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Le rappeur Orelsan dans un film publicitaire pour le parfum Dior. YouTube

Luxe et rap : la bonne formule pour une image de marque plus cool ?

Le rappeur Orelsan dans un film publicitaire pour le parfum Dior. YouTube
Romain Sohier, EM Normandie; Alice Sohier, Université de Rouen Normandie; Gaëlle Pantin-Sohier, Université d'Angers et Julian Hoffman, EM Normandie

Le luxe est un marché en constante progression, avec une valeur estimée à 352 milliards de dollars en 2022 et des prévisions potentielles à 530 milliards pour 2030.

Ce marché comprend entre autres l’horlogerie, la joaillerie, les voitures de luxe ou la mode. Dans cet univers fortement concurrentiel, les marques utilisent diverses techniques pour se faire connaître et pour tenter d’attirer les consommatrices et consommateurs : marketing sensoriel, customisation, rareté ? élitisme, nostalgie, storytelling…

L’une des techniques mobilisées pour véhiculer la personnalité des marques, favoriser des attitudes favorables ou améliorer l’intention d’achat est le « celebrity endorsement » qui consiste à faire appel à une personnalité connue pour mettre en avant les valeurs de la marque.

Dans le secteur du luxe, certaines marques ont récemment eu recours à des artistes rap pour promouvoir leurs produits (Orelsan pour la marque Dior, Joey Starr pour la marque Figaret) afin de capter de nouvelles audiences et un public plus jeune. Aux États-Unis, Kid Cudi joue même les mannequins pour Calvin Klein.

Pourtant, ces deux mondes semblent a priori bien éloignés tant en termes de valeurs que de codes culturels. L’association avec un ou une artiste rap est-elle, dès lors, une bonne stratégie pour les marques de luxe ?

Le rap : de la culture street à une approche mainstream

Historiquement, le rap a émergé dans les quartiers populaires des grandes villes du nord des États-Unis et des populations afro-américaines des classes sociales défavorisées. Les artistes rap afro-américains représentent la résistance à l’oppression et les luttes contre la discrimination et le racisme et touchent surtout les jeunes groupes de consommateurs en se faisant l’écho de leurs souffrances, de leurs luttes et de leurs problèmes socio-économiques. Depuis son développement, le rap a fait l’objet de nombreux débats quant à son contenu, les polémiques s’axant principalement sur certains des messages véhiculés – violence, drogue, misogynie, matérialisme.

Ces controverses perturbent encore la légitimité artistique du rap.

Cependant, en France, le rap est depuis quelques années dominant sur le marché musical avec 78 % des 14-24 ans qui écoutent des musiques urbaines. Les écoutes sur la plate-forme de streaming Spotify démontrent cette évolution constante.

La musique rap est aujourd’hui la plus populaire de toutes et a su conquérir les marchés, transcender toutes les frontières raciales et/ou ethniques, culturelles, sociales et géographiques. Ce style de musique, du fait de son caractère mainstream, est d’ailleurs un genre plébiscité pour les placements de produits dans les clips. De plus, les artistes rap se font également l’écho des grandes marques de luxe en les mentionnant régulièrement dans leurs morceaux. En 1995, déjà, le légendaire Tupac Shakur défilait pour Versace. Mais ce qui a certainement scellé l’association entre rap et luxe, c’est la couverture de Vogue, en 1999, sur laquelle figuraient P. Diddy et Kate Moss, soit le rappeur le plus en vue de l’époque avec la mannequin la plus célèbre du moment.

Rap et luxe, une alliance contre-intuitive ?

La rareté et l’unicité du produit rendent les marques de luxe attractives. On considère les produits de luxe comme des biens positionnels, c’est-à-dire des produits qui sont choisis par les consommatrices et consommateurs en fonction de la marque, de la notoriété, de l’image de l’entreprise ou d’autres facteurs non techniques/fonctionnels. Posséder une marque de luxe révèle de fait une dimension élitiste quelque peu éloignée de la consommation de masse. Mais avec la démocratisation du luxe dans l’économie de partage, (par exemple avec le site de e-commerce qui se spécialise sur la vente de produits de luxe d’occasion Vestiaire Collective.

Ainsi, la consommation de luxe n’est plus réservée à une élite traditionnelle (avec une richesse et des pouvoirs hérités, qui correspond à catégorie de population plutôt blanche et âgée, a priori. Actuellement, une nouvelle catégorie de consommateurs de luxe émerge.

