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Rappel de la vitesse maximale de 90 km/h sur la route départementale 907, commune de Bost dans l'Allier, en 2015. La limite de vitesse un temps rabaissée à 80 km/h refait débat en 2022. Tabl/trai/Wikimedia, CC BY-NC-ND

Retour au 90 km/h : tout ça pour ça ?

Rappel de la vitesse maximale de 90 km/h sur la route départementale 907, commune de Bost dans l'Allier, en 2015. La limite de vitesse un temps rabaissée à 80 km/h refait débat en 2022. Tabl/trai/Wikimedia, CC BY-NC-ND
Fabrice Hamelin, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Avec les grands chassés-croisés de l’été, la sécurité routière retrouve une actualité médiatique. Après la discussion rouverte en juillet sur la sanction des petits excès de vitesse inférieurs à 5 km/h, le mois d’août réintroduit la question de la fin de la limitation des vitesses à 80 km/h sur les routes départementales.

De nouveaux départements rétablissent en effet une limite de vitesse à 90 km/h sur leurs routes, à l’exemple du Puy-de-Dôme, de l’Ardèche ou bientôt de l’Yonne.

L’assouplissement de la règle s’opère dans le cadre de la Loi d’Orientation des Mobilités du 26 décembre 2019, qui permet de déroger à l’abaissement à 80 km/h décidé il y a quatre ans. L’autorité détentrice du pouvoir de police de la circulation peut fixer, pour les sections de routes hors agglomération relevant de sa compétence, une vitesse maximale autorisée supérieure de 10 km/h à celle prévue par le Code de la route. Le Président du conseil départemental, le maire ou le Président de l’établissement public de coopération intercommunale peuvent le faire sur la base d’une étude d’accidentalité et après avis de la commission départementale de la sécurité routière.

La « sagesse » des exécutifs départementaux

En juin 2019, au lendemain du renoncement du Premier ministre, Edouard Philippe, quarante-huit Présidents de département se disent favorables au retour à 90 km/h. Mais, début 2020, 17 départements ont effectivement rétabli le 90 km/h sur certaines de leurs routes. Moins de 15 000 km de routes sur 400 000 sont alors repassées à 90 km/h. Parmi ceux qui renoncent, figurent quelques hérauts du combat mené contre l’abaissement des vitesses autorisés. Le Tarn, qui avait voté le retour à 90 km/h sur 600 km de voies dès juin 2019, recule. Dans la Nièvre, le cahier des charges et les règles de sécurisation routière sont jugées trop coûteuses. D’autres présidents invoquent explicitement des motifs de sécurité routière, à l’exemple de la Loire-Atlantique.

Bien entendu, la crise Covid et le confinement ont créé une nouvelle conjoncture. Des départements, qui s’apprêtaient à relever les limitations de vitesse, diffèrent la mise en œuvre. Fin juin 2021, la possibilité de relèvement a été utilisée dans 37 départements et, mi-2022, dans quarante-cinq. Il s’agit de la moitié des départements métropolitains pour 50 000 kms de voiries.

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D’un département à l’autre, les situations sont contrastées. Plusieurs de ceux qui ont saisi l’opportunité offerte l’on fait sur l’ensemble du réseau départemental (Corrèze, Cantal, Ardèche bientôt), d’autres sur les axes les plus structurants (Charente et Haute-Marne). Mais, globalement, le kilométrage de voies repassées à 90 km/h reste faible. Il se situe le plus souvent entre 5 et 20 % de l’ensemble du réseau départemental.

Ce sont néanmoins les voies qui accueillent le plus de trafic et qui relient les communes les plus importantes des départements. En Haute-Marne, 476 kms repassés à 90 km/h accueillent plus de 85 % du trafic.

Les « stratégies » et le calendrier diffèrent, mais n’était-ce pas ce que les élus des territoires demandaient dès le début de la controverse ? Dans la presse quotidienne, ces logiques du « cas par cas » sont justifiée par le « bon sens », « la responsabilité » des élus, les « demandes des usagers » etc.

