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Pourquoi toutes les fleurs ne sentent pas la rose… loin de là !

Les odeurs des fleurs servent à attirer les pollinisateurs. Diana M?ce?anu/Unsplash, CC BY
Lydie Messado Kamga, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions dans un format court et accessible, l’occasion de poser les vôtres ici !


Le règne végétal est constitué d’environ 350 000 espèces de plantes à fleurs, chacune possédant des caractéristiques distinctes afin d’assurer sa survie. Elles adaptent certaines caractéristiques en fonction de leur environnement et de leurs besoins spécifiques pour ce faire. Parmi ces caractéristiques, l’odeur est celle qui nous est la plus accessible.

Pourquoi les fleurs produisent-elles des odeurs ?

L’odeur des fleurs est due à la présence de composés chimiques spécifiques. Elles se servent des odeurs qu’elles produisent comme un moyen d’interaction et de communication entre elles et avec les autres êtres vivants.

La production d’une odeur florale a pour but principal d’attirer les pollinisateurs. La grande majorité des plantes à fleurs sont pollinisées par les insectes et sont dites « entomophiles ». La production d’odeurs florales spécifiques est généralement un des signes indicateurs de la présence de récompenses pour les pollinisateurs : le nectar (sucres) ou le pollen (protéines). Ceci les encourage à s’approcher de la plante pour la butiner et, ce faisant, la polliniser. Les odeurs peuvent également être produites dans le but d’assurer la défense de la plante. Dans ce cas, elles produisent des composés chimiques pour dissuader les herbivores et les florivores. C’est le cas de la lavande (Lavandula angustifolia) qui produit le linalool et le linalyl acetate qui attire des pollinisateurs mais dissuade les herbivores et les florivores.

Les odeurs florales sont un mélange d’un ou plusieurs composés organiques volatils capables de s’évaporer facilement dans l’air. Ces composés sont souvent spécifiques à des groupes de pollinisateurs différents (abeilles, bourdons, fourmis, mouches, papillons, oiseaux, etc.). Ils sont produits en quantité variable par les plantes, aboutissant ainsi à une signature spécifique destinée à attirer un ou plusieurs pollinisateurs.

Pourquoi les odeurs sont-elles dites agréables ou non ?

Il est important de noter que la qualification d’une odeur « agréable » ou « désagréable » dépend de la perception humaine. Les plantes, elles, produisent des odeurs dans un but bien précis : celui d’assurer leur reproduction et leur survie sur terre.

Les senteurs peuvent varier en fonction des pollinisateurs que souhaite attirer la plante. Par exemple certaines espèces adoptent la stratégie de production d’odeurs « sucrée » comme chez la lavande, le jasmin, le lys et les jacinthes pour attirer des pollinisateurs comme les papillons, des abeilles et des bourdons.

D’autres fleurs comme les Rafflesia, les Araceae ou encore certaines Orchidaceae miment des odeurs associées à la décomposition organique (odeur de charogne, d’urine, de matières fécales, de viande pourrie chez l’orchis brûlé ou l’orchis bouc) pour attirer des mouches ou d’autres insectes nécrophages.

Fleurs d’Orchis bouc, une plante qui produit une odeur de bouc pour attirer des pollinisateurs. Didier Descouens/Wikipedia, CC BY

Selon les espèces de plantes, les odeurs peuvent être produites pour attirer un pollinisateur particulier, on dit alors qu’elles sont « spécialisées » comme chez des figuiers ou, au contraire, dites « généraliste » lorsqu’elles attirent plusieurs groupes de pollinisateurs comme la lavande.

La production des odeurs des fleurs coïncide généralement avec la période d’activité de leur pollinisateur. Plus précisément, par exemple, on observe chez les orchidées africaines des espèces dites « sphingophiles » qui présentent de grosses fleurs blanches produisant beaucoup de nectar. Celles-ci sont odorantes uniquement pendant la nuit car elles attirent un pollinisateur nocturne : le papillon sphinx. D’autres espèces proches dites « mélittophiles » possèdent de petites fleurs blanches qui sentent uniquement durant la journée et qui sont alors pollinisées par des abeilles qui sont généralement diurne.

