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Kelle embrasse son fils Joey, image de promotion de l’émission MILF Manor, 2023. TLC

Culture pornographique et télé-réalité : quand l’inceste envahit nos écrans

Kelle embrasse son fils Joey, image de promotion de l’émission MILF Manor, 2023. TLC
Aziliz Kondracki, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et Corentin Legras, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)

Dans l’émission de télé-réalité Loft Story, la désormais célèbre « scène de la piscine », dans laquelle il y aurait eu un rapport sexuel filmé entre Loana et Jean-Édouard, fait les gros titres en 2001. À ce moment-là, la polémique que suscite l’émission est symptomatique d’une panique morale plus large qui accompagne l’émergence de la télé-réalité en France : un genre télévisuel que certains appellent alors la « télé-poubelle » ou autrement dit en anglais la « trash TV ».

Plus de vingt ans après Loft Story, l’émission Frenchie shore diffusée fin 2023 sur la plate-forme de streaming payante Paramount+ et sur MTV fait à son tour scandale. Alors qu’elle donne à voir de manière bien plus explicite des personnes assumant « baiser devant les caméras » pour reprendre les mots d’Ouryel, une candidate de l’émission, Frenchie Shore montrerait alors, selon une journaliste de

, une « image assez particulière de la sexualité ».

Si certains sonnent alors le retour de « la vraie télé-réalité » avec Frenchie Shore, considérée comme l’émission la plus « trashissime » jamais diffusée en France, ce genre d’émissions n’est pourtant pas nouveau. On pense à L’île de la tentation (diffusée à partir de 2002 sur TF1), Opération séduction aux Caraïbes (2002), Secret Story (première diffusion en 2007), Les Anges de la télé-réalité (diffusée pendant 10 ans à partir de 2007 également), Les Marseillais (de 2012 à 2022) ou encore Adam recherche Eve, une émission de dating diffusée en 2015 sur la chaîne C8, dans laquelle des hommes et des femmes se rencontrent totalement nus sur une île déserte.

Les bikinis shows : sexualité et nudité au programme

En fait, l’émission Frenchie Shore, dans laquelle de jeunes gens passent des vacances plutôt torrides dans une villa au Cap d’Adge, pourrait être classée du côté de ce que l’industrie appelle en anglais les bikinis shows : des émissions aux couleurs saturées, qui reposent sur un casting de jeunes adultes, hommes et femmes aux plastiques standardisées.

Notons par ailleurs que la plate-forme de streaming Netflix a elle aussi investi dans les bikinis shows, en diffusant par exemple depuis 2020 l’émission Séduction haute tension (Too Hot to Handle en anglais), dans laquelle les téléspectateurs assistent aux ébats sexuels des participantes et participants qui doivent pourtant rester chastes (sous peine de voir leur cagnotte collective diminuer à chaque transgression). Connue pour être désormais l’émission « la plus chaude » de Netflix, cette émission de télé-réalité américaine a depuis été déclinée dans plusieurs versions, comme en Allemagne ou au Brésil par exemple.

En ce qui concerne Frenchie Shore, le producteur de l’émission précise que « ce n’est pas de la pornographie ». Pour ne pas franchir ce qui semblerait être les limites communément admises de ce qu’est ou non un contenu pornographique, les producteurs font usage de stratégies variées : floutages des parties génitales, images filmées en caméra infrarouges, smiley cachant des actes sexuels telles que des fellations ou des pénétrations, etc. Par ces procédés, les émissions de télé-réalité jouent de fait avec les limites de la pornographie, et en France, dans un contexte de nouvelle légifération entourant l’accessibilité des contenus pornographiques, l’émission Frenchie Shore fait sensation. Si l’émission ne peut être qualifié de « contenu pornographique » en tant que tel, elle permet néanmoins de poser la question des circulations entre télé-réalité et pornographie.

Subrepticement, l’émergence des thématiques incestueuses dans la télé-réalité permet d’approfondir la nature de ces liens et leurs conditions d’existence : d’autres émissions, cette fois-ci américaines mais disponibles aussi en France, s’emparent en effet plus manifestement des codes de la pornographie mainstream, en s’appuyant notamment sur la trend pornographique de l’érotisation de l’inceste, et méritent que l’on y prête une plus grande attention.

« Dans la famille sexy », je demande… la mère et le fils !

Joey et sa mère, « ça va être une période effrayante » en parlant de l’émission de télé-réalité MILF Manor (2023). TLC

En 2023, les émissions américaines MILF Manor (diffusé sur TLC en 2023) puis Dated and Related (en français Dans la famille sexy diffusée sur Netflix la même année) s’inscrivent dans la dynastie des bikinis shows, mais avec un twist narratif inédit : la co-présence de frères et sœurs (parfois jumeaux) ou de mères et de leurs fils dans les villas faisant office d’espaces de séduction clos.

