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FNAC Liam Gallagher & John Squire Édition Limitée Exclusivité Fnac Vinyle Blanc
Liam Gallagher & John Squire Édition Limitée Exclusivité Fnac Vinyle Blanc prix Album Vinyle Fnac 25.99 € TTC - Liam Gallagher & John Squire: parler d'une collaboration au sommet est presque un euphémisme. Déjà liés par une amitié et une admiration mutuelle depuis des années, les retrouvailles sur scène entre le légendaire frontman solo et chanteur d'Oasis et le guitariste des Stone Roses, au mythique Knebworth House devant 170.000 fans en 2022, ravivent l'envie persistante de faire de la musique ensemble. Le résultat, issu d'une session d'enregistrement à Los Angeles avec le producteur Greg Kurstin, réside dans ces 10 titres disponibles dès le 1e mars 2024, dont les épiques premiers extraits 'Just Another Rainbow' et 'Mars To Liverpool'
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Liam Gallagher et John Squire sont deux figures emblématiques du rock britannique, respectivement connus pour avoir été le chanteur d’Oasis et le guitariste des Stone Roses. Après s’être retrouvés sur scène en 2022 au mythique Knebworth House devant 170.000 fans, ils ont décidé de concrétiser leur amitié et leur admiration mutuelle en enregistrant un album ensemble. Le résultat, intitulé simplement Liam Gallagher & John Squire, est disponible dès le 1er mars 2024, en édition limitée exclusivité Fnac vinyle blanc.
Liam Gallagher et John Squire ont travaillé avec le producteur Greg Kurstin, qui a déjà collaboré avec des artistes comme Foo Fighters, Paul McCartney ou Adele. Ensemble, ils ont composé 10 titres qui mêlent les influences rock, pop et psychédéliques des deux musiciens. On retrouve ainsi la voix puissante et reconnaissable de Liam Gallagher, qui chante avec conviction et émotion, et la guitare virtuose et inventive de John Squire, qui crée des mélodies accrocheuses et des solos éblouissants.
L’album s’ouvre sur le morceau Raise Your Hands, un hymne rock qui invite à célébrer la vie et la musique. Le titre suivant, Mars To Liverpool, est un hommage à la ville natale de Liam Gallagher, qu’il compare à la planète rouge pour son côté rebelle et indomptable. Le troisième titre, One Day At A Time, est une ballade acoustique qui évoque la difficulté de vivre dans le présent et de surmonter les épreuves. Le quatrième titre, I’m A Wheel, est un rock énergique qui exprime la liberté et le plaisir de rouler sur la route. Le cinquième titre, Just Another Rainbow, est le premier extrait de l’album, sorti en novembre 2023. C’est un morceau pop aux accents psychédéliques, qui parle de la quête du bonheur et de l’amour.
La face B de l’album commence avec le titre Love You Forever, une chanson d’amour sincère et touchante, qui montre le côté romantique de Liam Gallagher. Le titre suivant, Make It Up As You Go Along, est un rock alternatif qui encourage à improviser et à prendre des risques. Le huitième titre, You’re Not The Only One, est un morceau plus sombre et plus introspectif, qui aborde le thème de la solitude et de la dépression. Le neuvième titre, I’m So Bored, est un rock sarcastique et ironique, qui critique la société de consommation et la superficialité. L’album se termine sur le titre Mother Nature’s Song, une ode à la nature et à la beauté du monde, qui appelle à la préservation de l’environnement.
L’album Liam Gallagher & John Squire est disponible en édition limitée exclusivité Fnac vinyle blanc, limitée à 10.000 exemplaires et numérotée à la main. Ce format collector est idéal pour les fans de vinyle, qui apprécieront la qualité sonore et le design de l’objet. L’album est également disponible en vinyle standard, en CD et en streaming.
L’album Liam Gallagher & John Squire est un événement musical à ne pas manquer, qui réunit deux légendes du rock britannique. Il témoigne de la complicité et du talent de ces deux artistes, qui ont su créer un album varié, original et captivant. Si vous aimez le rock, la pop et la musique psychédélique, vous serez conquis par cet album.
