen de confronter la cohérence, l’articulation des leviers possibles pour atteindre des objectifs sanitaires et environnementaux. Cela permet de hiérarchiser les changements selon le type d’effets pour définir des politiques ciblées en termes de subventions, de normes, de lois, d’information, de recherche et développement, etc.

Une seconde étape consiste ensuite à s’approprier le récit choisi et à le décliner dans les territoires à travers, par exemple, des Plans Alimentaires Territoriaux (PAT) ; des échelles d’action qui permettent de réunir des acteurs des différents domaines tout en tenant compte des spécificités territoriales (ressources disponibles, attentes locales, etc.).

Vesces. INRAE, Fourni par l'auteur

Les légumineuses : composante clef de l’approche One health

Cette façon d’englober santé humaine, animale, environnementale correspond à ce que l’on appelle aujourd’hui l’approche One Health. Elle repose sur un principe simple : la protection de la santé de l’Homme passe par celle de l’animal et de leurs interactions avec l’environnement. Ce concept est né de l’analyse des interdépendances entre la santé animale, la santé humaine et l’environnement. Un champ d’étude qui a par exemple permis d’examiner comment les composantes de l’environnement biophysique (air, sol, eau, aliments…) sont des vecteurs d’agents infectieux et de contaminants pour les hommes et les animaux.

En élargissant les enjeux de santé à ceux des maladies chroniques et des problèmes environnementaux planétaires (comme la perte de biodiversité et le changement climatique) l’agriculture devient un vecteur essentiel d’une sécurité alimentaire préservant la santé de tous les êtres vivants. Voici comment ces interactions sont présentées par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) :

« Le principe d’une seule santé reconnaît l’interdépendance de la santé des êtres vivants, des animaux et des végétaux sauvages et domestiqués, des écosystèmes et des principes écologiques. Afin de tenir compte des limites planétaires et de leur dépassement, il repose sur une approche intégrée pour préserver la santé des êtres vivants et l’état de conservation favorable des écosystèmes. On entend par santé un état complet de bien-être des êtres vivants présents et futurs »

Dans cette approche, les filières organisant le système agricole et alimentaire sont alors à appréhender comme des vecteurs majeurs de ces interactions. Les filières contribuent à la circulation des nutriments, mais aussi de contaminants, avec des risques que les virus, bactéries, champignons ou insectes, échappent aux contrôles sanitaires, surtout pour les filières longues.

Représentation schématique de l’approche one heath avec indication des effets en cascade. des légumineuses : dans les assiettes (1), dans les champs (2), dans les auges (3) et effet feedback (en pointillé) sur la santé du système Terre. Michel Duru, Fourni par l'auteur

Autre enjeu de taille, que doit surmonter l’application de toute approche One Health : réussir à s’imposer au sein de rapports de force déjà nombreux entre des groupes de prescripteurs (médecins, vétérinaires, défenseurs de la planète, industries pharmaceutiques…) qui, ne partagent pas forcément les mêmes valeurs et objectifs. Ces acteurs n’ont pas la même représentation de la santé, ne poursuivent pas les mêmes enjeux privés, et disposent d’un accès variable aux médias pour faire entendre leurs propositions. L’enjeu est donc de repositionner leurs discours dans un cadre d’action unifié que l’approche one health permet, afin de trouver les chemins par lesquels une reconstruction du système agroalimentaire est possible.

L’approche one health permettrait ainsi de mieux définir des actions de politiques publiques pour les promouvoir. Grâce à sa vision intégrée, systémique et unifiée de la santé humaine, végétale, animale et environnementale, à des échelles locale, nationale et planétaire, cette approche offre une vue d’ensemble pour comprendre et agir face à de multiples problématiques interreliées comme : les activités humaines polluantes qui contaminent l’environnement ; la déforestation qui fait naître de nouveaux pathogènes et réduit dramatiquement la biodiversité ; les maladies animales qui frappent les élevages ; ces mêmes maladies animales finissant par être à l’origine de maladies infectieuses pour l’humain (les zoonoses)…

Aujourd’hui, des exemples d’application de l’approche one health existent pour une meilleure compréhension des problèmes de l’antibiorésistance, du risque d’émergence de zoonoses par contact entre faune sauvage et élevages domestiques, ainsi que sur l’accroissement de notre vulnérabilité à ces zoonoses. D’autres applications doivent être conduites et tout particulièrement pour penser l’accroissement des légumineuses, comme démontré ici.

