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Ces écrans qui retardent le coucher des enfants et adolescents

Ella Louis, Université Savoie Mont Blanc

« Je me connecte à YouTube et, même si je ne les regarde pas, je laisse les vidéos défiler en fond, et je reste comme ça, et j’attends. Je peux pas me coucher sans avoir écouté un youtubeur ou une série, ou quelque chose comme ça », nous dit un adolescent de 16 ans, pour qui les écrans agissent comme un bruit de fond pour accompagner l’endormissement. Selon une étude de 2018, il serait loin d’être le seul à agir ainsi : l’utilisation des écrans en soirée, au coucher – et parfois même pendant la nuit – est fréquente chez les jeunes, ce qui a des effets sur leur sommeil.

Lors du passage entre l’enfance et l’adolescence, il existe des modifications du sommeil qui peuvent s’expliquer par des raisons biologiques mais aussi par des raisons environnementales. En effet, les habitudes en soirée évoluent : devenant plus indépendants de leurs parents, les adolescents adoptent de nouvelles routines, entre devoirs et écrans, qui peuvent retarder l’heure du coucher.

En 2001, des auteurs observaient déjà des couchers d’1h à 3 h plus tardifs à l’adolescence qu’à la pré-adolescence, associés à une difficulté à se lever tôt le matin. D’après une étude de 2012, de nombreux adolescents se couchent tard en semaine puis se lèvent tôt pour l’école, de fait, ils accumulent une dette de sommeil qu’ils vont essayer de rattraper le week-end avec des temps de sommeil plus longs.

Veillées familiales

Dans une étude menée auprès de 31 familles et leurs enfants de 8 à 19 ans, financée par la fondation VINCI Autoroutes, nous avons constaté une moyenne de 7h49 de sommeil chez les enfants de 8 à 11 ans, alors que l’American Academy of Sleep Medicine recommande 9h à 12h pour cette tranche d’âge.

Et nous avons constaté une moyenne de 7h08 de sommeil pour les plus grands, (14-19 ans), bien que l’AASM recommande 8h à 10 h de sommeil pour ce public. 43 % des adolescents de 12 à 18 ans dorment moins de 7h en semaine.

Les habitudes en soirée évoluent également : parmi les plus jeunes, il y a davantage de moments partagés en famille, notamment autour de la télévision, ou bien des temps de jeux ou de lecture. Avec le temps, les activités ont tendance à devenir de plus en plus individuelles et se centrent davantage autour des écrans. Une mère décrit bien ce changement qu’elle constate chez son adolescente :

« On est un garde-manger, c’est-à-dire qu’elle vit au self, elle mange, elle part se coucher, faire sa toilette, etc., mais elle ne s’endort pas beaucoup plus tôt que les autres, elle est dans son lit et regarde ses réseaux sociaux, des séries, YouTube […] Les programmes que nous regardons nous ne l’intéressent pas. »

Au fil des années, les jeunes vont davantage investir leur chambre et leur téléphone et les moments partagés en famille en soirée, s’il en reste, seront présents principalement le week-end et généralement autour d’un film.

Certains sont toutefois demandeurs de ces temps en semaine afin de pouvoir veiller davantage : « en fait, si on ne regarde pas de film ou qu’on ne fait pas de jeux de société en famille, ils vont nous dire d’aller nous coucher », reconnaît un des participants. La télévision serait alors un médiateur permettant le partage d’un moment en famille et en parallèle, un coucher plus tardif.

La télévision en bruit de fond

Peu importe l’âge, les écrans sont présents en soirée chez la plupart des participants, mais pour les plus jeunes c’est presque exclusivement en famille, autour de la télévision et plutôt le week-end. Parmi les plus âgés, l’usage est plus individuel, principalement centré autour de la console ou du téléphone, et tant la semaine que le week-end. De nouvelles activités telles que l’usage du téléphone, les devoirs, les révisions, ou un travail se substituent alors aux moments en famille, à la lecture ou aux jeux que peuvent adopter les plus jeunes.

