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44 % des représentants de la Génération Z déclarent acheter exclusivement des vêtements conçus pour leur propre sexe, contre 54 % chez les représentants de la génération Y. Wallpaperflare.com, CC BY-SA

La mode unisexe, un révélateur des divergences sociétales sur le genre

44 % des représentants de la Génération Z déclarent acheter exclusivement des vêtements conçus pour leur propre sexe, contre 54 % chez les représentants de la génération Y. Wallpaperflare.com, CC BY-SA
Aurore Bardey, Burgundy School of Business

Jouer avec les limites du genre n’est pas un exercice nouveau dans l’industrie et l’histoire de la mode. Toutefois, les frontières ont été repoussées plus loin depuis le début du XXIe siècle. En effet, cette mode multigenre habituellement présente dans le milieu artistique (par exemple dans la musique pop chez David Bowie, Prince ou Harry Styles pour ne citer qu’eux) est de plus en plus présente dans les magasins, les défilés et les placards des (plus jeunes) consommateurs.

Ainsi, la mode « unisexe », considérée ici comme une mode « dégenrée », incluant des vêtements pouvant être par des hommes tout comme des femmes, ou une mode « cross genré » où les femmes portent des vêtements initialement destinés aux hommes et vice versa, se généralise. Cette tendance croissante chez les jeunes générations, notamment les générations Y (entre 24 et 40 ans) et la génération Z (entre 8 et 23 ans) pourrait même définir l’avenir de l’industrie et même de la société elle-même.

Les consommateurs de la génération Z sont généralement associés aux nouvelles idées et attitudes sur le sexe et le genre. Un rapport indique que 33 % de la génération Z et 23 % de la génération Y pensent que le sexe n’est pas une caractéristique déterminante d’un individu. Dans le même rapport, 56 % des personnes interrogées déclarent connaître quelqu’un qui utilise des pronoms non genrés. Concernant les comportements d’achat, 44 % d’entre eux ont déclaré acheter exclusivement des vêtements conçus pour leur propre sexe, contre 54 % chez les représentants de la génération Y.

Une dichotomie entre designers et consommateurs

Dans ce contexte, de nombreuses marques de mode ont entamé un processus de « dégenrisation » de leurs stratégies de conception, de merchandising et de communication – notamment en ce qui concerne les vêtements, les parfums et bijoux. Cependant, le commerce vestimentaire reste principalement bigenré (collections homme et femme). En témoignent les magasins de mode traditionnellement séparés par catégorie de genre. Qui plus est, malgré cette nouvelle tendance de fluidité des genres dans la mode, il existe peu de recherche académique concernant cette mode de consommation.

Mes collègues et moi avons récemment publié deux articles scientifiques sur ce sujet. Pour notre premier article, publié en 2020, nous avions recruté 263 participants auxquels nous avons demandé d’observer une série de photos. Sur chaque cliché étaient représentés un homme et une femme portant la même tenue vestimentaire, autrement dit des photos de mode unisexe.

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Ces 263 participants ont été divisés en deux groupes : le premier groupe a observé ces photos sans avoir aucune précision de l’expérimentateur ; au second, il a été précisé que ces photos représentaient des vêtements unisexes. Nos résultats ont montré que ni le label « unisexe » ni la masculinité/féminité du vêtement n’avaient d’importance dans l’intention d’achat des consommateurs, seuls l’esthétique et le style vestimentaire importaient.

Pour cet article, nous avons également demandé à un groupe de designers d’imaginer, en utilisant la technique du design thinking, un vêtement unisexe. Nos résultats ont montré que les designers se focalisaient sur le contexte social, la masculinité/féminité du vêtement et l’orientation sexuelle du consommateur plutôt que sur le style et l’esthétique. Ce premier article montre donc la dichotomie de l’approche du vêtement unisexe par les consommateurs et les designers.

Dans notre deuxième article sur ce sujet publié en 2022, nous avons essayé de comprendre les facteurs impliqués dans l’achat de produits de mode du sexe opposé. Après une série d’entretiens individuels avec treize femmes cisgenres (qui se reconnaissent le même genre que celui déclaré à l’état civil à la naissance) des générations Y et Z, nous avons exploré et cartographié la motivation et l’expérience d’achat des consommatrices pour la mode au rayon homme.

Les résultats ont permis de définir un modèle de comportement d’achat : avant l’achat, une motivation de non-conformité. Ici, nos participantes nous ont partagé vouloir aller au-delà (et pas forcément à l’encontre) de ces normes trop féminisées et stéréotypées de la femme. Ensuite, nos participantes ont insisté sur le temps investi lors de l’achat. Elles ont toutes – décrit un mode d’achat plus rapide et moins complexe au rayon homme. Enfin, après l’achat, les consommatrices ont insisté sur la satisfaction d’avoir trouvé un style vestimentaire qui correspondait à leur identité propre, et non à une identité que la société et/ou l’industrie leur imposaient.