Ils représenteront en 2025 55 % du marché du luxe, selon une étude menée par le cabinet d’audit Deloitte. À cet effet, les marques de luxe ont tout intérêt à utiliser diverses stratégies pour revitaliser leur image, cibler de nouveaux publics et diversifier leur offre. Du point de vue de la communication, elles étendent leur présence sur les médias sociaux pour diffuser rapidement les messages de la marque et capter l’attention.

Les marques de luxe, qui se sont traditionnellement associées avec des personnalités provenant du monde du 7e art, de la musique ou du mannequinat (de Robert Pattinson en passant par Jude Law pour la marque Dior, à Lily-Rose Deep, actuelle égérie de Chanel, qui prend la relève de sa mère Vanessa Paradis), commencent à utiliser de nouveaux types d’endosseurs tels que les artistes de musique rap comme support de commercialisation par exemple Moha La Squale avec Lacoste, Asap Rocky avec Dior, Cardi B avec Balenciaga.

De prime abord, une association entre un ou une artiste rap et une marque de luxe pourrait être jugée risquée car le monde du luxe (statut élevé et élitisme) semble très éloigné de la culture street. Cependant, rap et luxe sont déjà fortement associés par les artistes eux-mêmes qui portent des marques de luxe et jouent avec ces dernières dans leurs paroles/clips, par exemple

qui chante « Elle veut du Gucci, Versace, du Valentino… » dans son titre Dios Mio avec Yaro en 2020.

Dans la littérature en marketing relative aux endosseurs de marque, c’est-à-dire les personnalités qui ont pour but de valoriser les valeurs, les caractéristiques, les spécificités d’une marque, on parle de « match-up hypothesis » pour désigner une congruence ou un fit entre la marque et la personne qui endosse cette marque. Le concept de congruence désigne le lien logique entre l’endosseur et la marque, basé sur la crédibilité, les significations sociales ou l’attractivité de l’endosseur.

À titre d’exemple, une association entre l’acteur Leonardo Di Caprio (qui est depuis longtemps engagé pour l’environnement) et le

est congruente. Il existe ainsi un certain lien entre la personnalité de la célébrité et la personnalité de la marque, ce qui permet par conséquent d’influencer des attitudes plus favorables envers ces marques.

Cette littérature démontre également qu’il est possible de développer des attitudes favorables en étant incongruent grâce à l’effet de surprise ou de nouveauté suscité par cette association discordante. Néanmoins, l’association doit être qualifiée d’inattendue mais pertinente. À cet effet, une personnalité peut avoir une congruence forte ou modérée, ou une incongruence forte ou modérée, ce qui la place sur un continuum entre congruence et incongruence.

Dans cette perspective, les rappeurs seraient a priori incongruents avec les marques de luxe (positionnement populaire vs élitiste) mais semblent être un bon moyen pour les marques de toucher un public jeune. Leur association est inattendue mais pertinente pour convaincre une nouvelle cible. Reste à déterminer quelle image renvoie une marque de luxe qui fait appel à un artiste rap.

Le rap peut-il rendre une marque « plus cool » ?

Dans notre étude, nous cherchons à savoir si une association entre un rappeur et une marque de luxe peut rendre la marque plus cool puis par effet de rebond améliorer l’attitude que l’on peut avoir envers cette marque. Nous avons également cherché à comprendre si le style du rappeur (conventionnel versus gangsta) pouvait impacter différemment le caractère cool de la marque.

Le concept de brand coolness caractérise une marque cool selon dix dimensions : extraordinaire, excitante, esthétique, originale, authentique, rebelle, statut élevé, populaire, sous-culturelle, iconique.

En se basant sur une analyse textuelle des paroles des titres de rap et des thématiques abordées dans leurs chansons, telles que la violence ou l’argent, nous avons sélectionné Booba en tant que rappeur de style « gangsta » (c’est-à-dire avec des textes qui comprennent plus de vulgarité, de sexisme) et Maître Gims en tant que rappeur conventionnel. Nous avons ensuite créé des visuels qui associaient les deux rappeurs avec Burberry ou Louis Vuitton (deux marques classées dans le top 10 des marques de luxe en France).