Parfois, l’odeur d’une plante peut être imperceptible par le nez humain mais bel et bien détectée par des pollinisateurs. C’est le cas des orchidées du genre Ophrys, qui sont généralement pollinisées par des abeilles solitaires. L’Ophrys utilise une stratégie d’attraction appelée la « déception florale », qui attire les insectes pollinisateurs en imitant des caractères visuels ou olfactifs sans fournir la récompense attendue. Cette stratégie est traduite par la forte ressemblance des fleurs d’Ophrys avec la forme, la couleur et même l’odeur d’une abeille femelle que le mâle ainsi leurré viendra polliniser.

Pourquoi certaines plantes ne sentent-elles pas du tout ?

Dans la plupart des cas, les plantes qui ne produisent aucune odeur sont pollinisées par le vent, elles sont dites « anémophiles » par exemple le noisetier commun et le maïs. Elles possèdent souvent des fleurs discrètes et peu colorées car elles n’ont pas besoin d’un visiteur (autre que le vent…) pour transporter leur pollen vers d’autres fleurs de la même espèce. Pour compenser, elles produisent d’énormes quantités de pollen très léger qui seront facilement dispersées par le vent.

Ceci montre que les plantes ont des stratégies de reproduction très variables (comme les exemples ci-dessus d’anémophilie ou d’entomophilie) adaptées à leur environnement et aux conditions spécifiques de pollinisation.

En conclusion, les odeurs des plantes contiennent des composés chimiques volatils pas simplement agréables ou non pour les humains, mais qui sont avant tout produits pour assurer un rôle dans la survie des espèces impliquées, plantes comme insectes (mais pas que !). Elles permettent la communication avec les autres organismes vivants. En plus des odeurs, les plantes à fleurs utilisent d’autres caractéristiques visuelles toutes aussi fascinantes telles que la couleur et la forme, ainsi qu’une récompense plus ou moins riche, le nectar, pour attirer les pollinisateurs.

La prochaine fois que vous verrez une fleur, vous irez sûrement sentir son parfum, et pourrez imaginer son importance et deviner le groupe de pollinisateurs qui assure sa survie !

Lydie Messado Kamga, Doctorante en biologie végétale, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Avec les smartphones, la conversation en péril ?

David Le Breton, Université de Strasbourg

La conversation relève souvent de la gratuité, de la flânerie, de la rencontre, elle est une parole partagée. Mais que devient-elle à l’ère du smartphone omniprésent ? Jour et nuit, nous communiquons : via WhatsApp, Messenger, Instagram, Slack, TikTok, par mail ou par texto, via des messages vocaux… Et pourtant, nous rappelle David Le Breton, communiquer n’est pas converser. À la fois vigilants, disponibles et déconnectés de nos sensations physiques, nous avons peu à peu désappris l’ennui, la lenteur, les silences et l’attention à l’autre… Cet article fait partie de notre série « Nos vies mode d’emploi ».


Le smartphone a introduit au sein du lien social dans le monde entier un avant et un après de son usage. En une quinzaine d’années, la banalisation de son recours a opéré une transformation inouïe du rapport au monde et aux autres. J’aborderai ici seulement les profondes altérations que connaît la conversation face à l’impact colossal de la communication, notamment quand elle passe par la médiation du téléphone portable.

Communiquer n’est pas converser

J’entends par communication l’interposition de l’écran dans la relation à autrui, la distance, l’absence physique, une attention distraite, flottante… Utilitaire, efficace, elle appelle une réponse immédiate ou des justifications ultérieures car elle exige une disponibilité absolue qui induit par ailleurs le sentiment que tout va trop vite, que l’on a plus de temps à soi. À tout moment une notification, un appel, un message somme l’individu à une réponse sans retard qui maintient une vigilance sans relâche.