Au-delà de la mode

Au bilan, ces travaux de recherche révèlent donc l’existence de deux fossés : d’abord, entre les designers qui se focalisent sur un contexte social et les consommateurs qui se concentrent sur l’esthétique ; puis entre les plus jeunes générations qui jouent avec la fluidité des genres et les moins jeunes générations qui ont eu l’habitude d’évoluer dans une société et une industrie de la mode bigenrée.

L’actualité récente indique que ce dernier fossé, particulièrement profond, dépasse largement le champ de la mode. En avril dernier, le chanteur Bilal Hassani, porte-drapeau revendiqué de la communauté LGBT, recevait des menaces de mort et était contraint d’annuler un concert à Metz sous la pression des mouvances catholiques. À l’inverse, quelques mois plus tôt, une professeure de philosophie britannique démissionnait de ses fonctions après la révolte de ses étudiants qui l’accusait de transphobie pour avoir organisé un débat sur le genre sexuel.

Seuls l’écoute, le respect et la discussion semblent aujourd’hui permettre de réconcilier les deux camps. Car, comme l’écrivait la militante américaine Maya Angelou, c’est dans la diversité que résident la beauté et la force.

Aurore Bardey, Associate Professor in Marketing, Burgundy School of Business

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Briller sur les réseaux sociaux peut être décisif pour installer son entreprise. Blogtrepreneur / Wikimedia commons, CC BY-SA

Entrepreneurs, comment exister sur LinkedIn ?

Briller sur les réseaux sociaux peut être décisif pour installer son entreprise. Blogtrepreneur / Wikimedia commons, CC BY-SA
Pierre-Olivier Giffard, ESCE International Business School

En 2022, la France a enregistré 1 071 900 nouvelles créations d’entreprises selon les chiffres de l’Insee : un record. Ces chiffres témoignent du dynamisme de l’entrepreneuriat dans notre pays, un dynamisme qui s’étend jusqu’aux jeunes générations : une étude réalisée en 2021 par l’institut OpinionWay pour Moovjee et CIC estime qu’ils sont 42 % à vouloir un jour lancer ou reprendre une entreprise et 70 % à envisager le faire à court terme après leurs études.

Si l’aventure entrepreneuriale fait plus que jamais rêver, et a été grandement facilitée par l’apparition de statuts adaptés (micro-entrepreneurs, société par actions simplifiée unipersonnelle, elle reste semée d’embûches, notamment en phase de lancement, quand les ressources financières sont réduites et la notoriété reste à bâtir. Entre avril 2022 et mars 2023, la Banque de France a ainsi dénombré 45 120 défaillances d’entreprises contre 30 285 un an plus tôt.

Pour éviter d’en arriver là, les réseaux sociaux professionnels – au premier rang desquels LinkedIn – peuvent constituer un allié de poids. Ils portent en effet la promesse d’être des accélérateurs de business, permettant la promotion de contenus de marque et proposant des mécaniques de prospection avancée.

C’est en interrogeant 17 entrepreneurs dans le cadre de l’ouvrage collectif L’entrepreneuriat, publié chez MA Éditions, qu’une équipe de cinq professeurs, experts dans leurs domaines respectifs, a analysé les étapes à suivre et les facteurs clés de succès d’une aventure entrepreneuriale. Ont notamment été questionnés les apports réels ou présumés des réseaux sociaux professionnels dans les premiers mois de lancement d’une activité.

Exister dans la jungle LinkedIn

Une des priorités des entrepreneurs concerne la promotion de leur image professionnelle afin de contribuer à la visibilité et au développement économique de leur start-up. C’est ce qu’on appelle le social selling. La démarche, toutefois, emprunte plus à la séduction qu’à la vente. Elle consiste à exploiter sa marque dans le but de susciter l’intérêt d’acheteurs potentiels et d’établir avec eux des relations de confiance.


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Cela pourrait sembler simple… Et pourtant, les « nouveaux » entrepreneurs, bien qu’immergés depuis toujours dans l’univers du multimédia et des réseaux sociaux, ont des approches souvent désordonnées et approximatives en la matière.

