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Sur le groupe Facebook « Babylone 2.0 », des hommes balançaient les photos de nanas avec lesquelles ils avaient couché. Une pratique sophistiquée mue par des instincts primaires.

La photo de couverture du groupe ne laissait aucun doute quant au caractère régressif pour l’humanité du « Babylone 2.0 ».

Une femme à poil portant une longue arme phallique. Pour choper la photographie, les administrateurs ont simplement cherché « Girl with gun » sur le net. Ils lui ont coloré les cheveux en rouge, probablement parce qu’ils trouvaient ça excitant (« red haired » est un tag sur Youporn).

Et finesse absolue, la légende « certifiées pêches perso ».

Mais cette image donne aussi un indice sur la « perversion organisée » du groupe. Regardez du côté du téton droit de la jeune femme. Une émoticône en forme d’épées croisées cache le mamelon.

La manip permet d’échapper aux algorithmes de reconnaissance d’images Facebook censés détecter la nudité.

Des hommes primaires et sophistiqués

Sur « Babylone 2.0 », les internautes balançaient jusqu’à ce week-end des photos de nanas avec lesquelles ils avaient couché – le groupe a été supprimé par Facebook suite à une vague d’articles en France.

Les corps féminins nus et exhibés devaient être « certifiés pêches perso ». Un utilisateur exposait ainsi la photo d’une femme, nue et de dos dans une cuisine : 

« C’est très loin de l’avion de chasse qu’on traque tous, certes, mais du haut de mes 27 ans, je ne pouvais refuser ce taudis de 44 ans, juste pour rajouter une ligne sur le CV. Vieille peau. »

Les autres membres du groupe s’empressaient alors d’y apposer des commentaires intelligents empruntant au registre bestial ou guerrier : thon, avion de chasse, bombe etc.

La pratique n’est pas nouvelle. Des photos de ce type s’échangent dans des chaînes de mails ou des groupes WhatsApp (dans un cadre privé). Il y a quelques années, le compte Twitter @Mixbeat balançait aussi ce genre d’images dégradantes, mais il a fini par être anéanti....

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J’ai réalisé un beau jour que les œuvres de l’artiste Sophie Calle m’avaient préparé à ce monde que l’Internet a créé.

Je me souviens très précisément du jour où j’ai entendu parler de Sophie Calle pour la première fois. C’était au milieu des années 90, à la télévision, où elle venait parler de son film

.

Je ne connaissais rien à l’art contemporain, rien à l’autofiction (rien au sexe non plus d’ailleurs, le film de ma vie à l’époque aurait pu s’intituler « No sex toutes les nights ») et je fus stupéfait que l’on puisse faire ça : c’est-à-dire partir en road trip aux Etats-Unis avec son amour finissant, filmer le voyage avec une petite caméra, et faire chaque matin un plan du lit défait en disant « No sex last night ». J’étais fasciné que l’on fasse une oeuvre avec ça (car ce film est une oeuvre, je m’en étais convaincu en le voyant).

Comme on fait sur Instagram

J’ai donc, par la suite, vu beaucoup des oeuvres de Sophie Calle - beaucoup de celles dont vous avez parlé ce matin, jusqu’à ce qu’à ce que, une dizaine d’années plus tard, une incongruité de la vie professionnelle m’oblige à m’intéresser au numérique (je fais une parenthèse pour mesurer ce phénomène étrange qui est qu’en parlant de Sophie Calle, je me mets spontanément à raconter ma vie, ce qui dit la puissance de cette oeuvre – Sophie Calle a souvent fait parler les autres d’eux-mêmes –, et ce qui fait de cette chronique une sorte de mise en abyme, que je trouve personnellement du meilleur effet… Bref.).

