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La compétition éloigne-t-elle les filles du sport ?

Guillaume Dietsch, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 seront les premiers totalement paritaires, accueillant autant de femmes que d’hommes parmi les athlètes participants. Toutefois, cette avancée ne peut dissimuler les inégalités qui perdurent sur le terrain, notamment dans la manière dont filles et garçons s’approprient le sport, ou dans la médiatisation des épreuves.

Les pratiques sportives sont fortement segmentées selon le sexe, avec des disciplines davantage pratiquées par les garçons – comme le football ou le judo – et des activités sportives plus fortement plébiscitées par les filles – telles que la danse ou la gymnastique. Et les parents sont une majorité à valider la division sexuée du monde sportif – l’esthétique pour les filles, la force pour les garçons – se conformant à l’idée d’un ordre naturel entre les sexes.

Les garçons font aussi davantage de sport sur le mode de la compétition. Les filles s’orientent prioritairement vers des activités plus ludiques, ou encore hygiéniques, privilégiant l’aspect « loisirs » plutôt que la compétition dans laquelle elles se trouvent tenues à distance.

La compétition sportive est le lieu privilégié de construction de la masculinité. En s’appuyant sur une vision naturaliste des performances, le sport reproduit les stéréotypes de la « supériorité » masculine et du dénigrement du féminin.

Pour faire de l’égalité une réalité sans condition, le modèle sportif traditionnel tourné principalement vers la compétition et la confrontation est invité à être repensé. Faut-il alors se rapprocher d’un autre modèle reposant sur la coopération et la mixité ?

À l’adolescence, le décrochage sportif des filles

Les filles demeurent plus nombreuses que les garçons à abandonner l’activité physique et sportive à l’adolescence. Si la pratique sportive s’est féminisée ces dernières années, elle reste plus fréquente et plus intensive chez les garçons.

L’une des causes de ce désengagement féminin réside dans les stéréotypes sexués. Les travaux en psychologie sociale mettent en évidence le poids des normes de genre sur la motivation et sur les performances des filles et des garçons dans les activités physiques et sportives. Ces préjugés contribuent à faire perdurer l’idée selon laquelle les filles seraient moins capables de réussir en sport.

Pour la jeune fille, le choix délibéré d’une activité sportive considérée comme genrée « masculine » (le rugby par exemple) relève d’une action subversive, puisque transgressant la hiérarchie supposée entre les sexes dans le champ sportif.

Égalité Filles-Garçons : les stéréotypes dans le sport (Gironde, 2019).

La famille joue un rôle central dans la construction du genre socialement différenciée des jeunes, et plus particulièrement sur le choix de leur pratique sportive. L’héritage sportif se transmettant prioritairement par le père, la question de la sensibilisation et de l’intégration des mères aux dispositifs d’activités sportives se révèle être un axe important du changement.

Les institutions sportives participent également à la socialisation du genre. Malgré les politiques de féminisation du sport (valorisation du sport féminin dans les médias, accessibilité des femmes aux postes à responsabilités dans les institutions sportives, prévention et lutte contre les violences sexuelles dans le sport), les conditions d’accès à la pratique sportive restent encore inégales.

Des espaces sportifs à (re)conquérir

Les filles sont moins attirées par la pratique compétitive car elles ont intériorisé les stéréotypes et s’autocensurent. Elle ne sont pas moins capables que les garçons, mais elles ne s’autorisent tout simplement pas à avoir les mêmes ambitions. Par conséquent, elles ne bénéficieront pas des mêmes opportunités que les garçons pour pouvoir s’entraîner et progresser dans les pratiques sportives.

Les espaces sportifs en extérieur – city stades, skateparks, aires de fitness, street workout – sont utilisés quasi exclusivement par les garçons. Le sport demeure alors un marqueur culturel dominant dans la construction de l’identité masculine. Dans ces territoires de sociabilité masculine, les filles se voient reléguées à la périphérie, tandis que les garçons occupent prioritairement l’espace central.