Il faut aussi avoir conscience du caractère foisonnant de l’espace que représentent les réseaux sociaux. Selon l’entreprise d’analyse des médias sociaux Digimind, LinkedIn, le principal réseau social professionnel, compte en 2023 en France plus de 26 millions de membres, dont 13 millions de membres actifs mensuels. 500 000 entreprises françaises y animent d’ailleurs une page. Comment exister, comment se différencier dans cette jungle ? L’entrepreneur n’a d’autre choix que de partager régulièrement du contenu afin d’attirer et de fidéliser les personnes importantes au développement de son activité.

Les entrepreneurs interrogés sont unanimes quant à l’importance d’utiliser LinkedIn dans leurs missions de business développement. Ils considèrent que c’est un canal d’augmentation d’audience, et surtout, le canal de prospection idéal pour faire découvrir et mettre en avant leur savoir-faire. Vu des entrepreneurs, le profil gagnant, c’est d’abord un profil qui permet d’atteindre le ou les objectifs fixés : gagner en visibilité, réussir sa campagne de financement participatif, identifier et entrer en contact avec des clients potentiels, augmenter son nombre de rendez-vous…

Avant de se lancer dans l’aventure des réseaux sociaux, les entrepreneurs insistent sur la nécessité d’échanger au préalable avec leur cible afin de bien comprendre qui elle est et quel est le contenu qui l’intéresse. Selon eux, il faut consacrer au moins une heure par jour pour être présent dans l’esprit de leurs abonnés et fédérer une communauté.

Établir, trouver, informer et construire

Une démarche entrepreneuriale de social selling qui ressort des entretiens peut être synthétisée par l’acronyme ÉTIC afin d’établir son profil professionnel, trouver les personnes utiles pour constituer son réseau, informer ce dernier et construire des relations de confiance durables. Comme il nous l’a été exprimé au cours d’un entretien :

« Il n’y a jamais de solution miracle avec le social selling mais des prérequis à suivre »

L’entrepreneur commence ainsi par définir sa marque professionnelle. C’est le point de départ afin de positionner son activité au travers de son profil. Les interrogés ont, pour la plupart, construit leurs marques autour de leurs histoires personnelles.

Il trouve ensuite les bonnes personnes. C’est une étape de prospection destinée à alimenter son carnet d’adresses en identifiant les profils à contacter. La finalité est de créer un réseau qualifié et actif, et surtout de se créer une communauté de professionnels engagée et fidèle. Au début, les entrepreneurs privilégient d’inviter toutes leurs connaissances à les rejoindre pour atteindre au moins 500 abonnés. Et puis très rapidement, ils commencent à recevoir de nombreuses demandes de connexion à leurs réseaux, par effet de buzz. À ce stade, voici ce que suggère un de nos enquêtés :

« Je déconseille d’accepter toutes les demandes de mise en relation sur LinkedIn mais de se concentrer sur des contacts en lien avec son activité. »

En parallèle, l’entrepreneur informe son réseau de contacts. C’est la diffusion régulière d’un contenu pertinent qui incite à l’échange. Il se doit d’être perçu comme une source de communication reconnue au travers de posts, d’articles, de vidéos publiées, de commentaires, de likes… Plus le contenu qu’il publie est fréquent et en lien avec son savoir-faire, plus sa visibilité augmentera et plus il intéressera des prospects éventuels. La fréquence de publication est en moyenne d’un post tous les deux jours. Les contenus les plus populaires sont des informations sur les produits, l’actualité de la start-up, les ressentis du créateur… D’ailleurs, les entrepreneurs constatent que leurs abonnés sont principalement intéressés par leur authenticité et le suivi de leur projet entrepreneurial.

Enfin, l’entrepreneur cherche à construire des relations dans la durée. Cela demande du temps, de la méthode et de la patience. Il s’agit de transformer un maximum d’opportunités, en se connectant avec de nouveaux abonnés, en pérennisant son réseau, en animant une communauté fiable et en étant informé sur l’actualité de ses contacts.

En conclusion, même s’il est peut-être encore un peu tôt pour l’affirmer, les réseaux sociaux professionnels semblent devenir le premier outil de prospection des entrepreneurs. Se positionner comme un social seller efficace apparaît comme un prérequis. Cela requiert surtout une bonne gestion de son temps, de la rigueur dans son approche, de l’agilité dans sa communication et des échanges fréquents à la fois avec sa communauté d’abonnés et avec d’autres entrepreneurs afin de capitaliser sur leurs retours d’expérience.

Pierre-Olivier Giffard, Enseignant et directeur du département Marketing, Entrepreneuriat et Développement commercial à l’ESCE, ESCE International Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Un talent brut qui ne serait pas exploité par l'effort individuel n'aurait aucune valeur. Kylan Mbappé ici en 2018. Wikimedia, CC BY-NC-ND

Mon salaire est-il vraiment le fruit de mon travail ?