Notre recherche démontre, suite à des tests statistiques, que les marques de luxe sont perçues comme moins énergiques, plus rebelles et moins iconiques lorsque la célébrité qui les représente a un style « gangsta », cette dimension « rebelle » recouvrant « une tendance à s’opposer, à lutter, à subvertir ou à combattre les conventions et les normes sociales » ; la dimension « énergique » donne l’image d’une marque « fait preuve d’enthousiasme, d’énergie et de vigueur » et la dimension « iconique » est perçue comme quelque chose de « largement reconnu comme un symbole culturel ». Ainsi, quand une marque de luxe souhaite améliorer l’attitude perçue des individus pour se donner une image « cool », elle doit plutôt choisir un endosseur « gangsta » pour développer une image rebelle, et un endosseur conventionnel pour paraître iconique et énergique.

Dans un marché du luxe en croissance mondiale ciblant de nouveaux consommateurs et face à de nouvelles associations entre artistes de musique rap et marques de luxe, il semble important d’analyser le caractère « cool » (et ses dimensions) comme un facteur clé de succès pour le futur des marques de luxe.

Néanmoins, cette stratégie requiert des choix qui doivent avant tout correspondre à l’histoire de la marque, à ses valeurs et à son discours global. Ainsi, si une marque de luxe souhaite avant tout entretenir ses valeurs traditionnelles d’héritage et renforcer la perception de ses racines en tant que source d’iconicité, le choix d’un artiste de musique rap peut s’avérer judicieux à condition que son style et son discours relèvent plus du caractère conventionnel.

Dès lors, l’incongruence initialement perçue aura pour but de rajeunir la cible et d’emprunter une voie qui séduit une nouvelle clientèle, plus attirée par une marque qui semble prendre des risques tout en respectant les codes et valeurs qui font son socle.

Romain Sohier, Enseignant-chercheur en Marketing - Laboratoire Métis, EM Normandie; Alice Sohier, Maître de conférence, enseignante chercheuse en Science de gestion, Université de Rouen Normandie; Gaëlle Pantin-Sohier, Professeur des universités en science de gestion, Université d'Angers et Julian Hoffman, Professeur en Marketing, EM Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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Serena Williams, l’une des sportives américaines les plus présentes sur les réseaux sociaux. Boss Tweed/Flickr, CC BY-SA

Sport féminin : les médias sociaux ont-ils réussi là où les médias traditionnels ont échoué ?

Serena Williams, l’une des sportives américaines les plus présentes sur les réseaux sociaux. Boss Tweed/Flickr, CC BY-SA
Helmi Issa, Burgundy School of Business et Roy Dakroub, Neoma Business School

Les médias sociaux (terme qui désigne les réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram, mais aussi les sites de partage de contenus, les blogs ou les forums) ont ouvert de nouvelles voies aux athlètes féminines, qui peuvent désormais non seulement montrer leurs prouesses athlétiques, mais aussi façonner leur « marque personnelle » (personal branding).

Par exemple, la superstar du tennis Serena Williams, retraitée des courts depuis octobre 2022, n’est pas seulement connue pour ses talents de joueuse mais aussi pour sa forte présence sur les médias sociaux. L’Américaine aux 23 titres du Grand Chelem utilise des plates-formes telles qu’Instagram et Twitter pour partager son parcours de mère, ses projets de mode et son plaidoyer en faveur de l’égalité des sexes dans le sport. La joueuse a ainsi été une figure de proue dans la lutte pour les droits des femmes dans le tennis, et sa présence sur les médias sociaux lui a permis d’étendre son influence au-delà du court.

Un autre exemple est celui de Megan Rapinoe, membre de l’équipe nationale féminine de football des États-Unis, qui a été reconnue non seulement pour ses talents de footballeuse, mais aussi pour son activisme social et politique. La joueuse utilise notamment les médias sociaux pour s’exprimer sur des questions telles que l’égalité des sexes, les droits des personnes LGBTQI+ et la justice raciale.

Le troisième cas est celui de Simone Biles, une sensation de la gymnastique, qui s’est emparée des médias sociaux pour inspirer ses adeptes et se rapprocher d’eux. La gymnaste américaine partage ses routines, ses séances d’entraînement et ses moments personnels. Elle s’exprime également sur des questions telles que la santé mentale, l’autonomisation des jeunes filles et la positivité du corps.