De même, les femmes éprouvent souvent un sentiment d’insécurité les empêchant de pouvoir se déplacer librement dans un espace public, notamment en soirée. Cette peur a une incidence notoire sur leur mobilité et leur autonomie, quels que soient leur âge et leur catégorie sociale.

Les travaux en sociologie du genre ont montré que cette crainte est le fruit de relations de pouvoir consubstantielles des rapports sociaux de sexe. C’est ce qui peut aussi expliquer pourquoi les femmes préfèrent la pratique d’une activité physique à domicile, moins contraignante certes mais avant tout plus sécurisante.

Le réaménagement de l’espace sportif est donc une première étape pour déconstruire ce sexisme intériorisé dès l’enfance, notamment parce qu’il marque la fin de la valorisation des pratiques masculines. Des environnements mixtes permettent aux filles et aux garçons de se rencontrer, d’interagir avec l’autre sexe, de vivre des situations de réelle mixité et pouvoir s’émanciper des normes de genre. La promesse de Jeux olympiques et paralympiques paritaires nécessite de réfléchir à des pratiques mixtes.

Des pratiques sportives mixtes et inclusives

La co-présence des filles et des garçons en sport ne va pas de soi. Dans la majorité des compétitions sportives, la non-mixité apparaît encore comme la règle. La promotion de formes de pratiques sportives mixtes semble être un préalable pour tendre vers l’égalité et l’inclusion.

Le sport mixte nécessite un accompagnement à l’usage, une éducation et une sécurisation. Pour permettre aux filles et femmes de se réapproprier les espaces sportifs publics, certaines associations proposent par exemple des sessions sportives en groupe et accompagnent la pratique des sportives.

Les cours d’Éducation physique et sportive (EPS) à l’école sont également l’occasion de développer un autre rapport au sport. La mixité des cours permet d’un point de vue pédagogique d’envisager la coéducation, revenant à adopter une éducation à la mixité et des interactions entre les élèves non stéréotypées.

L’enseignant doit alors veiller à encourager et à soutenir tous les élèves, quel que soit leur sexe, et ce, dans toutes les activités motrices et sportives. La communication de l’enseignant vise à développer la confiance en soi et la perception objective des compétences des élèves, notamment pour ceux qui se sous-estiment sur le plan des capacités physiques ou sportives.

La construction d’une culture sportive partagée, dans laquelle chacune et chacun puisse trouver et exprimer son style, ses traits de personnalité, représente un enjeu de société aussi bien pour le monde scolaire que pour le monde sportif.

Guillaume Dietsch, Enseignant Agrégé d'EPS, en STAPS, UFR SESS-STAPS, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Comment aider les élèves à régler leurs conflits

Nicolas Duval-Valachs, Université Lumière Lyon 2

Avec son bruit et son agitation, la cour de récréation peut ressembler au premier abord à un espace désorganisé. Il n’en est rien. L’émergence des childhood studies à la fin des années 1980 a mis en avant que, loin d’être un chaos, le monde enfantin dispose de ses propres modes de régulation, comparables à ceux d’une microsociété, et qu’il s’agit de les prendre au sérieux.

Dès lors, conflits et disputes entre enfants sont analysés comme un mécanisme puissant de socialisation langagière et politique. Un élément fondamental dans cette approche est alors la mise en avant d’une agency enfantine, au sens où les enfants sont conçus comme un groupe social certes minorisé, mais doté d’une capacité d’action. En est tirée la conséquence normative qu’il faudrait reconnaître des droits à ce groupe plutôt que de le surveiller d’aussi près que possible ; il n’est alors pas surprenant que les références à la Convention internationale des droits de l’enfant, hui %20ratifi %C3 %A9e %20par %20196 %20 %C3 %89tats.), adoptée en 1989 par les Nations unies, soient aussi fréquentes dans cette littérature.