Ainsi, la télévision semble être encore investie au fil des années, mais davantage pour l’usage de jeux vidéos ou le visionnage d’un film. Certains parents rappellent que la programmation à la télévision est plus tardive qu’à leur époque, et, de fait, ne constitue plus un repère pour l’heure du coucher en semaine.

Hormis les écrans, la majorité des jeunes pratique un loisir, sport ou activité culturelle, au moins un soir par semaine, ce qui peut d’ailleurs modifier les habitudes en soirée (repas, temps d’écrans, temps en famille, heure de coucher). Contrairement à ce que l’on peut penser, certains utilisent les écrans par ennui ou solitude, et il semblerait alors que la télévision peut servir dans ces moments de « bruit de fond » pour pallier au vide, comme le raconte Imane, 11 ans :

« Ça arrive que je sois toute seule les mercredis et lundi matin parce que maman et mon frère commencent tôt […]. J’allume la télé pour avoir du son. Je joue un peu à mon téléphone ou soit j’ai eu un autre jeu pour mon anniversaire ou je fais des bracelets. »

Ainsi, la télévision semble souvent être utilisée soit comme un objet transitionnel (vers le sommeil par exemple), soit pour combler un vide, ou bien pour permettre de veiller plus tardivement en famille, plutôt que par un réel intérêt pour les programmes proposés.

Ella Louis, Doctorante au Laboratoire Inter-universitaire de Psychologie, Université Savoie Mont Blanc

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Bien-être des enseignants : après la pandémie, une éclaircie ? Tout dépend du pays

Marie-Noël Vercambre-Jacquot, Fondation d'entreprise pour la santé publique

Au printemps 2020, la pandémie Covid-19 heurtait violemment les systèmes éducatifs partout dans le monde. S’en sont suivis des mois d’alternance de confinements et de déconfinements, accompagnés de protocoles sanitaires plus ou moins stricts dans les écoles.

En 2021, la première édition du Baromètre international de la santé et du bien-être des personnels de l’éducation (I-BEST) avait objectivé l’épuisement des enseignants, notamment en France, en Belgique et au Québec.

Deux ans plus tard, en 2023, alors que la pandémie est passée au second plan des préoccupations, la deuxième édition du Baromètre offre une nouvelle photo de la situation dans ces trois territoires. Comment le ressenti des enseignants y a-t-il évolué en deux ans ?

Suivre le bien-être des personnels de l’éducation dans le temps et l’espace

Le Baromètre I-BEST est un dispositif de recueil de données statistiques permettant d’avoir une vision actualisée des conditions de travail et du ressenti des personnels de l’éducation au niveau des territoires. L’objectif est d’identifier des priorités d’amélioration au plus près du terrain, dans une finalité de promotion de la santé des personnels de ce secteur, pilier de la société.

Cette enquête internationale a été mise en place en 2021 par le Réseau Éducation et Solidarité et la Fondation d’entreprise pour la santé publique, avec l’appui de l’Internationale de l’Éducation et la Chaire Unesco « ÉducationS et Santé ». Diffusée le plus largement possible auprès des personnels de l’éducation par des partenaires locaux, elle inclut une centaine de questions sur les conditions de travail, le ressenti professionnel, le bien-être et la santé, ainsi qu’un focus sur une thématique d’actualité.

La première édition d’I-BEST a eu lieu au printemps 2021 dans six pays ou régions à travers le monde : plus de 8 000 enseignants y avaient participé. La deuxième édition, entre février et juin 2023, a concerné non seulement les enseignants, mais aussi les personnels de soutien à l’enseignement : direction, administration, animation pédagogique… Cette fois, un peu plus de 26 000 personnels de l’éducation (des enseignants, pour la très grande majorité) ont participé, issus de onze territoires repartis sur quatre continents.