Le sport féminin sous-représenté dans les médias traditionnels

Mais qu’est-ce qui pousse les consommateurs à suivre ces athlètes féminines sur les plates-formes ? Nous avons publié une étude sur ces motivations, qui révèle également comment ces influenceurs s’emparent de ces outils pour s’émanciper du traitement historiquement réservé au sport féminin.

L’idée est que, tout au long de l’histoire, les athlètes féminines ont souvent été jugées davantage pour leur apparence que pour leurs compétences athlétiques dans les médias grand public. Cette focalisation erronée a créé une pression supplémentaire pour les athlètes féminines, souvent au détriment de leurs véritables capacités et de leur potentiel. Cette situation a longtemps entretenu un manque persistant d’égalité entre les hommes et les femmes dans le sport.

En fait, les sports féminins ont été globalement mis à l’écart, confrontés à des problèmes de sous-représentation ou de sous-financement par rapport aux sports masculins. Mais les médias sociaux contribuent désormais à changer la donne. Les athlètes féminines disposent en effet des outils nécessaires pour développer leurs propres récits, définir leur identité et amplifier leur voix.

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En créant du contenu et en interagissant avec les fans, ces athlètes ne sont donc plus seulement reconnues pour leurs prouesses sur le terrain : elles encouragent l’esprit d’entreprise, le sens de la communauté et l’autonomisation de leurs followers.

Par exemple, Olivia Dunne, gymnaste de l’université d’État de Louisiane, influenceuse et mannequin pour le magazine Sports Illustrated, a lancé le Livvy Fund en juillet 2023 pour aider les athlètes féminines de son université à obtenir des contrats de nom, d’image et de licence (NIL). Dunne, considérée comme l’une des athlètes féminines les mieux payées en raison de ses gains considérables sur les médias sociaux, cherche ainsi à partager ses connaissances du secteur et ses relations avec d’autres étudiantes-athlètes et à élever le sport féminin dans le processus.

Alors que les médias traditionnels n’ont pas réussi à capturer la véritable essence des athlètes féminines, les médias sociaux ont semble-t-il été en mesure d’ouvrir la voie à cet égard. Les consommateurs se sont ainsi détournés de la tendance des médias traditionnels à se focaliser sur l’apparence des athlètes féminines plutôt que sur leurs exploits sportifs.

Au-delà des performances sportives

En effet, les médias sociaux ont pu développer de nouveaux types de liens entre les consommateurs et leurs idoles.

D’abord, l’inspiration et l’autonomisation (empowerment) : de nombreuses personnes, en particulier les jeunes filles, considèrent les athlètes féminines comme des figures d’inspiration. Elles admirent le dévouement, le travail acharné et la persévérance dont ces athlètes font preuve dans leur carrière sportive. Les athlètes féminines utilisent les médias sociaux pour partager leurs histoires personnelles, leurs luttes et leurs réussites, ce qui constitue une source de motivation et d’encouragement pour ceux qui les suivent.

De même, de nombreuses athlètes féminines représentent des groupes sous-représentés dans le monde du sport, tels que les femmes, les personnes de couleur et la communauté LGBTQI+. Les fans sont attirés par ces athlètes parce qu’elles incarnent l’esprit d’autonomisation et de dépassement des barrières. Les fans peuvent s’identifier à leur parcours et éprouver un sentiment de fierté à soutenir des athlètes qui remettent en cause le statu quo.

Les followers apprécient également l’authenticité et les liens créés par le biais du divertissement : les médias sociaux offrent en effet une ligne de communication directe entre les athlètes et leurs fans. Les athlètes féminines utilisent ces plates-formes pour donner à leurs fans un aperçu des coulisses de leur vie, de leurs routines d’entraînement et des défis quotidiens auxquels elles sont confrontées. Cette authenticité aide les fans à se connecter à un niveau plus personnel, ce qui rend les athlètes accessibles.

Dans le même ordre d’idées, le divertissement peut également provenir de l’esprit de communauté créé par les athlètes sur les médias sociaux. Les fans se divertissent en se connectant avec des personnes partageant les mêmes idées et en partageant leur enthousiasme pour les athlètes et les sports qu’ils aiment.

Enfin, le militantisme par le biais de la popularité constitue un dernier levier d’engagement des utilisateurs de médias sociaux : les athlètes féminines tirent souvent parti de leur notoriété pour défendre des causes sociales et politiques importantes. Cela permet non seulement de sensibiliser les gens, mais aussi de les encourager à les suivre pour qu’ils relayent à leur tour les messages.

