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Pour les séjours plus longs, la recherche du calme finit par l’emporter dans la décision du locataire. Peggy/Pixabay , CC BY-SA

Comment la durée de séjour impacte nos critères de choix sur Airbnb

Pour les séjours plus longs, la recherche du calme finit par l’emporter dans la décision du locataire. Peggy/Pixabay , CC BY-SA
Benoît Faye, INSEEC Grande École

La France occupe le premier rang mondial en matière d’offre de location pair à pair par habitant. Les deux grandes plates-formes Airbnb et Booking connectent hôtes et invités pour l’usage à court terme d’un espace non commercial. Le prix que l’invité consent à payer dépend des caractéristiques du logement : localisation, surface, quartier, équipement et services, conditions ou règles de location, et réputation. De nombreuses études académiques ont estimé l’influence de chacune sur le prix.

Cependant, notre récente étude parue dans la Revue d’économie régionale et urbaine, montre que nos consentements à payer pour chaque caractéristique dépendent de notre durée de séjour. Le temps s’invite dans l’équation. Sans doute, lors de la préparation de votre séjour, avez-vous dit ou entendu : « écoute, pour deux jours, on ne va pas faire les difficiles ! » ou bien « ah non, je passe pas une semaine là-dedans ! »

L’introduction du temps pose de nombreuses questions. Pour de courts séjours, la centralité et la proximité des lieux touristiques ne deviennent-elles pas essentielles lorsque, faute de temps, nous ne voulons pas le perdre dans les transports ? La surface, l’équipement d’un logement ou le voisinage sont-ils si importants pour seulement 2 ou 3 nuitées ? Et si la durée de séjour s’allonge, nos préférences restent-elles les mêmes ?

Des durées plus courtes à Reims et Amiens

Nous fournissons des réponses en étudiant l’influence de la durée de séjour sur les consentements à payer des locataires Airbnb de logements entiers pour chaque caractéristique des hébergements. L’analyse porte sur 47 756 locations (prélevées en automne) dans les 31 premières communes françaises pour lesquelles les durées moyennes de séjour diffèrent. La durée moyenne de séjour est en France de 3,8 jours avec des variations selon les villes d’environ +/- 30 %.

Reims et Amiens présentent les durées les plus courtes, Brest et Toulon les durées les plus longues, sans doute en raison des temps de trajet nécessaires pour rejoindre les unes ou les autres depuis Paris.

Tout d’abord, si notre consentement à payer s’accroît avec la proximité du centre-ville ou du principal lieu touristique, l’allongement de la durée de séjour en réduit l’influence. Il semble donc que plus le séjour est court moins nous voulons perdre de temps dans les transports. Mais l’allongement du séjour rend la centralité et les nuisances de sa densité, moins attractives.

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Conformément à ce premier résultat, les quartiers centraux et touristiques ont des effets positifs sur les consentements à payer qui se réduisent avec la durée de séjour. Inversement, les quartiers résidentiels aisés (péri-centraux) ont certes un effet négatif sur les prix mais qui se réduit avec le temps. La recherche du calme finit par l’emporter.

Le plus d’une piscine

De façon surprenante, le consentement à payer pour des quartiers populaires, souvent à proximité du centre et partiellement gentrifiés, est élevé. Cependant, il s’atténue avec une durée qui finit par en révéler les inconvénients. La figure suivante affiche l’effet maximum (euros) sur le prix de location d’un type (pur) de quartier ainsi que l’effet de chaque journée supplémentaire sur la valeur du quartier.

Le consentement à payer pour la surface du logement est également dépendant du temps. Si le prix s’accroît naturellement avec la capacité d’accueil, notre consentement à payer pour une plus grande surface par occupant croît avec le temps. Plus la durée de séjour augmente moins la promiscuité paraît acceptable.

Enfin, même le consentement à payer pour les équipements et services varie avec la durée de séjour. La figure ci-dessous montre les caractéristiques pour lesquelles la durée de séjour accroît significativement le consentement à payer des locataires.

Qu’il s’agisse d’agrément (jardins, piscines, cheminées) ou de fonctionnalité (air conditionné, machines à laver, parkings, cuisine, ou espace de travail), ces équipements prennent d’autant plus de valeur que le temps de résidence s’allonge. C’est aussi le cas de l’autorisation d’héberger des animaux, parce qu’ils finissent par nous manquer ou ne peuvent se passer de nous.