Ainsi, MILF Manor filme huit femmes âgées de 44 à 60 ans cherchant à rencontrer des hommes plus jeunes qu’elles et à entamer une relation avec l’un d’entre eux. Mais « surprise », les huit jeunes hommes qui les rejoignent dans la villa ne sont autres que leurs fils respectifs, âgés de 20 à 30 ans environ. Dans l’émission Dated and Related, présentée par la plate-forme comme son émission la plus « gênante », des duos composés de frères et de sœurs ou de cousines et de cousins se rencontrent et cherchent à relationner sous l’œil plus ou moins complaisant de leurs collatéraux, dans une villa située dans les hauteurs de Cannes.

Les sœurs jumelles Diana et Nina dans l’émission Dated and Related (Dans la famille sexy en français) 2023. Netflix

À première vue, MILF Manor et Dated and Related pourraient appartenir à la lignée des émissions portées sur l’investissement de membres de la parenté dans la planification et le jugement de relations conjugales ou matrimoniales d’un·e des leurs (comme dans Qui veut épouser mon fils ? ou encore par exemple Ma mère, ton père, l’amour et moi, diffusée récemment sur TF1). Mais contrairement à ces émissions, l’enjeu entre les candidats appartenant à la même famille n’est pas l’intégration par la conjugalité d’un nouveau membre dans leur famille.

Les émissions MILF Manor et Dated and Related portent en effet sur la vie affective et sexuelle des candidates et candidats et s’inscrivent de cette façon dans le genre des bikinis shows et se distinguent par plusieurs aspects des émissions engageant les membres d’une même famille. D’abord, elles mettent en scène des corps standardisés et hypersexualisés propres aux codes de la pornographie mainstream.

Ensuite, le fait que les duos « mères/fils » dans MILF Manor, ou les duos de sœurs, de cousins, etc. dans Dated and Related soient simultanément à la recherche d’un partenaire dans le même espace clos est une mécanique narrative inédite dans la télé-réalité. Ainsi, dans ces deux émissions, les membres de la famille commentent les désirs des uns et des autres ou ce que chacun décide de faire avec son corps, dans sa vie intime : des sujets qui les invitent à se sexualiser mutuellement, ce qui est généralement esquivé dans les dating shows impliquant les familles des candidat·e·s.

Le défi massage dans MILF Manor, lors duquel les fils massent chacune des mamans à l’aveugle, 2023. TLC

Par ailleurs, MILF Manor joue de manière plus flagrante sur l’ambiguïté produite par la co-présence de celles et ceux présentés tout au long de l’émission comme les « moms » et les « sons » (en français « les mamans » et les « fils »). En effet, les duos mère-fils partagent une même chambre, ce qui ne les empêche pas d’avoir simultanément des invité·e·s dans leurs lits respectifs. Une confusion des générations est constamment mise en scène, des « moms » étant successivement amenées à « esquiver » d’autres MILFS pour s’acoquiner avec les « sons » sans se faire prendre, puis à exprimer une réprobation toute maternelle quant aux choix de fréquentations de leurs fils.

L’humour et le scandale reposent ainsi sur le risque érotisé de l’inceste et la suggestion de son existence, puisque les « défis » consistent par exemple, pour les mères, à reconnaître le torse de leur fils, les yeux bandés, en palpant un à un les garçons. En retour, les « sons » seront notamment invités à réaliser des massages sensuels, les yeux bandés, sur les dos nus de chacune des « moms ». Tous auront également à reconnaître un maximum de sous-vêtements sales appartenant à leur mère/fils pour obtenir une victoire.

L’inceste : une nouvelle trend de la télé-réalité ?

C’est avant tout dans l’industrie pornographique que l’inceste est devenu omniprésent au fil des dernières années, comme l’explique Ovidie dans La culture de l’inceste à travers un article sur la « step-mom » (belle-mère), « le tag le plus recherché au monde » sur les sites pornographiques.

Dans la pornographie, elle explique que l’inceste est montré comme fun et consenti. Outre les scénarios incestueux, il arrive également que des acteur·rices apparenté·e·s tournent ensemble dans des vidéos, tandis que des pages X (Twitter), Instagram ou Onlyfans proposent leur lot de contenus érotiques amateurs mettant en scènes des frères, des sœurs, des jumeaux. Les émissions Dated and Related et MILF Manor capitalisent de fait sur cette tendance pornographique pour capter l’attention du public.

Cela étant, la pirouette narrative de l’émission consiste au montage à accompagner systématiquement ces moments d’érotisation de l’inceste par les commentaires de candidat·e·s exprimant soit du dégoût, soit de l’excitation, mettant ainsi en exergue l’ambiguïté attendue dans la réception de ces scènes. Il s’agit donc de suggérer l’éventualité de la transgression (ici incestueuse), sans que celle-ci ne soit jamais actualisée, pour reprendre l’analyse de la chercheuse Divina Frau-Meigs dans un article qu’elle consacre aux liens entre télé-réalité et pornographie en 2003.