À l’inverse, la conversation relève souvent de la gratuité, de la flânerie, de la rencontre, elle est une parole partagée. Il s’agit seulement d’être ensemble en toute conscience et de dialoguer en prenant son temps. Si la communication fait disparaître le corps, la conversation sollicite une mutuelle présence, une attention au visage de l’autre, à ses mimiques et à la tonalité de son regard. Elle compose volontiers avec le silence, la pause, le rythme des uns et des autres. À l’inverse de la communication où toute suspension sollicite un pénible rappel, surtout pour ceux qui sont autour et ne sont pas concernés, d’un : « On a été coupé », « T’es là ? » « J’entends plus rien » « Je te rappelle ». La conversation n’a pas ce souci car le visage de l’autre n’a jamais disparu et il est possible de se taire ensemble en toute amitié, en toute complicité, pour traduire un doute, une méditation, une réflexion. Le silence dans la conversation est une respiration, dans la communication elle est une panne.

Il y a quelques mois à Taipei, j’étais dans un restaurant populaire. À une table, non loin de la mienne, est venue s’installer une dizaine de personnes de la même famille, des plus jeunes aux plus âgés. Le temps de prendre place, et tous ont sorti leur smartphone, les plus petits avaient deux ou trois ans, jusqu’aux anciens, la soixantaine. Ayant à peine jeté un coup d’œil au menu avant de commander, tous se sont immergés dans la contemplation de leur portable, sans aucune attention les uns envers les autres. Ils n’ont pratiquement pas dit un mot et ils mangeaient leur smartphone à la main. Seule exception parfois, de petites tensions entre deux des enfants qui devaient avoir quatre ou cinq ans. Ils sont restés une bonne heure en échangeant guère plus que quelques phrases, sans vraiment se regarder.

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La scène aurait pu se passer à Strasbourg, à Rome ou à New York, dans n’importe quelle ville du monde. Elle est aujourd’hui commune. Il suffit d’entrer au hasard dans un café ou un restaurant pour voir la même situation. Les anciennes rencontres familiales ou amicales disparaissent peu à peu, remplacées par ces nouvelles civilités où l’on est ensemble mais séparés les uns des autres par des écrans, avec parfois quelques mots échangés avant de retrouver la quiétude de son portable, replié sur soi. À quoi bon s’encombrer des autres puisqu’un monde de divertissement est immédiatement accessible où l’on a plus à soutenir l’effort de nourrir la relation aux autres. La conversation devient désuète, inutile, pénible, ennuyeuse, alors que l’écran est une échappée belle qui ne déçoit pas et qui occupe agréablement le temps.

Des villes peuplées de zombies

La disparition massive de la conversation, même avec soi-même, se traduit par le fait que maintenant les villes sont désertes, on n’y rencontre plus personne, les trottoirs regorgent de zombis qui cheminent hypnotisés par leur smartphone. Les yeux baissés, ils ne voient rien de ce qui se passe à leur entour. Si vous cherchez votre chemin, inutile de demander de l’aide, il n’y a personne autour de vous. Les uns sont casqués ou portent des oreillettes, parlent tout seuls, et arborent une attitude indifférente ostentatoire, tous n’ont d’yeux que pour leur écran.

« Are You Lost in the World Like Me ? », Moby and the Void Pacific Choir, These Systems Are Failing (animation, Steve Cutts).

Parfois, la communication s’impose dans l’espace public, infligée à ceux qui n’osent pas protester ou s’en vont ailleurs, envahis par la parole insistante de quelqu’un venu s’asseoir à leur banc ou près de leur table pour entamer une discussion à voix haute. Autre donnée de plus en plus courante, regarder une vidéo criarde sans oreillette ou mettre le haut-parleur pour mieux entendre la voix de son interlocuteur.


Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ? Notre nouvelle série « Nos vies modes d’emploi » explore nos rapports intimes au monde induits par les bouleversements technologiques, féministes et écologiques survenus au tournant du XXIe siècle.

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Autre forme d’incivilité courante devenue banale, le fait de parler avec quelqu’un qui ne peut s’empêcher de sortir son smartphone de sa poche toutes les trente secondes, dans la peur de manquer une notification ou qui vous laisse tomber après une vibration ou une sonnerie. Échange de bon procédé, chacun occupant une place ou un autre selon les circonstances. La hantise de manquer une information provoque cette fébrilité des adolescents, mais pas seulement, et cette quête éperdue du smartphone dans la poche, à moins qu’il ne reste en permanence à la main. Ce que les Américains appellent le Fear of Missing Out (FOMO) est devenu un stress qui affecte la plupart de nos contemporains. Même posé près de soi sur une table, l’expérience montre que le smartphone exerce un magnétisme difficile à contrer, les regards se posent avec régularité sur lui dans une sorte de nostalgie.

Pour ces usagers, les relations à distance, sans corps, sont moins imprévisibles, moins frustrantes, elles n’engagent que la surface de soi, et en ce sens elles apparaissent souvent préférables aux interactions de la vie réelle. Elles donnent lieu à des relations conformes au désir et fondées sur la seule décision personnelle sans craindre un débordement, car dès lors il suffit d’interrompre la discussion en prétextant un problème de réseau et de couper la communication. Les interactions en face-à-face sont plus aléatoires, plus susceptibles de blesser ou de décevoir. Mais plus on communique moins on se rencontre, plus la conversation disparaît du quotidien. Les écrans donnent le moyen de franchir le miroir du lien social pour se retrouver ailleurs sans plus de contrainte de présence à assumer devant les autres. Ils induisent une communication spectrale, essentiellement avec soi-même, ou avec un minimum d’altérité. Souvent dans le sillage des habitudes prises lors du confinement quand tout autre lien était impossible. Nous multiplions aujourd’hui les réunions, les conférences à distance qui dans mon expérience personnelle n’existaient pas avant l’émergence du Covid.

Un sentiment d’isolement croissant

La société numérique ne se situe pas dans la même dimension que la sociabilité concrète, avec des personnes en présence mutuelle qui se parlent et s’écoutent, attentifs les uns aux autres, en prenant leur temps. Elle morcelle le lien social, détruit les anciennes solidarités au profit de celles, abstraites, le plus souvent anonymes, des réseaux sociaux ou de correspondants physiquement absents.

Paradoxalement, certains la voient comme une source de reliance alors que jamais l’isolement des individus n’a connu une telle ampleur. Jamais le mal de vivre des adolescents et des personnes âgées n’a atteint un tel niveau. La fréquentation assidue de multiples réseaux sociaux ou l’ostentation de la vie privée sur un réseau social ne créent ni intimité ni lien dans la vie concrète.

La société numérique occupe le temps et donne le moyen de zapper tout ce qui ennuie dans le quotidien, mais elle ne donne pas une raison de vivre. Bien entendu certains y trouvent du lien du fait de leur isolement, mais ce dernier n’est-il pas aussi une incidence du fait que l’on ne se rencontre plus dans la vie réelle ?

Chacun est en permanence derrière son écran, même en marchant en ville, l’expérience individuelle de la conversation ou de l’amitié se raréfie, l’isolement se multiplie en donnant le sentiment paradoxal de la surabondance. Mais il ne reste du lien qu’une simulation. Les cent « amis » des réseaux sociaux ne valent pas un ou deux amis dans la vie quotidienne.