Ces résultats donnent un regard différent sur nos préférences à l’égard des offres Airbnb. Ils permettent aussi aux hôtes d’optimiser leur(s) offre(s) de caractéristiques en fonction de la durée moyenne de séjour de leur ville d’appartenance. À l’inverse, ils peuvent aussi limiter leurs durées de séjour autorisées pour qu’elles correspondent à leur offre actuelle de caractéristiques.

Benoît Faye, Full Professor Inseec Business School, Chercheur associé LAREFI Université de Bordeaux Economiste des marchés du vin, de l'art contemporain et Economiste urbain, INSEEC Grande École

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Une grande majorité des personnes âgées de plus de 65 ans déclarent ne pas souhaiter être prises en charge en établissement si elles devenaient dépendantes. Wikimedia commons

Le « vieillir chez soi », une alternative aux Ehpad ?

Une grande majorité des personnes âgées de plus de 65 ans déclarent ne pas souhaiter être prises en charge en établissement si elles devenaient dépendantes. Wikimedia commons
Amélie Carrère, Institut National d'Études Démographiques (INED) et Delphine Roy, Paris School of Economics – École d'économie de Paris

En France, on compte entre 1,3 et 3,9 millions de personnes âgées en perte d’autonomie, qui correspond à l’impossibilité totale ou partielle de réaliser seul un ensemble d’activités du quotidien. De nos jours, la probabilité d’atteindre un âge élevé est bien plus importante que par le passé. Il faut donc s’attendre à une forte croissance de la population âgée en perte d’autonomie.

La publication début 2022 du livre-enquête Les fossoyeurs, le scandale Orpea ainsi que les vagues de l’épidémie de Covid-19 ont fait surgir sur la scène publique la question de la qualité de vie des personnes âgées en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Pour respecter à la fois le souhait de la majorité des personnes âgées de « vieillir chez soi » et éviter ces situations catastrophiques en Ehpad, les politiques publiques ont pris un « virage domiciliaire », visant à favoriser la prise en charge à domicile et la désinstitutionnalisation du grand âge.

Une solution pas toujours idéale

Cette idée que l’Ehpad doit être évité repose sur plusieurs éléments. D’abord, l’idée que les gens ne veulent pas aller vivre en établissement. Selon le baromètre de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 60 % des personnes âgées de 65 ans ou plus n’envisagent pas d’être prises en charge en établissement si elles devenaient dépendantes.

Une prise en charge à domicile n’est pourtant pas toujours la solution idéale, et cela pour plusieurs raisons. D’abord parce que la réticence des personnes âgées ne concerne pas seulement la prise en charge en établissement mais aussi l’intervention de professionnels à leur domicile. Des travaux indiquent que la temporalité des interventions peut contribuer à limiter l’adhésion à une aide pourtant essentielle lorsque l’autonomie se dégrade.

Deuxièmement, parce que les personnes sollicitent fréquemment leur entourage, lui aussi indispensable à une prise en charge à domicile. Les travaux de la Drees montrent que, pour rester à domicile lorsqu’on est dépendant, la présence de l’entourage est incontournable et son implication conséquente. Or, il apparaît que, dans les années à venir, davantage d’hommes vont vieillir sans conjointe ni enfant, et auront donc un nombre d’aidants potentiels beaucoup plus réduit.

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Comment feront ces personnes si elles souhaitent rester à leur domicile ? Les seniors les plus isolés socialement et fragiles économiquement qui se tournent aujourd’hui vers les Ehpad pourront-ils trouver à domicile le soutien nécessaire ? Enfin, il faut souvent procéder à des travaux dans son logement, réorganiser les pièces pour éviter les chutes et l’aggravation de l’état de santé. Or, on se rend compte que les personnes ont plutôt tendance à s’adapter à leur logement plutôt qu’adapter leur logement à leur état de santé.

Dans le cadre d’une prise en charge à domicile, l’entourage reste incontournable. CC BY-SA

Le deuxième chiffre avancé est que le coût en établissement est plus élevé, à la fois pour les personnes et pour la dépense publique. La Direction de la sécurité sociale évalue qu’une personne dépendante paye de sa poche en moyenne 50 euros par mois à domicile contre 1 025 euros par mois en établissement, tandis que la dépense publique est en moyenne de 975 euros par mois à domicile contre 1 883 euros par mois en établissement.