La France, la Belgique francophone (simplement désignée « Belgique » dans la suite) et le Québec ont participé aux deux éditions d’I-BEST. Le nombre d’enseignants qui ont répondu au questionnaire a été respectivement en 2021 et 2023 : en France, 3 646 et 9 595 ; en Belgique, 1 268 et 937 ; au Québec : 2 349 et 1 751.

Parmi la centaine de questions du baromètre, une vingtaine d’indicateurs clés sur le travail et le bien-être ont été sélectionnés, par exemple la proportion d’enseignants ayant été victimes de violence au travail dans les 12 derniers mois, ou encore, la part des personnels qualifiant leur santé positivement.

Santé au travail des enseignants : une évolution contrastée

En France, tous les indicateurs étudiés restent stables ou évoluent dans le bon sens (Figure 1). En particulier, l’information parait mieux circuler d’un point de vue hiérarchique (+9 points), l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle s’améliore (+7 points) et les enseignants se déclarent plus enclin à choisir de nouveau leur métier si c’était à refaire (+10 points). Cependant, et alors que les niveaux des indicateurs étaient pour la plupart très préoccupants en 2021, nombre d’indicateurs restent encore largement perfectibles en valeur absolue en 2023.

En Belgique, en parallèle d’une banalisation de la violence (+10 points), d’un allongement des temps de trajets et d’une intensification des sources de stress au travail, les indicateurs de bien-être se dégradent tant généralement (-10 points de bien-être estimé et -4 points de santé perçue) que sur le plan psychologique (+5 points de symptomatologie dépressive) ou en termes de satisfaction professionnelle (-13 points). Cette dynamique globalement péjorative positionne le ressenti des enseignants de Belgique à des niveaux proches de ceux de la France, sauf en matière de formation, évolution de carrière et salaire où les chiffres restent meilleurs (Figure 1 et Figure 5).

Au Québec, si le ressenti s’améliore nettement vis-à-vis du stress au travail (-14 points), le climat relationnel a tendance à se tendre, avec un taux de personnels victimes de violence dans les 12 derniers mois qui bondit de 14 points pour s’établir à 41 %, et une satisfaction vis-à-vis de la valorisation par la direction et du travail en équipe qui diminue respectivement de 5 points et 7 points (Figure 1).

Lorsqu’on s’intéresse aux dynamiques par grandes catégories d’indicateurs, aucune tendance claire (unanime entre les territoires) ne se dessine en ce qui concerne le bien-être général des enseignants (Figure 2) ou plus spécifiquement leur bien-être professionnel (Figure 3) : pour ces aspects, les chiffres tendent à s’améliorer légèrement en France, à se dégrader en Belgique, alors qu’au Québec, c’est plus souvent le statu quo.

La dynamique des facteurs de stress ne suit pas non plus une règle systématique entre les territoires (Figure 4). Les facteurs investigués se renforcent en Belgique et se maintiennent ou s’atténuent au Québec (sauf pour le taux de violence au travail dans les 12 derniers mois qui bondit en Belgique mais aussi au Québec). En France, la tendance est plutôt à l’atténuation du stress par rapport à la situation observée en 2021.

En ce qui concerne les facteurs motivationnels – possibilités de formation et d’évolution professionnelle, salaire –, les évolutions sont quasi systématiquement positives dans les 3 territoires, et de fortes ampleurs (Figure 5). Ce tableau pointe vers un retour à la normale après le choc de la pandémie Covid-19 qui avait fortement désorganisé les systèmes éducatifs, y compris sur ces aspects. La première édition avait eu lieu 18 mois après le début de la pandémie, en plein cœur de crise sanitaire.

Par contraste, pour les facteurs organisationnels (circulation hiérarchique de l’information, travail en équipe, valorisation par la direction) (Figure 5), la situation apparaît relativement stable en France et en Belgique (à l’exception de la nette amélioration en France de la circulation de l’information hiérarchique), et se dégrade légèrement au Québec.

