Par le

La Chine a récemment décidé d’encadrer l’utilisation de ChatGPT tandis que l’Italie souhaite interdire l’outil. Wikimedia commons, CC BY-SA

Travail, management, fraude… Les multiples risques de l’intelligence artificielle pour les entreprises

La Chine a récemment décidé d’encadrer l’utilisation de ChatGPT tandis que l’Italie souhaite interdire l’outil. Wikimedia commons, CC BY-SA
Vipin Mogha, ESCE International Business School et Arvind Ashta, Burgundy School of Business

L’intelligence artificielle (IA) semble être à la fois source d’opportunités et de menaces pour le futur. Du côté des opportunités, l’homme a toujours cherché à automatiser les tâches physiquement pénibles et/ou répétitives. L’individu est ainsi plus productif et est capable d’utiliser sa propre capacité intellectuelle pour d’autres activités plus stimulantes. L’IA permettra d’aller plus loin dans ce processus. Du côté des menaces, on retrouve globalement la peur de l’inconnu et toutes les insécurités qu’il génère.

L’intelligence artificielle (IA) fait référence à des machines conçues pour effectuer des tâches similaires à l’intelligence humaine, interpréter les données externes, apprendre de ces données externes et utiliser cet apprentissage à s’adapter aux tâches pour obtenir des résultats spécifiques et personnalisés.

Récemment, le focus médiatique autour de ChatGPT, attise les hardiesses et les peurs, si bien que des pays comme la Chine ou l’Italie ont récemment décidé de limiter voire d’en interdire l’usage. Des voix s’élèvent également en France où ChatGPT a été interdit dans un certain nombre d’établissements universitaires et où des élus réclament son interdiction au parlement.

Cet outil donne une idée de la puissance potentielle de l’IA. En effet, avant ChatGPT, l’automatisation était essentiellement liée à la robotisation des tâches manuelles. ChatGPT pourrait en revanche remplacer l’intelligence humaine. Une étape importante semble donc franchie.

Risques multiples

Dans ce contexte, nous avons mené une recherche pour identifier les différents risques liés à l’essor de l’IA. Ils sont de plusieurs types : les risques managériaux, risques opérationnels, risques au sein du marché de travail, risques d’autres clivages sociaux et les risques de concurrence mondiale.

Les risques managériaux principaux sont liés à la responsabilité humaine dans la décision et de la dépendance humaine aux outils d’analyse de données. Le manager prend des décisions en se basant sur les informations générées par les outils d’IA. Qui est responsable si les résultats donnés par l’outil numérique sont faux et que le manager en conséquence a pris une mauvaise décision ayant des implications lourdes ? Un exemple peut être les études de marchés développés par ChatGPT avec des recommandations plausibles mais basées sur de mauvaises informations et sur lesquelles s’appuieraient des décisions managériales.

Les risques opérationnels sont eux essentiellement liés à la sécurité et à la fraude. D’un côté, l’IA pourrait aider à améliorer la sécurité des transactions financières, mais il peut aussi augmenter le pouvoir de nuisance des fraudeurs. En effet, cette numérisation extrême constitue un terrain propice aux cyberattaques. Un outil d’IA peut par exemple imiter la voix d’un tiers de confiance et obtenir ainsi des informations confidentielles. ChatGPT pourrait même étudier et permettre de briser les pare-feux des entreprises.

Les risques au sein du marché de travail sont liés au possible remplacement de certains métiers par l’IA. Jusqu’à récemment, les craintes étaient liées aux métiers des cols bleus mais désormais ces craintes se portent sur les cols blancs. Par exemple, les textes écrits dans n’importe quel domaine, des problèmes complexes de mathématiques, des programmes informatiques peuvent à présent être effectués par ChatGPT, bien qu’une intervention humaine soit souvent requise pour finaliser les résultats. Ces compétences pourraient donc remplacer beaucoup de métiers à terme. Pour qu’elle fonctionne mieux, l’IA doit pouvoir discerner les données produites par des experts fiables de celles produites par d’autres.


Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».

Abonnez-vous dès aujourd’hui


Au-delà de ces problématiques qui concernent directement les entreprises, d’autres risques apparaissent, tels que ceux qui concernent les clivages sociaux. Ceux-ci peuvent concerner les discriminations de genres ou l’accentuation des inégalités en termes de richesses. D’une part, les entreprises du numérique sont accusées de préjugés sexistes dans leurs algorithmes de recherche. En effet, si un outil génératif ne répond pas à un besoin par un souci d’être politiquement correcte, il est possible de s’alimenter sur des outils concurrents qui autoriseraient ces biais. D’autre part, les personnes ayant les moyens financiers pourraient se former aux nouveaux outils de l’IA et les moins favorisés seraient déclassés par ces changements.

Les risques de concurrence internationale font référence au poids des entreprises mondialisées du numérique ayant une base d’utilisateurs très importante, comme les Gafam américains ou les chinoises Alibaba ou ByteDance. Ces entreprises de marché capitalistique donneraient implicitement au gouvernement de leur pays d’origine un pouvoir de domination géopolitique. Pour l’instant, la majorité des outils disponibles sur le marché sont par des entreprises américaines, ce qui renforce l’hégémonie des États-Unis. La Chine ne s’y trompe pas : la société Baidu a développé Ernie Bot, mais il n’est pas encore efficace car il doit prendre en compte la censure des informations par le gouvernent chinois. Et Alibaba prévoit aussi d’avoir l’outil concurrençant ChaptGPT.

Le rôle décisif des pouvoirs publics

Les risques liés à l’IA sont multiples. Sont-ils pour autant source d’inéluctables problèmes ? La réponse à cette question dépend de l’utilisation qui sera faite de l’IA. La réponse serait affirmative si l’IA est utilisée à des fins de surveillance, de fraude sur les données, voire de destruction volontaire d’emplois par des entrepreneurs ou si elle perpétue des biais sociaux. La réponse sera négative, si le développement et l’utilisation de ces outils est encadré par la loi, et lorsque ces outils permettront l’amélioration des conditions de travail ou la fourniture de services aux citoyens là où il n’y a en avait pas.

Vipin Mogha, Enseignant-Chercheur en Finance et Entrepreneuriat, ESCE International Business School et Arvind Ashta, Professor Finance and Control, Burgundy School of Business

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Comment penser un futur désirable pour le boulevard périphérique parisien ? Yardley / FlickR, CC BY-NC

Santé et environnement, comment réinventer le périphérique de Paris ?

Comment penser un futur désirable pour le boulevard périphérique parisien ? Yardley / FlickR, CC BY-NC
Éloi Laurent, Sciences Po

Le boulevard périphérique parisien, inauguré par le premier ministre Pierre Mesmer le 25 avril 1973, ne fête que son demi-siècle, mais, pour beaucoup, il incarne déjà la préhistoire urbaine. Monument de nuisances dont les bénéfices ont été épuisés, il concentre tout ce dont on ne veut plus dans les villes du XXIe siècle : la congestion, le bruit, les îlots de chaleur urbains, les émissions de CO2 et de particules fines, la mobilité thermique individuelle mais aussi le séparatisme social. Alors qu’il devait relier, connecter, accélérer, il est devenu une double enceinte qui fige le petit Paris et enferme les automobilistes dans leur propre pollution.

Au mois de janvier dernier, lors d’une matinée organisée par le club Ville hybride, Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la Mairie de Paris en charge (notamment) de l’Urbanisme, de l’architecture et du Grand Paris, déclarait que détruire le périphérique était « un fantasme ». Certes, mais comment le reconstruire ? Revêtements antibruit, végétalisation, voie réservée aux usages collectifs, couverture de certaines portions, passage de 4 à 3 files : les projets ne manquent pas pour actualiser le périphérique et sont au cœur des travaux de l’Atelier parisien d’urbanisme.