Pendant plusieurs mois, la « responsabilité » juridique du décideur semble freiner le retour au 90 km/h. Sa responsabilité pénale pourrait être engagée, en cas d’accident sur une route passée de 80 à 90 km/h.

Mais ce sont surtout les « conditions techniques », établies dans les recommandations des experts du CNSR, dès juillet 2019, qui rendent la dérogation compliquée. Les tronçons de relèvement de la vitesse doivent faire au moins dix kilomètres de long, être dépourvus d’arrêts de transport en commun, de croisements ou de fréquentation par les engins agricoles…

Le retour du politique

Dans les justifications du retour à 90 km/h, l’objectif de sécurité routière semble secondaire. Les élus départementaux et leurs représentants au Parlement ont fini par imposer l’idée du « parisianisme » de la mesure, vu dans l’allongement des temps de trajet, la perte de compétitivité économique et d’attractivité de leurs territoires. Ils ont rappelé l’absence de solutions de substitution à la voiture et dénoncé les promesses non tenues de l’État, auquel ils attribuent la dégradation des infrastructures routières.

Ils insistent sur les spécificités de leurs territoires et particulièrement en zones rurales. Enfin, leurs messages au gouvernement ont peu changé depuis le début de la contestation : « les départements ne sont pas que des poseurs de goudron », « nous connaissons nos routes », « ce n’est pas un combat politique mais un combat pour la ruralité » !

La dimension politique du combat mené est explicite. Les grands élus des territoires demandent au gouvernement de respecter les prérogatives des exécutifs départementaux. La décentralisation fait que 98 % du linéaire routier relève des collectivités territoriales et que ce réseau accueille plus de 75 % des kilomètres parcourus. Pour certains, le combat est devenu plus personnel. Ils y ont investi leur crédibilité politique et leur légitimité de porte-parole des habitants. C’est le cas en Côte d’Or, en Haute-Marne ou en Seine-et-Marne. Le retour à 90 km/h reste un choix politique « conservateur ». Début 2021, 29 des 32 départements qui ont choisi le retour à 90 km/h ont une majorité de droite et de centre droit. En août 2022, 33 départements disposent d’une majorité de droite. Le choix n’est-il pas aussi partisan ?

Une expertise devenue inaudible

La prise de parole des élus n’a pas fait disparaître l’expertise, dont le rôle a été central dans la décision gouvernementale d’abaisser les vitesses. Dès juillet 2019, à la demande du gouvernement, le comité des experts du CNSR a donné des recommandations techniques pour aider les exécutifs départementaux à prendre leur décision. Sans surprise, les élus les plus engagés les dénoncent comme trop contraignantes et inadaptées aux réalités locales. Les recommandations des experts leur offrent une occasion supplémentaire de dénoncer la « duplicité » du gouvernement d’Édouard Philippe.

L’expertise intervient aussi directement dans les départements, du fait du rôle dévolu à la commission départementale de sécurité routière. Son avis est requis, mais il reste consultatif et les départements n’ont pas l’obligation de s’y conformer. En Haute-Marne, par exemple, la commission s’est déclarée opposée au retour au 90 km/h sur 14 des 15 routes proposées par l’exécutif départemental. Cela n’a en rien empêché le changement des panneaux.

Retour à 90 km/h en Côte d’Or, France 3.

Si l’intention gouvernementale est de faire émerger une décision fondée sur des données accidentologiques fiables, des élus y voient aussi une opportunité pour mettre tous les acteurs du département autour de la table. Cette étape sert à la consultation des partenaires de la sécurité routière tant réclamée au gouvernement. Elle permet même à des départements d’envisager de se doter de leurs propres outils de suivi de l’accidentalité, comme en témoignent des propositions de création d’observatoires départementaux de sécurité routière.

Bref, la démarche offre l’opportunité de remettre en cause le monopole d’expertise que détient l’appareil d’État et de mieux associer les collectivités territoriales et les acteurs privés à la formulation de la politique de sécurité routière.