De l’importance d’actualiser les données dans un monde mouvant

I-BEST nous livre une image contrastée des évolutions 2021-2023 du bien-être professionnel et général des enseignants dans 3 territoires de l’occident francophone, pointant vers des problématiques locales spécifiques : globalement, ces deux dernières années, les indicateurs santé/travail des enseignants ont plutôt évolué favorablement en France, défavorablement en Belgique, et de manière mitigée au Québec.

Dans un monde impacté par des chocs majeurs touchant en particulier l’école – attentats terroristes, épidémies… – alors même qu’elle joue un rôle décisif d’amortisseur, il importe de suivre le moral des personnels, dans le temps et au plus près du terrain. I-BEST, par la diversité des territoires impliqués, participe à identifier de bonnes pratiques et cibler des voies d’améliorations prioritaires.


Remerciement : Nathalie Billaudeau pour les statistiques et les figures ; Nathalie Billaudeau, Pascale Lapie-Legouis, Karim Ould-Kaci, Ange-Andréa Lopoa et Morgane Richard pour la relecture de l’article. Le Réseau Éducation et Solidarité et tous ses partenaires pour la mise en œuvre et la valorisation d’I-BEST.

Marie-Noël Vercambre-Jacquot, Chercheur épidémiologiste, Fondation d'entreprise pour la santé publique

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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La classe : une forme scolaire dépassée ?

Pascal Clerc, CY Cergy Paris Université

On y passe des milliers d’heures en tant qu’élève ; on y est assis, placé, dans une ligne et une rangée. La salle de classe, ce parallélépipède de plus ou moins 10 mètres sur 6 mètres, est un lieu familier pour chacun d’entre nous.

La classe, c’est là que des enseignants enseignent et, quand tout se déroule bien, que des élèves apprennent. Elle va aussi de pair avec un enseignement (et un enseignant ou une enseignante), un groupe d’élèves et un temps dédié. D’ailleurs, on utilise le même mot pour les désigner. Dans les établissements scolaires, on « fait classe » à « une classe » dans une « salle de classe » pendant un « temps de classe » ; on peut parler de « système-classe » parce que tous ces éléments sont étroitement associés.

Les salles de classe et les établissements scolaires dans leur ensemble sont conçus et pensés pour une pédagogie dite « simultanée » qui consiste à réunir des élèves de même âge en un groupe considéré comme homogène pour transmettre à toutes et tous les mêmes données, informations, connaissances et savoirs. Jusqu’à la fin des années 1960, on y trouvait souvent une estrade, qui marquait l’autorité professorale et devait faciliter la diffusion de la parole, tout comme la surveillance des enfants ou adolescents. Aujourd’hui, cette sorte de tribune a disparu. Mais l’espace reste orienté vers le tableau, la « scène ».

Ce modèle de transmission simultané s’est imposé au cours du XIXe siècle au détriment de la méthode d’enseignement mutuel pour laquelle les âges et les niveaux étaient mélangés, et où les élèves les plus avancés épaulaient le maître.

Nouveau monde, nouvelles compétences

La méthode simultanée, au cœur de « la forme scolaire », a permis de passer d’une éducation réservée à quelques-uns à une éducation de masse. Mais le monde a changé, les attentes ont été bouleversées et de nouvelles compétences sont à acquérir « au-delà du contenu académique traditionnel » comme l’écrit l’Unesco qui, avec d’autres institutions, a rassemblé des experts pour définir les compétences du XXI? siècle.

La créativité, la pensée critique, la coopération et la communication font partie de ces principaux savoir-faire. Elles ont pour point commun de s’acquérir dans l’action, et pas à travers un cours magistral. Ainsi, coopérer s’apprend par le travail de groupe, en se confrontant aux autres, en négociant.

