Le football féminin en France : une réalité qui dérange (encore) ?

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Des jeunes joueuses de football s'affrontant lors d'un tournoi interclubs. Yuri A./PeopleImages

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Le football féminin en France : une réalité qui dérange (encore) ?

Des jeunes joueuses de football s'affrontant lors d'un tournoi interclubs. Yuri A./PeopleImages
Audrey Gozillon, Université de Rouen Normandie

Voilà déjà plus d’un siècle que la France a vu se tenir la première rencontre de football opposant des femmes, mais ce sport reste avant tout, dans notre pays, une affaire d’hommes : en 2022, la FFF comptait quelque 2,1 millions de licenciés, dont moins de 200 000 étaient des femmes.

Si les avancées en la matière sont notables (seules 90 000 filles et femmes étaient licenciées en 2010-2011), le déséquilibre demeure patent. L’une des explications tient à la façon dont le football féminin est perçu et géré au niveau des clubs amateurs. Certains d’entre eux, comme l’ont montré mes travaux effectués dans la région Hauts-de-France, accordent au football des femmes une place majeure tandis que d’autres le considèrent encore comme le parent pauvre du football masculin.

Un siècle de progrès saccadés

En France, si les footballeuses apparaissent au début des années 1910, il faut attendre 1917 pour voir se dérouler la première rencontre fe?minine a? Paris qui oppose deux équipes de la société sportive féminine le Femina Sport.

Le succès fut tel qu’au cours des années suivantes, d’autres équipes se forment et de nouveaux matchs s’organisent. La pratique va progressivement s’implanter sur le territoire : de 11 clubs en 1920, on atteint les 130 un an plus tard. Toutefois, ces manifestations publiques sont la cible des détracteurs de l’activité physique pour les femmes, qui affirment que celles-ci doivent uniquement pratiquer des exercices lents, doux et esthétiques. Les critiques dont elles font l’objet et l’entrée en guerre en 1941 engendrent la disparition des joueuses françaises.

Il faut attendre les années 1960 pour voir le football dit fe?minin « renaître ». Marquée par de profonds changements sociétaux, cette époque voit les femmes réinvestir les terrains. L’engouement est tel qu’en trois ans (1968-1971), la pratique compte plus de 2 000 joueuses.

Cette croissance des effectifs fe?minins incite, entre autres, la Fédération française de football (FFF), en mars 1970, à s’engager en faveur de la pratique et à cre?er la première commission fe?minine spécifiquement chargée de veiller au développement du football féminin.

Si l’on assiste à une courte période d’augmentation des effectifs, au milieu des années 1980, ces derniers stagnent, voire diminuent. Il faut dire qu’aucune mesure incitative efficace en faveur de la pratique n’est impulsée par cette commission : la FFF souhaite en effet contrôler cette dernière et non la développer. Ainsi, à l’aube des années 2000, les footballeuses représentent seulement 3 % des licenciés.

Mais la position de la Fédération a? l’égard des joueuses va progressivement être remise en cause. En effet, en 2007, le Conseil de l’Europe publie l’Accord Partiel Élargi qui a pour objectif d’aider au développement de l’égalité entre les sexes dans le sport. Cet accord incite, l’année suivante, le ministère de la Jeunesse et des Sports à contraindre quatre Fédérations, dont celle de football, à impulser un plan de féminisation. Lancée en 2011, cette première politique de « développement » d’ampleur en faveur des footballeuses s’articule autour de quatre grands axes : valoriser la place des femmes dans l’activité ; devenir une nation référence des licencie?es ; jouer les premiers ro?les au niveau européen et mondial ; innover en matière de formation.

Au niveau régional, cinq approches différentes du football féminin dans les clubs

Au niveau régional, pour tenter de mener à bien cette féminisation, des plans de développement voient le jour. En 2013, par exemple, la Ligue de football des Hauts-de-France impulse plusieurs grandes actions sur son territoire : labéliser les écoles de football au féminin, former et diplômer les femmes entraîneures ou encore mettre en place des tournois. Toutefois, si ces mesures ont permis à la Ligue de connaître une hausse du nombre de licenciées engagées dans la pratique – de 7 040 en 2013, on passe à 11 576 en 2017 – le taux de féminisation de la pratique dans la région peine encore à dépasser les 6,9 % en 2018.