Le smartphone donne les moyens de ne plus tenir compte des autres. Il contribue à l’émiettement social, et paradoxalement, non sans ironie, il se propose comme le remède à l’isolement, la prothèse nécessaire puisqu’on ne se parle presque plus dans les trains, les transports en commun, les cafés, les restaurants, maints autres lieux propices autrefois aux rencontres, mais qui juxtaposent aujourd’hui des individus isolés, séparés, en contemplation devant leur écran.

De nouvelles formes d’expression émergent qui relèvent désormais de l’évidence pour nombre de contemporains, et pas seulement pour les digital natives. Globalement la connexion prend le pas sur une conversation renvoyée à un anachronisme mais non sans un impact majeur sur la qualité du lien social, et

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David Le Breton est l’auteur notamment de « Des visages. Une anthropologie » (Métailié poche) et de « Du silence. Essai d’anthropologie » (Métailié). À paraître : « La fin de la conversation : La parole dans une société spectrale » (Métailié).

David Le Breton, Professeur de sociologie et d'anthropologie, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Comment un bébé peut-il apprendre deux langues en même temps ?

Cameron Morin, ENS de Lyon

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L’acquisition du langage chez les enfants constitue l’un des traits les plus fascinants de l’espèce humaine, ainsi que l’un des problèmes les plus ardus de la linguistique et des sciences cognitives. Quels sont les procédés qui permettent à un enfant d’acquérir une maîtrise complète de sa langue native en à peine quelques années de vie, bien avant d’apprendre à lacer ses chaussures, et à un degré de compétence que les adultes n’égalent presque jamais ?

Loin de faire consensus, ce sujet a en réalité beaucoup divisé les communautés de chercheurs dans ces domaines : le XXe siècle fut marqué par l’idée très influente et controversée de Noam Chomsky selon laquelle l’acquisition de la langue native témoignerait d’une faculté grammaticale universelle et innée chez les humains, les distinguant des autres espèces animales.

Qu’est-ce que les langues ont toutes en commun ?

S’il est donc aussi impressionnant qu’un bébé puisse apprendre ne serait-ce qu’une seule langue, alors comment expliquer qu’il puisse aller jusqu’à en apprendre deux, trois, voire plus ?

La moitié de la population mondiale est bilingue

Cette question présuppose que le bilinguisme ou le multilinguisme seraient sporadiques dans les sociétés humaines, l’exception plutôt que la règle. Or, les experts estiment non seulement que près de la moitié de la population mondiale serait bilingue, mais encore que le multilinguisme est en fait plus commun que le monolinguisme. Il suffit de se tourner vers quelques-uns des pays les plus peuplés du monde comme l’Inde ou la Chine.

Rien de surprenant, donc, qu’un enfant puisse être amené à apprendre plus d’une langue native ! Ce serait même quelque chose à encourager, et non à prévenir comme entrave au développement de l’enfant ou à son intégration culturelle et sociale. De nombreux chercheurs ont ainsi souligné les nombreux bénéfices cognitifs et sociaux du bilinguisme tout au long de la vie. Parmi ceux-ci, on peut citer une meilleure mémoire, un déclenchement des maladies neurodégénératives plus tardif, ou une meilleure adaptation à des contextes sociaux différents.

Les bénéfices d’un cerveau bilingue.

La clé de voûte du bilinguisme chez les enfants semble résider d’une part dans un ensemble d’aptitudes cognitives générales chez les êtres humains de tout âge (telles que l’analogie, l’abstraction et la mémoire encyclopédique), et d’autre part dans l’étonnante plasticité cérébrale d’un enfant, notamment entre 0 et 3 ans.

Dès la naissance, un enfant est capable de retenir et catégoriser des stimuli linguistiques extrêmement riches en termes d’informations sur leurs prononciations, leurs structures, leurs sens, mais aussi les contextes familiaux et sociaux de leur usage. À partir de ces informations, un enfant est en mesure de très rapidement inférer qu’un ensemble de constructions linguistiques se distingue d’un autre en termes de conventions pour deux langues différentes (par exemple, le français et l’anglais), en particulier après la première année.