Enfin, en juillet 2020, le CEREMA a rendu publique l’évaluation commandée en 2018 par le Edouard Philippe, alors Premier ministre. Dans son rapport, l’organisme d’État rappelle que la méthode d’évaluation a été décidée en concertation avec les « experts indépendants du CNSR » et soumise à l’avis d’« experts indépendants de divers pays ». L’évaluation s’avère d’ailleurs plutôt complète. Elle porte sur les vitesses pratiquées, l’accidentalité, l’acceptabilité et les effets économiques de la mesure. Cette évaluation « multi-angles » entend documenter scientifiquement la « clause de revoyure » octroyée par le gouvernement. Au regard de ce travail, tous les indicateurs semblent au vert pour le 80 km/h.

Les angles d’analyse choisis rendent cependant ces résultats politiquement peu utiles : la mobilisation contre le 80 km/h est ignorée, les résultats accidentologiques paraissent frustrants et le gain économique pour la société peu compréhensible pour les usagers et les élus. Psychologues, économètres et ingénieurs ne tiennent pas compte de l’action collective. La présentation des résultats intervient dans un contexte défavorable et à une période où les jeux sont faits. La question du 80 km/h intéresse moins et pas selon les angles choisis par les évaluateurs et le commanditaire.

Le soufflé est retombé

Le temps a apaisé les controverses et séparé les combattants. Les arènes publiques se resserrent autour de l’espace médiatique et le système d’acteurs se réduit aux seuls groupes de pressions concernés et aux autorités publiques. La coalition des opposants au 80 km/h ne mobilise plus guère au-delà des lobbies pro-vitesse, des sites et des journalistes spécialisés. Dans l’autre camp, la coalition s’est fracturée.

L’exécutif s’est mis en retrait ; le dossier n’est plus porté politiquement. La stratégie est à l’apaisement, comme en témoigne une nouvelle signature, rassembleuse et bienveillante : « Vivre, ensemble ». Elle est à l’opposé de la campagne de la LCVR lancée en septembre 2019, qui adresse aux élus, préfets et medias, des cartes départementales des accidents mortels.

Bien que relayé par la presse généraliste, le recours à la preuve scientifique a peu d’impact sur l’opinion publique et l’action des exécutifs départementaux, même lorsque la justice estime que le relèvement des vitesses est insuffisamment motivé.

Les élus sont dans l’action et non plus dans le débat. Sur les plateaux télévisés, ils sont invités pour expliquer les modalités de retour au 90 km/h dans leur territoire d’élection, de manière dépassionnée et pragmatique. Tout ça pour ça ?

Fabrice Hamelin, Enseignant-Chercheur en science politique, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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La séparation des pouvoirs exécutif et législatif est au coeur de la démocratie française. Hobbit Art / Shutterstock

Joseph : « Le pouvoir du président Macron peut-il être menacé ? »

La séparation des pouvoirs exécutif et législatif est au coeur de la démocratie française. Hobbit Art / Shutterstock
Alain Policar, Sciences Po

La Constitution française, promulguée en 1958, met en place une séparation des pouvoirs entre l’exécutif, représenté par le président et le gouvernement, et le législatif représenté par l’Assemblée nationale.

Depuis 1962, le président de la République est élu au suffrage universel direct. Il nomme le Premier ministre, c’est-à-dire le chef du gouvernement, et, avec ce dernier, l’ensemble des ministres.

La règle et l’exception

Ce pouvoir exécutif doit néanmoins, en principe, composer avec les 577 députés de l’Assemblée dont l’accord majoritaire est nécessaire pour voter les lois.

Plusieurs situations peuvent se présenter à l’issue des élections présidentielles et des élections législatives. Pour bien les comprendre, il faut insister sur les moments où ces élections ont lieu. Jusqu’en 2000, le délai entre deux élections présidentielles est de sept ans alors qu’il est de cinq ans entre deux élections législatives.