Des solutions alternatives onéreuses

Mais les différences de coût domicile/établissement proviennent d’abord du fait que certains coûts à domicile ne sont pas pris en compte dans cette comparaison : c’est le cas, principalement, de l’aide de l’entourage et des aménagements du logement. C’est aussi lié au fait qu’on ne sait pas ce que serait le coût de la dépendance si les personnes les moins autonomes, plus isolées socialement, aux troubles souvent multiples, qui sont actuellement accueillies en établissement… restaient à domicile.

Le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) estime qu’en faisant appel à des services d’aide à domicile dès qu’une personne est très sévèrement dépendante et a besoin de plus de 2,4 heures d’aide par jour, il est moins coûteux pour elle de vivre en établissement. 2,4 heures par jour, c’est relativement peu pour les personnes ayant besoin d’une assistance permanente, en cas de maladie d’Alzheimer par exemple.

Les solutions alternatives actuellement mises en avant (résidences services seniors, habitats partagés, etc.) restent pour autant peu développées, peu connues, n’apportent que peu de solutions médicales et restent souvent assez onéreuses. Par exemple, le groupe Domitys, acteur majeur du secteur des résidences services pour seniors, précise sur son site Internet que, « pour une personne seule, habitant un deux-pièces et déjeunant au restaurant tous les midis, il faut compter 1 709 euros par mois » pour une place dans sa résidence à Poitiers. Or, 68 % des retraités ont actuellement une pension inférieure à 1 700 euros par mois.

Il apparaît donc essentiel d’évaluer les véritables besoins des personnes âgées afin de proposer des solutions adéquates, accessibles géographiquement et financièrement, et qui rencontreront l’adhésion des personnes concernées.


Cet article est publié dans le cadre du Printemps de l’économie 2023, qui se déroule du 5 au 7 avril au Conseil économique social et environnemental à Paris et dont The Conversation France est partenaire.

Amélie Carrère, Economiste, Institut National d'Études Démographiques (INED) et Delphine Roy, Directrice du programme "Santé et autonomie" de l'IPP, Paris School of Economics – École d'économie de Paris

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Les protections périodiques réutilisables seront bientôt remboursables, en officine, pour les moins de 25 ans. Unsplash/@OANA CRISTINA, CC BY-SA

Précarité menstruelle : quand le politique et l’économique s’invitent dans l’intime

Les protections périodiques réutilisables seront bientôt remboursables, en officine, pour les moins de 25 ans. Unsplash/@OANA CRISTINA, CC BY-SA
Alice Riou, EM Lyon Business School

Le 6 mars 2023, deux jours avant la Journée internationale des droits des femmes, la première ministre Élisabeth Borne a

le remboursement par la Sécurité sociale des protections périodiques réutilisables. Elle a précisé que ce serait, pour les moins de 25 ans, sans ordonnance, à partir de 2024. Cette annonce a ravivé le sujet de la « précarité menstruelle », qui se déploie dans les sphères politiques, économiques et intimes, quitte à se télescoper parfois.

Sous-catégorie de la « précarité hygiénique », la « précarité menstruelle » définit la « situation vécue par toute personne qui éprouve des difficultés financières à disposer de suffisamment de protections périodiques pour se protéger correctement pendant ses règles », selon Règles élémentaires. Cette association œuvre depuis 2015 à la visibilité du phénomène qui toucherait 4 millions de personnes menstruées en France. Les conséquences de cette précarité sont à la fois physiques, psychiques et sociales. Et la situation empire d’après leur dernière enquête.

Environ 4 millions de personnes seraient concernées par la précarité menstruelle en France. Enquête Règles élémentaires X OpinionWay (février 2023)

Face à un phénomène vieux comme le monde, les politiques français n’en sont pas à leur premier coup d’essai.

Le 21 novembre 2015, le Sénat vote le passage de la TVA appliquée aux protections périodiques de 20 % à 5,5 %. Ainsi, les produits menstruels sont reconnus comme des denrées de première nécessité, mais certains distributeurs ne répercutent pas la baisse de TVA sur les prix car la loi ne les y oblige pas.

