Par le

Image de freepik

Sommes-nous prêts à confier nos décisions d’achat à une IA ?

Patricia Rossi, SKEMA Business School et Mariyani Ahmad Husairi, Neoma Business School

Beaucoup de ce que nous faisons semble porter la marque de l’intelligence artificielle (IA) et des algorithmes. Ils sont censés nous faciliter la vie en prenant en charge certaines tâches. Jusqu’à bientôt nous aider à choisir au moment d’effectuer des achats ?

Le processus de décision peut s’avérer complexe : prendre conscience d’un besoin ou du désir de quelque chose, recueillir des informations sur les différentes possibilités qui s’offrent à nous, les comparer, puis enfin choisir. Ce processus peut aller plus ou moins vite : plus nous sommes impliqués dans le produit, plus nous réfléchissons à chaque étape de ce processus.

L’IA peut y intervenir au moins à deux titres. D’abord, lorsqu’elle recommande quelque chose, elle réduit les choix à notre place. Elle prend en charge une partie de la collecte d’informations sur les produits concurrents et la comparaison des alternatives possibles et réduit ici notre « autonomie de choix ». Elle peut également intervenir activement dans la décision d’achat finale et agir sans notre intervention. On parle ici d’« autonomie de décision ». Les réfrigérateurs intelligents, par exemple, fournissent déjà des données à un algorithme qui détermine quand se réapprovisionner et ce qu’il faut acheter. De même, le service en ligne Boxed.com expédie des produits en fonction de prédictions sur le moment où ses clients seraient à court d’articles.

Ce genre d’« initiatives » de l’IA peut présenter des avantages : gains de temps, mois d’effort de réflexion, économie d’argent aussi potentiellement. Pourtant, nous voulons toujours être aux commandes, être nos propres maîtres. L’autonomie de choix et de décision nous procure des avantages psychologiques, nous permet d’afficher nos valeurs et de construire, entre autres, notre identité. L’autonomie contribue à notre bien-être.

Notre récente étude a tenté d’approfondir cette ambivalence. Nous avons mis en place plusieurs études expérimentales pour comprendre quand l’autonomie de choix et de décision peut avoir un impact sur l’adoption d’outils reposant sur l’IA dans un contexte de consommation. Nous avons isolé deux variables, l’autonomie de choix de l’autonomie de décision, afin de déterminer si elles modifient individuellement notre probabilité d’adopter pareils outils.

La liberté, même quand le choix est compliqué

Que montrent systématiquement nos études ? De façon peu surprenante, plus l’autonomie de choix perçue et l’autonomie de décision perçue sont faibles, plus la probabilité d’acceptation de l’IA est faible. En d’autres termes, lorsque les consommateurs ont l’impression de disposer d’une autonomie de choix et de décision, ils sont plus susceptibles d’adopter une technologie reposant sur l’IA que lorsqu’ils ressentent un manque d’autonomie.

Que se passe-t-il lorsque l’IA est destinée à faciliter une décision d’achat complexe, par exemple, si un consommateur doit faire un choix sur la base de 20 attributs importants ? Serait-il alors plus enclin à renoncer à son autonomie ? C’était ce que nous imaginions à l’origine. Nous supposions que, lorsque des facteurs de complexité entraient en jeu, les consommateurs se fieraient davantage aux recommandations générées par les algorithmes. À notre grande surprise, même face à de telles complexités, les consommateurs souhaitent conserver leur liberté de choix et leur autonomie de décision.

Dans l’ensemble, les résultats de notre étude montrent que le désir des clients de préserver leur autonomie dépasse le besoin de réduire le temps et les efforts résultant de décisions complexes. Nous ne voulons pas que l’IA prenne complètement en charge nos tâches d’achat, car notre autonomie compte encore.

Quand l’identité est en jeu

Cela signifie-t-il que nous préférons toujours conserver notre autonomie plutôt que de céder nos choix et nos décisions d’achat à l’IA ? C’est le cas dans la plupart des situations. Sauf… lorsque nous pensons que l’IA peut nous aider à acheter les choses dont nous avons besoin pour mener à bien des activités que l’on considère importantes pour notre identité. La pêche, la pâtisserie et la course à pied sont, par exemple, des activités liées à l’identité. Des études antérieures ont pourtant montré que lorsque la technologie prenait en charge des fonctions pertinentes pour l’identité d’une personne, il en résultait une aversion pour la technologie car nous voulons effectuer ces activités nous-mêmes : nous ne pouvons pas nous considérer comme des boulangers si une machine fait la plupart du travail à notre place !