Voici quelques avis de fans qui ont écouté l’album Liam Gallagher & John Squire :
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Photo de Bill Fairs sur Unsplash
Bob Marley : One Love. Nombreux seront sans doute celles et ceux à se rendre dans les salles de cinéma pour découvrir comment la vie de cet artiste iconique a été portée à l’écran par Reinaldo Marcus Green, et sous la supervision de son propre fils, Ziggy. Les fans pourront être sensibles aux nombreuses références et clins d’œil qui le parsèment, tandis que d’autres qui ne connaissent Bob Marley qu’à travers quelques titres comme
Né en 1945 en Jamaïque, petit pays de l’archipel des Caraïbes, Robert Nesta Marley appartient, par son succès, au panthéon de la musique populaire internationale. Ses albums se sont vendus par centaines de milliers – 700 000 ventes pour Exodus, sorti le 3 juin 1977, opus que l’on retrouve au cœur du film et désigné en 1998 « meilleur album du XXe siècle » par le Time Magazine ; 25 millions pour la compilation posthume Legend, album à la longévité exceptionnelle dans le classement de ventes d’albums du magazine Billboard, dont il atteint régulièrement le sommet, de sa sortie en 1984 jusqu’à aujourd’hui. Seul le Dark side of the moon de Pink Floyd fait mieux. Le New York Times a même considéré Bob Marley comme l’« artiste le plus influent de la deuxième moitié du XX? siècle ». Près de 20 ans après la mort de l’artiste, c’est avec son titre « One Love », « hymne pour le millénaire » que la BBC fête le passage à l’an 2000.
Et cet immense succès n’a été construit qu’en sept petites années sur la scène internationale (après dix ans sur la scène jamaïcaine), entre 1973 quand les Wailers (Bob Marley, Peter Tosh et Bunny Wailer)
Bob Marley est la première star de ce calibre à venir d’un pays du tiers monde, sans doute la seule jusqu’à ce que décolle dans les années 2000 la carrière de Rihanna, artiste native elle aussi des Caraïbes, de l’île de la Barbade. Mais Bob incarne une autre figure, déjà par son histoire : en 1945, à sa naissance, la Jamaïque est un pays extrêmement pauvre, toujours sous la domination britannique,
Bob Marley, c’est surtout – pour reprendre le slogan du biopic – une « icône », un « rebelle », une « légende ». Linton Kwesi Johnson, dub poet militant, le qualifie de « Che Guevara de la culture populaire ». Le titre
Bob Marley & The Wailers célèbrent l’indépendance du Zimbabwe en 1980
Ses morceaux ont également été repris lors de la chute du mur de Berlin. On a même entendu
Comment ce petit garçon aux origines si modestes a-t-il pu atteindre le pinacle de la musique populaire internationale, et y incarner un chantre de l’émancipation ?
Il y a certes d’abord la personnalité même de Bob Marley – qui a tout de l’étoffe des rock stars : beau, charismatique, d’une énergie apparemment inépuisable, un travailleur acharné derrière le fumeur de pétards, avec une volonté de fer, celle du « Tuff Gong », comme s’appelait son label, une expression bien difficile à traduire en français, mais qui dénote un « dur à cuire ». Il excelle comme auteur, comme compositeur, comme interprète. Il aime – trait général et caractéristique de la musique populaire jamaïcaine d’ailleurs – découvrir, expérimenter, maintenir sa musique en perpétuelle évolution. Il sera ainsi parfaitement à l’aise dans le
Ce qui est probablement le plus déterminant dans la carrure, l’aura et l’écho de Bob Marley, c’est la source de son inspiration, et le cœur de son message. Bob vient du plus profond d’une île, d’une société marquée par des siècles de colonisation et de racisme, par les intenses souffrances de l’histoire de la déportation et de l’esclavage, et leurs conséquences contemporaines. Il a grandi dans un monde empreint du message de Marcus Garvey, héros national jamaïcain, immense figure de la revendication et de l’affirmation de la fierté des Noirs descendants d’esclavisés, africains déportés aux Amériques. Puis Marley se convertit au rastafarisme dans les années 1960, un mouvement religieux qui reprend à son compte l’Ancien Testament, l’histoire d’un peuple élu, que Dieu ramène à la Terre promise après un exode de souffrance : ce peuple en exode ce sont les descendants d’esclavisés ; Dieu et sa figure messianique c’est Jah, Rastafari, l’empereur d’Éthiopie Hailé Sélassié ; la Terre promise c’est l’Afrique.