Pourtant, 2015 avait été baptisée l’« année de la révolution menstruelle » d’après la radio publique américaine NPR. La chercheuse américaine Chris Bobel, professeure à l’université du Massachusetts et présidente du très académique Centre de recherche sur les cycles menstruels estime que ce fut une année déterminante dans l’intérêt de la sphère politique pour ce thème jusqu’ici très intime.

Une Journée mondiale le 28 mai

En 2019, le gouvernement français mesure la dimension internationale de l’enjeu politique. Il insiste alors sur la tenue de la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle préconisée par l’organisation non gouvernementale internationale WASH depuis 2014. Cette journée a lieu chaque 28 mai : 28 symbolise le nombre de jours dans le cycle, et mai, cinquième mois de l’année, symbolise le nombre de jours des règles.

En 2020, Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, et Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre de la Santé et des Solidarités, annoncent l’expérimentation de la gratuité des protections hygiéniques dans plusieurs lieux collectifs pour un budget d’un million d’euros, porté à cinq millions en 2021. Par la suite, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, met en place la gratuité des protections dans les universités. Cependant, le déploiement reste à ce jour incomplet.

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Certains pays européens ont choisi d’autres manières de distribuer des protections gratuitement. En

, toutes les femmes ont accès à des protections périodiques gratuites et géolocalisables par l’application mobile PicqUpMyPeriod.

En France, la volonté politique de distribuer des produits menstruels gratuitement est donc affichée régulièrement, mais le diable se cache dans les détails des mises en œuvre, et la sphère économique n’aime pas l’incertitude.

D’autant plus que ces dernières années, les campagnes des protections périodiques et les réactions qu’elles suscitent sur les réseaux sociaux montrent bien les tensions qui existent sur ce marché de l’intime.

Des efforts marketing… très politiques

Certaines campagnes sont saluées pour leur pragmatisme. C’est le cas de la campagne Vania #leconfortpourtoutes, durant les mois de mai et juin 2019. L’opération est simple : un paquet acheté, une serviette envoyée au

, qui les redistribue aux sans-abris. De même, Always affirme avoir augmenté ses dons à des jeunes filles précaires et donne de la visibilité au problème avec sa campagne « Non à la précarité menstruelle ». Malgré ces engagements politiques, le discours des produits menstruels est critiqué car il propage certains tabous.

Dans le cadre de mes recherches en storytelling au sein du Lifetyle Research Center de EM Lyon Business School, j’étudie ces tabous avec de la sémantique (analyse des mots) et de la sémiotique (analyse des signes). Les publicités préfèrent encore un

à un rouge réaliste jugé trop indécent, les mots « hygiène » ou « protection » entretiennent l’idée de « sale » ou de « menace », et l’adjectif « féminine » exclut les personnes menstruées transidentitaires.

Pourtant, certaines marques de serviettes périodiques ont fait des efforts et vont droit au but en changeant leur vocabulaire et leurs représentations.

Mais deux types de réactions s’affrontent, toutes deux au nom de la dignité.

Il y a ceux qui, au nom du progrès, récompensent la campagne

du groupe Essity. Et puis ceux qui, au nom de la décence, déposent plus de 1000 signalements au CSA pour la campagne « Viva la vulva » de Nana.

Sur les réseaux, la tendance actuelle est d’affirmer que pour être acceptées, les règles doivent être montrées. Il existe même depuis 2022 une pétition pour la création d’un émoji qui évoquerait les règles.

Une concurrence perturbée par la politique

Depuis plusieurs années, sur le marché des produits menstruels, les marques avaient bien traduit les attentes de naturalité, de produits sains pour le corps et bons pour la planète. De nombreuses gammes de serviettes comportent désormais une ou plusieurs références à base de coton bio, ou sans agents blanchissants.

Plus récemment, innovations plus radicales, de nouveaux produits ont trouvé leur place dans les rayons, comme les culottes de règles ou les

en silicone. Une étude LSA montre même que ce sont ces produits réutilisables qui boostent le rayon.

Mais quel avenir ont les produits réutilisables vendus en grande surface depuis l’annonce du remboursement de ceux vendus en pharmacie ? Vivent-ils leurs dernières heures ? Une enquête sur un autre marché intime dresse quelques pistes.