Si une consultation vient d’être ouverte sur les « modalités du projet de voie dédiée au covoiturage et aux transports collectifs », ce sont toutes les voies possibles de l’avenir du périphérique qu’il faudrait ouvrir à projet. Les concepts forgés par l’économie du bien-être pourraient ici servir de boussole.

Une infrastructure est aussi sociale et écologique

La première question est de savoir ce que l’on entend par « infrastructure ». Pour Karl Marx, il s’agit d’une fondation constituée de forces productives et de rapports de production sur laquelle repose une superstructure, elle-même à deux étages : les institutions et les idéologies.

Très récemment, cet enjeu de définition a été soulevé outre-Atlantique autour du plan d’investissement voulu par le président démocrate américain Joe Biden. En novembre 2021, le Congrès n’adoptait qu’un des trois piliers du plan initial, celui intitulé « infrastructures », compris au sens étroitement matériel du terme : 1 200 milliards de dollars étaient engagés sur dix ans pour entretenir les ponts, les routes et permettre le déploiement d’une connexion Internet haut débit partout sur le territoire américain.

Les débats aux États-Unis autour du plan d’investissement voulu par le Président Biden ont retenu une définition très matérielle du terme infrastructure. Flickr, CC BY-SA

Mais la société américaine, dans laquelle l’espérance de vie continue de baisser inexorablement alors qu’elle a rebondi dans les pays comparables après le pire du Covid, a tout autant besoin de nouvelles fondations sociales et environnementales. Il faudra attendre jusqu’en août 2022 pour arracher aux Républicains un plan sur le climat et la santé, à hauteur de 370 milliards de dollars, très loin des quelque 1 750 milliards espérés par les progressistes : des mesures capitales pour la transition énergétique, les soins ou l’accès à l’université en ont été retirées.

Aux États-Unis, les superstructures continuent donc de saper les infrastructures sociales et écologiques. Comment, en Île-de-France, faire mieux et penser des infrastructures social-écologiques urbaines à partir de l’économie du bien-être ? Quel visage aurait le périphérique dans la ville post-croissance ?

Quel Paris post-croissance ?

Le premier visage de la ville post-croissante est la ville décroissante, objet encore largement impensé dans la littérature académique. On peut distinguer trois décroissances urbaines par ordre décroissant (tant qu’à faire) d’importance. La première décroissance, sans doute la moins explicite et pourtant la plus essentielle, est la désartificialisation des sols, dans la foulée de la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 et des principes de sobriété foncière et de densification urbaine. Cela pourrait bien s’avérer être, à bas bruit, la première politique de décroissance française.

La deuxième décroissance est la démétropolisation, qui vise à réduire la taille des plus grandes villes françaises pour les ramener à des proportions à la fois socialement et écologiquement soutenables. C’est la figure de la ville moyenne, particulièrement saillante dans l’après-pandémie de Covid (mais aussi de manière intrigante dans la cartographie du mouvement social de début 2023 contre la réforme des retraites) qui s’impose dans le paysage français comme alternative souhaitable à la métropole globale.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

La troisième décroissance, enfin est la décélération urbaine, qui vise à réduire non pas seulement les volumes de flux de matière consommée par les villes (métabolisme urbain) mais la vitesse des flux humains dans les villes. La « ville du quart d’heure » en est le mot d’ordre paradoxal, masquant en partie l’enjeu de la décélération numérique.

Une ville de la coopération

Le deuxième visage de la ville post-croissance est déjà expérimenté à Bruxelles et Amsterdam. Il s’agit de la ville du Donut, modèle inspiré des travaux de l’économiste Kate Raworth. Il vise à trouver pour chaque endroit un plancher social et un plafond écologique entre lesquels situer les activités : un minimum de consommation de ressources s’avère nécessaire pour satisfaire des besoins élémentaires mais il y a également des seuils dangereux à franchir.