[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Mais nos travaux montrent que, lorsqu’une activité est importante pour nous, nous sommes heureux de renoncer à notre autonomie d’achat au profit de l’IA, si celle-ci finit par nous aider. Un coureur passionné est par exemple plus susceptible de laisser l’IA acheter ses chaussures de course qu’un coureur occasionnel.

Ces effets se produisent parce que les outils d’achat reposant sur l’IA complètent les objectifs identitaires des consommateurs tout en leur permettant de s’attribuer le résultat. Si l’IA se charge, par exemple, de l’achat des chaussures d’un passionné, cela permet à ce dernier d’économiser du temps et de l’énergie pour courir. Il pourra alors dire sans gêne : « J’ai laissé l’IA acheter mes chaussures de course afin de pouvoir consacrer plus de temps à ce qui compte vraiment : la course à pied ! »

Patricia Rossi, Associate Professor of Marketing, SKEMA Business School et Mariyani Ahmad Husairi, Assistant Professor of Marketing, Neoma Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de freepik

Prix planchers dans l’agriculture : producteurs et consommateurs pourraient bien y perdre

Jean-Marie Cardebat, Université de Bordeaux et Benoît Faye, INSEEC Grande École

Jeudi 4 avril, les députés ont adopté en première lecture, malgré l’opposition du camp présidentiel, une loi en faveur de « prix minimal d’achat des produits agricoles ». Le texte proposé par les élus Europe Écologie les Verts, et qui ne sera probablement pas voté par le Sénat, part d’une intention louable. Nécessaire peut-être au regard de la faiblesse de prix qui parfois ne couvrent pas les coûts des productions agricoles. L’idée d’aligner par la loi les prix de vente des agriculteurs à leurs coûts de revient déterminés par les experts des chambres d’agriculture ou des interprofessions, notamment, est indubitablement séduisante.

Elle contient pourtant en germe des conséquences délétères qui pourraient dégrader à terme la santé économique de filières déjà mal en point. La loi semble être proposée sans étude préalable de fond sur ses effets complets sur les marchés. Or, deux problèmes principaux pourraient bien se poser. Le premier est technique. Il concerne la fixation du prix plancher, son niveau. Le second est économique et porte sur l’impact du prix plancher pour le consommateur. Les deux points sont liés. Commençons, dans l’ordre par le niveau de prix à fixer.

Avantager des producteurs qui n’en ont pas besoin

Dans toutes les filières, agricoles comme industrielles, les entreprises sont hétérogènes et diffèrent par leurs niveaux de productivité et de qualité. Les exploitations disparates en productivité ont dès lors des coûts différents pour produire un bien similaire et les plus productives enregistrent des profits supérieurs. Augmenter les prix de vente par la loi risquerait ainsi de faire apparaître des surprofits chez les plus productifs. Le système avantagerait donc des acteurs qui n’en avaient pas besoin. C’est une première source d’inefficience.

La seule réponse à ce problème est d’adapter le prix par catégorie d’exploitation. Cela peut être fait grossièrement en regardant notamment leur taille : plus grande est l’exploitation, plus elle pourra en théorie bénéficier d’économies d’échelle et donc d’une meilleure productivité. Pareille approche resterait toutefois tant approximative que complexe car il faudra un prix par catégorie.

Les choses se complexifient plus encore lorsque l’on considère des biens qui se différencient les uns des autres par leur qualité. Un prix plancher va surtout augmenter le prix de la qualité inférieure. Par réaction, les exploitants des qualités immédiatement supérieures vont augmenter leurs prix pour signaler leurs qualités supérieures justement et ne pas se retrouver dans la situation de vendre moins cher un bien de qualité supérieure. Par effet de report de tranche de qualité en tranche de qualité, c’est l’ensemble de l’échelle des prix le long de la gamme qui va s’élever. Pourtant, là encore, aucune hausse de prix n’était justifiée à la base pour les qualités supérieures. Un effet de rente, de surprofit, apparaît de nouveau.