Il acquiert ainsi une compétence que l’on nomme « alternance codique », lui permettant de passer facilement d’une langue à l’autre, par exemple en fonction de son interlocuteur, et parfois au sein d’une seule et même phrase (code-mixing) !

Laisser du temps à l’enfant

Bien sûr, la facilité que représente le bilinguisme pour un enfant ne signifie pas pour autant que son développement linguistique est tout à fait identique à celui d’un monolingue. Que ce soit pour les enfants qui apprennent deux langues simultanément, ou bien une deuxième langue avant l’âge de trois ans, la maîtrise de deux grammaires alternatives pour des contextes sociaux spécialisés représente une charge cognitive supplémentaire. Il n’est ainsi pas rare pour un enfant bilingue qu’il prenne un tout petit peu plus de temps qu’un monolingue à apprendre pleinement la langue qu’ils ont en commun. Ce léger écart, qui se manifeste parfois par des « mélanges » interlangues, se résorbe très vite à mesure que l’enfant grandit.

Afin de guider davantage l’enfant et faciliter son acquisition bilingue, on cite souvent l’approche parentale dite « une personne, une langue ». Par exemple, si l’un des parents parle davantage anglais à l’enfant tandis que l’autre utilise davantage le français, le bébé sera en mesure de plus rapidement distinguer deux systèmes linguistiques et à les convoquer dans des interactions avec des personnes spécifiques, par exemple anglophones et francophones.

Par ailleurs, un équilibre dans la fréquence d’usage des deux langues à la maison permettra à l’enfant de bien les ancrer cognitivement en vue d’un usage régulier dans les années qui suivront. Si votre couple parle deux langues et que vous voulez les transmettre à votre enfant, il y a donc quelques habitudes que vous pouvez prendre, mais vous n’avez pas trop à vous inquiéter : parlez fréquemment ces deux langues à votre enfant, il s’occupera du reste !

Cameron Morin, Docteur en linguistique, ENS de Lyon

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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L’e-sport, facteur d’inclusion et d’ascension sociale ?

Oihab Allal-Chérif, Neoma Business School

Le jeu vidéo est la plus jeune industrie culturelle, mais aussi la plus importante, avec un marché supérieur à ceux de la musique et du cinéma réunis. La professionnalisation de ce divertissement a donné lieu à une nouvelle activité économique : l’e-sport.

Les compétitions internationales de jeux vidéo attirent une audience considérable, que ce soit via le streaming online ou lors d’événements physiques. En France, 10,8 millions de personnes pratiquent ou regardent l’e-sport, en faisant un secteur prometteur pour les investisseurs et les annonceurs. La France souhaite renforcer sa présence en soutenant l’écosystème national et en créant de nouvelles grandes compétitions.

Cependant, la pratique de l’e-sport garde une image élitiste et excluante. Le coût et la qualité du matériel nécessaire en font une discipline réservée aux classes sociales les plus élevées – un PC de gamer coûte plusieurs milliers d’euros, sans parler du clavier, du micro, de la caméra… Mais depuis 2020, l’e-sport sur mobile, bien plus accessible, a atteint plus de 51 % du marché mondial, dépassant à lui seul tous les autres supports réunis : PC, console, arcade, cloud et réalité virtuelle. Bien qu’elles représentent 53 % des pratiquants réguliers de jeux vidéo en France, seulement 10 % des joueurs professionnels sont des femmes, dans un environnement qui peut parfois s’avérer sexiste.

CS :GO, LoL, Fortnite : pourquoi il y a si peu de femmes dans l’e-sport ?