Kate Raworth tente avec son équipe de mettre en œuvre ses intuitions théoriques dans un Doughnut Economics Action Lab (DEAL), lequel a inspiré le projet Brussels Donut. Celui-ci propose notamment de répondre de manière empirique, cohérente et intégrée aux quatre questions suivantes : « que signifierait pour les habitants du territoire de vivre une vie épanouie ? », « que signifierait pour le territoire de prospérer dans son habitat naturel ? », « que signifierait pour le territoire de respecter le bien-être de toutes les personnes à travers le monde », « que signifierait pour le territoire de respecter la santé de la planète ? ».

Le troisième et dernier visage de la ville post-croissance est la ville du bien-être, qui mettrait la coopération sociale et la pleine santé (aussi bien physiologique que psychologique, individuelle que collective, humaine qu’écologique) au cœur des politiques territoriales. Cette ville du bien-être n’est pas une ville de l’attractivité : sa priorité est le bien-être des personnes qui vivent sur son territoire plutôt que celui des personnes qui n’y vivent pas mais voudraient y faire vivre leur capital.

Trois initiatives récentes permettent de mieux l’envisager. La première, initiée à Grenoble, consiste à proposer de piloter la ville avec des indicateurs de santé-environnement pour en déduire des politiques publiques visant les co-bénéfices et la justice environnementale. Des indicateurs produits récemment pour la métropole de Lyon permettent de même d’imaginer ce type de pilotage. La deuxième, en cours dans la capitale des Gaules, consiste à partir d’une enquête sur le bien-être des habitants pour en déduire des priorités de financement public. Enfin, à Uzès, dans le Gard, il s’agit de partir de la santé des habitants pour construire de manière collective des moyens de se protéger des chocs écologiques, à commencer par les canicules et la sécheresse, qui s’installent pour longtemps en France.

Au cœur de cette ville du bien-être se déploie la coopération plutôt que la collaboration. On pourrait penser ces termes synonymes, mais la collaboration s’exerce au moyen du seul travail, pour une durée et un objet déterminés tandis que la coopération fait appel à l’ensemble des capacités humaines, sur un horizon long, dans un processus libre de découvertes mutuelles.

Forêts urbaines

On le voit, les mondes de la post-croissance émergent et évoluent dans l’univers urbain, en France comme ailleurs, aussi loin de leurs caricatures que proches des réalités et défis de leur temps. Alors que ces approches fleurissent et convergent partout en Europe, la grande transformation du périphérique parisien peut-elle se réduire à se mettre au niveau des autoroutes américaines d’il y a 50 ans (la première voie à usage collectif, bus et co-voiturage, a en effet été ouverte à Washington en 1973, année d’inauguration du périphérique) ?

Les projets de transformations des portes en place, comme ceux en cours porte Maillot ou en débat porte de Montreuil, dessinent pourtant de nouveaux horizons : recoudre Paris avec les communes limitrophes et favoriser la coopération entre territoires comme entre habitants. Les espaces d’échangeurs, pensés dans une optique de fluidifier et d’optimiser la circulation automobile, auraient vocation à devenir des lieux de vie.

L’exécutif parisien recherche d’ailleurs des espaces pour implanter des forêts urbaines et pourrait vouloir faire du périphérique une ceinture verte, c’est-à-dire aussi une ceinture de fraîcheur pour affronter les canicules. Les bénéfices en matière de santé et de justice seraient considérables : les études d’Airparif et Bruitparif montrent que les abords du périphérique constituent de véritables points noirs en matière de pollutions atmosphérique et sonore avec des conséquences néfastes sur la santé des plus vulnérables (400 000 personnes seraient exposées à des risques liés aux particules fines, 140 000 vivant dans un environnement qui excède les seuils de bruit recommandés par l’Organisation mondiale de la Santé), sans parler d’un Paris à 50 degrés.

À la nécessité de construire une infrastructure de pleine santé correspond la nécessité de la concevoir comme une transition juste, à laquelle les habitants seraient pleinement associés. C’est certainement ambitieux, mais l’idée était au cœur des Routes du futur du Grand Paris et elle pourrait remettre le bien-être humain, la justice sociale et la participation démocratique, aujourd’hui périphériques, au centre des politiques franciliennes.