L’enseignement ne consiste pas seulement à transvaser des savoirs de manuels scolaires vers les cerveaux des élèves. Jean-Marc Côté, 1910/Wikimedia, CC BY-SA

Il est un autre bouleversement majeur. Pendant longtemps, le savoir a été identifié à ses détenteurs. On n’y accédait que par leur intermédiaire comme le rappelait Michel Serres dans Petite Poucette. Puis, avec le développement de l’écrit, il a été plus largement distribué tout en restant localisé en quelques « lieux » comme la bibliothèque ou la parole enseignante. Aujourd’hui, tout a explosé. Le savoir est partout et notamment dans ce smartphone que chacun tient dans sa poche ou au fond de son sac.

Les données, les informations, les connaissances et les savoirs sont déliés de la personne qui traditionnellement était censée les transmettre. Dans le monde numérique, il est accessible à tout le monde, on peut en disposer quand on veut, comme on veut, où on veut. La salle de classe ne les contient plus et les enseignants n’en sont plus les détenteurs exclusifs.

Pourtant, le système-classe est la base de l’architecture scolaire actuelle et reste l’horizon de la plupart des projets, comme on peut le voir par exemple dans le programme « Bâtir l’école de demain » du ministère de l’Éducation nationale français visant à repenser les espaces scolaires. On y trouve de multiples pistes d’action pour ouvrir les établissements sur leur environnement immédiat ou des constructions plus écologiques. Mais quand il s’agit d’envisager concrètement l’organisation spatiale des établissements, le modèle ancien, structuré autour des salles de classe, resurgit.

Réinventer la géographie scolaire

Pourquoi ce modèle du XIXe siècle continue-t-il à organiser l’école du XXIe siècle ? On peut invoquer d’abord la paresse intellectuelle, le tropisme de la reproduction, la frilosité… Nous n’avons connu que ce modèle et nous ne savons pas qu’il n’en a pas toujours été ainsi, qu’il fut un temps où apprendre se conjuguait souvent au singulier et se faisait un peu partout, aux champs ou la forge, en se frottant aux autres, à ceux qui savaient. Il n’en a pas toujours été ainsi et il pourrait en être autrement. Mais l’ancienneté de la forme scolaire associée à l’organisation par classe semble une évidence. Pour les élèves, les parents et les enseignants, l’école c’est la forme scolaire.

Il faut compter aussi avec la complexité de la machinerie scolaire. L’ensemble de la structure repose sur la cohérence des quatre éléments (un espace, un moment, un groupe et une discipline scolaire), qu’on peut difficilement dissocier. Toucher à l’un, c’est bousculer les autres. Tous les chefs et cheffes d’établissement le savent. Limiter voire abandonner l’organisation spatiale en salles de classe, c’est toucher aussi au temps scolaire, aux découpages disciplinaires et aux groupes constitués d’élèves. Difficile dans ces conditions d’avancer par petites touches. Dépasser le modèle de la classe est au sens propre révolutionnaire.


Une initiative pour repenser la classe au Lycée pilote innovant international à Jaunay-Marigny (France 3 Nouvelle-Aquitaine).

La conception du métier enseignant est un autre point de blocage. Ce qui définit un enseignant ou une enseignante – surtout dans le second degré – c’est d’abord la maîtrise des savoirs académiques. Accepter que les savoirs diffusés traditionnellement par le truchement de sa voix soient disponibles partout et tout le temps n’est pas simple. Inventer une nouvelle géographie des établissements scolaires, c’est aussi interroger l’identité enseignante pour inventer un nouveau métier plus proche de l’accompagnement que de la transmission.

Enfin, la forme scolaire repose sur une logique de domination. Paolo Freire, Ivan Illich, Michel Foucault ou Jacques Rancière l’ont dénoncée depuis longtemps. Elle permet le contrôle et la surveillance. Dans un établissement scolaire, le système quadruple de la classe permet de savoir qui (les élèves comme les enseignants) est où, pour y faire quoi et à chaque moment de la journée d’école. Partir des apprentissages et de chaque individu, multiplier les parcours et les choix relève d’un processus émancipateur dont tout le monde ne veut sans doute pas.