Avec Internet, vinrent les blogs, puis les réseaux sociaux - MySpace puis Facebook - les photos d’Instagram, les vidéos de Youtube etc. Et nous sommes entrés dans le monde qui est le nôtre aujourd’hui : un monde où ceux qui le veulent - et ils sont nombreux - documentent publiquement des éléments de leur vie parfois la plus intime - un monde où en suivant quelqu’un sur Instagram, on voit son lit au réveil, son dernier achat de chaussures, ses amours, ses lieux de vacances…

Une impression de déjà-vu

J’ai mis un peu de temps à comprendre pourquoi ce monde numérique m’était si familier. Je crois que je l’ai compris en allant voir en 2010 la grande exposition de Sophie Calle au Palais de Tokyo, où l’on pouvait regarder, notamment, ce film montrant les derniers moments de sa mère.

Là, j’ai eu une révélation : le compagnonnage avec les oeuvres de Sophie Calle m’avait préparé à ce monde que l’Internet était en train de créer. Les réseaux me donnaient sans cesse une impression de déjà-vu. Tout ou presque de ce qui apparaît aujourd’hui dans les réseaux – jusqu’à cette femme morte le 28 décembre en direct sur Facebook Live – Sophie Calle nous l’a déjà donné à voir.

On pourrait tirer de cette révélation deux conclusions que je ne voudrais pas qu’on tire.

La première serait de croire qu’en disant cela, je pense que l’étalement de la vie privée sur Internet relève de l’art. Merci, mais je ne suis pas débile. Je ne confonds pas l’oeuvre d’un artiste avec le premier compte Instagram venu. Néanmoins, il y a dans ces tentatives d’esthétisation de la banalité de l’existence - consistant à raconter un moment de vie sur Facebook, et à trouver un joli filtre pour poster une photo de paysage ou de repas sur Instagram - une sorte d’autofiction démocratisée...

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A 25 ans, Keiana Herndon était accro aux réseaux sociaux. Le 28 décembre dernier, dans l’Arkansas, elle discutait, comme souvent, sur Facebook Live.

Une pratique courante chez les adolescents et les jeunes adultes. Les internautes réagissaient à sa vidéo. Keiana Herndon leur montrait l’un de ses deux enfants, Riley, âgé d’un an et demi, en train de jouer à côté d’elle.

Tout d’un coup, elle a fait un malaise.

La chaine américaine ABC7 a interrogé la tante de Keiana Herndon, qui a visionné le Live (supprimé depuis par Facebook). Elle a décrit les derniers instants de sa nièce : 

« Elle se frappait le visage et secouait frénétiquement la tête. Je me suis dit : “Qu’est-ce qui lui prend ?”. [...] Elle est tombée et Riley [l’un de ses deux enfants, ndlr] a pris le téléphone, il parlait et jouait avec. J’entendais en arrière des soupirs puis... plus rien. »

Dernier souffle

La chaîne de télévision locale KARK 4, de son côté, a interrogé le père de la jeune femme, qui ne comprend pas que parmi les spectateurs du live, personne ne soit intervenu.

« C’est dingue d’imaginer que quelqu’un puisse voir ou entendre quelqu’un d’autre rendre son dernier souffle sans bouger de son canapé. »

Un oncle, qui a vu la vidéo, raconte qu’il a fallu attendre une demi-heure pour qu’un ami se présente au domicile de Keiana Herndon. C’est à ce moment-là que le live a été déconnecté.

La jeune femme a ensuite été conduite à l’hôpital, où les médecins n’ont pu que constater le décès. Sa mère a indiqué à la presse qu’elle souffrait de « problèmes à la thyroïde. “

Article Source Rue89.com - Une jeune femme meurt en direct sur Facebook Live

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Dans le grand débat sur les fake News et autres biais racistes ou antisémites proposés dans les résultats des moteurs de recherche, il y a un paramètre que je n’ai pas encore traité et qui est, pourtant, presque le plus évident. Il s’agit de la manière de poser la question.

Dans le dernier exemple qui défraya la chronique ( « l’holocauste a-t-il vraiment existé ? »), le fait que Google propose des sites négationnistes dans ses résultats de recherche est évidemment « cohérent » au regard de la question posée : les sites négationnistes sont en effet les seuls à poser ce genre de questions.