Toutefois, reconnaître que les enfants disposent de leurs propres modes de régulations ne règle pas la question des conflits enfantins. De nombreux chercheurs et chercheuses ont en effet montré que la cour de récréation est également un espace de violence et de domination : des grands sur les petits, des garçons sur les filles

Si répondre aux enjeux de violence par la répression et la surveillance témoigne d’un mépris du groupe enfantin, il ne s’agit donc pas de tomber dans une vision angélique d’enfants capables de s’autoréguler en toute égalité sans intervention des adultes. C’est autour de cette position que j’essaie de fonder empiriquement ma thèse consacrée aux conseils d’élèves.

Le dispositif des conseils d’élèves

Le monde éducatif a, de longue date, mis en place des dispositifs visant une gestion par les enfants de leurs propres conflits, mais avec l’encadrement des adultes. Dès le début du XIXe siècle, les écoles mutuelles mettent en place des tribunaux d’enfants. Mais c’est surtout, au XXe siècle, la pédagogie de Célestin et Élise Freinet qui développe cette idée par l’implémentation de conseils de coopérative.

Retour sur la pédagogie de Célestin Freinet (France Culture, 2020).

Durant ces conseils, les élèves et leurs enseignants réunis en assemblée ont l’occasion de débattre de propositions pour la classe, mais aussi (et surtout) de porter des critiques à leurs camarades et de traiter collectivement des conflits. L’objectif pour Freinet n’est pas répressif, mais plutôt moral :

« À l’issue de notre séance coopérative, nous n’avons jamais, comme on pourrait le croire, une liste de punis mais seulement des enfants heureux d’avoir discuté de ce qui leur tenait à cœur, de s’être déchargés parfois de leurs péchés, d’avoir éclairci et libéré leur conscience ».

À la suite de Freinet, la pédagogie institutionnelle développe cette idée du conseil comme « rein » du groupe, ayant une fonction d’épuration des conflits. Inspiré de psychanalyse, ce courant pédagogique voit dans ce dispositif (parmi d’autres « institutions ») des fonctions de thérapie collective. Il s’agit d’abord, en retirant l’enseignante ou l’enseignant comme instance personnalisée d’autorité, de limiter les phénomènes de transfert avec l’adulte.

Mais le conseil permet aussi, à travers l’usage du langage dans un dispositif institutionnalisé, la confrontation à l’autre et la sortie de l’égocentrisme : ce n’est pas en tant qu’individu singulier, mais en tant que membre du groupe que les enfants sont invités à intervenir. Là encore, « le conseil n’est pas nécessairement un tribunal, et la recherche de la vérité importe moins que l’élimination des conflits perturbateurs. […] L’essentiel est peut-être moins ce qui est dit, que le fait que ce soit dit et entendu ».

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D’autres dispositifs de gestion des conflits ont vu le jour, comme la technique des « messages clairs », inspirée de la communication non violente. Lors de celui-ci, les élèves « agresseurs et agresseuses » et « agressés » sont invités à verbaliser leur description des faits, leurs émotions et leurs besoins. Cet échange est supervisé par un médiateur ou une médiatrice, qui peut être un adulte ou un enfant dûment formé. Quoiqu’il en soit, tout ceci implique que l’enseignant renonce à arbitrer directement les conflits, tout en garantissant le cadre pour que les enfants le fassent eux-mêmes. Cette posture est assurément complexe à trouver.

Réfléchir aux limites de l’autorégulation

Il ne faut néanmoins pas croire que ces dispositifs abolissent complètement la violence des relations entre enfants. En effet, ils ne sont pas exempts de phénomènes de détournement et de manipulation. On peut assister à des accusations à répétition contre des élèves, à une volonté de vengeance ou de punition plutôt que d’intercompréhension.

Si ces dispositifs sont théoriquement fondés sur l’empathie et la communication non violente, ils peuvent donc aussi représenter une humiliation publique aux yeux de certaines et certains. Ce phénomène est renforcé par le fait que tous les enfants ne sont pas à égalité face à ces outils. En effet, ils impliquent une conception du langage et de l’autorité tendanciellement plus fréquente dans les classes moyennes et supérieures, face à laquelle les enfants de classe populaire peuvent se retrouver en difficulté.