Une élection législative a donc lieu avant la fin du mandat du président. Le plus souvent, le président obtient le soutien de la majorité des députés. Néanmoins, à trois reprises (en 1986, 1993 et 1997), ce ne fut pas le cas. On se trouve alors en situation de cohabitation entre le président et le chef du gouvernement puisque ce dernier doit être issu de la majorité à l’Assemblée nationale.

Si le président conserve de nombreuses fonctions, notamment en matière de politique étrangère, le chef du gouvernement possède l’essentiel du pouvoir. Ce cas de figure ne semble pas déplaire aux électeurs, largement satisfaits du partage des pouvoirs entre différentes familles politiques.

Majorité absolue garantie…

En 2000, il a été décidé que les élections présidentielles et législatives auraient lieu tous les 5 ans, les secondes étant organisées quelques semaines après les premières. Or jusqu’en juin 2022, les électeurs ont choisi de donner au président de la République une majorité parlementaire.

Dans ce cas de figure, le président et le gouvernement n’éprouvent aucune difficulté à conduire leur politique, ne craignant pas un blocage parlementaire. Les autres courants politiques ne peuvent alors, pour combattre l’action de la majorité, que soutenir des mouvements de contestation. Ceux-ci s’expriment sous forme de grèves et de manifestations.

Soit, deuxième situation, jugée assez improbable, les élections législatives conduisent à un vote majoritairement hostile au président, comme dans les situations de cohabitation connues en 1986 et 1997 (rendues possibles, redisons-le, par le délai entre les deux types d’élections). Ce cas de figure ne s’est encore jamais produit.

… ou pas

La dernière situation possible est notre cas actuel. La famille politique du président arrive en tête aux élections législatives, mais ne dispose pas de la majorité absolue (289 députés). On parle alors de majorité relative.

Comment alors gouverner ? Une possibilité aurait été de former ce que l’on nomme un gouvernement de coalition, c’est-à-dire une alliance entre deux (ou plusieurs) partis politiques, grâce à laquelle la majorité absolue aurait été obtenue. Mais ce projet n’a pu voir le jour, chaque famille politique souhaitant conserver son autonomie par rapport à la majorité présidentielle.

Le gouvernement va donc devoir, pour faire voter les lois, parvenir à obtenir, texte par texte, une majorité. Ce ne sera pas chose aisée mais cette situation inédite redonne toute son importance à l’Assemblée nationale.

Certains s’en inquiètent parce qu’ils craignent une instabilité telle que la France pourrait ne pas être gouvernée. Cette crainte me semble infondée. Si, toutefois, mon pronostic était erroné, il faut savoir que le président de la République dispose d’un pouvoir constitutionnel : celui de dissoudre l’Assemblée, donc procéder à de nouvelles élections. Mais leur résultat pourrait ne rien changer à l’équilibre des forces politiques. Le président n’y aurait alors recours que s’il pense que les électeurs attribueront la responsabilité de l’instabilité gouvernementale à l’opposition parlementaire.


Diane Rottner, CC BY-NC-ND

Alain Policar, Chercheur associé en science politique (Cevipof), Sciences Po

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Marine Le Pen et Emmanuel Macron avant le débat de l'entre-deux tours de l'élection présidentielle, le 3 mai 2017 à Paris. Eric Feferberg / AFP, CC BY

Arnaud Mercier, Auteurs historiques The Conversation France

Pour la seconde fois dans l’histoire de la Ve République, le débat de second tour sera un match retour. Après les duels Valery Giscard d’Estaing/François Mitterrand de

et 1981, voici de nouveau
face-à-face.

Autant en 1974 et 1981, les données du débat étaient relativement similaires, autant ce jour les données vont changer. Ce changement est dû à l’échec complet de Marine Le Pen en 2017. Échec qui correspondait à une stratégie délibérée d’agressivité qui s’est avérée totalement contre-productive.

La candidate du Rassemblement national ne reproduira pas la même fatale erreur. Les enjeux du débat en seront donc modifiés, d’autant qu’Emmanuel Macron n’incarne plus la surprise mais doit désormais assumer le bilan de son quinquennat et contrebalancer la dégradation de son image.