Ce faisant, les athlètes féminines, autrefois peu appréciées, transforment aujourd’hui le paysage sportif, inspirent une nouvelle génération, défendent une culture d’égalité et de respect. Leurs activités en ligne ont un impact positif sur le développement de jeunes talents dans une variété de sports.

De cette manière, ces sportives brisent les barrières, créent une image accessible et alignent leur marque sur des causes sociales et politiques importantes, attirant ainsi des supporters qui partagent leurs valeurs et leurs croyances. En ce sens, ils établissent une marque personnelle polyvalente et durable qui va au-delà de leurs performances sur le terrain.

Helmi Issa, Professeur assistant, Burgundy School of Business et Roy Dakroub, UX Research Manager - Sports Research Lead at EPAM Systems, Adjunct Professor, Neoma Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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En période de crise, les ventes de produits cosmétiques ont tendance à augmenter, un phénomène désigné comme un « effet rouge à lèvres ». Dan Cristian P?dure? / Pexels, CC BY-NC-SA

Mode, beauté, « effet rouge à lèvres » : ces comportements de consommation qui ont changé depuis le Covid

En période de crise, les ventes de produits cosmétiques ont tendance à augmenter, un phénomène désigné comme un « effet rouge à lèvres ». Dan Cristian P?dure? / Pexels, CC BY-NC-SA
Aurore Bardey, Burgundy School of Business

La pandémie mondiale liée au coronavirus a, comme pour bien d’autres secteurs, eu un impact considérable sur l’ensemble du monde de la mode, modifiant le comportement des consommateurs, perturbant les chaînes d’approvisionnement et affectant les principales entreprises du secteur.

En période de difficultés économiques, il a plusieurs fois par le passé suivi une dynamique assez atypique que les chercheurs ont nommée « effet rouge à lèvres ». Une augmentation des ventes de cosmétiques et de maquillage chez les femmes a en effet été observée lors de crises telles que la Grande Récession de 2007-2009 et même la Grande Dépression des années 1930.

Daniel MacDonald et Yasemin Dildar, chercheurs à l’Université de Californie, ont proposé trois hypothèses explicatives. La première est psychologique : les femmes achèteraient plus de maquillage simplement parce qu’elles veulent se faire plaisir au milieu des difficultés. Une autre est de nature anthropologique : les femmes achètent plus de maquillage pour mieux attirer des partenaires. La dernière fait appel à des considérations touchant au marché de l’emploi : acheter plus de maquillage serait une stratégie pour augmenter ses chances d’être (meilleures) employées.

Qu’en a-t-il été en période de pandémie ? Selon un rapport du cabinet de conseil, McKinsey, on a pu relever, en France la semaine du 16 mars 2020, celle du premier confinement, une augmentation de jusque 800 % des ventes de savons de luxe par comparaison avec la même semaine en 2019. Il semble néanmoins difficile ici de distinguer ce qui relèverait des conséquences d’une promotion soudaine des gestes barrières d’un effet rouge à lèvres.

Au cours du mois d’avril toutefois, Zalando, leader électronique du secteur en Europe, a fait état d’un boom dans les catégories de produits de beauté pour le bien-être et les soins personnels ; les ventes de produits de soins pour la peau, les ongles et les cheveux ont augmenté de 300 % d’une année sur l’autre. Les ventes de produit de maquillage, effet du télétravail sans doute, s’orientaient, elles à la baisse. Les mêmes tendances ont été observées chez Amazon.

Nos travaux se sont ainsi donnés pour objectif de creuser cet effet rouge à lèvres d’un genre nouveau.

Changements des comportements du consommateur

Certaines recherches ont mis en évidence un changement du comportement des consommateurs pendant la crise Covid. Ont été par exemple soulignés, des achats impulsifs ou hédoniques, un rejet des achats en magasin, une modification des dépenses discrétionnaires ou un intérêt croissant pour la façon dont les marques traitent leurs employés. À notre connaissance néanmoins, une seule étude a exploré l’évolution des habitudes de consommation dans le secteur de la beauté, et plus précisément des vêtements, au moment de la pandémie de Covid.

