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Dans le grand débat sur les fake News et autres biais racistes ou antisémites proposés dans les résultats des moteurs de recherche, il y a un paramètre que je n’ai pas encore traité et qui est, pourtant, presque le plus évident. Il s’agit de la manière de poser la question.

Dans le dernier exemple qui défraya la chronique ( « l’holocauste a-t-il vraiment existé ? »), le fait que Google propose des sites négationnistes dans ses résultats de recherche est évidemment « cohérent » au regard de la question posée : les sites négationnistes sont en effet les seuls à poser ce genre de questions.

Est-ce que Google est raciste ?

Si l’on poursuit cette logique, il est également logique que Google (ou d’autres moteurs) affichent pléthore de résultats plus racistes les uns que les autres face à des requêtes comme « Est-ce que les noirs puent ? » ou « est-ce que les juifs sont radins ? ». Je ne parle pas ici de la fonctionnalité d’auto-complétion (le fait que Google « propose » de compléter un début de phrase comme « est-ce que les noirs » par « puent »), autre problème que j’avais déjà traité par ici.

Pour le dire plus brièvement, il est « naturel » – d’un point de vue algorithmique – que des questions reposant sur des postulats racistes ou négationnistes renvoient comme résultats prioritaires des sites racistes ou négationnistes.

Cela ne veut pas dire que c’est légitime, cela ne veut pas dire que la responsabilité de Google n’est pas engagée, cela veut juste dire que l’algorithme de Google n’a pas pour objet de faire de la médiation culturelle ou de l’éducation à la différence et à la tolérance.

Quiconque a une vie sociale un tant soit peu connectée aura nécessairement vécu plein de fois la scène où, dans une situation familiale ou professionnelle quelconque, quelqu’un pose une question à laquelle aucune des personnes présentes n’a la réponse, et où quelqu’un va donc aller poser cette question... à Google.

 « Est-ce que tu viens pour les vacances ? »

Le plus souvent le moteur fait le job. Il s’agit de questions « factuelles » sur des dates, des personnalités, des faits, et le moteur nous affiche ou nous renvoie en général sur la page Wikipédia qui contient la réponse. Cet « habitus » social a eu, ces dernières années, une influence considérable sur notre manière d’interroger un moteur de recherche : nous ne nous contentons plus de lâcher 2 ou 3 mots-clés mais nous interrogeons le moteur « en langage naturel », nous lui posons les mêmes questions que nous poserions à un individu lambda dans un cadre conversationnel.

Deuxième effet Kiss Cool, la nature du processus de requêtage changeant (des phrases interrogatives complètes et parfois complexes plutôt qu’un simple alignement de mots-clés) cela permet également à l’algorithme du moteur de « s’affiner » et achève de transformer un moteur de recherche en moteur de réponses.

En plus de disposer d’un index inversé lui permettant d’associer des mots-clés de requêtes à des pages web, le moteur finit par disposer d’un index inversé de questions « préétablies » et des pages web de réponses correspondantes.

Ainsi les locutions « est-ce que » ou « quel est » se voient déjà associées à des inventaires à la Prévert de questions pré-formatées aux réponses pré-existantes.

Ainsi, lors de la formulation de questions aux postulats explicitement ou implicitement racistes, il est somme toute presque « normal » que la coloration générale des résultats les plus fréquemment associés soit également raciste. Même si, je le répète une nouvelle fois, cela n’exonère en rien Google de sa responsabilité.

Que demandent vraiment les gens ?

Les gens qui posent à Google la question « L’holocauste a-t-il vraiment existé » posent en fait une requête navigationnelle : ils sont avant tout à la recherche d’une confirmation de ce qu’ils sont déjà prêts à croire ou à accepter. Ainsi non seulement Google va leur proposer des résultats à la coloration raciste ou antisémite (pour s’accorder au postulat contenu dans la formulation de la question posée, postulat qui serait radicalement différent si l’on demandait, par exemple, « D’où viennent les théories négationnistes ? »), et ces résultats à la coloration raciste ou antisémite vont en plus, « mécaniquement » être chaque fois davantage surpondérés puisqu’ils sont aussi ceux les plus cliqués et indiquent donc à Google qu’ils sont ceux qui répondent le mieux à la requête.

Il y aurait un livre entier à écrire sur les résultats, variables, offerts en réponse à ces trois questions ainsi que sur les biais algorithmiques, linguistiques et cognitifs qu’ils véhiculent, traduisent et trahissent : 

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A 26 ans, Emmanuel ouvre ses mails pro à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Prévoyant d’habiter avec sa copine, il va devoir trouver un nouvel équilibre.

Depuis le 1er janvier 2017, les salariés des entreprises employant 50 personnes au minimum disposent d’un droit à la déconnexion. Les entreprises doivent ouvrir des négociations pour – forçons le trait – éradiquer les mails boulots à la maison.

Beaucoup d’entreprises et de salariés n’avaient pas attendu cette mesure pour aménager leur « temps de connexion » entre boulot et maison.