L’échec de Marine Le Pen en 2017

Durant le débat, lors des commentaires observables sur les réseaux socionumériques on pouvait voir que même les soutiens de Marine Le Pen étaient gênés, voire désabusés par son attitude à la fois agressive et désinvolte. BFMTV évoquait la « déprime de la fachosphère ».

Elle a consacré plus de la moitié de son temps de parole à dénigrer son adversaire plutôt qu’à présenter ses propositions aux Français. Ne pas profiter d’un tel record d’audience en campagne électorale pour déplier son programme et tenter de convaincre est d’une rare incongruité. Ce que les internautes ont rapidement perçu.

Pire, elle a donné l’impression à plusieurs reprises qu’elle ne connaissait pas bien ses dossiers, son adversaire s’en amusant même et l’humiliant en lui faisant remarquer qu’elle s’était trompée de dossier lors d’un échange économique. Et puis elle n’a pas respecté son adversaire, se montrant très agressive, dès la première minute ; le diffamant en s’inquiétant de ne pas avoir à découvrir qu’il aurait un compte caché dans un paradis fiscal alors que de faux documents grossiers l’incriminant circulaient dans les réseaux de l’extrême droite américaine depuis 19h.

Le politologue Jacques Gerstlé parla d’« agressivité débridée » pour qualifier pareil comportement. Nous avions montré à l’époque qu’elle avait profané les règles du débat démocratique en ne respectant à ce point aucune des exigences fondatrices d’un dialogue entre interlocuteurs. Mais cela ne s’explique pas parce que Marine Le Pen aurait perdu ses nerfs ou aurait négligé l’exercice.

Un débat raté suite à une erreur d’appréciation tactique

Cette conduite du débat a dégradé l’image de marque de M. Le Pen et a accru l’écart des intentions de vote. Selon les sondages de l’institut Ipsos, le rapport de force était de 59-41 avant le débat et il est passé deux jours après à 63-37.

Évolution des intentions de vote au second tour de 2017. Ipsos

Le débat a donc bien servi les intérêts du candidat Macron. Et ce désastre trouve son origine dans l’application des consignes reçues par son équipe. Mediapart a révélé plus tard les documents rédigés par son conseiller Damien Philippot et sa garde rapprochée pour préparer le débat. On y lit en toutes lettres que l’attitude adoptée lors du débat était un choix tactique. On peut résumer les consternants éléments de langage formatés pour préparer cette prestation télévisée : nuire à l’image de marque d’Emmanuel Macron en se disant que le scrutin est fichu et que le seul objectif atteignable est de renforcer une abstention chez des gens subissant la pression du « front républicain » mais qui hésitent à voter Macron.

Marine Le Pen ne reproduira pas ce soir pareille erreur

Consignes préparatoires au débat par l’équipe Le Pen. Mediapart

Avec une telle tactique, la candidate du Front national avait réussi à ruiner en deux heures plusieurs années d’un long travail d’amélioration de son image, souvent résumé par le terme de dédiabolisation avec toutes les critiques que ce terme suscite, comme chez la politologue Nonna Mayer qui parle de « mythe de la dédiabolisation ».

Elle a depuis repris ce travail de longue haleine. Sa façon de présenter son intimité d’adoratrice de chats, sa volonté de modérer son langage, d’édulcorer son programme dans ses présentations orales, son insistance sur le pouvoir d’achat, son désir de se présenter comme une femme en politique soucieuse donc de se préoccuper de la vie quotidienne des Français, son appel à la fraternité entre patriotes, constituent autant de choix tactiques pour améliorer son image de marque. Grâce à sa participation à certaines émissions, aux selfies, à ses vidéos privées, elle s’est beaucoup employée au polissage de son image.

Sur les réseaux sociaux, Marine Le Pen tente d'adoucir son image. Marine Le Pen/Instagram

Marine Le Pen ne fait pas aussi peur que son père naguère, elle tenté de rompre avec certaines fractions historiques du Front national parmi les plus extrémistes.