Si s’appuyer sur la culture de l’inceste dans la télé-réalité semble relativement nouveau, dans la pornographie, cette tendance est en revanche loin d’être marginale. Les journalistes de Cash Investigation (France TV, 2023) expliquent par exemple que des sites pornographiques s’obligent en fait à « défaire » les liens de parenté dans leurs titres (en ajoutant par exemple « step » devant « brother and sister » ou devant « moms ») pour que les vidéos soient diffusables et ne soient pas qualifiées d’incestueuses. La popularité de l’inceste dans la pornographie souligne ainsi une contradiction entre les discours publics de rejet et de dégoût en réaction à l’inceste (et donc aux émissions citées), et entre l’excitation générée par la consommation de contenus en privé.

Décloisonner certains imaginaires pornographiques

Il est important de souligner que la télé-réalité fait l’objet d’une forte dévaluation sociale, ici en montrant notamment dans Frenchie Shore des formes de sexualités jugées socialement inacceptables car considérées « trop vulgaires » et « débridées ». En fait, cette émission, comme beaucoup d’autres avant elle, brouille les frontières du public et de l’intime et s’inscrit dans un mouvement plus général de publicisation de l’intime, alors au cœur du « modèle néolibéral » (comme le note plus précisément Divina Frau-Meigs). Cela dit, la nouveauté dans Frenchie Shore, c’est qu’en plaçant la sexualité au cœur de son dispositif télévisuel de manière explicite, elle pousse le brouillage à son paroxysme, rendant alors quasi-visibles des choses qui demeurent habituellement cachées, sauf dans le cadre de la production pornographique. De la même manière, ce qui suscite l’indignation dans Dated and Related et MILF Manor, c’est que des éléments de l’intimité des candidat·e·s sont exposés et commentés par des membres de leur famille.

Quoi qu’en disent plusieurs journalistes et internautes, notons que ces émissions de télé-réalité ne traduisent pas un intérêt nouveau pour l’inceste. À ce titre, il est important de rappeler que l’érotisation des relations incestueuses est un procédé récurrent des productions culturelles (comme le démontre Iris Brey dans La culture de l’inceste), qui nourrissent la culture de l’inceste et en occultent le véritable phénomène social : les violences sexuelles intrafamiliales commises sur les enfants, dont nous savons aujourd’hui qu’elles concernent un enfant sur dix et qu’elles relèvent de l’exercice d’une domination.

Finalement, la question n’est donc pas de savoir si ce type d’émissions se place ou non à la limite de la pornographie, mais d’analyser la manière dont la télé-réalité décloisonne certains imaginaires pornographiques et les propulse dans la sphère publique. Filmer des actes sexuels ou érotiser l’inceste s’inscrit dans la continuité de circulations et d’emprunts qui s’opèrent entre le genre de la télé-réalité et la pornographie.

Alors que ces représentations ne semblent guère entaillées par une période de lutte renouvelée contre les violences sexuelles intrafamiliales, la place d’un inceste illusoire, car « fun » et « consenti », dans ce genre de contenus qui troublent la notion de réalité, doit être questionnée de manière critique. Cela, dans un contexte où les productions culturelles montrant la violente réalité de l’inceste demeurent rares. La réception de certaines d’entre elles, tel que Triste Tigre de Neige Sinno qui a remporté les prix Femina et le Goncourt des lycéens en 2023, atteste d’ailleurs d’un intérêt renouvelé pour ces récits restituant les réalités subies par les victimes. Ainsi, la question de l’inceste ne cesse de mettre la société face à ses propres contradictions.

Aziliz Kondracki, Doctorante en anthropologie, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et Corentin Legras, Doctorant en athropologie, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Pourquoi faut-il voir (et lire) « L’Événement » ? Histoire et actualité de l’avortement

Le nouveau film d'Audrey Diwan remet dans la lumière ce moment terrible, et tabou, entre grossesse non désirée et avortement illégal dans les années 1960 (Anne, jouée par Anamaria Vartolomei). L'Événement/Audrey Diwan/ Wild Bunch / Allociné, CC BY-SA
Carla Robison, Sorbonne Université

Le film L’Événement (2021) d’Audrey Diwan est bien plus qu’une adaptation du livre éponyme d’Annie Ernaux (2000). C’est à la fois une expérience corporelle, celle d’un corps à corps entre le public et la jeune protagoniste qui doit choisir entre interrompre sa grossesse ou ses études, et une invitation à penser notre présent à la lueur du passé.

Dans le film d’Audrey Diwan, une étudiante en lettres prénommée Anne (Anamaria Vartolomei), qui n’est autre qu’Annie Ernaux dans les années soixante, tombe accidentellement enceinte. Peu après avoir pris connaissance de sa grossesse, elle se rend dans une bibliothèque pour chercher des informations sur son état. Démunie, elle ne tombe que sur quelques manuels de médecine qui ne l’aident guère : l’avortement est illégal, donc tabou.