Face à ces limites, la figure enseignante garde donc un rôle central. Un élément important est celui de la dépersonnalisation. En effet, on retrouve souvent dans le discours des enseignantes et enseignants l’idée de ne pas risquer de faire du conseil un tribunal. Cela implique qu’à partir d’une accusation d’un élève envers un autre, l’enseignant incite les enfants à monter en généralité. Il s’agit souvent de déporter l’attention de l’auteur ou l’autrice de l’acte répréhensible pour la diriger vers l’acte lui-même, afin d’éviter d’étiqueter l’accusé comme « déviante » ou « déviant ».

Le sujet central devient alors les modifications à apporter à la classe pour que le problème ne se reproduise pas. Si Maiwenn est excédée par Hamza qui pose toujours son classeur sur son bureau, n’est-ce pas qu’il y a un problème avec l’agencement des tables ? On rejoint ici un principe fondamental dans ces pédagogies, à savoir que les conflits entre élèves sont le signe d’un dysfonctionnement de l’organisation de la classe.

Ce genre de dispositif prend habituellement en charge de « petits » conflits du quotidien, et n’est peut-être pas à même de traiter des cas de violences plus graves tels que le harcèlement scolaire. Néanmoins, on sait que la dynamique de celui-ci repose en grande partie sur la passivité des spectateurs et spectatrices et la loi du silence. Dès lors, en habituant les enfants dès le plus jeune âge à traiter publiquement leurs problèmes de façon coopérative, et en contribuant à constituer une communauté d’enfants et d’adultes dans un meilleur climat scolaire, on peut espérer des effets positifs de ces outils y compris sur des enjeux plus graves.

Nicolas Duval-Valachs, Doctorant en sociologie (EHESS/Lyon-2), Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Pornographie : quels impacts sur la sexualité adolescente ?

Barbara Smaniotto, Université Lumière Lyon 2

Dès 2003, Gérard Bonnet, professeur en psychologie et psychanalyste, posait la pornographie comme un « défi à la pudeur ». Elle s’impose aujourd’hui plus largement comme un « défi pour la construction de la sexualité adolescente ».

Jusqu’à très récemment, en France, ce sujet n’a pas été véritablement pris au sérieux. Et même si le gouvernement actuel s’est exprimé pour déplorer l’accès des jeunes aux contenus pornographiques, s’il a manifesté son intention de mieux le réguler, si ce n’est l’empêcher, le projet n’a pour l’heure débouché sur une aucune mesure concrète.

D’un usage prohibé à la libération sexuelle, la pornographie semble, dans notre environnement numérique contemporain, ne plus connaître aucune limite. Sur la Toile, les sites pornographiques fleurissent, et sont d’ailleurs les plus représentés (et les plus consultés) avec des centaines de millions de pages, qui ne manquent pas de s’insinuer dans des recherches anodines à travers les fenêtres pop-up. De sorte que, sans même le rechercher, l’œil semble irrémédiablement contraint à voir des images pornographiques…

L’essor des nouvelles technologies a donc offert à la pornographie un support de diffusion exponentielle, accessible à tous… y compris (et même surtout) aux enfants et aux adolescents sachant toujours mieux que les adultes manier ces outils.

Différentes enquêtes menées en France estiment qu’environ la moitié des adolescents, filles et garçons, auraient été confrontés à des images pornographiques avant l’âge de 13 ans, que 63 % des garçons et 37 % des filles, âgés entre 15 et 17 ans, consultent régulièrement des sites pornographiques. Plus récemment encore, que 30 % des internautes consultant ces sites sont des mineurs, et que quotidiennement, un mineur sur dix consultent ce type de contenus – tout particulièrement à partir de leur téléphone portable (smartphone) personnel (pour les trois-quarts d’entre eux).