Un talent brut qui ne serait pas exploité par l'effort individuel n'aurait aucune valeur. Kylan Mbappé ici en 2018. Wikimedia, CC BY-NC-ND
Pierre Crétois, Université Bordeaux Montaigne
CC BY-NC-ND

« Controverses » est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches. La série « travail » s’attache à décrypter des aspects improbables, parfois inconnus ou impensés autour de cette notion actuellement au cœur des débats politiques.


Au cours de la période moderne, un lien idéologique fort s’est noué entre travail et appropriation. Ce lien est un des piliers de ce que j’ai appelé l’idéologie propriétaire dans mon précédent ouvrage La part commune. Une des croyances constitutives de cette idéologie consiste à considérer que seul le travail peut légitimer la propriété de quelque chose et, de façon complémentaire, que tout travail mérite salaire. Cette croyance rend très difficile de dissocier le revenu du travail. C’est pourtant aujourd’hui un enjeu de justice essentiel.

En réalité, pour s’approprier quelque chose, beaucoup d’autres voies sont possibles : on peut acheter, recevoir un don, trouver, chasser quelque chose, longtemps, par ailleurs, on acquérait des terres par la conquête et par la guerre. Inversement, certains travaux bénévoles ou invisibles – comme le travail parental plus souvent assumé par les femmes – ne donnent lieu à aucun salaire.

Tout travail mérite récompense : le legs de John Locke

L’idée selon laquelle la forme naturellement légitime de l’acquisition devrait être le travail et que tout travail mériterait récompense a sans doute trouvé sa première formulation sous la plume du philosophe anglais du XVIIe siècle, John Locke, au chapitre 5 du Second traité du gouvernement (1689). Dans ce chapitre, Locke s’intéresse à la façon dont on peut devenir propriétaire d’une parcelle des ressources naturelles livrées par Dieu à tous les hommes.

Pour ce faire, il ne voit que le travail. Cela se comprend aisément à travers l’argument du mélange qu’il donne. Voici comment le restitue le professeur de philosophie Jérémy Waldron :

  1. Un individu qui travaille une chose mélange son travail à la chose ; à condition que cette chose ne soit à personne ;

  2. Or, cet individu est propriétaire du travail qu’il mélange à la chose ;

  3. Donc la chose qui a été travaillée contient « quelque chose » qui appartient au travailleur ;

  4. Donc enlever la chose au travailleur sans son consentement implique de lui retirer également ce « quelque chose » qu’il a mêlé à la chose par son travail et qui lui appartient ;

  5. Donc personne ne peut retirer au travailleur la chose qu’il a travaillée sans le consentement de celui-ci ;

  6. Donc l’objet est la propriété du travailleur.

Le meilleur exemple de la structure de justification présentée ici abstraitement est peut-être celui de l’agriculteur qui mélange son travail à sa terre. Une fois le mélange réalisé, nul n’a plus aucune légitimité morale à prendre possession du sol, dans la mesure précise où notre paysan, en labourant son champ, y a mis quelque chose qui est naturellement à lui (et que personne n’aurait l’idée de lui contester), à savoir son effort laborieux. Par suite, maître en son domaine, il pourrait disposer à sa guise de ce qu’il a acquis par son labeur sans que nul n’ait l’autorisation d’interférer.

Un agriculteur laboure un champ de vignes. Pxhere, CC BY-NC-ND

Certes, il faut remettre Locke dans son contexte et se garder d’en faire un théoricien de l’économie de marché comme a pu le faire le théoricien en sciences politiques canadien du milieu du XXe siècle Crawford Brought Macpherson, car telle n’était pas sa perspective.

Il cherchait plutôt à asseoir une doctrine des droits naturels contre l’arbitraire. Et il appelait ces droits des propriétés naturelles des individus qu’il énumérait ainsi : l’existence, la liberté et les biens. C’est d’ailleurs cette ligne que suivra Guillaume d’Orange avec le « Bill of Rights » (Charte des droits) de 1689. Or Locke gravitait dans les cercles de Guillaume, qui prit le pouvoir en Angleterre en 1689 suite à la deuxième révolution anglaise, dite Glorieuse révolution.

Néanmoins, on doit admettre qu’en mettant au jour un fondement moral aux droits individuels en vue d’établir une limite au-delà de laquelle un gouvernement légitime ne devait pas aller, Locke a participé à façonner une idéologie qui continue de structurer puissamment nos sociétés modernes.