Inventer l’école des apprentissages

L’école de la forme scolaire et du système-classe est dépassée « même si encore on ne voit qu’elle, même si on ne sait construire qu’elle », selon les mots de Michel Serres. Il faut individualiser les parcours et pour cela inventer de nouveaux espaces et de nouvelles organisations : pour apprendre seul, avec un livre ou devant un écran, pour apprendre et produire du savoir en groupe, pour apprendre en confrontant ses idées à celles des autres dans le cadre d’un débat, pour apprendre dehors, pour apprendre par les sens et le corps (debout, assis, en marche…), pour apprendre en expérimentant, en fabriquant, en démontant.

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Des enseignantes et enseignants s’y exercent depuis longtemps et se sentent à l’étroit dans le système-classe. Leurs pratiques reposent sur le travail de groupe, la pédagogie du projet, les jeux de rôle ou les débats ; ils et elles ont parfois réorganisé leur espace-classe. Ils et elles ont quelques modèles dont on pourrait s’inspirer, ceux de pédagogues qui depuis le début du XXe siècle au moins ont multiplié les propositions géo-pédagogiques.

On peut citer John Dewey et son école-laboratoire où l’on expérimente, Edmond Blanguernon qui proposait de faire la classe dehors, Maria Montessori et les enfants en mouvement, Célestin Freinet et son atelier ou encore José Pacheco qui, dans son école au Portugal,remplace les salles de classe par des « espaces de travail » où chaque élève peut avancer de manière autonome dans son projet.

Apprendre, c’est prendre en différents lieux et dans différents contextes ce qui permet de grandir. Le système-classe et la pratique qu’est l’enseignement n’en sont qu’un moyen parmi d’autres. On peut inventer une multitude d’espaces, de toutes tailles et de toutes formes pour dessiner une nouvelle géographie des établissements scolaires.

Pascal Clerc, Professeur des Universités en géographie, CY Cergy Paris Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Le brevet, futur examen d’entrée au lycée ?

Claude Lelièvre, Université Paris Cité

Lors des multiples annonces du 5 décembre pour « un choc des savoirs », le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal s’est prononcé pour une réforme profonde du brevet. Plus que de revoir la manière dont se déroule et s’organise cet examen, il s’agirait de toucher à sa nature même, c’est-à-dire de changer ses finalités et son rôle.

Aux évaluations de « compétences » converties en points, le ministre veut substituer un contrôle continu calculé à partir de la moyenne des notes obtenues dans chaque discipline. Il souhaite aussi que les épreuves terminales représentent 60 % de la note finale, au lieu de 50 % actuellement. Surtout, le diplôme du brevet devrait conditionner désormais l’accès direct au lycée. Il a déclaré :

« Les élèves en difficulté et qui n’obtiendront pas leur brevet ne feront pas leur entrée en seconde l’année suivante, mais rejoindront une classe “prépa-lycée” pour consolider leur niveau, rattraper leur retard et être mieux armés pour la suite. »

Cette obligation d’avoir le brevet pour entrer en seconde serait une nouveauté historique totale car elle n’a jamais existé jusqu’alors.

D’un brevet de capacité à un examen de fin de cycle

Le brevet n’a jamais eu la place emblématique du baccalauréat ou du certificat d’études comme le montrent son histoire assez tourmentée et ses appellations et fonctionnements plutôt instables. L’actuel Diplôme national du brevet est le résultat de cette histoire foncièrement compliquée, une histoire qui s’est davantage encore « emballée » ces dernières années au point que l’on a abouti à un montage tout à fait composite où différentes strates se juxtaposent sans véritablement se conjuguer.


Le Cannet : jour J pour le brevet des collèges (France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur, 2022).