Éloi Laurent, Enseignant à Sciences Po et à l’Université de Stanford, économiste senior à l’Observatoire français des conjonctures économiques, Sciences Po

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Fin 2022, les grandes dimensions du bien-être subjectif retrouvaient des niveaux similaires à ceux enregistrés pendant la crise des «gilets jaunes». Wallpaperflare.com, CC BY-SA

Pourquoi l’inflation plombe le sentiment de bien-être des Français

Fin 2022, les grandes dimensions du bien-être subjectif retrouvaient des niveaux similaires à ceux enregistrés pendant la crise des «gilets jaunes». Wallpaperflare.com, CC BY-SA
Claudia Senik, Sorbonne Université

L’inflation ne pèse pas seulement sur le pouvoir d’achat des Français, mais aussi sur leur bien-être.

Depuis le premier trimestre de l’année 2022, l’indicateur de satisfaction des ménages de l’Observatoire du bien-être, rattaché au Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap), est en effet en baisse.

À la fin de l’an passé, les grandes dimensions du bien-être subjectif ont retrouvé ainsi des niveaux similaires à ceux enregistrés pendant la crise des « gilets jaunes ». Elles sont identifiées grâce à vingt questions invitant les enquêtés à donner des notes entre 0 et 10, par exemple, « dans quelle mesure êtes-vous satisfait de votre santé ? », 0 valant pour « pas du tout satisfait » et 10 pour « complètement satisfait ».

Fourni par l'auteur

Cette flambée d’insatisfaction s’appuie surtout sur l’inflation, qui a atteint +5,2 % en France au cours de l’année 2022. La hausse des prix pèse fortement sur le sentiment de bien-être pour des raisons multiples. D’abord, dans un contexte où les augmentations salariales restent inférieures au rythme de l’inflation, elle pèse mécaniquement sur le pouvoir d’achat.

Ensuite, l’inflation crée de l’incertitude et brouille les anticipations que peuvent former les ménages concernant l’avenir. Enfin, les ménages sont très inégalement exposés à l’inflation, en particulier face aux prix de l’énergie et de l’alimentation, ce qui conduit à un impact disproportionné sur certains budgets.

Une inquiétude face à l’avenir

En d’autres termes, la perte de bien-être en 2022 paraît d’abord liée, pour la grande masse des ménages, à des inquiétudes quant à l’avenir.

Ainsi, l’indicateur de bien-être subjectif qui a le plus souffert dans l’année correspond à la question : « quand vous pensez à ce que vous allez vivre dans les années à venir, êtes-vous satisfait de cette perspective ? » Il a chuté de concert avec l’indice synthétique de confiance des ménages de l’Insee qui agrège différentes variables tel que l’opinion sur les niveaux de vie passés et anticipés, sur les perspectives de chômage ou sur l’opportunité d’épargner ou non.

Fourni par l'auteur

Cette dégradation du bien-être se reflète notamment dans notre série d’indicateurs de « sentiments » et d’émotions exprimées sur le réseau social Twitter. Entre 2015 et 2018, on constate une montée de la négativité. L’expression de la joie (courbe verte) était plus fréquente que celle des trois émotions négatives. Or, elle connait un point d’inflexion dans la deuxième partie de l’année 2016 et chute encore plus fortement en 2019 après la période des « gilets jaunes ».

Fourni par l'auteur

Les deux séries d’émotions empruntent des trajectoires opposées, avec la montée des expressions d’émotions négatives et la chute des émotions positives. Même les déconfinements, qui coïncident avec un rebond significatif de nos autres indicateurs de bien-être subjectif, n’ont qu’un effet limité sur les expressions de joie, et cette courbe atteint son nadir au premier trimestre 2021, entre le deuxième et le troisième confinement. Ce n’est qu’à partir de l’été 2021 que les fréquences des deux types d’émotions ont commencé à se rapprocher (avec une plus haute fréquence des expressions de joie, et une moindre prévalence des émotions négatives).