Certains instituts de sondages au soir du premier tour ont donc projeté un écart très restreint entre les deux finalistes (52-48 voire 51-49). Même si l’écart s’élargit depuis que se multiplient les appels à un front républicain anti-Le Pen comme en 2002 et 2017, elle peut encore croire à une victoire surprise.

Elle ne se sabordera donc pas ce 20 avril 2022. On peut parier qu’elle se prépare à l’exercice avec gravité, avec sérieux, sachant qu’elle doit profiter de son temps de parole pour faire valoir son programme, pour espérer gagner en crédibilité présidentielle, et pour atténuer l’effet repoussoir qu’elle génère toujours. Mieux même, des convergences objectives existent avec l’électorat de Jean-Luc Mélenchon sur le pouvoir d’achat, certaines mesures sociales et une commune détestation du Président Macron.

Elle doit donc se faire séductrice pour s’attirer leurs bonnes grâces et les convaincre que ce qui les rassemble est plus important que ce qui les oppose, bien que le leader de la France insoumise affirme le contraire en proclamant à quatre reprises le 10 avril au soir « aucune voix ne doit aller à Marine Le Pen ». Croire en sa possible victoire l’encourage à prendre le débat au sérieux, à en faire un enjeu de conviction et non un jet de boue sur son adversaire.

L’obligation d’une autre posture pour Emmanuel Macron

Le match retour ne sera pas un mauvais remake de 2017 aussi parce que le candidat Emmanuel Macron n’est plus dans la même situation. Il sait que son matelas de voix de second tour est moins confortable qu’en 2017.

C’était ce matelas électoral de l’époque qui l’avait convaincu d’aller fêter sa victoire à la Rotonde dès le soir du premier tour, générant dès ce jour-là l’accusation d’arrogance qui allait lui coller à la peau tout son mandat. Il faut constater que l’image de ce dernier s’est dégradée en cinq années de présidence.

Quasi-inconnu en début de campagne en 2017, bénéficiant dans l’opinion d’une certaine bienveillance ou d’une suspension de jugement faute de certitudes sur le personnage, incarnant alors une possible rupture contestataire, il en va tout autrement en 2022. Les petites phrases blessantes contre les Français accumulées durant sa présidence, sa réaction au mouvement des « gilets jaunes » et sa gestion controversée de la dimension sanitaire de la pandémie ont abouti à ce qu’un bloc non négligeable de Français affirme détester Emmanuel Macron, l’assimilant à un « dictateur », à un « éborgneur de manifestants », à un « président des riches », à « un diviseur des Français »…

Des manifestants appellent désormais à un front anti-Macron. Sur Twitter un #ToutSaufMacron connaît du succès.

Les sondages ne prédisent donc plus une victoire éclatante à plus de 60 % des voix pour le candidat Macron. Et même si l’image de marque de Marine Le Pen reste bien plus controversée que celle de son adversaire, une comparaison de quelques items testés par l’IFOP en avril 2017 et avril 2022 montre que les écarts se resserrent là aussi.

Resserrement des écarts d’image négative entre E. Macron & M. Le Pen. auteur

Le Président sortant sera forcément en posture défensive

Emmanuel Macron se doit donc de convaincre pour ce second tour. On a bien vu d’ailleurs qu’il a été sur le terrain constamment depuis le 11 avril, là où il esquivait la campagne électorale de premier tour au nom de la situation internationale (qui n’a pourtant pas changé depuis).

Le débat participe de cette entreprise où il doit essayer de ne pas seulement profiter d’un réflexe de vote dit républicain, mais emporter un réel soutien. Il devra à cet égard ne pas lui laisser le point quand elle se présentera comme défendant les plus défavorisés contre celui qui n’incarnerait que les gens aisés qui vivent bien. Il se doit aussi de faire oublier les griefs qu’il a générés par ces petites phrases blessantes que Marine Le Pen ne manquera pas de rappeler aux téléspectateurs.

Terrain qu’il s’est déjà employé à déminer en faisant plusieurs fois acte de contrition, comme sur le plateau de TF1 le 15 décembre dernier. Toute morgue vis-à-vis de sa rivale lui semble donc interdite.