L’expérience dans d’autres domaines montre que l’échelle des prix devrait en fait se resserrer. Un bon exemple de cette dynamique de propagation vers le haut d’une hausse des prix en bas de l’échelle est donné par le prix du travail avec les hausses régulières du salaire minimum (smic en France). L’effet s’estompe à partir d’un niveau de salaire supérieur ou égal à 1,5 smic. Dès lors, on peut anticiper une contagion de hausse d’un prix plancher s’atténuant à mesure que l’on monte dans l’échelle des qualités et donc des prix.

Plus à perdre qu’à y gagner ?

Toutefois, les conséquences de prix plancher en termes de rentes pour les exploitants les plus productifs et les plus qualitatifs ne paraissent pas être le principal problème pour la filière agricole. Le plus gros écueil pourrait venir du consommateur. Quid de l’évolution de la demande face à une hausse des prix consécutive à la mise en place d’un prix plancher ?

L’effet passe par deux mécanismes que l’on nomme élasticités-prix directes et élasticités-prix croisées de la demande de biens agricoles par le consommateur final. L’élasticité-prix directe de la demande d’un bien mesure en pourcentage la variation de demande consécutive à une variation de prix de ce bien. Concrètement, de combien diminue la demande lorsque le prix augmente de 10 % ?

Dans une étude préliminaire portant sur la filière viticole française, nous avons calculé pour des vins d’entrée de gamme vendus en grande surface des élasticités pouvant dépasser l’unité : c’est-à-dire que la demande varie dans une proportion plus importante que les prix. Ces travaux sont cohérents avec d’autres, déjà publiés qui mesurent ces élasticités-prix à l’export pour la demande étrangère. Le chiffre d’affaires des producteurs va alors baisser : le prix multiplié par la quantité vendue va diminuer sous l’effet de la baisse de la consommation plus importante que la hausse du prix.

Le consommateur y perd encore plus. Finalement, c’est le surplus social qui s’est dégradé avec une perte marquée pour le consommateur dont le transfert vers le producteur, via la hausse du prix de vente, ne suffit pas à améliorer la situation de ce dernier. Les deux perdent et c’est donc une perte sociale nette.

De nouveaux choix de consommation ?

Le consommateur peut aussi réaliser des reports de consommation face à une hausse des prix d’un bien donné : vers des biens de qualité supérieure, vers des biens importés ou vers des substituts proches, qui tous deviennent en termes relatifs moins cher au regard du bien dont le prix a augmenté. C’est là le jeu des élasticités-prix croisées entre différents biens.

L’exemple du vin est là encore riche en enseignements. Nos premiers résultats montrent que ces effets de report semblent bien à l’œuvre. La hausse du prix en entrée de gamme pourrait pousser le consommateur vers un niveau de qualité supérieure, précipitant ainsi la baisse de chiffre d’affaires pour le vin d’entrée de gamme. L’exact opposé de l’effet désiré par la loi.

Pire, l’effet de report peut aller vers les biens importés et donc entrainer une perte nette à l’échelle nationale. Dans certains secteurs l’origine est moins regardée que dans d’autres et une étiquette « UE » suffit parfois à rassurer le consommateur sur un certain niveau de qualité. Enfin, l’effet de report peut même faire sortir le consommateur d’une filière. C’est le cas pour le vin ou un prix plancher peut amener un arbitrage du consommateur favorable à la bière ou autre boisson jugée substituable.

Éviter en aval un effet boomerang

Les conditions de réussite de la loi tiennent ainsi aux filières visées : elles doivent être au maximum homogènes en productivité et en qualité pour minimiser les effets de rentes et de reports. Elle doit en outre porter sur des biens agricoles dont la demande est faiblement élastique au prix, donc des biens dont il est difficile de se passer pour le consommateur. Ainsi, pour le producteur, la perte de vente restera limitée et plus que compensée par la hausse du prix. En outre, les substituts, importés ou non, doivent être peu nombreux pour éviter les reports. Les pouvoirs publics devront trancher cette question délicate des produits éligibles pour lesquels la loi n’aurait pas d’effets adverses. Selon le texte voté à l’Assemblée nationale, c’est une « conférence publique » par filière qui fixerait ces minima, conférence qui ne serait convoquée « qu’à la demande d’une majorité des producteurs » de la filière en question.