Pourtant, dans certains pays en développement, l’e-sport est un moyen de favoriser la diversité, de valoriser les communautés, et de permettre l’ascension sociale. Bien que les ressources et les infrastructures y soient moins importantes, neuf des vingt pays qui dominent l’e-sport en termes de revenus sont des pays émergents : la Chine, la Russie, le Brésil, l’Ukraine, la Thaïlande, la Pologne, Taïwan, les Philippines, et la Malaisie. Près de la moitié des revenus mondiaux de l’e-sport proviennent de ces pays émergents. Cet article se focalise sur les pratiques au Brésil et en Inde.

L’e-sport mobile dans les favelas du Brésil

Au Brésil, l’accès à Internet est à la fois coûteux et très rudimentaire en périphérie des grandes villes et le matériel informatique coûte plus cher que dans les pays occidentaux avec un salaire minimum proche de 200 euros. Grâce au jeu mobile, le Brésil est le deuxième pays au monde juste après les États-Unis qui a le plus de spectateurs uniques mensuels sur Twitch avec 16,9 millions. Les adolescents des favelas et des quartiers populaires voient dans l’e-sport un moyen de sortir de la pauvreté. Ils forment des communautés de joueurs où ils s’entraident pour progresser et s’efforcent de créer un écosystème favorable dans lequel ils pourront générer des revenus.

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Le jeu Free Fire qui rassemble 71 % des joueurs brésiliens est le plus populaire car son fonctionnement ne nécessite qu’un smartphone ordinaire et une connexion Internet stable. Ce jeu de battle royale qui mêle survie et tir selon la mécanique du last man standing (dernier survivant) et qui ressemble beaucoup à Fortnite s’appuie sur une base de plus de 196 millions de joueurs actifs mensuels et 13 millions quotidiens pour concurrencer des jeux puissants sur mobile comme Call of Duty et PUBG (anciennement PlayerUnknown’s Battlegrounds).

Trailer des championnats du monde de Free Fire 2023.

La ligue professionnelle brésilienne de Free Fire est très active et produit de nombreux champions, dont le streamer Nobru, vainqueur du championnat du monde en 2019, qui compte 15 millions de followers sur Instagram et autant sur YouTube. Cerol, autre célèbre joueur de Free Fire, a été élu meilleur streamer du pays en 2019. Mais les nouveaux rois de Free Fire sont les membres de l’équipe brésilienne Loud, qui en plus d’être leader sur Twitch, est le premier collectif e-sport au monde à atteindre le milliard de vues sur YouTube. Cette entreprise qui a connu une croissance fulgurante a été créée par le champion Bruno « PlayHard » Bittencourt, Jean Ortega, et Matthew Ho.

PlayHard a recruté les meilleurs jeunes joueurs de Free Fire et convaincu les parents et les marques du potentiel de l’e-sport pour développer Loud. PlayHard souhaite favoriser une meilleure visibilité de la population noire sous-représentée parmi les streamers et créateurs de contenus. Il a particulièrement encouragé les jeunes femmes à devenir pro-gameuses, ayant perçu le fort potentiel commercial de l’e-sport féminin. En 2023, Loud a annoncé la formation d’une équipe inclusive composée de femmes cisgenres et transgenres, et de personnes non binaires. Loud est aussi à l’initiative de nombreuses actions humanitaires dans les favelas pour fournir du matériel informatique aux enfants et aux jeunes et leur proposer des formations aux nouvelles technologies numériques.

Au Brésil, l’e-sport détrône le football dans les favelas.

Avec la même vision, AfroGames est le premier centre d’entraînement pour athlètes e-sport au monde à être basé dans une favela. Dans la zone nord de Rio de Janeiro, des centaines de jeunes vont se former pour devenir streamers et pro-gamers. Exclus de la société et immergés dans un environnement où la criminalité est la norme, ils voient dans l’e-sport un moyen de gagner leur vie honnêtement et de retrouver espoir dans l’avenir. AfroGames est soutenue par plusieurs marques comme la compagnie aérienne GOL, la boutique de jeux en ligne Nuuvem et le fabriquant de mémoire informatique Kingston. Plusieurs autres associations et académies d’e-sport se sont développées pour détecter et accompagner les meilleurs talents de l’e-sport brésiliens comme Fluxo, Neverest, et INTZ.