Le sortant, qui va donc se faire pilonner sur son bilan, aura cette fois à trouver le point d’équilibre entre une attitude offensive montrant qu’il est bien l’ennemi de l’extrême droite, mais sans tomber dans des travers qui alimenteraient encore l’image de mépris ou d’agressivité dont ses adversaires l’affublent.

Il doit aussi gérer les apparentes contradictions de discours. L’équipe Macron cherche ainsi ces derniers jours à rediaboliser Marine Le Pen quand Gérald Darmanin la considérait pourtant

au sujet de la laïcité, le 11 février 2021, par exemple.

Le débat télévisé ne sert pas à rien

Extrait de notre chapitre du livre : Histoire d’une révolution électorale (2015-2018), Classiques-Garnier, 2019. Arnaud Mercier

Même si Jacques Gerstlé rappelle très bien que les débats confortent plutôt les électeurs dans leur choix, la séquence électorale de 2016-2017 a vu les débats télévisés jouer un rôle non négligeable et même décisif sur le vote. Certaines attitudes ou propos peuvent notamment (re)mobiliser les abstentionnistes et les hésitants, dans un sens ou un autre.

L’enjeu de ce débat n’est donc pas nul pour Emmanuel Macron car rappelons ce constat très simple : en 2017, le naufrage du débat a coûté 4 points à Marine Le Pen. Un mouvement symétriquement inverse ce soir ferait rentrer le résultat du scrutin dans les marges d’incertitude.

Ce débat est placé sous les auspices peu engageantes d’un vote de rejet contre rejet. Chaque candidat aura plus de deux heures pour tenter de faire adhérer à son projet les hésitants et les résignés votant par dépit. Le but ultime est que le vainqueur ne le soit pas que par défaut, obérant ainsi son mandat, en commençant par la dynamique électorale de confirmation des élections législatives.

Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse (Université Paris-Panthéon-Assas), Auteurs historiques The Conversation France

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Mathias Bernard, Université Clermont Auvergne (UCA)

Les résultats du premier tour des élections présidentielles de 2022 confirment, à première vue, les rapports de forces issus du précédent scrutin. Emmanuel Macron (LREM) et Marine Le Pen (RN) sont, comme en 2017, qualifiés pour le second tour – dans le même ordre qu’il y a cinq ans. Le même duel aura donc lieu au cours de deux élections présidentielles successives : cela n’est arrivé qu’une seule fois en France, avec Valéry Giscard d’Estaing (RPR) contre François Mitterrand (PS), qui a vu la victoire du premier en 1974 et du second en 1981.

Cette stabilité est en grande partie liée à la notoriété des principaux candidats, déjà présents il y a cinq ans. Ces candidats ont su fidéliser un socle électoral auquel se sont agrégés, au cours des dernières semaines, des électeurs qui ont fait prévaloir un vote utile, de préférence à un vote d’adhésion.

Des votes utiles

Emmanuel Macron progresse de près de quatre points par rapport à 2017, alors même qu’il a, au cours de son quinquennat puis lors de sa campagne présidentielle, abandonné la position d’équilibre entre droite et gauche qui avait assuré son succès initial pour adopter un discours qui le situe clairement au centre-droit.

Cette évolution lui a aliéné une fraction de ses électeurs venus de la gauche, mais a permis d’attirer une partie plus importante des électeurs du centre et de la droite – le très faible score de la candidate LR Valérie Pécresse (4,7 %) en témoigne.

Marine Le Pen enregistre une progression presque comparable et obtient un score jamais atteint par le FN puis le RN à une élection présidentielle. Elle aussi a bénéficié d’un vote utile et a ainsi pu largement surclasser la candidature d’Éric Zemmour qui, après avoir menacé son leadership à l’extrême droite, a finalement parachevé sa stratégie de dédiabolisation engagée il y a dix ans : en occupant le créneau de la droite identitaire, le candidat de Reconquête a permis à Marine Le Pen de davantage investir les thématiques sociales qui ont favorisé sa progression au sein de l’électorat populaire. Tout comme Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon obtient, pour sa troisième tentative depuis 2012, son meilleur score à une élection présidentielle, bénéficiant lui aussi du soutien in extremis d’un électorat de la gauche modérée soucieux avant tout d’éviter un second tour opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen.