Les pouvoirs publics devront également décider du sort des invendus générés par une hausse des prix. Qui va payer leur destruction ? À coup sûr une indemnisation sera demandée par les producteurs qui vont voir leurs stocks gonfler. Toutes ces questions vont apparaître en boomerang de la loi. Est-ce que tout cela a été pesé, évalué, budgété au moment du vote ? N’y aurait-il pas des mesures à prendre en amont pour éviter ces effets en aval ?

Une grande partie du problème venant de la hausse du prix pour le consommateur final, il faudrait que le prix plancher n’affecte pas le consommateur pour éviter les conséquences adverses décrites plus haut. Deux solutions. Soit l’État subventionne le prix plancher en compensant l’écart entre le prix de marché et le prix plancher pour que la chaine des intermédiaires conserve les mêmes prix et que rien ne change pour le consommateur final. Soit les intermédiaires absorbent dans leurs marges la hausse du prix liée à la loi. Si la hausse est mesurée elle pourra être absorbée dans le cadre de négociations associant tous les acteurs et, pourquoi pas, dans le cadre d’une énième discussion sur la loi Egalim.

Dans tous les cas, dans les filières agricoles (comme dans la plupart des filières d’ailleurs), l’essentiel de la création de valeur se fait dans les derniers stades de la chaine de valeur, les stades de la commercialisation. La valeur n’augmente pas de façon linéaire de l’amont à l’aval du processus de production d’un bien, elle augmente de façon exponentielle : peu au début, beaucoup à la fin. Cela a été bien documenté dans le vin par exemple. Une réflexion de fond sur le partage de la valeur entre les acteurs, l’organisation industrielle et les mécanismes de gouvernance des filières agricoles s’impose. Ce travail était certainement préalable à une loi sur les prix planchers.

Jean-Marie Cardebat, Professeur d'économie à l'Université de Bordeaux et Prof. affilié à l'INSEEC Grande Ecole, Université de Bordeaux et Benoît Faye, Full Professor Inseec Business School, Chercheur associé LAREFI Université de Bordeaux Economiste des marchés du vin, de l'art contemporain et Economiste urbain, INSEEC Grande École

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de rorozoa sur Freepik


Image de freepik

Comment le Guide Michelin rebat les cartes des restaurants qu’il récompense

Saverio Favaron, SKEMA Business School

Le 6 mars 2023, quelques minutes après 10 heures du matin, les lumières du Palais de la musique et des congrès de Strasbourg s’éteignent. Un compte à rebours, sur un air très martial, annonce l’ouverture officielle de la cérémonie des étoiles. Plus de 600 chefs, vêtus de leurs uniformes immaculés, remplissent l’amphithéâtre, attendant avec impatience l’annonce des nouvelles étoiles Michelin.

Après une brève allocution du président du Conseil général d’Alsace, Gwendal Poullenec, directeur international du Guide Michelin, entre en scène. Il annonce qu’un message très spécial va être diffusé. Le président de la République Emmanuel Macron apparaît sur un écran géant. Il fait l’éloge du Guide Michelin, « bible de notre gastronomie », et félicite les chefs pour leur contribution au monde culinaire et à la société dans son ensemble :

« Les restaurants, qu’ils soient grands ou petits, créent de la vie. »

Malgré la longueur du discours et l’impatience croissante de l’auditoire, l’excitation est palpable, car ces professionnels attendent le dévoilement des prestigieux prix.

Ce moment fort se rejoue ce lundi 18 mars à Tours, date à laquelle le destin de quelques établissements pourra radicalement changer, les catapultant vers de nouveaux sommets de prestige et de succès. Toutefois, un tel succès peut également s’accompagner d’une pression et d’une insécurité immenses, comme le montre l’histoire de Marco Pierre White qui, en 1999, rend ses trois étoiles, suivi par d’autres chefs, en invoquant la pression insupportable subie pour maintenir le statut d’élite que tant s’efforcent d’obtenir.