Le défi de l’inclusion par le jeu vidéo en Inde

L’Inde est aujourd’hui le pays le plus peuplé du monde, ayant dépassé la Chine en 2022, avec 1,4 milliard d’habitants, dont plus de 370 millions de jeunes entre 10 et 25 ans. L’Inde souffre d’un niveau élevé de pauvreté et d’analphabétisme. Le taux de chômage des jeunes dépasse 40 %. Même les titulaires d’un master ont du mal à trouver un emploi et, lorsqu’ils y parviennent, le salaire est très bas, ce qui les empêche de subvenir à leurs besoins. Les taux d’équipement en ordinateurs et consoles sont très faible, mais il y a 800 millions d’utilisateurs de smartphones, ce qui explique que l’e-sport soit essentiellement mobile.

Comme au Brésil, les jeux de battle royale tels que Free Fire, Fortnite et PUBG Mobile, sont les plus populaires, ainsi que Call of Duty, Valorant, DOTA 2 et League of Legends. La pandémie de Covid-19 a stimulé l’usage des smartphones et le recours aux jeux vidéo comme passe-temps. De nombreux jeunes ayant perdu leur job étudiant ont transformé cette épreuve en opportunité en devenant entrepreneurs ou champions d’e-sport. Ainsi, en Inde les revenus de l’e-sport ont plus que doublé entre 2021 et 2023.

Free Fire India, la version spécialement conçue pour l’Inde.

L’un des avantages de l’Inde dans le domaine de l’e-sport est que le coût de l’accès à Internet est l’un des plus bas au monde. YouTube y est très puissant avec environ 450 millions d’utilisateurs actifs. En plus des 22 langues officielles, plus de 200 langues autochtones et des milliers de dialectes y sont parlés. Les marques souhaitent accéder à des ambassadeurs capables de promouvoir leurs produits dans les principales langues et à travers différentes communautés. Cela rend les streamers et les champions d’e-sports particulièrement intéressants d’un point de vue marketing, car ils peuvent générer un taux d’engagement très élevé de manière inclusive en termes de genre, de caste, de religion, et d’origine sociale.

C’est ce que propose

et Irony Esports. Expert en marketing sportif, il a travaillé pour plusieurs institutions, dont l’Indian Premier League Cricket, la plus grande ligue sportive d’Inde. En août 2020, il crée StreamO, une entreprise visant à développer de nouveaux espaces de rencontre inclusifs centrés sur le jeu vidéo, à faciliter la formation de communautés de super fans de champions d’e-sport, à aider à monétiser le contenu des créateurs dédiés au jeu vidéo et à connecter les marques avec des publics jeunes ayant un haut niveau d’engagement.

Ces marques incluent Amazon Prime, Netflix, Hyudai, Intel, Sony, Spotify et Puma. Plus de 5200 youtubeurs travaillent avec StreamO, ce qui représente plus de 100 millions d’abonnés. Grâce à StreamO, les streamers peuvent multiplier leur monétisation entre 10 et 20, selon la taille de leur communauté, ce qui leur permet de devenir eux-mêmes entrepreneurs, de développer leur structure, et d’avoir un impact positif sur la société et l’économie.

Des modèles à suivre

Bien que l’e-sport ne soit pas un exemple d’inclusivité en France et plus généralement dans les pays occidentaux, il est remarquable de constater que dans des pays comme le Brésil et l’Inde, des entrepreneurs audacieux utilisent le jeu vidéo comme un levier pour favoriser le développement social et la diversité. Malgré un manque de moyens et une maturité moins élevée, les efforts qui sont menés pour mettre en œuvre ces bonnes pratiques favorisent une société plus juste et plus inclusive dans ce secteur en plein essor.

Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.