Une tripolarisation du champ politique français

Cette dynamique de vote utile, qui s’est enclenchée à peine un mois avant le scrutin, semble amplifier la restructuration du champ politique français autour de trois grands pôles, qui ont brutalement émergé au cours de l’élection de 2017.

Un pôle libéral, centriste et européen qui rassemble, à chaque élection nationale, un peu plus d’un quart des électeurs mais qui, grâce à la mécanique du scrutin majoritaire, parvient jusqu’à présent à dominer la vie politique. Un pôle populiste et identitaire, aujourd’hui dominé par Marine Le Pen et représenté par deux candidats dont le score cumulé (plus de 30 %) constitue un record historique pour l’extrême droite identitaire et populiste à une élection nationale en France : c’est donc ce pôle qui enregistre la plus forte progression au cours des cinq dernières années.

Et enfin un pôle de gauche radicale, dominé par La France insoumise, et qui, si l’on intègre les résultats des candidats communistes et trotskistes, rassemble un peu moins de 25 % des voix. Cette tripolarisation conduit à marginaliser les deux forces politiques qui, depuis les années 1970, structuraient la vie politique française.

Le déclin des partis traditionnels : un air de déjà vu

Avec moins de 2 % des voix, le Parti socialiste confirme un déclin qui, en 2017, pouvait apparaître comme simplement conjoncturel. Son évolution rappelle aujourd’hui celle du Parti radical au début de la V? République : ce parti qui avait dominé la gauche avait alors été victime de la bipolarisation du paysage politique enclenchée par De Gaulle et n’avait survécu que grâce à un important réseau d’élus, surtout présent (comme celui du PS aujourd’hui) dans le sud-ouest de la France.

Le déclin de la droite traditionnelle est l’un des autres faits marquants de cette élection, puisque la candidate du parti Les Républicains a divisé par quatre le score réalisé il y a cinq ans par son prédécesseur. Ce résultat prolonge l’échec enregistré par LR lors des européennes de 2019 et souligne l’étroitesse de l’espace politique désormais occupé par ce parti, coincé entre le centre-droit macronien et l’extrême droite populiste de Marine Le Pen.

Des évolutions importantes depuis 2017

Il faut donc se garder de voir dans les résultats de ce premier tour une répétition de l’élection de 2017. La stabilité apparente des rapports de forces masquent des évolutions importantes. La droitisation du paysage politique se poursuit. Elle se manifeste par l’irruption de la nouvelle droite identitaire d’Éric Zemmour, le repositionnement de l’offre politique proposée par Emmanuel Macron et la faible progression de Jean-Luc Mélenchon, qui ne compense pas l’affaiblissement du PS.

Les populismes continuent également leur progression, autour d’un discours qui, en cinq ans et sous l’effet d’un certain nombre de mouvements sociaux (les gilets jaunes notamment), s’est radicalisé : plus que jamais, la coupure entre peuple et élite se manifeste dans les urnes. Cette progression du populisme fragilise Emmanuel Macron, dont la position est moins favorable que ce qu’elle peut laisser paraître de prime abord.

Le président sortant obtient des scores comparables à certains de ses prédécesseurs qui n’ont pas été réélus pour un second mandat : Valéry Giscard d’Estaing en 1981 (28 % des voix), Nicolas Sarkozy en 2012 (27 % des voix). Il ne peut par ailleurs capter la volonté de changement qui avait en grande partie expliqué sa victoire il y a cinq ans. La campagne de l’entre-deux-tours mettra ainsi en jeu deux projets antagonistes, deux visions de la société mais aussi une tension entre le « dégagisme », hostile au président sortant, et l’appel au barrage contre l’extrême droite, qu’ont lancé une majorité de candidats battus au premier tour.

Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)

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