Des menus qui se transforment

Le statut est une force puissante dans le monde des affaires, promesse d’une visibilité accrue, d’un accès facilité à des ressources et d’avantages en termes de performances. La nature instable et très visible des hiérarchies de statut peut cependant également être une source d’insécurité pour ceux qui se retrouvent au sommet. Elle peut conduire à des actions compensatoires et à des tentatives de se conformer aux attentes associées à une position élevée. Dans une étude récente, nous avons examiné comment les organisations qui subissent un choc de statut positif réagissent à leur nouvelle position. Nous nous sommes plus particulièrement concentrés sur la sortie de la première édition du Guide Michelin pour la ville de Washington, à l’automne 2016.

Le nouveau guide avait pour but de positionner la capitale américaine comme une destination gastronomique de premier plan. Avant sa publication, la ville souffrait de la réputation d’être avant tout le temple de steakhouses démodés. Grâce à la publication du guide le 13 octobre 2016, Washington est devenu à l’époque la quatrième ville américaine, après New York, San Francisco et Chicago, à la carte du prestigieux guide, club qui s’est élargi depuis. Cette inclusion s’est accompagnée d’une augmentation soudaine et positive du statut des restaurants sélectionnés, les propulsant dans l’élite de l’industrie au niveau mondial.

Nous avons analysé les menus des restaurants et leur évolution avant et après la publication du Guide Michelin. Leurs cartes fournissent en effet des informations riches et précieuses sur la façon dont se conçoivent les établissements. Ils constituent le principal outil de communication entre le professionnel et ses clients : ils présentent ses offres culinaires, ses prix et ses arguments de vente différenciants. Les menus reflètent les choix effectués par les gérants et les chefs, choix qui peuvent être influencés par la perception qu’ils ont de leur position dans le secteur.

Nous avons comparé les 106 restaurants récompensés à Washington en comparant leurs trajectoires à celles de deux autres groupes : les non récompensés de la ville qui remplissaient les conditions minimales pour entrer dans le guide (143 restaurants) et ceux d’une ville comparable (Boston) où Michelin n’est pas présent sélectionnés sur la base du type de cuisine, du niveau de prix et de l’évaluation Yelp moyenne (106 restaurants).

Trois changements principaux ont été observés dans les menus des néo-récompensés. Premièrement, ils ont modifié les caractéristiques descriptives de leurs menus afin de les aligner sur les attentes associées aux restaurants de haut niveau. La longueur des descriptions des plats a augmenté de 10 % et la moitié des références à la taille des portions avaient disparu. Deuxièmement, ces restaurants ont mis l’accent sur l’authenticité, caractéristique des restaurants d’élite : les références aux techniques de cuisson ont augmenté de 20 % et l’utilisation d’ingrédients biologiques, d’origine locale ou produits par de petits producteurs a été mise en avant. Enfin, les restaurants ont adapté leur stratégie de prix, principalement en augmentant les prix de leurs menus d’environ 5 %, ce qui témoigne d’une prise de conscience de la valeur qu’ils créent pour leurs clients.

Justifier son statut

La tendance à effectuer ces changements, fait notable, était plus marquée dans les restaurants qui figuraient dans le guide sans pour autant avoir reçu d’étoiles. Comme si ceux qui n’étaient pas en tête du classement ressentaient un plus grand besoin de justifier leur statut élevé. Nous avons aussi examiné comment la position d’un établissement (établie à partir des évaluations des critiques locaux) avant le choc de statut influençait les modifications des attributs de l’autoprésentation. Contrairement aux attentes, les restaurants jouissant d’un statut antérieur élevé, qui auraient dû être moins soucieux de montrer leur valeur, ont aussi mis l’accent sur les attributs liés à l’authenticité et à la valeur.

L’étude suggère également que les changements ne concernaient pas que la présentation de soi mais également des modifications matérielles dans les activités : changements dans les techniques de cuisson ou dans l’approvisionnement en ingrédients par exemple. Toutefois, les données disponibles ne nous ont pas permis de confirmer avec certitude l’ampleur des changements opérationnels.