Michel Duru, Directeur de recherche, UMR AGIR (Agroécologie, innovations et territoires), Inrae et Marie-Benoît Magrini, Économiste, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Voiture électrique en charge. Mike Bird / Pexels, CC BY-NC-ND

Comment réduire le risque incendie posé par les batteries lithium-ion ?

Voiture électrique en charge. Mike Bird / Pexels, CC BY-NC-ND
Apparao Rao, Clemson University; Bingan Lu, Hunan University; Mihir Parekh, Clemson University et Morteza Sabet, Clemson University

Dans notre monde peuplé d’appareils électroniques, les batteries rechargeables lithium-ion sont partout. Par rapport aux batteries au plomb, qui ont dominé le marché pendant des décennies, elles présentent plusieurs avantages, comme une charge plus rapide et une densité énergétique plus élevée à poids égal.

De quoi rendre nos gadgets électroniques et nos voitures électriques plus légers et plus durables, au prix de quelques inconvénients. Car ces batteries contiennent plus d’énergie : si elles prennent feu, elles brûlent jusqu’à ce que toute l’énergie stockée soit libérée. Sauf qu’une telle libération soudaine d’énergie peut occasionner des explosions graves, sources de dégâts matériels et humains.

En tant que scientifiques spécialistes de la production d’énergie, de son stockage, de sa conversion, ainsi que l’ingénierie automobile, nous nous intéressons de près au développement de batteries à la fois de forte densité énergétique et sûres. Or, nous voyons des signes encourageants montrant que les fabricants de batteries progressent vers la résolution de ce problème technique important.

Éviter de surcharger ses appareils est un bon moyen pour réduire le risque d’incendie des batteries lithium-ion.

Un nouveau type de risque incendie

Le transport urbain est en train de subir une transformation majeure vers l’électrification. Alors que les villes du monde entier se préoccupent de plus en plus du changement climatique et de la qualité de l’air, les véhicules électriques sont désormais sur le devant de la scène.

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Dans le même temps, les vélos et scooters électriques transforment eux aussi les transports urbains en offrant des moyens pratiques et à faible émission de carbone pour naviguer dans les rues encombrées et réduire les embouteillages. Entre 2010 et 2022, les vélos et scooters électriques partagés (ceux appartenant à des réseaux de location) ont représenté plus d’un demi-milliard de trajets dans les villes américaines. Les vélos électriques privés viennent s’ajouter à ce total : en 2021, plus de 880 000 vélos électriques ont été vendus aux États-Unis, contre 608 000 voitures et camions électriques.

Les véhicules électriques (VE) représentent une petite partie des incendies de voitures, mais il est difficile pour les pompiers de contrôler les incendies de VE. En règle générale, un incendie de VE brûle à environ 2 760 °C, alors qu’un véhicule à essence en feu brûle à 815 °C. Il faut environ 2 000 gallons d’eau – soit environ 7,5 mètres cubes d’eau – pour éteindre un véhicule à essence en feu. Dans certains cas, le contrôle d’un feu de VE peut demander 10 fois plus d’eau.

Il s’agit d’une préoccupation majeure dans les grandes villes où les véhicules électriques sont populaires. Les services d’incendie de New York et de San Francisco déclarent ainsi avoir traité plus de 660 incendies impliquant des batteries lithium-ion depuis 2019. À New York, ces incendies ont causé 12 décès et plus de 260 blessés de 2021 à début 2023. Il y a un besoin clair d’améliorer les pratiques de manipulation et de charge des batteries, ainsi que de mettre en œuvre des améliorations techniques.

Les vélos électriques sont populaires pour les services de livraison urbaine, ce qui signifie que de nombreux utilisateurs en dépendent pour leurs revenus. Lindsey Nicholson/UCG/Universal Images Group via Getty Images

Plusieurs batteries électriques par voiture électrique

Pour comprendre les incendies de batteries lithium-ion, il est important de rappeler quelques principes de base. Une batterie contient des produits chimiques qui contiennent de l’énergie, avec une séparation entre ses deux électrodes. Elle fonctionne en convertissant cette énergie chimique en électricité.