En somme, Internet a « démocratisé » (l’usage de) la pornographie, rendant son accès facile, immédiat, permanent et sans véritable réglementation. Elle n’appelle plus aucun effort du voir, dans ce qu’il sous-tend de transgressif, de plaisir, de culpabilité ou de honte. De la sidération au dégoût en passant par la compulsion du voir, les adolescents ont à composer avec la cyberpornographie dans leurs espaces d’expérience, de rencontre… et ses retentissements sur leurs bouleversements pubertaires.

Représentations de la sexualité et de la femme

Les recherches, essentiellement nord-américaines, menées auprès des adolescents depuis les années 2000, interrogent l’influence de la pornographie sur leurs représentations de la sexualité et de la femme, comme sur leurs pratiques sexuelles. Il apparaît que la confrontation aux codes pornographiques amènerait les adolescents – tant les filles que les garçons – à davantage considérer la femme comme « un objet sexuel », et à modifier le rapport à leur corps, dès lors investi sur un mode anxiogène.

Ainsi les adolescents, utilisant la cyberpornographie comme source principale d’information, mentionnent l’impact de ce support dans leurs activités sexuelles, adoptant des pratiques plus diversifiées, en miroir aux modèles véhiculés. Mais, dans le même temps, ils peuvent reconnaître certains effets négatifs associés. Cette reconnaissance aurait un effet modérateur, de sorte que la consommation de pornographie pourrait s’inscrire dans un « processus développemental adolescentaire », répondant à une quête de repères en matière de sexualité.

Cette quête est d’ailleurs avancée par certains adolescents eux-mêmes : il s’agit d’aller voir, par curiosité, avant le premier rapport sexuel. Cette curiosité est animée par l’éveil de la sexualité adolescente. L’envahissement pulsionnel à ce moment et la nécessité de décharge qui en découle altèrent tout discours critique sur la nature des images et les représentations ainsi constituées.

Cependant, ce positionnement se renverse avec le passage à une relation affective et sexuelle avec un ou une partenaire « dans la vraie vie ». Dès lors, le visionnage de porno diminue, des sentiments de futilité ou de honte émergent… ainsi que l’expérimentation que « la pornographie n’est pas la réalité ».

La pornographie : un court-circuit de l’activité fantasmatique

En somme, les dérives psychopathologiques ou addictives apparaissent marginales, elles concernent les adolescents les plus fragiles, dont l’imaginaire demeure captif de cette iconographie. D’ailleurs, à ce jour, le lien entre consommation de pornographie et agressions sexuelles à l’adolescence n’est pas établi. Néanmoins, c’est dans notre pratique auprès d’adolescents présentant une sexualité préoccupante, voire auteurs de violences sexuelles, que cette question s’est imposée. Ces jeunes mentionnent fréquemment un contact répété, massif avec la pornographie.

Si bien évidemment, tous les adolescents qui visionnent ce type d’images ne s’engagent pas dans ce type d’agir, le fait que la pornographie s’intègre dans les usages numériques courants des jeunes ayant des comportements problématiques invite à interroger l’impact de la « violence du voir » cyberpornographique sur la construction de la sexualité adolescente.

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Nous avons fait l’hypothèse que la consommation de pornographie à l’adolescence procéderait comme un court-circuit de l’activité fantasmatique. Alors que l’imaginaire, et donc la pensée, occupe une grande place dans l’élaboration des relations amoureuses et sexuelles, la pornographie les réduit aux sexes (visibles, réels) et à un acte-exploit(ation) dégagé des enjeux affectifs, annihilant toute potentialité de rêverie.

D’ailleurs dans sa forme la plus commune (scènes, « clips »), il n’y a même plus de scénario – ni même de scénarisation possible ? – là où l’image écrase toute projection, tout mouvement fantasmatique. Sous prétexte de tout montrer, la pornographie démantèle la sexualité (limitée à l’acte, à des pratiques hyper spécifiques) et le processus d’unification du corps, dès lors restreint à l’organe.