Ses auteurs ont étudié 68 511 tweets collectés entre janvier 2020 et septembre 2020, révélant divers éléments. Les internautes parlent de problèmes de sécurité (expédition depuis la Chine, virus sur les vêtements, vêtements de protection, désinfection des vêtements), de perturbations de la consommation (préoccupations concernant les services de revente et de location, inquiétudes concernant l’achat de vêtements spéciaux, inquiétudes concernant les achats en magasin, inquiétudes concernant l’expédition), demandes refoulées (arrêt ou report des achats, désir de soldes). Ils évoquent aussi une transition de la consommation (prise de poids et « rétrécissement des vêtements »), des changements d’habitude (style vestimentaire, désencombrement et don, sensibilisation à l’éthique) et de consommation (adaptation à un nouveau style vestimentaire, digitalisation).

Notre projet de recherche visait ainsi à explorer un potentiel effet rouge à lèvres Covid, à partir de trois études explorant l’impact à long terme de la pandémie sur les pratiques d’achats vestimentaires et de beauté.

Un effet autocentré

Dix-sept participants (neuf femmes et huit hommes), tous étudiants ont été recrutés pour notre première étude. Nous avons choisi exclusivement des étudiants sans responsabilité professionnelle ni présence familiale afin d’observer des pratiques de la mode pendant le confinement isolées de toute pression parentale ou managériale.

Les résultats suggèrent un impact potentiel des deux confinements sur les pratiques de mode et de beauté chez les femmes mais pas chez les hommes : les participantes ont passé beaucoup de temps à explorer leur relation avec les vêtements et les produits de beauté afin de mieux aligner leurs pratiques sur elles-mêmes, tandis que les étudiants de sexe masculin n’ont pas modifié leurs pratiques en matière de mode.

Pour approfondir cette intuition, nous avons recruté 111 étudiantes, lesquelles ont été invitées à compléter des questionnaires décrivant leur pratique vestimentaire, d’estime de soi et de bien-être avant la pandémie Covid et depuis le début de pandémie. Ils montré qu’elles choisissaient des couleurs plus vives et une gamme de couleurs plus large ainsi que des textures et des vêtements favorisant la mobilité. Une troisième étude sur le maquillage a souligné que les participantes en utilisaient une quantité moindre et moins fréquemment depuis le début de la pandémie.

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Notre recherche a mis en évidence, pour la première fois, un type spécifique de l’effet « rouge à lèvres », à savoir « l’effet rouge à lèvres autocentré » spécifique à la crise sanitaire Covid. Nos résultats ont confirmé que les participantes utilisaient moins de produits de maquillage mais aussi ont montré qu’elles portaient des vêtements différents pour mieux refléter leur identité authentique, leur « moi », une des réponses des consommateurs face à cette crise sanitaire. C’est un facteur d’explication de l’augmentation des ventes de produits de beauté pendant et post-Covid focalisées sur les produits cosmétiques, naturels, et/ou à faire soi-même.

Aurore Bardey, Associate Professor in Marketing, Burgundy School of Business

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Le médecin Michel Cymes compte aujourd’hui 140 000 followers sur Instagram et 371 800 sur TikTok. Wikimedia commons, CC BY-SA

Réseaux sociaux : le pouvoir insoupçonné des influenceurs sur notre santé

Le médecin Michel Cymes compte aujourd’hui 140 000 followers sur Instagram et 371 800 sur TikTok. Wikimedia commons, CC BY-SA
Loick Menvielle, EDHEC Business School; Léna Griset, EDHEC Business School et Rupanwita Dash, EDHEC Business School

Les réseaux sociaux constituent un territoire marketing et commercial essentiel pour toutes les entreprises. Un état de fait qui place les influenceurs au centre du jeu, y compris dans le secteur de la santé, pourtant considéré comme « non marchand » en France. Comme dans d’autres domaines, ces personnalités suivies, voire adulées sur les plates-formes en ligne, sont pourtant en mesure d’influencer la perception des consommateurs envers les acteurs de la santé.

Parmi les plus suivis, citons : Michel Cymes (140 000 followers sur Instagram et 371 800 sur TikTok) ou encore Marine Lorphelin (984 000 followers sur Instagram et 17 800 sur TikTok) au sein de l’hexagone, mais aussi de Dr Mike Varshavski (4,5 millions de followers sur Instagram et 2 millions sur TikTok), outre-Atlantique.