L’analyse de ce qui s’est passé sur le marché des préservatifs permet d’anticiper le scénario possible sur les produits menstruels. Ces deux catégories concernent des produits intimes. D’ailleurs, sous le post de l’annonce d’Emmanuel Macron concernant les préservatifs remboursés, les commentaires réclamant le même traitement pour les serviettes hygiéniques sont présents.

Le président lui-même communique sur le remboursement du préservatif, et un des commentaires pose la question de l’équivalent pour les serviettes hygiéniques. Source. Post Instagram du 9 décembre 2022 et du 27 mars 2023 @emmanuelmacron

En 2018, alors que 70 % des ventes de préservatifs se réalisaient en supermarché, les officines avaient pu en délivrer gratuitement sur prescription médicale (60 % remboursé par la Sécurité sociale et le reste par les mutuelles). Puis, en 2023, ils sont devenus accessibles sans prescription pour les moins de 26 ans.

Leur remboursement avait pris de court les pharmaciens. Les marques distribuées en grandes surfaces avaient craint un détournement de leur clientèle, voire un trafic de préservatifs gratuits sur le marché noir.

Des effets finalement limités

Mais le dispositif est resté assez méconnu des jeunes d’après L’Élysée et les associations de prévention des maladies sexuellement transmissibles le déplorent. En effet, 4 millions de préservatifs remboursés sur les trois premiers mois de 2023, ce n’est rien comparé aux 113 millions vendus chaque année en France.

Ainsi, les grandes surfaces n’ont pas connu d’écroulement de leurs ventes en raison du remboursement en officine, ni l’émergence d’un marché noir. Elles ont renforcé leur marketing en développant de nouveaux produits et en construisant un storyteling attirant pour les jeunes. La contre-offensive de Durex en ce début d’année 2023 passe notamment par l’association avec trois influenceurs très suivis.

Si le parallèle peut être fait entre ces deux produits intimes, il semblerait que les marques de protections périodiques réutilisables vendues hors des officines n’aient pas de soucis à se faire si leurs récits de marques se distinguent bien de celui employé par les marques officinales et si elles évitent les écueils sémantiques et sémiotiques dans leur communication.

À moins que la mode du

, consistant à ne porter aucune protection pendant les règles, ne mette ironiquement fin à tous ces marchés ?

Alice Riou, Professeur Associé - Marketing et Innovation, EM Lyon Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Les transports parisiens ont connu un automne relativement sombres, notamment sur les réseaux de bus, ce qui donne lieu à une campagne de remboursement partiel du pass Navigo. Andrzej Otr?bski / Wikimedia Commons, CC BY-SA

Pénurie de main-d’œuvre : mais où sont donc passés les conducteurs de bus ?

Les transports parisiens ont connu un automne relativement sombres, notamment sur les réseaux de bus, ce qui donne lieu à une campagne de remboursement partiel du pass Navigo. Andrzej Otr?bski / Wikimedia Commons, CC BY-SA
Jean Pralong, EM Normandie

C’est un automne 2022 noir qu’ont connu les transports parisiens. Délais d’attente plus longs qu’à l’accoutumée, trains supprimés et même un quart des missions de bus non assurées justifient une campagne exceptionnelle de remboursement des passes Navigo, à hauteur d’un demi-mois et même davantage pour les usagers des lignes de RER B et D. Lancée le 14 mars, la plate-forme sera ouverte jusqu’au 14 avril.

La raison principale, invoquée par l’autorité organisatrice comme par les opérateurs, est le manque de personnel, qu’il s’agisse de machinistes, de conducteurs de bus et métro ou d’agents de maintenance. Rémunérations insuffisantes, pénibilité, manque d’attractivité, craintes quant à l’ouverture à la concurrence ou compétition avec les entreprises de la logistique pour recruter les titulaires d’un permis D sont autant d’éléments d’explication qui ont été portés au débat.

Pour Transilien, « c’est un effet du Covid », se défendait Sylvie Charles, directrice de cette entité de la SNCF, dans l’émission Parigo, le grand débat au mois de janvier.

« En 2020 et 2021, nous n’avons pas pu faire toutes les formations qui étaient prévues car ces métiers ne s’apprennent pas en visioconférence ».