Ainsi, cachée au fond de la bibliothèque, abandonnée à son sort, on retrouve dans le film d’Audrey Diwan la solitude d’une jeune fille de l’époque confrontée à une grossesse non désirée. Car les femmes sont alors réparties entre deux catégories : il y a celles « dont on ne sait pas si elles acceptent de coucher » et celles « qui, de façon indubitable, ont déjà couché » (Ernaux, p. 36). Révéler son état, c’est basculer dans la deuxième catégorie, avoir honte et faire honte autour de soi. Et chercher à interrompre la grossesse, c’est en plus s’exposer à la législation de l’époque, qui menace d’emprisonnement les avortées…

Par conséquent, une jeune femme ne peut faire face à son état que seule : les parents ne sauraient prendre en charge le sujet encore tabou de la sexualité, et ni les médecins ni même les camarades de classe ne voudraient risquer leur avenir en devenant complices d’une opération illégale.

Dernier refuge, les livres. Mais la quête aux informations est difficile :

« Si beaucoup de romans évoquaient un avortement, ils ne fournissaient pas de détails sur la façon dont cela s’était exactement passé. Entre le moment où la fille se découvrait enceinte et celui où elle ne l’était plus, il y avait une ellipse. » (Ernaux, p. 40)

Avec ce livre, puis avec ce film, c’est donc cette ellipse, ce blanc, que l’on vient combler. Revenant sur les conditions d’un avortement clandestin avant sa légalisation par la loi Veil (1975), L’Événement retrace et rappelle toutes ces péripéties longtemps esquivées par la culture dominante : la recherche d’informations, les visites médicales et les tentatives d’avortement domestique (aiguilles à tricoter), puis la pose d’une sonde chez la faiseuse d’anges, suivie par la douleur et le danger de la fausse-couche…

Le film donne à voir le parcours de ces jeunes femmes décidées à avorter, mais qui ne disposaient pour cela d’aucune aide, d’aucune information fiable, et procédaient souvent au péril de leur vie. L’Événement/Audrey Diwan/Wild Bunch/Allociné, CC BY-SA

Ces détails, cette matérialité, Annie Ernaux les avaient déjà esquissés une première fois en 1974 dans Les Armoires vides, à la veille de la loi Veil, puis restitués dans L’Événement en 2000. Une vingtaine d’années plus tard, Audrey Diwan nous replonge dans l’avortement clandestin de manière encore plus frappante à l’écran.

De la France d’hier au monde d’aujourd’hui

Si le récit autobiographique d’Annie Ernaux livrait sur le tard ces informations précieuses à son lectorat français, le film d’Audrey Diwan nous les donne à vivre à l’heure où d’autres États comme le Texas reposent la question de l’avortement. Caméra sur la nuque de l’actrice Anamaria Vartolomei, percevant à peine les bruits extérieurs derrière son souffle, nous, spectatrices et spectateurs, habitons véritablement le corps de cette jeune fille, sentons avec elle chaque douleur, chaque répit, semaine après semaine jusqu’à l’avortement.

Avec ce procédé d’identification des plus intimes, ce qu’Audrey Diwan nous propose, c’est un film à la fois historique et intemporel. Car c’est une aventure du corps que raconte L’Événement, et au travers du corps se trace un pont entre les Françaises des années soixante et certaines de nos contemporaines aux quatre coins du globe. Les avortements clandestins n’ont pas disparu, ils n’ont fait que se déplacer sur la mappemonde. Ils existaient encore en Irlande et en Argentine quand Annie Ernaux a sorti son livre il y a 20 ans ; ils existent toujours en Pologne, à Malte, au Maroc, en Colombie, en Thaïlande et ailleurs tandis qu’Audrey Diwan sort son film.

Dans un contexte de repolitisation des débats sur l’avortement, cette sortie est donc une invitation non seulement à éprouver corporellement une expérience transhistorique et universelle, mais aussi à redécouvrir toute une littérature oubliée. Au cours du débat clôturant l’avant-première du 12 novembre 2021 à Paris, la réalisatrice partageait ainsi l’importance qu’avait eu le récit d’Annie Ernaux dans sa propre vie, recommandé par une amie au moment de son IVG il y a plusieurs années. Pour elle, L’Événement est venu répondre au besoin de trouver d’autres femmes, d’autres récits comparables au sien.

Mais le texte d’Annie Ernaux n’est que l’arbre qui cache la forêt des récits d’avortement : Gribiche de Colette (1937), Ravages de Violette Leduc (1955), ou encore La Partie de plaisir de Michèle Perrein (1971), pour n’en citer que quelques-uns, ont également surmonté le tabou pour faire communauté autour de l’avortement avant sa légalisation en France.

À leur époque trop polémiques pour rentrer dans le canon littéraire, aujourd’hui disparus des rayons des librairies, ces livres témoignent avec la même force de cette épreuve trop souvent passée sous silence.