Notons qu’au cours des semaines récentes, nous avons assisté à une forte augmentation des expressions de colère, en parallèle avec la contestation de la réforme des retraites.

Les Français de plus en plus écoanxieux

Au-delà de l’inflation et de la guerre en Ukraine, la menace climatique affecte également le bien-être de la population. Alors que moins de la moitié des Français plaçaient le réchauffement climatique parmi leurs deux premières préoccupations en 2016, c’est maintenant le cas de 60 % d’entre eux. Cette progression régulière illustre la prise de conscience grandissante par les Français de l’urgence de la crise climatique en cours.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Cette écoanxiété pousse aujourd’hui les Français à agir : 61 % de la population déclare ainsi participer activement à la lutte pour la protection de l’environnement. Plus d’un tiers des répondants estiment pouvoir faire davantage et seule une très faible fraction pense qu’il n’est pas vraiment utile d’agir individuellement. Notons d’ailleurs que les personnes qui indiquent la nécessité d’un investissement individuel maximal déclarent également un niveau de satisfaction dans la vie plus élevé que ceux qui évoquent un manque de moyens pour agir.

Fourni par l'auteur

Les Français estiment très majoritairement (73,2 %) que chacun doit s’investir le plus possible. Une part encore importante (13,5 %) estime ne pas disposer des moyens nécessaires pour agir à son niveau. Ainsi, une grande majorité de la population est consciente et s’inquiète des problèmes environnementaux, désire fondamentalement agir mais trouve difficile d’en faire davantage.

Les motivations entraînant l’action pro-environnementale des individus sont plus diversement réparties. Si 40 % de la population pense avant tout à laisser aux générations futures un environnement de qualité, la protection de la santé (25 %) ainsi que de la nature et des espèces animales et végétales (22 %) constituent ainsi des motifs d’action également.

Une nostalgie du passé

Comme nous l’avions relevé dans notre précédent baromètre qui portait sur l’année 2021, l’inquiétude face à l’avenir a pour contrepartie le repli vers le passé. Nous posons depuis le début de notre enquête la question suivante : « certaines personnes aimeraient bien vivre dans une autre époque en France. Si vous aviez le choix, laquelle choisiriez-vous ? ».

Nous laissons à cette question la possibilité de répondre « l’époque actuelle », et de fait 27 % des répondants la choisissent. Les deux tiers des répondants choisissent des périodes passées, tandis que l’avenir n’attire que moins de 3 % des répondants. Or, on note un net décrochage des réponses en faveur des époques passées depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Fourni par l'auteur

Lorsqu’on demande de quelle période les interrogés sont le plus nostalgiques, beaucoup sélectionnent la décennie de leurs vingt ans. Plus qu’à un état de la France, c’est probablement à leur jeunesse passée qu’ils se reportent. Cependant, les années 1980 jouissent d’une popularité certaine, même auprès de personnes trop jeunes pour les avoir connues.

Enfin, comme l’an dernier, nous relevons que la sphère proche (familles, amis, relations professionnelles) constitue un autre refuge face aux inquiétudes. Les relations avec les proches et le sentiment de pouvoir en attendre du soutien restent ainsi des points de satisfaction importants. Au sein de notre jeu de questions, celles-ci attirent régulièrement les scores moyens les plus favorables.


Mathieu Perona, directeur exécutif de l’Observatoire du bien-être du Cepremap, et Claudia Senik, directrice de l’Observatoire, ont rédigé les rapports 2020 et 2021 « Le Bien-être en France ». Le rapport 2022 sera présenté lors d’une conférence en ligne le 21 avril 2023.