C’est donc au niveau local, c’est-à-dire au plus près des 99 clubs de football « féminin » ou intégrant une équipe féminine senior que compte la région des Hauts-de-France, que j’ai tenté, lors de la rédaction de ma thèse de comprendre cet écart entre « les dires » et « les faires ». Au total, 111 entretiens avec les présidents, entraîneurs et capitaines ont été réalisés au sein de ces associations. L’analyse des données a permis d’identifier cinq profils de clubs au sein desquels la féminisation de la pratique est vécue différemment.

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Le premier profil, « une féminisation gynécocentrée mais calquée sur le modèle professionnel masculin », se compose de cinq clubs « 100 % féminins ». Ici, les joueuses bénéficient d’un budget conséquent et de bonnes conditions de pratique. Encadrées par des hommes diplômés, elles se déplacent principalement en minibus. Dans ces cinq clubs, dont trois sont présidés par des femmes, tout est mis en œuvre pour que les joueuses se concentrent uniquement sur la production de performances.

Le deuxième profil, « une féminisation contrainte mais encadrée », compte 20 équipes « féminines » qui évoluent dans des clubs mixtes. Dans ces clubs, les joueuses ne bénéficient ni d’un budget conséquent, ni du soutien du président qui ne déploie aucun moyen visant à optimiser leur visibilité. Si l’attention est principalement portée sur l’équipe « masculine » senior, les clubs sont tenus de respecter les « obligations » formulées par la Fédération pour ce qui concerne le football des femmes. Par exemple, pour obtenir le premier niveau de labels masculins, le « label jeune espoir », ces associations doivent disposer d’une équipe de filles engagées en U6F-U9F ou U10F-U13F. Les joueuses sont délaissées et ne bénéficient pas de terrains et d’horaires d’entraînement adaptés.

Le troisième profil, « une féminisation subie et déléguée », se compose de 15 équipes « féminines » qui évoluent dans des clubs mixtes. Dans ces associations, comme dans le cas du profil précédent, les joueuses ne bénéficient ni du soutien de leurs présidents, ni d’un budget conséquent, ni d’objectifs sportifs. Toutefois, elles réussissent à tenir dans le temps, avant tout grâce au surinvestissement de leur entraîneur.

Le quatrième profil, « une féminisation intégrée et stabilisée », recense 28 équipes « féminines » qui évoluent dans des clubs mixtes. Dans ces associations, les équipes « féminines » bénéficient du soutien du président du club, de conditions correctes de pratique et d’un entraîneur engagé et souvent diplômé. Soutenues et encouragées par les membres de ces clubs, les joueuses bénéficient de conditions d’accueil, d’accès et d’entraînement identiques à leurs homologues masculins.

Le cinquième et dernier profil, « une féminisation basée sur une logique associative qui dépasse la logique sportive », se compose de 31 équipes « féminines » qui évoluent dans des clubs mixtes. Dans ces clubs, les joueuses bénéficient du soutien du président et d’un partage équitable des budgets. Si les entraînements se font dans des conditions peu favorables à la production de performances, les filles ont créé leur propre équipe et viennent ici uniquement pour jouer au football et « s’amuser ».

Ainsi, au sein de la région des Hauts-de-France, si le football des femmes est considéré par certains acteurs comme une véritable condition nécessaire à l’égalité entre les sexes, pour d’autres, a contrario, il est (encore) parfois perçu comme étant problématique, voire inapproprié.

L’analyse croisée de ces cinq profils m’a finalement permis d’identifier trois facteurs décisifs à la féminisation différenciée de la pratique sur notre territoire : la (non) mixité, le (non) soutien du président et le (non) soutien de l’entraîneur. Toutefois, dans cette région étudiée, aucune tendance particulière ne se dessine, aucune logique ne prédomine : chaque club, au regard de son bureau dirigeant, de ses moyens, de son fonctionnement, vit la féminisation du football différemment.

Alors que dans d’autres pays, la pratique enregistre un taux de féminisation élevé – Allemagne (15,5 %), Angleterre (24,6 %), Norvège (29,7 %), Suède (38,4 %) et États-Unis (55 %) – en France (7,4 %), le football des femmes peine encore à sortir de l’ombre de ses homologues masculins. Aujourd’hui, à l’heure où deux chaînes nationales de télévision diffusent l’intégralité de la Coupe du Monde, nous ne pouvons qu’espérer que les performances des Françaises donneront envie à des filles et femmes de chausser les crampons et de fouler les pelouses.

Audrey Gozillon, Maîtresse de conférences en STAPS, Université de Rouen Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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