L’éthique protestante de Weber

On pourrait aussi associer l’importance donnée au travail à ce que le sociologue et économiste allemand Max Weber a appelé l’éthique protestante. Le travail serait rédempteur et travailler ferait partie de la vocation spirituelle de l’être humain sur terre. Cette idée n’est d’ailleurs pas absente de la pensée de Locke dans la mesure où ce dernier présente le travail comme un devoir imposé par Dieu à ses créatures pour s’approprier les ressources nécessaires à leur conservation et pour mettre en valeur la Création.

Le travail est, en ce sens, un effort méritoire parce qu’il valorise la Création tout en permettant la satisfaction de nos besoins faisant ainsi se rejoindre le lexique de la loi de nature et celui des droits individuels. Le travail fonderait, en ce sens, un mérite et justifierait la récompense.

Ce n’est pas ici le lieu de revenir sur l’existence ou non de limites à l’appropriation dans la philosophie lockéenne. Il me semble plus intéressant de discuter le lien idéologique entre travail et propriété que Locke opère parce qu’il fait obstacle à bien des progrès.

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Pensons, par exemple, au revenu de base ou revenu universel. Un des arguments progressistes – par exemple ceux soulevés par le sociologue Mateo Alaluf – pour en contester le principe est qu’il serait une manière de s’accommoder du chômage de masse au lieu de donner du travail à tous, avec l’idée sous-jacente que le revenu devrait nécessairement dériver du travail et qu’un revenu sans travail serait comme un effet sans cause.

En réalité, il y a bien des arguments contre cette thèse d’un lien naturel entre le travail et la propriété.

Indemniser pour compenser ce qui a été produit sans effort

Je me contenterai d’en examiner certains succinctement. On peut d’abord assez facilement montrer que le travail est un facteur insuffisant pour expliquer la production. En effet, il est évident que le paysan qui travaille un terrain fertile et celui qui travaille beaucoup une terre caillouteuse n’auront pas la même récolte et ce indépendamment de l’intensité et de la qualité de l’effort fourni.

Le travail du plus riche d’entre eux n’expliquera donc pas seul sa bonne fortune. Ce dernier ne fera pas que récolter les fruits de son labeur, mais profitera peut-être avant tout d’une ressource naturelle qu’il n’a pas créée et dont il a la chance de bénéficier à l’exclusion des autres. Évidemment cet exemple est généralisable : il entre dans toute production une partie que je n’ai pas produite mais dont mon effort dépend pour être productif.

Admettons que je sois propriétaire de mon travail, puis-je, pour autant, m’approprier la ressource naturelle que j’exploite à mon propre bénéfice alors que je ne l’ai pas produite, ne suis-je pas alors spoliateur en retirant au reste de l’humanité une ressource dont je tire un bénéfice exclusif ?

On pourrait certes répondre que ce bénéfice n’est pas exclusif parce qu’en récoltant les fruits des arbres qui poussent dans mon champ et en les vendant j’en fais profiter mes congénères. Mais, même si c’était le cas, cela ne retirerait rien au fait que je me suis approprié indûment quelque chose qui existait avant mon travail sous la forme d’une ressource naturelle commune.

Puis-je m’approprier la ressource naturelle que j’exploite à mon propre bénéfice alors que je ne l’ai pas produite ? Pexels, CC BY-NC-ND

C’est cette intuition qui a été développée par le philosophe anglais et révolutionnaire français Thomas Paine, à la fin du XVIIIe siècle dans son ouvrage, Agrarian Justice.

Il considérait que les propriétaires devaient indemniser le reste de l’humanité qu’ils avaient spolié en abondant une caisse. Celle-ci serait capable de fournir de quoi donner à chaque jeune adulte un héritage universel pour lui permettre de débuter dans la vie adulte et à toute personne âgée incapable de travailler de recevoir une pension. C’est un équivalent de ce que, plus tard, au XIXe siècle, l’économiste américain Henry George appellera la « Land tax ».

C’est aussi une idée dont tireront partie des philosophes libertariens de gauche comme Hillel Steiner, Peter Vallentyne ou Michel Otsuka. Tout en acceptant, comme les libertariens de droite, le principe de la propriété absolue de soi-même, les libertariens de gauche proposent une théorie normative qui permet de justifier des formes de justice redistributive.

Hillel Steiner, par exemple, affirme que tout ce que l’on produit ne nous revient pas parce que tout processus de production dépend de façon plus ou moins étroite de deux ensembles de ressources qui sont indépendantes de nos choix et de notre travail individuels. Ces deux ensembles sont les ressources externes (comme le champ dont nous venons de parler) d’une part et d’autre part ce qu’il appelle les ressources internes comme le patrimoine génétique que l’on reçoit comme un don de la nature.