Puisse donc le film d’Audrey Diwan nous inviter aussi à revisiter ces textes, trop vite mis de côté. Mais laissons plutôt le mot de la fin à L’Événement :

« Que la forme sous laquelle j’ai vécu cette expérience de l’avortement – la clandestinité – relève d’une histoire révolue ne me semble pas un motif valable pour la laisser enfouie. » (Ernaux, p. 27)

Carla Robison, Doctorante en Littérature comparée, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Une nouvelle recherche fait le point sur l’extinction des espèces animales… et leur redécouverte

Le caméléon de Voeltzkow a été redécouvert à Madagascar en 2018. Martin Mandák/iNaturalist , CC BY
Thomas Evans, Université Paris-Saclay

Nous sommes actuellement confrontés à une extinction de masse des espèces. En marge de ce phénomène, certaines espèces sont dites « perdues », ce sont celles qui n’ont pas été observées dans la nature depuis plus de dix ans, malgré les recherches effectuées pour les retrouver. Les espèces perdues de tétrapodes (animaux vertébrés à quatre membres, dont les amphibiens, les oiseaux, les mammifères et les reptiles) sont un phénomène mondial : on en dénombre plus de 800.

Notre étude, publiée aujourd’hui dans la revue scientifique Global Change Biology, tente de déterminer pourquoi certaines espèces de tétrapodes sont redécouvertes et d’autres non. Elle révèle également que le nombre d’espèces de tétrapodes perdues augmente de décennie en décennie. Cela signifie que, malgré de nombreuses recherches, nous les perdons à un rythme plus rapide que nous ne les redécouvrons. En particulier, les taux de redécouverte des espèces perdues d’amphibiens, d’oiseaux et de mammifères ont ralenti ces dernières années, tandis que les taux de perte des espèces de reptiles ont augmenté.

En général, les espèces disparaissent parce que leurs populations ont été réduites à une taille très faible en raison de menaces humaines telles que la chasse ou la pollution. Par conséquent, de nombreuses espèces disparues sont menacées d’extinction (en fait, certaines sont probablement déjà éteintes). Cependant, il est difficile de protéger les espèces perdues de l’extinction parce que nous ne savons pas où elles se trouvent.

Les redécouvertes conduisent à des actions de conservation

En 2018, des chercheurs colombiens ont réussi à retrouver le chardonneret d’Antioquia (Atlapetes blancae), une espèce d’oiseau non répertoriée depuis 1971. Cette redécouverte a conduit à la création d’une réserve pour protéger la population restante, qui est minuscule et menacée par la perte d’habitat causée par l’expansion de l’agriculture et le changement climatique.

Le reptile Tympanocryptis pinguicolla a été redécouvert en Australie l’année dernière. Il n’avait pas été enregistré depuis 54 ans et était présumé éteint, en raison de la perte de son habitat de prairie et de la prédation par des espèces exotiques envahissantes, y compris les chats sauvages. Sa redécouverte a donné lieu à un financement gouvernemental pour tester de nouvelles techniques d’étude afin de trouver d’autres populations de l’espèce, ainsi qu’à un programme d’élevage et à la préparation d’un plan de rétablissement de l’espèce.

Les redécouvertes sont donc importantes : elles apportent la preuve de l’existence d’espèces très menacées, ce qui incite à financer des mesures de conservation. Les résultats de notre étude peuvent aider à hiérarchiser les recherches d’espèces disparues. Dans l’image ci-dessous, nous avons cartographié leur distribution mondiale, en identifiant les régions où il y a beaucoup d’espèces perdues et peu d’espèces redécouvertes.

Quels sont les facteurs qui influencent les redécouvertes ?

Malheureusement, de nombreuses recherches pour retrouver des espèces perdues restent infructueuses. En 1993, des recherches menées pendant sept ans au Ghana et en Côte d’Ivoire n’ont pas permis de retrouver un primate disparu, le colobe rouge de Miss Waldron (Piliocolobus waldronae). L’équipe de recherche a conclu que ce singe, non répertorié depuis 1978, pourrait bien avoir disparu. Elle serait due à la chasse et à la destruction de son habitat forestier. D’autres recherches en 2005, 2006 et 2019 ont également été infructueuses, bien que des cris susceptibles d’être ceux de cette espèce aient été entendus en 2008.

En 2010, les recherches du crapaud à bec de Mésopotamie (Rhinella rostrata), non répertorié en Colombie depuis 1914, ont été infructueuses (mais ont conduit à la découverte de trois nouvelles espèces d’amphibiens). La recherche de la perruche de Sinú (Pyrrhura subandina), non répertoriée en Colombie depuis 1949, a également été infructueuse l’année dernière. Néanmoins, l’équipe du projet a identifié la présence de dix autres espèces de perroquets dans la zone d’étude et de grandes étendues d’habitat approprié, ce qui laisse espérer que la perruche de Sinú continue d’exister.