Est-ce que Google est raciste ?

Si l’on poursuit cette logique, il est également logique que Google (ou d’autres moteurs) affichent pléthore de résultats plus racistes les uns que les autres face à des requêtes comme « Est-ce que les noirs puent ? » ou « est-ce que les juifs sont radins ? ». Je ne parle pas ici de la fonctionnalité d’auto-complétion (le fait que Google « propose » de compléter un début de phrase comme « est-ce que les noirs » par « puent »), autre problème que j’avais déjà traité par ici.

Pour le dire plus brièvement, il est « naturel » – d’un point de vue algorithmique – que des questions reposant sur des postulats racistes ou négationnistes renvoient comme résultats prioritaires des sites racistes ou négationnistes.

Cela ne veut pas dire que c’est légitime, cela ne veut pas dire que la responsabilité de Google n’est pas engagée, cela veut juste dire que l’algorithme de Google n’a pas pour objet de faire de la médiation culturelle ou de l’éducation à la différence et à la tolérance.

Quiconque a une vie sociale un tant soit peu connectée aura nécessairement vécu plein de fois la scène où, dans une situation familiale ou professionnelle quelconque, quelqu’un pose une question à laquelle aucune des personnes présentes n’a la réponse, et où quelqu’un va donc aller poser cette question... à Google.

 « Est-ce que tu viens pour les vacances ? »

Le plus souvent le moteur fait le job. Il s’agit de questions « factuelles » sur des dates, des personnalités, des faits, et le moteur nous affiche ou nous renvoie en général sur la page Wikipédia qui contient la réponse. Cet « habitus » social a eu, ces dernières années, une influence considérable sur notre manière d’interroger un moteur de recherche : nous ne nous contentons plus de lâcher 2 ou 3 mots-clés mais nous interrogeons le moteur « en langage naturel », nous lui posons les mêmes questions que nous poserions à un individu lambda dans un cadre conversationnel.

Deuxième effet Kiss Cool, la nature du processus de requêtage changeant (des phrases interrogatives complètes et parfois complexes plutôt qu’un simple alignement de mots-clés) cela permet également à l’algorithme du moteur de « s’affiner » et achève de transformer un moteur de recherche en moteur de réponses.

En plus de disposer d’un index inversé lui permettant d’associer des mots-clés de requêtes à des pages web, le moteur finit par disposer d’un index inversé de questions « préétablies » et des pages web de réponses correspondantes.

Ainsi les locutions « est-ce que » ou « quel est » se voient déjà associées à des inventaires à la Prévert de questions pré-formatées aux réponses pré-existantes.

Ainsi, lors de la formulation de questions aux postulats explicitement ou implicitement racistes, il est somme toute presque « normal » que la coloration générale des résultats les plus fréquemment associés soit également raciste. Même si, je le répète une nouvelle fois, cela n’exonère en rien Google de sa responsabilité.

Que demandent vraiment les gens ?

Les gens qui posent à Google la question « L’holocauste a-t-il vraiment existé » posent en fait une requête navigationnelle : ils sont avant tout à la recherche d’une confirmation de ce qu’ils sont déjà prêts à croire ou à accepter. Ainsi non seulement Google va leur proposer des résultats à la coloration raciste ou antisémite (pour s’accorder au postulat contenu dans la formulation de la question posée, postulat qui serait radicalement différent si l’on demandait, par exemple, « D’où viennent les théories négationnistes ? »), et ces résultats à la coloration raciste ou antisémite vont en plus, « mécaniquement » être chaque fois davantage surpondérés puisqu’ils sont aussi ceux les plus cliqués et indiquent donc à Google qu’ils sont ceux qui répondent le mieux à la requête.

Il y aurait un livre entier à écrire sur les résultats, variables, offerts en réponse à ces trois questions ainsi que sur les biais algorithmiques, linguistiques et cognitifs qu’ils véhiculent, traduisent et trahissent : 

Lire la suite - Google, Google, pourquoi m’as-tu abandonné ?