Claudia Senik, Directrice de l'Observatoire du bien-être du CEPREMAP, Professeur à Sorbonne Université et à Paris School of Economics, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Selon une enquête menée par un consortium de journalistes, certaines pratiques fiscales dans les banques auraient conduit à une perte de recettes de 150 milliards d'euros sur 15 ans en Europe. Ken Teegardin/Flickr, CC BY-SA

CumCum et CumEx : quand le secteur bancaire défie l’esprit des lois fiscales

Selon une enquête menée par un consortium de journalistes, certaines pratiques fiscales dans les banques auraient conduit à une perte de recettes de 150 milliards d'euros sur 15 ans en Europe. Ken Teegardin/Flickr, CC BY-SA
Aziza Laguecir, EDHEC Business School et Mouna Hazgui, HEC Montréal

Le 28 mars dernier, cinq grandes banques (BNP Paribas, Société Générale, Natixis, HSBC et Exane, une filiale de BNP Paribas) ont été perquisitionnées dans le cadre d’enquêtes préliminaires, ouvertes en 2021, pour soupçons de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale. Ordonnées par le Parquet national financier (PNF), ces enquêtes ciblent des pratiques d’arbitrage de dividendes largement exploitées par les banques : le « CumCum » et le « CumEx ».

L’arbitrage de dividendes est une technique répandue d’optimisation fiscale qui profite aux actionnaires étrangers. Les banques transfèrent temporairement (juste avant la période de versement des dividendes) la propriété des actions d’un client à un autre client résidant dans une juridiction à fiscalité réduite. Les économies fiscales réalisées grâce à cette transaction sont ensuite partagées entre la banque et le client.

En France, le fisc retient jusqu’à 30 % d’impôts sur les dividendes versés par les entreprises françaises aux actionnaires étrangers, selon la résidence fiscale de l’actionnaire. L’arbitrage de dividendes permet donc de réduire, voire d’échapper complètement, aux retenues fiscales françaises sur les dividendes. Poussé à l’extrême, il permet même à certains actionnaires étrangers de demander au fisc français des remboursements d’impôts qui n’ont pas été nécessairement retenus sur leurs dividendes.

Le CumCum : Une pratique légale mais potentiellement abusive

Le CumCum permet d’échapper à tout ou à une partie de l’impôt prélevé par l’État français sur les dividendes versés aux actionnaires étrangers d’une société française grâce à deux types de montages financiers. Le premier, interne, consiste à transférer les actions à un résident français, le plus souvent une banque, qui encaisse les dividendes avant de les reverser à l’investisseur étranger. En effet, les banques en tant que société bénéficient d’une fiscalité plus avantageuse que les particuliers.

Le second, externe, consiste à transférer les actions de l’investisseur étranger à un autre investisseur étranger, qui pourrait là aussi être une banque, résidant d’un pays avec lequel la France a signé une convention fiscale favorable. Ces deux types de montages, dans lesquels les banques jouent un rôle clé, permettent à l’investisseur de réaliser des économies d’impôts et de n’avoir qu’à verser une commission en échange du service rendu.

Si l’optimisation fiscale via le CumCum n’enfreint pas la loi, l’usage abusif qui en est fait soulève des questionnements éthiques. À cet égard, des dispositions ont été prises en France, en 2019, qualifiant d’abus de droit, les transactions CumCum ayant un but « principalement » et non seulement « exclusivement » fiscal.

La France a également ratifié une convention multilatérale, développée sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), permettant de refuser les avantages des conventions fiscales dès lors que l’un des objets principaux du montage financier est d’obtenir un avantage fiscal indu. Réaliser une transaction CumCum dans un objectif essentiellement fiscal constitue donc, du moins depuis 2019, un « abus de droit » passible de sanctions.

Du potentiellement abusif au certainement frauduleux : le CumEx

Le CumEx permet quant à lui à plusieurs actionnaires étrangers de demander des remboursements d’impôts à l’État français (impôt qui n’a soit jamais été retenu, soit retenu une seule fois). Le CumEx est possible en raison du nombre élevé d’échanges d’actions entre différentes personnes, peu de temps avant le versement des dividendes, rendant compliqué, voire quasi impossible, l’identification par le fisc du « véritable » propriétaire des actions. Concrètement, l’arbitrage des dividendes via le CumEx constitue donc une pratique illégale dont l’objectif principal est de duper l’administration fiscale.