De ce fait, nul ne peut être considéré comme plein propriétaire de tout ce qu’il produit en exploitant son patrimoine génétique quand celui-ci lui donne un avantage sur les autres. Inversement, les personnes en situation de handicap n’ont pas à pâtir d’une position qui leur porte préjudice indépendamment des efforts méritoires qu’elles peuvent, par ailleurs, fournir. Il conviendrait donc, selon Steiner, que les mieux dotés à la loterie génétique versent une compensation aux autres pour corriger l’injustice génétique.

Tenir compte du contexte extérieur à soi

Il ne s’agit pas de dire alors que tous nos talents viendraient de notre code génétique et seraient indépendants de notre travail. D’aucuns pourraient d’ailleurs dire qu’entre deux personnes génétiquement bien dotées, ce qui fera la différence c’est, précisément, le travail parce qu’un talent brut qui ne serait pas exploité par l’effort individuel n’aurait aucune valeur. Certes un champion de foot a pu profiter d’un patrimoine génétique avantageux, mais il a bien fallu qu’il travaille dur pour en tirer partie. C’est ce travail qui doit être récompensé.

Sauf que, cet argument lui-même, est discutable au sens où la capacité à se mettre au travail dépend, notamment, de la confiance en soi, de la croyance selon laquelle notre effort peut produire quelque chose qui a de la valeur aux yeux des autres, et cette confiance dépend très largement de l’amour parental et des expériences du passé qui auront ou non donné confiance à la personne.

La confiance en soi elle-même qui, seule, permet de se mettre au travail nous est donc très largement donnée par un contexte social extérieur à soi. Il est, par conséquent, extrêmement difficile de faire la part entre ce qui nous revient parce que nous avons travaillé pour l’obtenir et ce qui ne nous revient pas parce que cela provient d’un contexte extérieur sur lequel nous n’avons aucune prise par la volonté.

Outre les avantages que nous procurent indûment les ressources naturelles, nous avons toujours tendance à nous approprier également ce que les opportunités et les avantages de la vie sociale nous apportent en en tirant un bénéfice personnel exclusif.

Cette intuition peut s’exprimer dans la phrase pascalienne selon laquelle quand nous travaillons et produisons quelque chose, nous le faisons toujours juchés sur des épaules de géants. Nous nous contentons de nous servir dans le tronc commun fournit par la société sans jamais nous demander si nous lui sommes redevables de cela.

Une dette sociale

Une telle thèse consiste à défendre que nous contractons, sans le savoir, une dette à l’égard du reste de la société du fait des avantages gratuits qu’elle nous fournit et desquels notre réussite personnelle dépend largement. Or si nous imaginons devoir être pleinement propriétaires des fruits de notre travail qui contiennent un matériau irréductiblement social, nous nous approprions à nouveau quelque chose qui ne nous revient pas.

C’est une intuition qui a été exploitée par des philosophes et hommes politiques appelés solidaristes. Léon Bourgeois, par exemple, qui a été président du conseil en 1895, a défendu le principe de l’impôt sur le revenu (qui n’existait pas encore à cette époque) sur cette base : tout ce que nous gagnons ne vous revient pas parce que nous aurions toutes et tous une « dette sociale », dette qui s’accroîtrait à mesure que nous bénéficierions des avantages de la vie en société. L’idée que l’association humaine produit quelque chose qui ne se réduit pas à la somme des travaux individuels et qui rend tout individu débiteur de la société est d’ailleurs également une intuition centrale de la pensée ouvrière de la deuxième moitié du XIXe siècle, par exemple chez Proudhon.

Les choses que nous achetons et que nous possédons sont-elles vraiment issues du labeur que nous consacrons à les acquérir ? Montage photographique « Morning Shopping. ». Éole Wind/Flickr, CC BY-NC-ND

On pourrait, par ailleurs, ajouter que c’est souvent la chance plutôt que le mérite qui explique les trajectoires de réussite sociale. Les phénomènes d’héritage distordent également en permanence la distribution des ressources au sein de la société et rendent bien difficile la possibilité d’attribuer telle ou telle fortune au seul travail isolé d’une personne. La propriété permet ainsi de ne pas travailler quand on est rentier, et le marché lui-même ne fonctionne pas au mérite et à la récompense du travail, il est simplement le résultat des échanges contractuels et de bien des hasards.

Bref, il conviendrait de rompre avec l’idée que le travail serait la seule base légitime d’une distribution juste. Pourtant, aujourd’hui, y compris ceux qui critiquent l’exploitation du travail, restent, en un sens, fidèles à la pensée lockéenne, dans la mesure où ils estiment que la production devrait revenir aux travailleurs alors qu’elle est détournée par les propriétaires des moyens de production. Face à ces idées datées, il me semble urgent de dissocier travail et appropriation pour penser les cadres d’une société juste sur d’autres bases.