Un potentiel traumatique

Ces caractéristiques amènent à envisager le potentiel traumatique des images pornographiques (massivité de l’excitation provoquée, effraction, sidération…) ; d’autant plus que le sujet y est confronté précocement. Dans ces cas, la rencontre avec le sexe, avec la brutalité du sexe précède toute compréhension de la sexualité (adulte), risquant d’engager des fixations, des clivages… bref un vécu traumatique. Notons également que les contextes dans lesquels nous avons observé des consommations problématiques sont souvent marqués par des expériences traumatiques antérieures (relatives à la sexualité ou non).

Enfin, dans le même temps et dans une perspective dynamique, le recours à la pornographie à l’adolescence pourrait se comprendre comme une tentative d’intégrer (psychiquement) la sexualité adulte. L’iconographie pornographique constituerait à l’adolescence une surface de projection de l’énigme du sexuel, une manière, certes fragile, de mettre au-dehors l’étrangeté et la violence du phénomène pubertaire.

En ce sens, comme toutes images, la pornographie n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle se présente pour nombre d’adolescents comme une source intarissable d’informations, un guide des « bonnes pratiques » en matière de sexualité. Suivant cette perspective, comme l’a montré François Marty (2008) à propos des images violentes, les images pornographiques permettraient aux adolescents de contenir le débordement pulsionnel, lui offrir une première forme de représentation, voire le symboliser.

Cependant, en alimentant à la fois l’excitation et son soulagement, tout en faisant l’impasse sur le fantasme et la relation, la pornographie risque d’assujettir les adolescents les plus fragiles (tels que nous les rencontrons en consultation). C’est d’ailleurs l’un des enjeux de notre proposition thérapeutique : mettre des mots sur l’excitation provoquée par le sexe et les images du sexe.

Car c’est l’absence de parole autour de ces « figures-choc » et des sensations générées par la pornographie qui peut s’avérer pernicieuse. Là où l’écrasement de l’imaginaire risque d’entraîner un clivage entre affectivité et sexualité ; entre le Moi superficiel de l’adolescent apparemment satisfait dans ses besoins et son Moi profond insatisfait dans ses désirs.

Barbara Smaniotto, Maître de Conférences-HDR en Psychopathologie et Psychologie Clinique, CRPPC, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Parents : comment parler de problèmes d’argent à ses enfants

Rachael Sharman, University of the Sunshine Coast

Adolescente, j’ai connu récession des années 1990 en Australie, et je me souviens clairement de cet ami qui avait demandé à son père un peu d’argent pour aller au cinéma. Tout à la fois frustré et résigné, son père lui avait expliqué qu’il venait d’être licencié et qu’il n’était pas certain qu’un autre emploi se profile à l’horizon. Il n’avait donc pas de quoi lui donner de l’argent de poche pour des billets de cinéma. Plutôt que de nous bouleverser ou de nous effrayer, cette réponse avait été une sorte d’illumination par les adolescents un peu désemparés que nous étions.

C’est de cette manière que de nombreux enfants apprennent les difficultés financières de leurs parents : en se voyant refuser quelque chose qu’ils ont toujours pu avoir. C’est ce qui produit un déclic.

Mais il n’est pas facile de parler à ses enfants de l’augmentation du coût de la vie. Beaucoup de parents craignent d’inquiéter leurs enfants ou de leur inculquer pour le restant de leurs jours un « état d’esprit de pénurie », c’est-à-dire le sentiment que toute dépense serait une erreur.

Alors, comment trouver les mots justes pour évoquer des difficultés d’argent ? Et comment adapter son discours à l’âge de son enfant ?

Restez calme et expliquez les choses simplement aux enfants

La plupart des enfants en âge de fréquenter l’école primaire n’ont pas conscience de la réalité économique qui règne en dehors de leur famille et de leur entourage immédiat. Ils n’ont pas encore développé la capacité de remettre des changements soudains en perspective.