 
 

Nous avons lancé un appel à témoin pour recueillir les témoignages. Voici celui d’Emmanuel, 26 ans, chef de projet informatique dans la logistique (marchandises) depuis cinq ans.

Ce que j’apporte chez moi

La semaine, j’envoie des mails à n’importe quelle heure, parce que je le peux et parce que je le veux. Je dispose d’un téléphone personnel et d’un téléphone professionnel. Quand je rentre chez moi, vers 20 heures, j’ai tout de même tendance à oublier ce dernier dans ma bagnole, dans ma veste ou à le laisser mourir d’un manque de batterie.

C’est rare qu’il soit posée sur la table du salon, à la maison. 

Le matin, je regarde mes mails professionnels au petit-déjeuner et dans les embouteillages. Il arrive aussi que j’utilise mon téléphone pro en guise de réveil. Dans ce cas-là, regarder mes mails devient la première chose que je fais en me levant. 

Le week-end, c’est la déconnexion totale. Ma copine habitant loin, nous nous voyons uniquement le week-end. Au début, elle pétait des câbles quand je consultais mes mails pro. Nous avons un deal maintenant : pas de boulot quand elle est là (c’est-à-dire du vendredi soir jusqu’au dimanche soir). Nous envisageons de nous installer ensemble. Il faudra qu’on trouve un équilibre. Mon père m’a dit que le jour où je m’installerai en couple, je devrai changer de poste au travail. Mes collègues ne comprendraient pas mon changement de rythme. 

Pendant les vacances, je ne me sépare pas tout de suite de mes deux téléphones. J’avoue avoir du mal à décrocher du boulot.

J’essaie de ne pas travailler plus de deux heures par jour et privilégie le temps pour moi. Quand mon téléphone pro tombe en rade de batterie, j’attends mon retour de congé pour le rebrancher.

Quand je suis au boulot, il m’arrive de m’occuper de tâches personnelles. Comme imprimer un billet de train, faire ma déclaration d’impôts etc. Je dois y passer une vingtaine de minutes par jour environ.

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La Toile a permis aux généalogistes de mutualiser leurs travaux et de coordonner leurs recherches, grâce à la numérisation par les administrations et par des bénévoles. Ces derniers mènent un énorme et patient chantier de mise en ligne.

Pendant des siècles, faire de la généalogie supposait de parcourir et de rédiger des montagnes de papier. L’informatique a transformé cette pratique, lentement d’abord, puis à grande échelle avec Internet, en permettant aux chercheurs d’échanger entre eux.

Echanges utiles pour gagner du temps parce qu’en remontant nos ascendants, nous nous trouvons forcément des parents communs avec d’autres. «  Nous sommes tous cousins  » est une affirmation – et une réalité – connue des généalogistes  : neuf Français sur dix descendent de Charlemagne, ou encore un sur dix de Saint Louis (et par sa mère Blanche de Castille, peut-être de Mahomet – une hypothèse controversée). Même Sarkozy et Hollande sont cousins.

Du Minitel à Internet

Dans les années 1980, François Lerebourg, aujourd’hui directeur de CDIP, une entreprise qui édite le premier logiciel de généalogie en France, Généatique, est lycéen. Avec son père et son frère, il réalise un petit programme de gestion de fichiers  : nom, prénom, date et lieu de naissance et de décès, lien de parenté.

La famille s’en sert pour sa propre généalogie, sur un ordinateur Sinclair ZX81, puis le réécrit pour un Apple II. Arrive le Minitel, et les Lerebourg discutent dans des forums avec des clubs de généalogie qui commencent à y déposer la liste des actes (état civil et autres) qu’ils possèdent.

François Lerebourg et sa famille créent une association pour diffuser leur logiciel, d’abord gratuit puis payant.

Suivent de nouvelles versions, sous MS-DOS puis Windows, avec toujours la possibilité d’importer et exporter des fichiers au format Gedcom  : développé par les Mormons (qui ont en copie 70 % des états civils français, qu’ils ont microfilmés pour leurs baptêmes posthumes), ce format permet d’échanger des données et ainsi de chercher des ancêtres communs (toujours le «  tous cousins  »).

En 1993, l’association familiale devient une entreprise qui, en 2016, compte 16 salariés, et des dizaines de milliers de personnes utilisant une des versions de Généatique – le prix varie selon le nombre de personnes maximum (de 25 euros pour 500 personnes à 85 pour 1 500 personnes et 130 euros en illimité).

Au milieu des années 2000, le logiciel intègre les photos, pour illustrer fiches individuelles et arbres. En 2015 il se dote de géolocalisation (une carte présente les événements choisis – morts, naissances, mariages...). Il existe maintenant une version mobile (on peut modifier les données et les voir depuis un smartphone ou une tablette).

Geneanet et ses 3 milliards de noms

Lancé en 1996 par des mordus d’histoire familiale, un site français a grandi comme un forum géant entre généalogistes. Né d’abord comme un lieu d’échanges de listes éclair (liste des noms et dates associées étudiés par un généalogiste), Geneanet est devenu un vaste site de publication et de travaux partagés.