Les deux électrodes d’une batterie sont entourées d’un électrolyte, une substance qui permet à une charge électrique de circuler entre les deux bornes. Dans une batterie lithium-ion, ce sont les ions lithium qui portent la charge électrique. Lorsqu’un appareil est connecté à une batterie, des réactions chimiques se produisent aux électrodes et créent un flux d’électrons dans le circuit électrique externe qui alimente l’appareil.

Lorsqu’une batterie lithium-ion fournit de l’énergie à un appareil, les ions lithium (atomes porteurs d’une charge électrique) se déplacent de l’anode à la cathode. Les ions se déplacent en sens inverse lors de la recharge. Argonne National Laboratory/Flickr, CC BY-NC-SA

Les téléphones portables et les appareils photo numériques peuvent fonctionner avec une seule batterie, mais une voiture électrique a besoin de beaucoup plus d’énergie et de puissance. En fonction de sa conception, un véhicule électrique peut contenir des dizaines, voire des milliers de petites batteries individuelles, appelées cellules. Les cellules sont regroupées en ensembles appelés modules, qui sont à leur tour assemblés en packs. Un véhicule électrique standard contient un grand bloc-batterie avec de nombreuses cellules à l’intérieur.

Ce qui cause le départ de feu

Généralement, un incendie de batterie commence dans une seule cellule au sein d’un bloc-batterie. Une batterie peut s’enflammer pour trois raisons principales :

  • un dommage mécanique, tel qu’un écrasement ou un percement lors d’une collision entre véhicules,

  • un dommage électrique dû à un court-circuit externe ou interne,

  • ou encore une surchauffe.

Les courts-circuits des batteries peuvent être causés par une mauvaise manipulation ou par des réactions chimiques indésirables à l’intérieur de la cellule. Lorsque les batteries lithium-ion sont chargées trop rapidement, les réactions chimiques peuvent produire des aiguilles de lithium très pointues appelées dendrites sur l’anode (l’électrode avec une charge négative). Elles finissent par pénétrer le séparateur et atteindre l’autre électrode, ce qui provoque un court-circuit interne de la batterie.

De tels courts-circuits chauffent la cellule de la batterie à plus de 100 °C (212°F). La température de la batterie augmente d’abord lentement, puis d’un seul coup, atteignant sa température maximale en une seconde environ.

Un autre facteur qui rend les incendies de batteries lithium-ion difficiles à gérer est la production d’oxygène. Lorsque les oxydes métalliques de la cathode d’une batterie, ou une électrode chargée positivement sont chauffés, ils se décomposent et libèrent de l’oxygène gazeux. Les incendies ont besoin d’oxygène pour brûler, de sorte qu’une batterie capable de produire de l’oxygène peut entretenir un incendie.

En raison de la nature de l’électrolyte, une augmentation de 20 % de la température d’une batterie lithium-ion va aussi accélérer certaines réactions chimiques indésirables, ce qui va en retour dégager un excès de chaleur. Cette chaleur va faire augmenter la température de la batterie, ce qui accélère encore davantage les réactions. L’augmentation de la température de la batterie accroît le taux de réaction, créant un processus appelé emballement thermique. Lorsque ce phénomène se produit, la température d’une pile peut passer de 100 °C à 1000 °C en une seconde.

En cas d’emballement thermique, une batterie lithium-ion entre dans un état d’autoéchauffement incontrôlable qui peut conduire à un incendie ou à une explosion.

Comment limiter l’emballement thermique

Les méthodes pour assurer la sécurité des batteries peuvent se concentrer sur le suivi des conditions extérieures ou intérieures de la batterie. La protection extérieure implique en général l’utilisation de dispositifs électroniques tels que des capteurs de température et des soupapes de pression pour s’assurer que la batterie n’est pas soumise à une chaleur ou à une contrainte susceptible de provoquer un accident.

Cependant, ces mécanismes vont augmenter la taille et le poids des batteries, ce qui peut réduire les performances de l’appareil qu’elle alimente (si le véhicule doit déplacer un poids de batterie plus élevé, ndlt). De plus, ils ne sont pas toujours fiables en cas de températures ou de pressions extrêmes, comme celles produites lors d’un accident de voiture.

Les stratégies de protection interne, de leur côté, se concentrent sur l’utilisation d’équipements à sécurité intrinsèque. Cette approche permet de traiter les risques à la source.