Pourquoi certaines espèces sont-elles redécouvertes alors que d’autres restent perdues ? Existe-t-il des facteurs spécifiques qui influencent la redécouverte ? Notre étude visait à répondre à ces questions, afin d’améliorer notre capacité à distinguer les types d’espèces perdues que nous pouvons redécouvrir de celles que nous ne pouvons pas redécouvrir, parce qu’elles sont éteintes.

Notre équipe était composée de membres de l’organisation Re :wild, qui dirige les efforts de recherche des espèces perdues depuis 2017, ainsi que d’experts en espèces de la Commission de la sauvegarde des espèces de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Nous avons compilé une base de données de 856 espèces de tétrapodes perdues et de 424 espèces redécouvertes (amphibiens, oiseaux, mammifères et reptiles). Nous avons ensuite proposé trois grandes hypothèses sur les facteurs susceptibles d’influencer la redécouverte : les caractéristiques des espèces de tétrapodes et de l’environnement ainsi que les activités humaines influencent la redécouverte.

Par exemple, la masse corporelle (une caractéristique de l’espèce) peut avoir une influence positive sur la redécouverte, car les espèces perdues de grande taille devraient être plus faciles à trouver. Les espèces perdues qui occupent des forêts denses (une caractéristique de l’environnement) peuvent ne pas être redécouvertes car il est difficile de les chercher. Les espèces perdues affectées par des menaces associées aux activités humaines (par exemple, les espèces exotiques envahissantes, qui sont répandues dans de nouveaux endroits par le commerce mondial) peuvent ne pas être redécouvertes, car elles sont peut-être éteintes.

Sur la base de ces hypothèses, nous avons collecté des données sur une série de variables associées à chaque espèce perdue et redécouverte, que nous avons ensuite analysées pour déterminer leur influence sur la redécouverte.

Difficile à trouver + négligé = redécouvert

D’un autre côté, nos résultats suggèrent que même si de nombreuses espèces disparues sont difficiles à trouver, avec un peu d’effort et l’utilisation de nouvelles techniques, elles sont susceptibles d’être redécouvertes. Ces espèces comprennent celles qui sont très petites (y compris de nombreuses espèces de reptiles disparues), celles qui vivent sous terre, celles qui sont nocturnes et celles qui vivent dans des zones difficiles à étudier.

D’ailleurs, depuis la fin de notre étude, la Taupe dorée de Winton (Cryptochloris wintoni) a été redécouverte en Afrique du Sud. Cette espèce n’avait pas été observée dans la nature depuis 1937. Elle vit sous terre la plupart du temps, c’est pourquoi des recherches ont été menées à l’aide de techniques telles que l’ADN environnemental et l’imagerie thermique.

Nos résultats suggèrent également que certaines espèces sont négligées par les spécialistes de la conservation, en particulier celles qui ne sont pas considérées comme charismatiques, telles que les reptiles, les petites espèces et les rongeurs. Les recherches de ces espèces peuvent également être couronnées de succès. Le caméléon de Voeltzkow (Furcifer voeltzkowi), une petite espèce de reptile, a été redécouvert à Madagascar en 2018.

Perdues ou éteintes ?

Malheureusement, nos résultats suggèrent également que certaines espèces perdues ont peu de chances d’être retrouvées, quels que soient les efforts déployés, parce qu’elles sont éteintes. Par exemple, les espèces de mammifères encore perdues sont en moyenne trois fois plus grandes que les espèces de mammifères redécouvertes. Certaines de ces espèces de grande taille, charismatiques et bien visibles auraient déjà dû être redécouvertes.

En outre, un tiers des espèces de mammifères encore perdues sont endémiques des îles, où les espèces de tétrapodes sont particulièrement vulnérables à l’extinction. Le mélomys de Bramble Cay (Melomys rubicola), qui était autrefois considéré comme une espèce perdue, a récemment été déclaré éteint par le gouvernement australien. Il occupait une petite île qui a fait l’objet d’une étude approfondie. S’il existait encore, il aurait déjà dû être redécouvert.

Les espèces d’oiseaux perdues ont, en moyenne, disparu depuis plus longtemps que celles qui ont été redécouvertes (28 % ont disparu depuis plus de 100 ans), et beaucoup ont été recherchées à plusieurs reprises – peut-être que certaines de ces espèces auraient également dû être redécouvertes à ce jour.

Néanmoins, des redécouvertes inattendues d’espèces disparues depuis longtemps comme le pic de Cebu (Dicaeum quadricolor) se produisent, nous ne devrions donc pas perdre espoir et nous devrions certainement continuer à chercher. Cependant, certaines recherches sont menées pour retrouver des espèces perdues depuis longtemps et considérées comme éteintes, comme le thylacine (Thylacinus cynocephalus). Les ressources limitées disponibles pour la conservation de la biodiversité seraient peut-être mieux utilisées pour rechercher des espèces perdues susceptibles d’exister encore.