On voit ici combien il est complexe de naviguer dans des positions de haut rang. Dans le contexte de l’industrie de la gastronomie, l’insécurité liée au fait de conserver son étoile d’année en année peut conduire à des changements dans la présentation de soi et, éventuellement, à des ajustements opérationnels.

D’autres de nos recherches soulignent l’impact de l’évolution des hiérarchies et des évaluations de statut dans d’autres secteurs à la fois sur les organisations et sur les individus. Toutes soulignent l’importance de bien appréhender, pour des dirigeants d’entreprises, les implications des chocs de statut afin d’en tirer le positif pour naviguer dans un paysage commercial dynamique et compétitif.

Saverio Favaron, Assistant Professor of Strategy, SKEMA Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Par le

Image de jcomp sur Freepik

Vous ne direz plus « viande végétale » : une nouvelle bataille (commerciale) des mots

Comment désigner désormais ces compositions à base de soja ? Shutterstock
Anne Parizot, Université de Franche-Comté – UBFC

Une publicité des années 1970 vendait une boisson qui ressemblait à de l’alcool, avait le goût de l’alcool mais n’était pas de l’alcool. La question se pose aujourd’hui pour la viande. Peut-on encore utiliser le mot lorsqu’il s’agit de « steaks végétaux », « boulettes et escalopes végétales », « lardons végétaux », « saucisses végans », « rillettes végétales » ou même « boucherie végétale » ?

La loi a voulu apporter une réponse. Un décret paru au Journal officiel à la fin du mois de février interdit désormais ces appellations qui font directement référence à des pièces de viande, ainsi que les termes, « faisant référence aux noms des espèces et groupes d’espèces animales, à la morphologie ou à l’anatomie animale » lorsqu’il s’agit de commercialiser un produit contenant des protéines végétales. Le texte emporte la satisfaction des acteurs de la filière animale (éleveurs, bouchers), à l’origine de la demande. Certains consommateurs y adhèrent aussi, voyant peu de sens à parler de « saucisse végétale ».

La décision ne fait cependant pas l’unanimité. Le gouvernement avait déjà voulu, en juin 2022, réserver l’usage des termes « steak » ou « saucisse » aux protéines animales, mais le décret avait été remis en question par Protéines France, un consortium français d’entreprises ayant pour ambition de fédérer et de catalyser le développement du secteur végétal.

La viande a par ailleurs de moins en moins la faveur des citoyens : trop chère, néfaste pour la santé quand elle est surconsommée et notamment la viande rouge, néfaste pour la planète avec la déforestation ou la consommation d’eau qu’elle implique souvent. L’alimentation alternative tente de limiter ces effets négatifs. C’est l’objet de la « viande végétale » (sous condition que les additifs en soient limités) et les consommateurs y sont sensibles.

Nourrir la planète tout en la protégeant, manger bon et sain en tenant compte du bien-être des animaux font partie désormais des discours politiques, scientifiques, sociaux et sociétaux. Les industriels, conscients de ces nouvelles injonctions, créent de nouveaux produits sous couvert d’une terminologie qui soulève l’interrogation. Il ne s’agit de fait pas tant de produire que de communiquer en vue de la commercialisation en cherchant le meilleur degré d’acceptabilité des dénominations, un phénomène qui a fait l’objet de nos travaux.

Appeler « viande » une salade de concombres ?

Qu’en est-il pour l’étiquette « viande » ? Le mot a beaucoup évolué. Jusqu’au XVIIe siècle, il désignait tout ce qui peut entretenir la vie (vivenda), c’est-à-dire la nourriture en général. Madame de Sévigné appelait ainsi « viandes » une salade de concombres et de cerneaux… La viande chair animale était plutôt désignée par le terme « carne ».

Ce n’est qu’ensuite que le mot se spécialise pour désigner la chair des mammifères et des oiseaux jusqu’à, de nos jours, prendre un sens plus générique : une source de protéines et d’acides gras essentiels. Cela inclut pour certains le poisson ; pour d’autres, en raison de la classification zoologique, ou par convictions personnelles ou opinions religieuses, il n’en serait pas.