Pour réduire l’intensité de l’emballement thermique d’une batterie, il faut une donc une combinaison d’améliorations logicielles et matérielles. Les scientifiques travaillent à la mise au point de cathodes qui libèrent moins d’oxygène lorsqu’elles se décomposent, d’électrolytes non inflammables, d’électrolytes à l’état solide qui ne s’enflamment pas et peuvent également contribuer à réduire la croissance des dendrites, et enfin de séparateurs qui peuvent résister à des températures élevées sans fondre.

Une autre solution est déjà utilisée : les systèmes de gestion des batteries, ou BMS (Battery Management System). Il s’agit d’équipements matériels et de logiciels intégrés dans les batteries qui peuvent surveiller les paramètres vitaux de la batterie, tels que l’état de charge, la pression interne et la température des cellules de la batterie.

Tout comme un médecin se base sur les symptômes d’un patient pour diagnostiquer et traiter sa maladie, les BMS peuvent diagnostiquer les problèmes au sein du bloc-batterie et prendre des décisions autonomes pour éteindre les batteries présentant des points chauds, ou pour modifier la répartition de la charge afin qu’aucune batterie individuelle ne devienne trop chaude.

La composition chimique des batteries évolue rapidement, de sorte que les conceptions les plus récentes vont demander le développement de nouveaux BMS. De nombreux producteurs de batteries forment des partenariats qui rassemblent des fabricants ayant des compétences complémentaires afin de relever ce défi.

Les utilisateurs peuvent également prendre des mesures pour maximiser la sécurité de leurs équipements, par exemple :

  • Utiliser l’équipement de charge et les prises recommandés par le fabricant, et évitez de surcharger ou de laisser un VE branché pendant la nuit.

  • Inspecter régulièrement la batterie pour détecter tout signe de dommage ou de surchauffe.

  • Garer le véhicule loin d’un environnement trop chaud ou trop froid – par exemple, garez-vous à l’ombre pendant les vagues de chaleur – pour éviter que la batterie ne subisse un stress thermique.

  • Enfin, en cas de collision ou d’accident impliquant un VE, suivez les protocoles de sécurité du fabricant et débrancher la batterie si possible afin de minimiser les risques d’incendie ou d’électrocution.

Apparao Rao, Professor of Physics, Clemson University; Bingan Lu, Associate Professor of Physics and Electronics, Hunan University; Mihir Parekh, Postdoctoral Fellow in Physics and Astronomy, Clemson University et Morteza Sabet, Research Assistant Professor of Automotive Engineering, Clemson University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Une Renault 16 garée à Nevers, 2017. La voiture écolo par définition ? crash71100/Flickr, CC BY-NC-ND

Et si l’écologie, c’était plutôt de rouler avec nos vieilles voitures ?

Une Renault 16 garée à Nevers, 2017. La voiture écolo par définition ? crash71100/Flickr, CC BY-NC-ND
Gaëtan Mangin, Université d'Artois

L’urgence écologique nous impose désormais de repenser nos mobilités, seul secteur pour lequel les émissions n’ont jamais cessé de croître. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics multiplient les directives qui enjoignent les citoyens à abandonner leurs voitures thermiques pour des véhicules électriques. En témoignent les récentes annonces du gouvernement qui entend généraliser leur possession par des subventions massives permettant à de nombreux ménages de s’équiper pour une centaine d’euros par mois.

Un certain nombre de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), qui consistent à restreindre l’accès aux véhicules qui dépassent un certain seuil d’émission de gaz polluants, ont ainsi été instaurées dans quelques métropoles : Paris, Lyon ou Grenoble par exemple. Avec la loi « climat et résilience » adoptée en 2021, l’ensemble des agglomérations de plus de 150 000 habitants seront concernées d’ici 2024.

De fait, dans ces zones, seules les voitures qui répondent à des normes écologiques très récentes (majoritairement électriques ou hybrides) seront autorisées à circuler. Nous assistons dès lors à une épuration de grande ampleur du parc automobile, qui traduit une conception pour le moins enchantée des mobilités électriques présentées comme salvatrices. Cette vision fait reposer le problème de la pollution de l’air sur les usagers de voitures qui, parce que trop anciennes, ne répondent plus aux exigences actuelles en termes d’émissions polluantes, soit celles disposant d’un moteur thermique et construites avant les années 2010.