Il compte 2 millions de membres, 700 000 arbres généalogiques et plus de 3 milliards de noms d’ancêtres collectés. Le site propose plusieurs niveaux  : 

  • les visiteurs ;
  • les inscrits, qui peuvent créer en ligne leur arbre ou chercher dans ceux des autres (lorsqu’ils ont choisi de le rendre public) ;
  • les inscrits premium (45 euros par an) – ils représentent 80 % des revenus du site – qui accèdent aux collections des données listées par des cercles généalogiques partenaires et des sources de particuliers.

Initialement, nous raconte Christophe Becker, directeur de Geneanet, l’entreprise pensait qu’elle se financerait par la publicité  : en fait, elle ne représente que 2-3 % du chiffre d’affaires, et sa suppression est même envisagée.

«  Le Google de la généalogie  »

Le site a agrégé une montagne de données  : sur les 3 milliards d’individus qui y sont répertoriés (il y aurait eu 50 à 200 milliards d’humains depuis nos débuts), un tiers vient des arbres des membres de Geneanet, et deux tiers des données que l’entreprise a indexées depuis 20 ans.

Un algorithme récupère par exemple dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BNF, les noms de personne et leurs dates de vie. Une collecte qui illustre l’ambition de Geneanet, être « le Google de la généalogie ».

Quid alors des données familiales entrées par les inscrits  ? Christophe Becker répond  : «  A la différence de beaucoup de sites anglo-saxons, qui deviennent copropriétaires des données déposées, nous n’avons qu’un droit d’usage – pour que chacun puisse chercher ses ancêtres dans les arbres des autres par exemple. Et si un membre ferme son compte, nous ne gardons aucune donnée.  »

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L’écrivain Aurélien Bellanger raconte sa passion pour le site 9gag, royaume des mèmes et fascinant café du commerce en ligne.

J’ai commencé par les sites d’information gratuits des quotidiens payants.

Avec mon arrivée sur les réseaux sociaux, et l’apprentissage d’une lecture plus rapide, quand la question du contenu est devenue un peu secondaire par rapport à celle du titre, condensé parfait d’information dont Le Gorafi, bientôt, viendra parachever le règne, j’ai basculé vers les pure players, d’abord le Huffington Post, pour les lettres géantes de sa page d’accueil et pour sa flatteuse coloration progressiste, puis Buzzfeed, pour ses listes obsessionnelles et ses titres qui dénotaient une connaissance parfaite des mécanismes du cerveau — savoir qu’on n’y trouverait rien mais ne pouvoir s’empêcher de cliquer malgré tout s’avérait étrangement respectable, comme jouir sans fin de son propre cerveau.

L’homme universel

Enfin, au début de l’année 2015, j’ai basculé vers 9gag qui représente encore le site sur lequel je passe chaque jour le plus de temps. 

Sur mon iPhone, le 9 blanc anguleux sur fond noir de l’application a rejoint le M blanc et gothique, sur fond noir, de l’application du Monde.

Ce qui est plutôt problématique, au regard de la médiocre qualité du site, et de sa coloration idéologique cette fois plutôt douteuse : c’est ici l’homme universel qui s’exprime, la majorité qui parle, et les minorités, tolérées, ne sont plus trop chez elles — car 9gag est trop démocratique, trop égalitariste pour supporter l’existence de ce qui, dans son monde simple et unanime, contesterait la suprématie éclairée de la masse. 

Dont ask, don’t tell  ; la communauté des «  9gagers  » oppose à la complexité du monde le bon sens de sa culture majoritaire et son hostilité subséquente, et métaphysique, aux principes de l’affirmative action, qui reviendrait pour elle, un peu paranoïaque, à la réinstauration d’un double standard qui la stigmatiserait de fait, comme blanche, mâle et majoritaire.

Le TF1 des sites communautaires

C’est en partie — en partie seulement — ce qui rend 9gag fascinant, comme avait pu l’être, jadis, au temps du papier et de la cigarette, les courtes descentes matinales qu’opéraient les classes intellectuelles dans les bars-tabac où elles venaient lire L’Equipe et Le Parisien au milieu du vrai peuple, au cœur de l’opinion publique.

9gag serait dans cette perspective la version mondialisée de l’opinion publique, l’hégémonie mondiale du sens commun majoritaire.

Qu’est-ce que 9gag ? Un fil infini, un long ruban d’images, plusieurs milliers de kilomètres d’images, la grande route d’Internet sur laquelle l’utilisateur est invité à scroller quelques mètres.

9gag est un image board, sur le modèle, très simplifié, de 4Chan, ainsi qu’un site communautaire, sur le modèle de Reddit, où ce sont les votes des membres de la communauté qui viennent remonter et rendre visible les publications. Mais là où Reddit, « la page d’accueil de l’Internet  », avec ses fils variés et la dureté de son interface, demeure encore aristocratique, 9gag impressionne par la simplicité de son utilisation et la robustesse de ses règles. Il n’existe même qu’un seul fil de discussion, hégémonique. C’est le TF1 des sites communautaires : un contenu unique qui vise à l’audience la plus large...

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