L’essentiel est de ne pas laisser vos propres angoisses déteindre sur eux. Les enfants de cet âge considèrent leurs parents comme des points de repère et vont refléter toute crainte ou anxiété que vous exprimez, parfois de manière disproportionnée. Le calme et la simplicité sont donc des clés importantes.

Expliquez simplement que les choses coûtent de l’argent et que vous n’en avez pour l’heure pas autant que d’habitude, de sorte qu’en tant que famille, il y a certaines choses que vous ne pouvez plus vous permettre.

Les très jeunes enfants peuvent être d’un narcissisme impitoyable, ce qui est normal à ce stage de leur développement psychique. Ils peuvent même exiger que vous travailliez plus, ou plus dur, pour qu’eux puissent s’offrir les articles et les activités qu’ils désirent. Le mieux que vous pouvez faire est de rire de ce type de réponses et de dire que vous allez essayer, tout en expliquant que, pour le moment, il faudra se tourner vers d’autres loisirs.

Envisagez un programme qui substitue à leurs anciennes activités des activités gratuites. Par exemple, expliquez-leur que, s’ils ne peuvent pas pratiquer leur sport habituel cette saison, vous irez au parc local chaque semaine pour taper dans un ballon et faire un pique-nique à la place.

Donnez un rôle aux adolescents

Selon le plus ou moins grand intérêt qu’ils accordent à l’actualité et leur appréhension des maths et de l’économie, une baisse soudaine du budget familial peut également constituer un choc pour les adolescents.

Mais vers l’âge de 12 ans, les enfants connaissent une sorte d’explosion de leurs capacités à comprendre et traiter des informations. Non seulement ils seront en mesure de saisir votre situation mais aussi de vous donner un coup de main.

En donnant aux adolescents un « rôle » à jouer pour aider la famille, on leur donne un sentiment de compétence et cette façon d’envisager les problèmes en équipe répond aux inquiétudes qu’il peuvent ressentir. En d’autres termes, ils se sentiront moins impuissants. Cette approche s’appuie sur ce que les psychologues et les chercheurs appellent la « théorie de l’autodétermination ».

Ce concept fondé sur de nombreuses études postule que la plupart des êtres humains ont un besoin inné de :

  • faire l’expérience et de démontrer leur autonomie (faire leurs propres choix, agir de leur propre volonté) ;

  • ressentir qu’ils sont bons dans quelque chose, d’avoir accompli quelque chose de valable ;

  • de bien travailler avec d’autres, en particulier avec des personnes qui leur sont chères.

Travailler en équipe pour atteindre un objectif commun est donc un excellent moyen pour une famille de se serrer les coudes et de contribuer au bien-être mental de chacun. Discutez avec vos adolescents des activités, des événements et des éléments qui pourraient être mis en veilleuse ou abandonnés. N’oubliez pas que les adolescents ont une perception très fine de l’hypocrisie. Il est inutile de leur suggérer de réduire leurs loisirs, par exemple, si vous n’êtes pas prêts à faire de même.

Profitez-en pour discuter de la différence entre « désirs » et « besoins » et demandez-leur de classer les dépenses familiales dans ces catégories. Discutez calmement des points de désaccord.

Demandez à vos adolescents de réfléchir à des moyens plus efficaces de faire des économies – et de vous y aider. Ils aimeront peut-être trouver des idées telles que faire les courses avec un programme des menus de la semaine dans des magasins moins chers, rechercher les promotions, se rendre à l’école à pied ou en vélo lorsque c’est possible, trouver un petit job ou faire du baby-sitting.

Plutôt que de se focaliser sur ce dont on doit se passer, il s’agit de travailler sur ce qu’on peut faire différemment. Apprenez à vos enfants que la vie peut être semée d’embûches, mais que la façon dont on les gère est essentielle. Cela les aidera à devenir des adultes résilients.

Rachael Sharman, Senior Lecturer in Psychology, University of the Sunshine Coast

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.