Notre thèse de doctorat en sociologie menée entre 2017 et 2022, qui se donne pour ambition de comprendre la possession et l’usage d’une voiture de plus de 20 ans à l’époque contemporaine, révèle pourtant que les impératifs de durabilité ne sont pas étrangers à de telles mobilités. Dans la quarantaine d’entretiens réalisés, l’analyse de la presse spécialisée, mais aussi les moments plus informels de bricolage et de discussion dans des garages ou en rassemblements de passionnés d’automobiles qui ont constitué les terrains de cette thèse, il devient même possible d’entrevoir, chez certains usagers, qu’ils soient urbains ou ruraux, des engagements forts en faveur d’une certaine écologie.

Se servir de l’existant

Dans une large majorité, les propos des usagers de vieilles automobiles expriment une rhétorique du réemploi opposée à la production et la consommation de masse. Il s’agit de promouvoir une écologie priorisant l’usage d’outils fonctionnels (ou réparables) au recours à du neuf. Dans leurs discours, cette écologie du réemploi apparaît comme davantage réaliste parce qu’elle se veut plus accessible financièrement, et correspondrait à un mode de vie sobre déjà dont l’expertise existe déjà dans les catégories populaires qui la développent au quotidien.

La Clio de Chantal, 52 ans. G.Mangin, Fourni par l'auteur

Peu coûteuse à l’achat comme à l’entretien, la voiture d’occasion désuète serait aussi écologique parce que le coût écologique de sa production a déjà été assumé.

« Il n’est pas e?vident d’expliquer a? nos chers e?colos que conserver et faire rouler une “vieille” auto a? la place d’en fabriquer une neuve permet d’e?conomiser des hectolitres d’eau, des kilos d’acier, de caoutchouc et de plastique, etc. C’est tout le proble?me de ne s’en tenir qu’a? la des gaz qui sortent de l’e?chappement, pluto?t que d’analyser le cycle de vie total, de la fabrication au recyclage en passant par l’usage… » (Richard, s’exprimant dans la revue « Youngtimers » n°79)

Prendre soin, pour redéfinir ce qui est durable

Comme tout objet technique, une voiture a besoin d’être entretenue pour durer, et une vieille automobile nécessite une attention soutenue, à l’état de ses organes de sécurité notamment (plusieurs fois par an).

Aujourd’hui, un grand nombre de concessions automobiles ne sont plus équipées pour intervenir sur des véhicules dénués de systèmes de diagnostic électronique, et les mécaniciens ne sont plus formés pour intervenir sur une mécanique commercialement dépassée. Dès lors, la maintenance incombe largement aux possesseurs qui développent, aux fil de leurs interventions, un attachement à la voiture dont ils prennent soin, ainsi qu’une connaissance fine qui leur permet de croire que leur objet perdurera encore longtemps à leurs côtés.

« Moi, ma voiture, je l’entretiens ! Pour qu’elle soit belle et pouvoir continuer de rouler avec. Je voudrais l’user jusqu’à la corde, celle-là. Attends, une Golf comme ça, je fais 300 000 kilomètres avec ! Elle peut encore vivre 30 ans, ma voiture ! » (Larry, 64 ans, décorateur retraité, roule en Volkswagen Golf 3 de 1993)

Refuser une transition écologique soupçonnée de « greenwashing »

Refuser de passer à une voiture plus récente relève également d’un scepticisme assumé envers les intentions écologiques des constructeurs. La voiture contemporaine, surtout lorsqu’elle est électrique, est soupçonnée d’être bien plus polluante qu’il n’y paraît, notamment par sa production qui nécessite l’extraction de métaux précieux tels que le lithium ou le cobalt.

La 205 de Mickaël, mécanicien, 22 ans. G.Mangin, Fourni par l'auteur

Ses équipements électroniques et numériques font eux aussi l’objet de méfiance quant à la planification de leur obsolescence. C’est, là aussi, la logique de remplacement précoce qui est critiquée, et avec elle la stratégie consistant à rendre chaque modèle rapidement obsolète en le remplaçant par un autre ou en en proposant une version restylisée.