Conseiller virtuel de confiance

La réalité de cette influence constitue l’une des conclusions de notre dernière étude (à paraître), réalisée dans le cadre de la chaire « Management in Innovative Health » de l’EDHEC Business School. Nous relevons notamment dans cette enquête menée auprès de 630 personnes que les influenceurs jouent un rôle clé dans la confiance que les individus accordent aux marques. Autrement dit, dans un monde où les patients cherchent souvent des conseils fiables dans la mer agitée des informations en ligne, l’influenceur parlant de santé reste perçu comme un conseiller virtuel de confiance.

Au travers de notre étude, menée en France auprès de plus de 600 répondants (dont une grande partie est constituée des jeunes et utilisateurs des réseaux sociaux), il apparait que près de 40 % de la population interrogée semble attribuer une certaine importance à l’homophilie, c’est-à-dire la similarité perçue, lorsqu’il s’agit d’évaluer le niveau d’expertise des influenceurs.

De plus, près d’un tiers des participants estime que l’interaction avec des influenceurs du domaine de la santé les incite à considérer ces derniers comme des experts en médecine. Enfin, dans environ un cas sur quatre, la fiabilité des informations médicales diffusées par les influenceurs dépend non seulement des similitudes perçues avec ces derniers, mais également de la manière dont ils interagissent avec leur communauté.

Ainsi, plus la ressemblance est forte et plus il existe un niveau d’interaction élevé, plus cela impactera positivement la fiabilité des recommandations émises, augmentant de façon significative la confiance vis-à-vis des marques de médicaments précis.

Nos résultats confirment donc d’autres études récentes qui montrent que ces influenceurs, de par leur dynamique interpersonnelle unique avec leurs followers, peuvent être plus efficaces que les célébrités ou les publicités traditionnelles dans la construction de la confiance des consommateurs envers une marque.

Transparence nécessaire

Ces analyses ont des implications clés pour les praticiens du marketing et les entreprises de santé. La recherche souligne la nécessité d’une évaluation plus nuancée des influenceurs, prenant en compte leur expertise, leur interactivité, leur fiabilité et leur homophilie, pour accroître la confiance envers une marque et atteindre des résultats marketing souhaitables. Pour les influenceurs eux-mêmes, maintenir leur expertise et leur fiabilité est par ailleurs essentiel pour rester pertinents.

Cependant, il est essentiel que les acteurs pharmaceutiques et les parties prenantes impliquées dans la délivrance de soins de santé appréhendent et ne mésestiment pas la place et le rôle de ces influenceurs. Bien que le contexte réglementaire français impose un cadre strict concernant la communication et la publicité dans le domaine de la santé, il devient nécessaire pour toutes les parties prenantes du secteur médical d’investir ce champ de réflexion duquel elles ne peuvent se tenir à distance.

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L’accélération du phénomène des influenceurs santé aux États-Unis – songeons par exemple au scandale de l’Ozempic, un antidiabétique détourné pour perdre du poids abondamment recommandé en ligne –, doit notamment nous faire prendre conscience de l’anticipation nécessaire de phénomènes sur lesquels les acteurs pharmaceutiques et médicaux n’auraient plus le pouvoir, notamment en termes de communication et de message transmis aux patients.

Alors que les réseaux sociaux influencent notre perception de l’information et de la santé, les entreprises sont donc confrontées à un réel défi engendré par la nécessité de s’adapter et de naviguer dans ce paysage complexe dans le respect qu’imposent les normes éthiques.

Dans un monde hyperconnecté, si les influenceurs de santé constituent des alliés précieux pour les entreprises, seules les marques du secteur qui sauront établir des relations de confiance authentiques avec leur public parviendront à obtenir un avantage décisif sur leurs concurrents. Or, cette confiance ne pourra être acquise et soutenue que par des pratiques éthiques irréprochables, impliquant de fait une transparence totale vis-à-vis du bien-être du public. En définitive, c’est en alliant pouvoir d’influence et éthique que les marques du secteur de la santé se forgeront une réputation solide et durable, fondée sur une confiance sincère et réciproque des principaux acteurs.

Loick Menvielle, Professor, Management in Innovative Health Chair Director, EDHEC Business School; Léna Griset, Research Assistant, EDHEC Business School et Rupanwita Dash, Senior Research Assistant, EDHEC Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.