Le Vote « jeune » existe-t-il ?

Politique
The Conversation Tom Chevalier, Université de Rennes 1

Pendant longtemps, la jeunesse a plutôt eu tendance à voter plus à gauche que le reste de la population. Bien que cette inclinaison pour la gauche soit désormais moins claire que par le passé, davantage de jeunes de 18-24 ans ont voté pour François Hollande (28 %) que pour Nicolas Sarkozy (23 %) au premier tour de l’élection présidentielle de 2012. En 2017, ils ont voté principalement pour Jean-Luc Mélenchon (28 %), puis pour Marine Le Pen (23 %), et Emmanuel Macron (22 %).

Il ne faut toutefois pas oublier que ces données sont celles des votes : or le taux d’abstention des jeunes est particulièrement élevé, puisqu’au premier tour de l’élection de 2017, l’abstention des 18-24 ans s’élevait à 27,8 %, et même à 31,6 % pour les 25-29 ans, contre 19,4 % dans la population générale. De plus, leur entrée dans l’âge adulte s’accompagne d’un « moratoire politique » qui fait que les préférences partisanes ne sont pas encore figées et peuvent bouger, d’un candidat à l’autre, d’une élection à l’autre.

Qu’en est-il aujourd’hui ? L’ordre reste sensiblement le même, mais les écarts se sont encore resserrés, en tout cas dans les intentions de vote : 24 % des 18-24 ans déclarent qu’ils iront voter pour Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, contre 23 % pour Le Pen, et 21 % pour Macron. Leur vote dépendra néanmoins finalement à la fois de leur participation électorale effective le jour du scrutin, et de la volatilité potentielle de leur vote d’un candidat ou d’une candidate à l’autre.

Un vote fragmenté

La plupart des candidates et candidats se sont positionnés sur les enjeux de jeunesse en proposant des mesures afin de promouvoir leur autonomie ou lutter contre leur précarité. S’agit-il donc d’un clivage structurant le système partisan ? Autrement dit, s’agit-il de se positionner sur l’enjeu jeunesse afin d’attirer l’électorat jeune ? Il semble plutôt que non, pour plusieurs raisons.

Premièrement, le vote des jeunes n’est pas clairement dirigé vers un camp, comme les intentions de vote récentes le montrent. Celui-ci est fragmenté, à l’instar des trajectoires juvéniles, qui demeurent inégalitaires, comme nous l’avons rappelé dans un ouvrage collectif avec Patricia Loncle, ou comme l’a écrit Camille Peugny.

Deuxièmement, si les jeunes se détachent des autres tranches d’âge dans leur rapport au politique et leurs préférences, cela débouche surtout sur un décalage entre leur demande (leurs préférences politiques) et l’offre (les positionnements des différents partis) disponible. Par exemple, les jeunes sont particulièrement sensibles aux enjeux d’environnement, très peu présents jusqu’ici dans la campagne électorale, ce qui ne permet pas de les mobiliser pleinement. Un décalage qui pourrait expliquer leurs niveaux élevés de défiance et d’abstention (voir notamment l’ouvrage collectif récent) de Laurent Lardeux et Vincent Tiberj.

Troisièmement, s’il existe un clivage potentiel, celui-ci a plus de chance de renvoyer à un clivage entre générations à propos des valeurs « culturelles » (c’est-à-dire les enjeux identitaires ou liés à l’environnement notamment), dans la mesure où les différences générationnelles en matière économique et sociale restent faibles : les travaux de Vincent Tiberj montrent bien que les nouvelles générations se sentent davantage concernées par les enjeux liés à l’environnement, tout en étant plus tolérants sur les enjeux liés à l’immigration ou l’égalité femmes-hommes.

Or ces valeurs culturelles n’intègrent pas l’enjeu « jeunesse » tel qu’il est mobilisé dans le débat public. Lorsque les candidates et candidats abordent cet enjeu, c’est pour améliorer les conditions de vie des jeunes (en se positionnant par exemple sur l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans, ou sur les aides aux étudiants) : cela renvoie donc davantage à un mécanisme lié aux intérêts plus qu’aux valeurs, et donc à la dimension « économique » de la compétition partisane – celle précisément qui ne mobilise pas ou peu les jeunes.

Un enjeu « symbolique »

Comment alors comprendre la référence fréquente à la jeunesse dans le débat politique ? D’un point de vue électoral, les jeunes ne constituent pas une clientèle payante : non seulement ils sont démographiquement moins nombreux que les tranches d’âge plus âgées, mais ils votent moins souvent et de façon plus volatile. Bref, l’intérêt de miser sur cette partie de la population en vue d’une victoire finale est limité du point de vue des candidats. De plus, s’ils voulaient malgré tout maximiser leur vote chez les jeunes, il faudrait en réalité plutôt miser sur l’invocation des enjeux culturels (environnement, égalité femmes-hommes, lutte contre le racisme, etc.) qui les mobilisent davantage.

En réalité, la jeunesse est moins à comprendre comme la partie prenante d’un clivage que comme un enjeu « symbolique » de la compétition partisane. Patricia Loncle a en effet montré dans quelle mesure la catégorie « jeunesse » était hautement symbolique dans le sens où elle permet de parler, non des enjeux de jeunesse, mais d’autre chose (l’État, la Nation, la citoyenneté, le futur, etc.), et non pas pour s’adresser aux jeunes mais à leurs parents et grands-parents – ceux qui votent.

Prenons l’exemple de l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans. En 2020, les 18-24 ans sont en faveur de cette ouverture à hauteur de 69 %, contre 55 % pour les 35-49 ans, et 41 % pour les 65 ans et plus. Si l’âge était un clivage, les partis se distinguant en termes de vote jeune (Mélenchon, Le Pen et Macron) seraient incités à proposer cette ouverture. Or parmi ces trois candidats, seul Mélenchon propose dans son programme l’équivalent d’une telle ouverture : pourquoi ? Parce que le positionnement politique joue davantage : plus les individus se situent à gauche, et plus ils sont en faveur de cette ouverture du RSA (voir Figure).

L’ouverture du RSA aux jeunes est moins vue comme une mesure jeunesse que comme une extension des droits sociaux en général, puisqu’il s’agit avant tout d’une catégorie « symbolique » qui ici permet de parler d’État-providence. C’est la raison pour laquelle Macron et Le Pen n’ont pas intégré de mesures équivalentes dans leurs programmes respectifs, malgré un fort électorat jeune, alors que dans le même temps pratiquement tous les candidats de gauche ont proposé une forme de revenu pour les jeunes (Roussel, Hidalgo, ou Jadot par exemple).


Cet article est publié dans le cadre du partenariat avec le site Poliverse.fr

Tom Chevalier, Chargé de recherche CNRS au laboratoire Arènes, Université de Rennes 1

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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