Côté RATP, le climat social a aussi été invoqué, motivant au début de l’année la conclusion d’un accord syndical. Le transporteur a par ailleurs lancé une vaste campagne de recrutement afin de répondre aux pénuries et d’anticiper les besoins supplémentaires engendrés par la coupe du monde de rugby qui se tient à l’automne puis par les Jeux olympiques et paralympiques de l’été 2024. 6 600 postes sont à pourvoir tous métiers confondus dont 2 700 pour les seuls chauffeurs de bus.

En province, des pénuries de personnel sévissent tout autant. La rentrée scolaire de septembre avait, pour mémoire, suscité de nombreuses craintes quant à un manque de conducteurs pour les cars scolaires. Une des raisons avancées alors pour expliquer le manque de personnel était la faible attractivité des conditions d’emploi, l’intervalle de temps entre les tournées du matin et du soir s’avérant trop étroit pour d’autres activités, pourtant nécessaires pour compléter ses revenus.

Au-delà des problématiques de l’attractivité de certains postes, peut-être s’y prend-on également mal pour recruter. C’est en tout cas ce que suggèrent nos recherches.

Une pénurie de candidatures plus que de candidats

Les propos tenus sur la pénurie de conducteurs de bus sont typiques des analyses spontanées de la crise du recrutement que connaît la France. Premier argument : nous manquerions de candidats formés et de talents employables. Second argument : le confinement et le télétravail auraient catalysé des mutations dans le comportement des individus et auraient fait éclore une perte de la « valeur travail ».

Le manque de conducteurs reste avant tout quantifié par le volume des intentions de recrutement et leur difficulté perçue. Pour 2022, 17 000 projets d’embauche de conducteurs étaient anticipés par Pôle emploi ; 80 % paraissaient difficiles du fait, principalement, du manque de candidats.

Ce chiffre témoigne davantage des inquiétudes des entreprises qu’il ne quantifie la difficulté réelle. D’autant que les PME des territoires enclavés ne sont sans doute pas confrontées au même volume de CV que les sièges sociaux franciliens. Il faudrait, pour objectiver la difficulté, examiner le volume de demandeurs d’emploi qualifiés disponible pour chaque offre.

Pour les conducteurs, Pôle emploi recense en moyenne cinq fois plus de demandeurs d’emploi que d’offres. Dit autrement, cinq candidats compétents et à la recherche active d’un emploi sont disponibles pour chaque poste à pourvoir. En outre, ces chiffres ne tiennent compte ni des personnes en formation, ni des actifs déjà en poste qui pourraient avoir envie de changer d’emploi. Il existe donc bien un stock de candidats qualifiés correspondant aux offres à pourvoir. La perception de pénurie concerne plutôt les candidatures que les candidats. Et la différence n’est pas qu’une nuance rhétorique.

Un travail empêché ?

Il est intellectuellement simple, mais empiriquement faux, de considérer que les individus vont préférentiellement et exclusivement rechercher des emplois correspondant à leur niveau de qualification. Si les demandeurs d’emploi qualifiés ne manquent pas mais que les candidats font défaut, il faut s’interroger sur les processus par lesquels les individus choisissent une offre et y répondent.

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Une des réalités méconnues du marché du travail est la baisse du nombre de candidats retrouvant un emploi dans leur domaine de qualification. La chaire Compétences, employabilité et décision RH de l’EM Normandie s’applique à collecter des données pour suivre le phénomène. 200 000 actifs représentatifs de la population active sont interrogés au moins deux fois par an pour analyser leur parcours. Les éléments recueillis permettent, notamment, de faire apparaître les écarts entre qualification et emploi retrouvé.

Le taux de candidats retrouvant un emploi dans leur domaine de qualification était de 87 % en 2015. En 2022, il est de 81 % en moyenne, mais il descend jusqu’à 78 % dans le cas des diplômés de bac à bac+3. Une part significative des actifs se détourne des postes pour lesquels ils sont qualifiés et employables. La plupart d’entre eux semble s’orienter vers des emplois moins qualifiés après deux ou trois expériences similaires liées à leur formation. Cela s’explique souvent par le rejet des conditions dans lesquelles les compétences sont utilisées par les entreprises.