Et le steak ? Là encore le sens évolue. Au départ il désigne une tranche de chair à griller alors qu’actuellement il renvoie plus spécifiquement à une tranche de viande rouge conformément au beef steak anglais (même si l’on parle parfois de « steak de thon »). Ainsi c’est sans doute la façon de découper le morceau en tranche qui motive l’utilisation du terme et permet de le distinguer du steak haché.

Exit donc aujourd’hui steaks végétaux, escalopes de soja et autres produits (21 au total), utilisant des termes qui renvoient à la viande, pouvant introduire la confusion dans l’esprit du consommateur. Il est vrai que ces termes sont communément utilisés pour désigner de la viande, c’est-à-dire des protéines animales.

Néanmoins, la société évolue et sa langue avec. Celle-ci a souvent eu recours à des glissements sémantiques qui fonctionnent par analogie de forme ou d’aspect, d’utilisation, de goût : bref, par imitation. L’escalope par exemple est définie par analogie comme « un mets préparé et présenté comme une escalope de viande ou de poisson ». Que dire de la Poire de bœuf (pièce de viande définie par sa forme) et de la fraise de veau (membrane intérieure de l’intestin, du latin fresa qui signifie « peau, enveloppe ») ? Les arboriculteurs et maraîchers vont-ils monter au créneau ?

Pas d’harmonisation

Et si le décret ne faisait que renforcer la confusion qu’elle prétend lever ? Les « produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un pays tiers » restent autorisés. En 2020, la France interdisait déjà le « steak végétal » à la différence de la réglementation européenne. L’harmonisation n’est pas encore au rendez-vous. Certains pays ont toutefois pris des mesures similaires concernant l’étiquetage des produits végétaux, la Belgique au sein de l’UE, plus loin la Turquie ou l’Australie.

L’identification et la reconnaissance de ces produits végétaux en magasin reposent en outre sur deux éléments : d’une part la mention « végétal » ou « végan » et également leur place dans les rayons des supermarchés. Ces produits sont habituellement présentés dans des rayons spécifiques. Mais certaines chaînes de la grande distribution, notamment aux États-Unis, les placent à côté des produits d’origine animale.

Pour être cohérent il faudrait aussi revoir les appellations et la séparation des produits comme le lait de soja, boisson d’origine végétale. Ce qui a été le cas puisqu’en 2017, la Cour de Justice Européenne (CJUE) a publié un arrêt interdisant ces dénominations. Mais en fonction des pays, des exceptions existent comme pour la France : on peut dire « lait d’amande, lait de coco, crème de riz, beurre de cacao ». La CJUE précise que l’ajout de mentions indiquant l’origine végétale n’y change rien et ne remet pas en cause cette interdiction. Aussi en France, les dénominations qui ne font pas l’objet d’exception renvoient à un terme générique : « boisson de » « au » ou « boisson végétale ».

Comment les nommer alors ?

Si pour l’ex-« lait de soja » la substitution a été facile, les dénominations concernant la « future ex » viande végétale semble plus ardue car elle touche de nombreux produits (steak, escalope, lardons, jambon… ). L’utilisation d’un terme générique ne semble donc pas envisageable. « Steak ou burger végétal » trouve un équivalent dans « galette végétale ou végétarienne », qui conserve une similitude avec la forme. Pour l’escalope, qui désigne une fine tranche, le sujet est plus délicat : pourrait-on envisager une « fine tranche végétale » ? Mais alors, comment dénommer le « jambon végétal » en tranche ?

Les laits de soja, devenus « boisson de/au soja ».

« Lardons végétaux » pourrait-il être remplacé par « petits bâtonnets végétaux » ? Celui-ci est déjà utilisé par des marques s qui présentent un produit « saveur océane » ou « de la mer » ressemblant à des bâtonnets de poisson pané. Que dire encore des suprêmes, ces blancs et chair de volaille ou de gibier à plumes dont le terme par extension signifie une préparation très élaborée et qui deviennent des « suprêmes végétaux » ?

Le problème de la terminologie alimentaire employée a également été soulevé par le Premier ministre en février 2024 à propos de la « viande de synthèse », des protéines animales cultivées en laboratoire, autre forme alternative qui cherche elle aussi encore sa dénomination.

Anne Parizot, Professeur des universités en sciences de l'information et de la communication, Université de Franche-Comté – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.