Tim Lindken, ancien étudiant en master sous la responsabilité de l’auteur, a contribué à la rédaction de cet article..

Thomas Evans, Research scientist, Freie Universität Berlin, Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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On peut accéder à votre smartphone à votre insu… à quelles conditions est-ce légal ?

Aurélien Francillon, Institut Mines-Télécom (IMT) et Noémie Véron, Université de Lille

Il est assez fréquent d’entendre parler de compromission de smartphones aujourd’hui : ces intrusions permettent d’accéder aux données qui sont stockées sur le téléphone, ou d’y implanter un logiciel espion. Aujourd’hui, c’est en fait la complexité des smartphones qui les rend si vulnérables aux intrusions (architecture, fonctionnement) et si difficiles à sécuriser complètement d’un point de vue technique.

Le scandale Pegasus a révélé en 2021 au grand public que des intrusions ou attaques de téléphones peuvent se faire à distance, quand elles ont été utilisées contre des journalistes (de Mediapart notamment) pour le compte de gouvernements étrangers. Même Jeff Besos, le CEO d’Amazon, aurait été piraté à distance par une simple vidéo envoyée via la messagerie WhatsApp.

À l’inverse, l’exploitation de failles dans des téléphones sécurisés destinés aux criminels permet aussi aux forces de l’ordre de démanteler d’importants réseaux criminels – c’est le cas par exemple dans l’affaire EncroChat dont les procès sont en cours.

Ces exemples illustrent la tension permanente entre le besoin d’accéder aux données protégées pour des enquêtes menées afin de protéger des citoyens, et le besoin de protéger les citoyens contre les abus de ces accès. Alors, faut-il sécuriser au maximum les téléphones d’un point de vue technique, ou au contraire aménager des « portes dérobées » pour les services de police et de renseignement ?

Qui a – et aura – le droit de pénétrer dans les smartphones ?

En France, le code de procédure pénale et le code de la sécurité intérieure autorisent respectivement les services de police judiciaire et les services de renseignement à capter les données informatiques, c’est-à-dire à récupérer des informations telles qu’elles apparaissent sur l’écran d’une personne (ou sur des périphériques externes), sans qu’elle en soit informée.

Depuis la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, il est même possible d’utiliser des moyens de l’État soumis au secret de la défense nationale afin d’enregistrer, de conserver ou de transmettre les données telles qu’elles sont stockées dans un système informatique. À cela s’ajoute la possibilité pour l’État de mandater des experts – en l’occurrence des sociétés privées spécialisées – afin de pénétrer dans lesdits systèmes.

En 2023, le Gouvernement a tenté une nouvelle fois d’accroître les moyens à la disposition des forces de police en insérant dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 une disposition relative à l’activation à distance des appareils électroniques à l’insu de leur propriétaire ou de leur possesseur afin de procéder à leur localisation en temps réel, à l’activation du micro ou de la caméra et à la récupération des enregistrements.

Cette disposition très controversée a été en partie censurée par le Conseil constitutionnel le 16 novembre 2023. Celui-ci a considéré que l’activation à distance du micro ou de la caméra d’un appareil électronique porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, notamment parce qu’elle permet d’écouter ou de filmer des tiers qui n’ont aucun lien avec l’affaire en cours.

Seule a été déclarée conforme à la Constitution la possibilité de géolocaliser en temps réel une personne grâce à l’activation à distance de son téléphone ou de tout autre appareil informatique tels que des tableaux de bord de véhicule.

Comment les intrusions sont-elles possibles techniquement ?

Indépendamment de la légalité d’une telle action, on peut pénétrer techniquement dans un smartphone en exploitant ses « vulnérabilités », c’est-à-dire en utilisant les failles existantes au niveau matériel ou logiciel.

L’exploitation des vulnérabilités est aujourd’hui protéiforme, tant les intrusions sont multiples et concernent plusieurs niveaux. Les attaques peuvent être effectuées à distance, à travers le réseau, ou directement sur le téléphone si celui-ci est accessible physiquement, par exemple un téléphone saisi lors d’une perquisition. Dans ce cas, les attaquants utilisent par exemple une « attaque par canal auxiliaire » (la consommation électrique d’un téléphone peut notamment révéler des informations) ; créent des erreurs artificielles (par « injection de fautes »), ou attaquent physiquement les cartes à puces ou microprocesseurs. Ces attaques permettent de récupérer les clefs de chiffrement qui permettent d’accéder aux données de l’utilisateur stockées sur le téléphone. C’était le sujet par exemple du projet européen EXFILES.

Si l’on progresse dans les couches du téléphone, il est possible d’exploiter les failles des systèmes d’exploitation des téléphones (leurs bugs, en d’autres termes). Plus un système est complexe et a de fonctionnalités, plus il est difficile de le sécuriser, voire de définir les propriétés de sécurité attendues.

Par ailleurs, dans la plupart des cas, une attaque ne suffit pas à elle seule à s’introduire dans le téléphone cible, c’est pourquoi un exploit moderne combine de nombreuses vulnérabilités et techniques de contournement des contre-mesures présentes.