Ce n’est pas par hasard si ces individus, qui se détournent de leur métier, appartiennent au groupe des techniciens et des techniciens supérieurs. Cette population est sans doute celle qui est le plus confrontée à la mise en process du travail. Ces pratiques, qui entendent encadrer les tâches afin de simplifier l’organisation, de garantir la qualité des prestations et, peut-être, de stimuler des performances qui sinon ne seraient pas présentes, créent du travail empêché.

Elles interdisent cette part d’effort qu’on aimerait fournir pour bien faire et créent une pénibilité invisible mais bien réelle. L’éthique productive, ou l’idée de ce qu’est le travail bien fait, est spontanément au cœur des préoccupations de chacun. Et ces idées débordent un peu, beaucoup ou passionnément du cadre imposé par l’organisation prescrite du travail. C’est, finalement, l’idée que l’entreprise et ses process ne permettront pas de travailler à la hauteur de son éthique professionnelle qui crée une évaporation de candidats qualifiés. On les retrouve alors dans des emplois purement alimentaires où, pensent-ils, ils ne seront pas déçus puisqu’ils n’auront rien espéré.

Postuler, c’est prendre un risque

Pour quelle raison un individu postulerait-il ? Les recherches ont souvent mobilisé l’idée de « fit » (la proximité, l’adéquation) entre le poste décrit par l’annonce et les caractéristiques du candidat. Le fit élevé d’un candidat avec une offre illustrerait sa grande proximité avec les attendus du poste. Il déclencherait l’acte de postuler.

Pour le vérifer, nous avons confronté 165 actifs, tous en recherche d’emploi, à de vraies annonces choisies pour correspondre à leurs compétences et à leurs lieux de résidence. Ils devaient décider de postuler ou non, puis décrire les causes de leur choix. Les sujets étaient de compétences et d’anciennetés équivalentes, mais de parcours très différents : très linéaires pour certains, très marqués par des étapes de chômage pour d’autres.

Seuls 46 % des sujets ont choisi de postuler. Dans tous les cas, l’estimation des chances de succès est la première cause de la décision, loin devant l’affinité avec le poste ou avec l’entreprise. A compétences égales, cette estimation est directement liée aux différences de parcours. Les candidats aux carrières les moins linéaires s’auto-éliminent majoritairement.

Pourquoi ? L’expérience de la candidature est celle de l’ascenseur émotionnel : l’enthousiasme de l’opportunité, l’inconfort de l’attente, la frustration de la réponse négative et parfois la colère du sentiment d’injustice. La joie de la réponse positive est possible, évidemment. Mais ne pas postuler, c’est aussi s’éviter des émotions négatives certaines.

Donner une place centrale au travail

Les discours mobilisés semblent aussi parfois en décalage avec les attentes des candidats. Jean Castex, PDG de la RATP, ou Valérie Pécresse, présidente d’Île-de-France Mobilités, croient attirer des candidats en vantant les perspectives de carrière au sein des opérateurs ; ces discours séduisent en fait un public de cadres mais rebutent les autres et peuvent les conduire à s’auto-éliminer.

Les quelques chiffres présentés dans ce texte, rassemblés autour du cas des conducteurs d’autocars, n’entendent pas nier la difficulté du recrutement. Ils veulent avant tout éclairer deux ou trois angles morts des analyses portés régulièrement pour remédier au problème. En clair : les candidats ne sont pas rares, mais les candidatures se raréfient. Deux phénomènes semblent expliquer ce décalage. Le premier pourrait être la désaffection pour les conditions dans lesquelles les métiers s’exercent. Le second, les pratiques de recrutement sont vraisemblablement perçues comme des obstacles à l’accès aux emplois mais, aussi, à la juste reconnaissance des compétences.

Tout se passe comme si la définition du travail bien fait devait être extérieure aux travailleurs. Celui-ci, qui devrait être l’objectif partagé des candidats, des recruteurs et des entreprises, semble comme escamoté par les pratiques de management et de sélection. La raréfaction des candidats ne serait ainsi pas imputable à un rejet de la valeur travail : c’est même exactement l’inverse qui s’observe. Donner au travail une place centrale dans le recrutement et le faire savoir pourrait être un levier puissant pour réengager les individus.

Jean Pralong, Professeur de Gestion des Ressources Humaines, EM Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.