En 2018, une enquête, connue sous le nom de CumEx File et menée par un consortium international de journalistes (dont Le Monde et le quotidien allemand Die Zeit), avait exposé les transactions CumCum et CumEx au grand jour. Selon cette enquête, la perte de recettes sur 15 ans pour plusieurs pays européens (dont la France et l’Allemagne), s’élèverait à 150 milliards d’euros. Le préjudice pour l’État français s’élevait quant à lui à 33,4 milliards d’euros. Étant donné la complexité et la multiplicité des montages financiers, en utilisant notamment les ventes rapides à découvert, le CumEx reste difficile à prouver.

Comment distinguer le légal de l’abusif ?

Si la pratique d’arbitrage de dividendes en vue d’optimisation fiscale est légale, elle peut être considérée comme particulièrement limite d’un point de vue éthique. Les banques défendent leur recours aux transactions CumCum, largement répandues dans les milieux financiers, en plaidant pour leur strict respect des règles fiscales en vigueur. Selon Étienne Barel, directeur général délégué de la Fédération bancaire française, le prêt d’actions répond par ailleurs à un réel besoin économique de financement des entreprises ou de fluidité des marchés financiers.

Selon lui, imposer aux banques françaises des règles trop strictes sur ce type d’opérations, reviendrait à les affaiblir face à leurs concurrents étrangers, détériorant ainsi la compétitivité de la place de Paris. Nous pouvons imaginer que l’arbitrage de dividendes, fait dans un esprit éthique, peut en effet bénéficier à l’économie française en permettant un accès rapide et facilité aux ressources et de maintenir une certaine compétitivité mais cela ne semble pas constituer sa principale motivation.

Dans ce contexte, la question demeure de savoir comment distinguer le légal de l’abusif ? Surtout lorsqu’il s’agit d’un montage financier mobilisé tout au long de l’année et plus particulièrement dans les périodes précédant les versements de dividendes ? Le gouvernement dispose-t-il vraiment des moyens de contrôle nécessaires permettant de distinguer les ventes à visée fiscale et les autres ? Et puis si ce mécanisme reste reconnu comme légal, est-il pour autant moral ? Nos recherches démontrent que le respect des règles n’empêche pas la poursuite d’objectifs opportunistes ou le camouflage de réalités sous couvert de conformité technique.

Comment prévenir ou sanctionner le CumEx ?

S’agissant du CumEx, la question éthique se pose moins puisque la pratique en question est clairement frauduleuse et reflète une escroquerie pure et simple au fisc. Ici, l’enjeu est plutôt dans les aspects de contrôle. La pratique du CumEx est possible car la rapidité des outils technologiques, la complexité, le nombre de transactions et de juridictions fiscales font que l’administration fiscale n’est pas en mesure d’identifier le propriétaire réel des actions. Comment alors prévenir ou sanction]ner le CumEx ? Nos recherches montrent en effet que la numérisation des activités de trading et leur complexification, ont rendu non seulement leur contrôle compliqué mais aussi leurs condamnations morales.

L’aspect limité des contrôles amène également à réfléchir aux conséquences des pratiques CumEx sur l’éthique professionnelle. En débit de leur illégalité, ces dernières peuvent en effet être perçues dans les banques ou les firmes spécialisées dans l’optimisation fiscale comme communément admises. Dans ce contexte, nous pouvons nous interroger aussi sur la volonté politique et les moyens nécessaires pour limiter leur prépondérance. La recherche établit que certaines évolutions technologiques pourraient aider à faire baisser l’incidence de fraude financière mais que d’autres – comme l’anonymat offert par certaines applications de la blockchain – réduiront le coût et augmenteront probablement la rentabilité et l’innovation en matière de fraude.

Aziza Laguecir, Professeur, EDHEC Business School et Mouna Hazgui, Associate professor, HEC Montréal

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.