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Pierre Crétois, Chercheur en philosophie, maître de conférence, Université Bordeaux Montaigne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Début mai, la filiale française de l’entreprise turque de livraison Getir a été placée en redressement judiciaire. Donald Trung Quoc Don/Wikimedia commons, CC BY-SA

Le « quick commerce » a-t-il encore un avenir en France ?

Début mai, la filiale française de l’entreprise turque de livraison Getir a été placée en redressement judiciaire. Donald Trung Quoc Don/Wikimedia commons, CC BY-SA
Aurélien Rouquet, Neoma Business School et Gilles Paché, Aix-Marseille Université (AMU)

Cajoo, Dija, Gopuff, Koll, Zapp, Gorillas, Frichti, Zap, Getir, Flink, Yango Deli… Ils étaient nombreux il y a deux ans à être sur la ligne de départ et à vouloir introduire en France le « quick commerce », la livraison rapide de courses à domicile. Aujourd’hui, après une vague de rachats et l’arrêt de plusieurs initiatives, seuls le turc Getir et l’allemand Flink continuent leurs opérations en France.

Or, selon le Financial Times, Getir serait à présent en pourparlers avec Flink pour racheter son concurrent, ce qui conduirait à ce que ne persiste à terme qu’un opérateur… s’il réussit toutefois à dégager de l’argent, ce qui reste d’autant moins sûr que Getir a placé sa filiale française en redressement judiciaire début mai et que les quick commerçants ont récemment perdu une bataille réglementaire conduite par les villes et notamment la mairie de Paris.

Le quick commerce est-il ainsi en train d’être définitivement de l’histoire ancienne en France ? Ou, tel un mort-vivant, un ou plusieurs acteurs vont-ils dans les prochaines années réussir à imposer ce modèle ?

Des livraisons en 15 minutes

Le concept de quick commerce a connu un rapide développement depuis plusieurs années en Europe, aux États-Unis et en Asie. La pandémie de Covid-19 a constitué un accélérateur incontestable, notamment pendant des périodes de confinement propices à des achats en ligne. Il repose sur la promesse marketing que des biens de grande consommation seront disponibles dans les 10 à 15 minutes qui suivent une commande sur un site Internet via une application.

Pour tenir une promesse aussi ambitieuse (on parle de « livraisons instantanées »), les acteurs ont mis en place un système logistique original basé sur des « dark stores », autrement dit de petits entrepôts dont l’objectif est d’assurer des livraisons ultrarapides. Situé au cœur des villes, le dark store prend la forme d’un magasin « fantôme », avec des rayons où sont stockés les produits.

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Cependant, contrairement à un magasin traditionnel, celui-ci n’est pas accessible aux acheteurs, mais uniquement aux préparateurs de commandes qui prélèvent les produits, lesquels sont ensuite transportés par des livreurs à vélo électrique ou à scooter jusqu’au domicile ou au lieu de travail des acheteurs en ligne.

Présenté à la fin des années 2010 comme un bouleversement, le quick commerce apparaît ainsi dans une phase d’explosion en plein vol, ce qui tient à plusieurs facteurs défavorables.

Un modèle économique difficile à trouver

Une première explication des difficultés du quick commerce réside dans la difficulté qu’ont eu les start-up à trouver un modèle économique rentable. Cela tient à la concurrence initiale féroce entre les multiples acteurs sur ce marché. S’étant tous implantés dans les mêmes cœurs des villes, à un moment où la demande n’était pas encore importante, les « quick commerçants » ont éprouvé des difficultés à engranger suffisamment de commandes, ainsi qu’à augmenter le panier moyen d’achat qui est resté très faible.

Cela ne leur a pas permis de rentabiliser l’investissement que constitue la possession de dark stores et les nombreuses dépenses en système d’information ainsi qu’en marketing qui étaient nécessaires pour faire connaître leurs services (publicités, promotion au moment des commandes, etc.).

Si, au départ, dans un contexte économique post-Covid ou le e-commerce avait le vent en poupe et où les liquidités financières étaient disponibles, ces start-up n’ont pas eu de difficultés pour se financer malgré leur absence de rentabilité, la situation a brutalement changé en 2022. L’inflation galopante a en effet mis fin à l’argent disponible gratuitement, ce qui a peu à peu asséché les financements au secteur, et conduit nombre d’entreprises à mettre la clef sous la porte.