« Par leur fiabilité, elles se retrouvent plus vite à la casse qu’une voiture ancienne. Elles ont pas vocation à durer, non… le but, c’est de consommer ! Avant, on faisait des voitures robustes ! La Saab 900, c’est de la voiture robuste. Pourquoi ? Parce qu’on n’était pas dans cette démarche-là, de consommation ! » (Yannis, 40 ans, Chef d’entreprise, roule en Saab 900 de 1985)

Rompre avec la frénésie pour rouler « moins mais mieux »

Si on les compare aux voitures récentes, les voitures de plus de 15 ans sont moins confortables et moins sécurisées, ce qui requière une attention plus soutenue de la part du conducteur qui devra davantage faire preuve d’observation et d’anticipation.

Elles sont aussi plus exigeantes à conduire, ce qui sollicite davantage ses cinq sens. Par exemple, elles ne bénéficient pas de régulateurs de vitesse, d’aide au freinage d’urgence, ni même parfois de direction assistée, ce qui complique particulièrement les manœuvres. Parce qu’elles se trouvent à l’opposé des impératifs d’efficacité, de telles voitures deviennent l’outil idéal pour tenir à distance un sentiment d’accélération qui caractérise notre époque, en s’immergeant dans des mobilités « douces » car convoquant un imaginaire du voyage, empreint de lenteur et de contemplation.

« Mes parents, ils sont là-dedans. Ils gagnent du temps, ils ont le petit boîtier pour passer au péage et puis tout est prélevé sur leur compte… Moi, je trouve ça effrayant ! C’est effrayant ! T’as l’impression que c’est simple, mais au final, ça va encore plus vite ! » (Lucas, 22 ans, étudiant en philosophie reconverti en charpentier traditionnel, roule en Renault 4 de 1982)

Tenir à distance… l’automobilisme !

Plus encore que des marchandises et un système économique, c’est aussi tout un système de mobilité qui se trouve tenu à distance. Pour bon nombre d’usagers en effet, faire persister la centralité de la voiture dans l’aménagement du territoire et dans les mobilités quotidiennes, ce serait manquer d’ambition face aux enjeux écologiques contemporains.

Ainsi, nombre d’usagers de vieilles voitures plaident pour une refonte ambitieuse du système de mobilité qui ferait la part belle aux mobilités alternatives, et qui prendrait notamment au sérieux la bicyclette en tant que moyen de transport efficace. Aussi, tous affirment qu’ils se passeraient de voiture au quotidien si cela leur était possible.

« Moi, je suis pas nostalgique. Je pense que cette socie?te? d’avant, celle de la conque?te, on se trompait. Elle a oublie? la finitude des choses, comme je pense qu’aujourd’hui on oublie qu’il y a des perspectives ! La perspective c’est le ve?lo par exemple […] Avec le ve?lo, on va dans des endroits ou? la voiture ne va plus, on s’affranchit des embouteillages, voila?. On peut se projeter de nouveau ! » (Fabrice, 47 ans, enseignant-chercheur, roule avec plusieurs Citroën des années 1970 à 2000)

La composante d’un mode de vie sobre

Rouler en vieille voiture, c’est donc pour certains une manière de vivre ses mobilités de façon plus sobre, en privilégiant la qualité (du trajet, de l’objet…) à une forme d’abondance.

« Je trouve qu’on a e?te? trop loin sur certaines choses, qu’on va trop loin par rapport a? la plane?te aussi, la pollution, tout c?a. Je veux pas rentrer la?-dedans, enfin je veux plus. Un de mes re?ves, ce serait d’e?tre autonome au niveau e?nerge?tique. Donc il y a, dans ma de?marche, quelque chose d’e?colo… Oui, e?colo ! On peut dire e?colo. » (Bruno, 56 ans, éducateur spécialisé, roule en Renault 4 de 1986).

Cette éthique de la sobriété se trouve bien souvent au fondement d’un mode de vie plus frugal, et suppose une posture réflexive quant à nos actions et leurs conséquences. Si convertir tout un chacun à la « vieille voiture » ne peut représenter un projet de transition écologique, le rapport de tels usagers à leurs mobilités nous invite toutefois à ne plus prendre la route à la légère. Il exhorte, au contraire, à questionner la banalité de notre recours à la voiture pour penser un automobilisme plus éclairé.

Gaëtan Mangin, ATER en sociologie, Université d'Artois

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.