Au XIXe siècle, le brevet est d’abord et avant tout un « brevet de capacité » qui certifie que l’on est « en capacité » de devenir maître (ou maîtresse) d’école, et plus généralement un examen qui est parfois requis (directement ou indirectement) pour être « en capacité » d’exercer certains métiers appartenant à ce que l’on appellerait maintenant la sphère des cadres intermédiaires.

En 1947, le brevet est transformé en « brevet d’études du premier cycle du second degré » (BEPC), son appellation nouvelle signant ce qu’il est devenu avant tout, à savoir un examen qui scande un cursus scolaire – celui du secondaire – désormais clairement constitué de deux « cycles ».

Bien que le BEPC soit considéré comme un examen de fin de cycle (le premier cycle du secondaire) à partir de 1947, sa détention n’a jamais été jugée nécessaire pour entrer dans le second cycle. À partir de 1978, c’est même en quelque sorte l’inverse qui a été décidé : les élèves ayant fait l’objet d’une orientation vers le second cycle de l’enseignement secondaire n’ont même pas à passer les épreuves du brevet pour l’obtenir. En 1981, le diplôme – désormais intitulé « brevet des collèges » – est attribué sans examen, au vu des seuls résultats scolaires.

Célébrer la fin de la scolarité obligatoire

En 1986, un examen écrit en mathématiques, français, histoire-géographie-éducation civique) est réintroduit par le ministre de l’Éducation Jean-Pierre Chevènement avec le triple objectif annoncé de « revaloriser le diplôme », de « motiver » davantage les élèves, et de les « préparer » à aborder des examens ultérieurement. Lors de sa première mouture, le taux de reçus ne dépasse pas 49 %. En 1988, pour l’essentiel sur cette base, est créé le « diplôme national du brevet », avec trois séries : collège, technologique et professionnelle.

Puis, à partir de 2012, « l’attestation de maîtrise des connaissances et des compétences du socle commun au palier 3 », qui correspond à la fin de la classe de troisième, est obligatoire. Le Conseil supérieur des programmes avait envisagé en 2013 de supprimer l’examen du brevet et de ne garder que la validation du socle commun, les compétences étant appréciées domaine par domaine (quatre compétences par domaine, soit une vingtaine au total).

En 2012, la DEEP (le service statistique de l’Éducation nationale) établit que 83,1 % d’une génération ont obtenu le brevet. Fin septembre 2015, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem déclare : « Nous voulons dès cette année 2015-2016 que le diplôme célèbre la fin de la scolarité obligatoire ; aussi nous créons dès cette année une cérémonie républicaine de remise des brevets […]. Je veux accorder toute son importance à ce rite de la fin de la scolarité obligatoire ».

On saisit ici nettement que dans le cadre d’une instruction obligatoire formulée comme un « socle commun de connaissances, de compétences et de culture », le « diplôme national du brevet » est perçu comme son évaluation.

Changer la nature de l’examen

Dès l’automne 2017, le nouveau ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer entend renforcer l’examen final. Avant 2017, le ministère avait privilégié la validation du socle. La plupart des élèves avaient assez de points pour avoir le brevet avant les épreuves finales. Les épreuves finales, où les notes obtenues sont le plus souvent inférieures à l’évaluation du socle n’avaient vraiment d’importance que pour les candidats les plus faibles qui étaient éliminés. Jean-Michel Blanquer prolonge la formule où il y a validation du socle plus examen classique, mais renforcé. Et il donne un poids plus lourd à certaines disciplines.

Finalement, la nouvelle logique du « socle commun de connaissances, de compétences et de culture » ne l’a pas emporté jusqu’au bout, et l’on s’est trouvé pris dans une sorte de compromis à géométrie variable où l’on ne sait pas vraiment quelle est la place de l’examen du brevet, aux modalités composites.

Le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, vient de se prononcer pour une tout autre logique, totalement inédite : le « brevet » » doit devenir de fait un examen pour entrer en seconde. Un changement de cap pour le collège, et un changement de nature pour le brevet.

Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris Cité

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.