La concurrence des drives piétons

Une seconde explication des difficultés rencontrées par les quick commerçants est l’essor des drives piétons, notamment poussé par Leclerc et Auchan comme le montrent les cartes publiées dans l’édition 2023 de l’étude (en téléchargement libre) L’essentiel Drive et e-commerce alimentaire (Éditions Dauvers). S’appuyant sur leurs drives situés en périphérie des villes, ceux-ci ont implanté dans les centres urbains des points relais, dans lesquels les consommateurs peuvent retirer leurs courses. À la différence du quick commerce, le consommateur doit faire l’effort de retirer les produits à pied. Il doit également attendre un peu pour retirer sa commande : s’il la passe le matin, celle-ci est ainsi disponible 3 heures plus tard en moyenne.

Localisations des drives piétons des enseignes Leclerc et Auchan. XXXX

Comme nous le relevons dans une comparaison entre les deux services qui fait l’objet d’une de recherche à paraître dans la revue Droit et Ville, si le service logistique associé est donc dégradé par rapport aux quick commerce, avec le drive piéton, le consommateur bénéficie d’un assortiment bien plus varié (10 000 produits stockés dans les drives contre 2500 dans les dark stores), et d’une offre à un prix hypermarché. Et au vu de l’extension faramineuse de ces drives-piétons dans les villes, les consommateurs semblent bel et bien suivre et acheter cette proposition de valeur…

Entraves juridiques

La troisième explication réside dans la lutte juridique qui a été menée par les villes contre cette forme de commerce. À Paris, les dark stores se sont implantés dans d’anciens commerces (supérettes, magasins, restaurants), des bureaux en rez-de-chaussée, ou encore d’anciens cabinets médicaux ou paramédicaux. Cette nouvelle activité a parfois généré des nuisances sonores pour les riverains, dues à l’existence d’allers-retours des livreurs jusque tard le soir.

Sous la pression de ces riverains mécontents, la mairie de Paris a mis en demeure Gorillas (depuis lors racheté par Getir) en 2022, le sommant de remettre « dans leur état d’origine » neuf locaux sous peine d’une astreinte administrative de 200 euros par jour de retard. L’argument sous-jacent était le caractère illégal de leur statut : non pas des commerces mais des entrepôts, et devant à ce titre respecter la législation en vigueur.

Saisi en urgence par Gorillas, le tribunal administratif de Paris a contesté une telle interprétation, en argumentant que ceux-ci pourraient être considérés comme des « espaces de logistique urbaine » qui, contrairement aux entrepôts, ne sont pas interdits par le plan local d’urbanisme parisien. Mais le 23 mars 2023, le Conseil d’État a jugé finalement que les dark stores sont bel et bien des entrepôts et non des magasins au sens du Code de l’urbanisme.

Dès le 24 mars 2023 est ainsi publié au Journal officiel le décret n° 2023-195 du 22 mars 2023 portant diverses mesures relatives aux destinations et sous-destinations des constructions pouvant être réglementées par les plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu. Il confirme en tous points la position du Conseil d’État quant au statut des dark stores (en y ajoutant d’ailleurs la question des « dark kitchens », ces cuisines dédiées aux plats vendus exclusivement en livraison).

Le réveil des morts-vivants ?

Au vu de cet ensemble de facteurs, l’avenir semble scellé pour le quick commerce. Mais pour conclure ce tour d’horizon, nous voudrions souligner que tout n’est pas totalement perdu et qu’il reste encore pour les quick commerçants des raisons d’espérer.

Aujourd’hui, il n’y a ainsi plus que deux acteurs de taille mondiale sur ce marché : Gopuff, qui est rentable dans certaines villes aux États-Unis, et Getir, pour qui la situation est la même en Turquie. Alors que Gopuff s’est retiré du marché français, Getir peut éventuellement réussir en France, maintenant que le marché est vidé de la concurrence, et qu’il lui sera plus facile de rentabiliser ses opérations avec un volume de commandes plus important.

Ensuite, la législation récente sur les dark stores nous semble pouvoir à terme être cassée. Comment expliquer en effet la qualification en entrepôt des dark stores, quand on sait que les drives, qui pour le coup sont des entrepôts de 5 000 m2, sont considérés par la loi Alur comme des commerces ?

Alors qu’il existe une vraie demande de la jeune génération pour cette forme de commerce, qu’elle est pertinente pour des urbains pressés qui n’ont plus le temps de rien, on peut ainsi penser que cette forme de commerce a encore un avenir. Et que, si elle ne bouleversera pas de fond en comble la distribution, elle peut s’imposer comme étant un segment parmi une foule d’autres d’une offre omnicanale dans la distribution alimentaire.

Aurélien Rouquet, Professeur de logistique, Neoma Business School et Gilles Paché, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.