Enfin, les intrusions peuvent cibler les applications installées sur le smartphone ou les protocoles de communication. Dans ce cas, ce sont des phases critiques de l’utilisation des applications qui sont visées : comme la négociation des clés, l’appairage des appareils ou encore les mises à jour des firmwares over-the-air. Par exemple, en 2019, l’équipe « Project Zero » de Google a découvert des vulnérabilités exploitables à distance sur les iPhones (pourtant réputés pour leur bon niveau de sécurité), qui permettaient de prendre le contrôle du téléphone avec un simple SMS.

Comme cette équipe, de nombreux chercheurs et fabricants découvrent et rapportent les vulnérabilités simplement pour qu’elles soient corrigées. En revanche, d’autres entreprises en tirent bénéfice en créant des « exploits » – des ensembles de vulnérabilités et techniques complexes, qui permettent d’exploiter les téléphones contre leurs utilisateurs et sont vendus au plus offrant – États compris, pour des sommes pouvant atteindre plusieurs millions d’Euros.

Faut-il sécuriser davantage ou au contraire aménager des « portes dérobées » ?

En 10 ans, le niveau de sécurité a considérablement évolué. Les opérateurs privés multiplient les mesures techniques pour s’assurer d’un niveau de sécurité de plus en plus élevé, avec de nouveaux langages de programmation par exemple, ou des modes à haut niveau de sécurité, comme le mode « lockdown » sur les iPhones, qui désactivent de nombreuses fonctionnalités, et réduisent donc la « surface d’attaque ».

Pourtant, il est impossible de proposer des systèmes complexes et sûrs à 100 %, notamment parce que le facteur humain existera toujours. Dans certains cas, le téléphone peut être compromis de manière complètement transparente pour l’utilisateur, c’est une attaque « zéro clic ». Dans d’autres, l’intervention de l’utilisateur reste nécessaire : cliquer sur un lien ou ouvrir une pièce jointe est considérée comme une attaque « un clic ». En tout état de cause, la ruse, la contrainte physique, psychologique ou juridique reste bien souvent un moyen efficace et rapide d’accéder aux données.

Les faiblesses humaines représentent parfois le maillon faible le plus facile à exploiter dans une cyberattaque. xkcd, CC BY-NC

Les difficultés croissantes à pénétrer les smartphones poussent les services de police, notamment par la voix de leur ministre en octobre 2023, à demander régulièrement la mise en place de « portes dérobées » (ou « backdoors ») qui permettent de donner un accès privilégié aux téléphones.

Ainsi, dans les années 90, la NSA souhaitait imposer aux fabricants et opérateurs de télécommunication une puce de chiffrement, le « Clipper Chip », qui incluait une telle porte dérobée permettant aux services de renseignement de déchiffrer les communications.

Dans la même veine, les forces de police contactent parfois les fabricants pour qu’ils leur donnent un accès à l’équipement, ce qui occasionne des tensions avec les opérateurs privés. En 2019, Apple avait refusé un tel accès au FBI, qui avait fini par utiliser une attaque matérielle sur le téléphone en question.

Plus récemment, en novembre 2023, de nombreux chercheurs s’opposaient à un article du règlement européen eIDAS qui forcerait les navigateurs à inclure des certificats imposés par les gouvernements européens. De tels certificats permettraient d’intercepter les communications sécurisées (HTTPS) des citoyens, sans que les éditeurs de navigateurs ne puissent révoquer ces certificats s’ils étaient utilisés de manière abusive.

Nous pensons que réduire la sécurité des systèmes en y introduisant des portes dérobées nuit à la sécurité de tous. Au contraire, augmenter la sécurité des smartphones protège les citoyens, en particulier dans les pays où les libertés individuelles sont contestées.

Si la surveillance de masse et l’insertion de backdoors dans les produits sont un danger pour la démocratie, est-ce qu’exploiter des vulnérabilités existantes serait un moyen plus « démocratique » de collecte des informations à des fins judiciaires ? En effet, ces techniques sont nécessairement plus ciblées, leur coût élevé… et si ces failles sont exploitées massivement elles sont rapidement détectées et corrigées. Avec la constante augmentation de la sécurité des téléphones, jusqu’à quand cela sera-t-il économiquement possible pour les services de police et judiciaires ?

En effet, bien que l’élimination de toutes les vulnérabilités soit sans doute illusoire, est-ce que le coût de leur découverte et de leur exploitation devient exorbitant ou bien est-ce que l’évolution des techniques de découverte de vulnérabilités permettra de réduire leur cout ?


Le PEPR Cybersécurité et son projet REV (ANR-22-PECY-0009) sont soutenus par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.

Aurélien Francillon, Professeur en sécurité informatique, EURECOM, Institut Mines-Télécom (IMT) et Noémie Véron, Maître de conférences en droit public, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.