L’intensité et la profondeur – politiques, religieuses, mystiques – de cet héritage et de ce message donnent sans aucun doute à la voix de Bob Marley son souffle si puissant. Il semble lui-même porter quelque chose de prophétique, une aura
Londres, Rainbow theatre en 1977 : sur son titre « Lively Up Yourself », Marley pose sa guitare et entame une danse « otherworldly ».
Tout jeune enfant, le petit Nesta Marley était déjà réputé dans sa campagne pour son don de chiromancie. Une scène du film y fait un clin d’œil, lorsqu’on le voit regarder dans le creux de la main de sa femme Rita. C’est là un petit anachronisme : enfant, au retour d’un premier séjour à Kingston, il avait annoncé ne plus vouloir prédire l’avenir, mais jouer de la musique – comme si c’était dans la musique qu’il avait décidé de déployer dorénavant ses dons.
Il pourrait sembler paradoxal qu’un tel message touche un si large public : l’« album du siècle », selon le Times, le premier immense succès de Bob Marley, c’est Exodus, le livre de l’Exode, l’Ancien Testament appliqué aux descendants d’esclavisés. Dans le film de Reinaldo Marcus Green, un publiciste d’Island Records, qui produit et distribue l’album, pose explicitement la question : comment espérer vendre un album qui a pour titre un livre de l’Ancien Testament, qui plus est avec une pochette sans image, constitué juste d’un titre écrit avec des lettres étranges, en calligraphie amharique, l’écriture éthiopienne ? Comment penser que des jeunes s’intéresseront à des chansons qui évoquent la Bible ?
Et pourtant avec Bob Marley, ça marche, ça touche très largement : les 110 000 personnes qui viennent l’applaudir à Milan, ce ne sont pas 110 000 rastas. Même les guérilleros qui prennent « Zimbabwe » pour hymne ne connaissent pas le mouvement rastafari. Et plus fort encore : un des premiers publics non jamaïcains à écouter les Wailers et Bob Marley, à porter des T-shirts
Si Bob Marley parvient à donner toute sa puissance à cette voix, c’est qu’il sait en faire vibrer l’écho universel. Depuis son histoire particulière, il donne une voix à tous les « sufferers », tous ceux qui souffrent. Son message parle largement, parce qu’il est militant, mais pas partisan, parce qu’il est mystique, mais ni prosélyte ni sectaire.
Militant mais pas partisan, Bob Marley l’est parce que son expérience de la politique c’est celle de la Jamaïque des années 1960 et 1970, la corruption et la violence. Aucun parti ne semble avoir authentiquement à cœur les intérêts du peuple. Et le niveau de violence est tel que d’obscures motivations politiques pourraient être derrière la tentative d’assassinat dont Bob Marley a été victime en décembre 1976, scène qui ouvre son biopic. Quand, en 1978, après un long exil londonien pendant lequel il compose notamment l’album Exodus, il revient en Jamaïque pour le « One Love Peace Concert », ce n’est pas pour prendre parti : c’est pour réunir son île déchirée par les partis. Sur scène, face à une foule immense parsemée d’hommes armés, dans un moment historique, il joint les mains des deux adversaires politiques, Michael Manley et Edward Seaga.
Si Jah est omniprésent dans ses chansons, Bob ne cherche pas véritablement à convertir ni à détailler les principes et doctrines du mouvement rastafari. Il veut diffuser ce qu’il considère en être l’essence, le cœur du message :
C’est probablement « Redemption Song », dernière piste de son dernier album, un hymne guitare-voix dont le dépouillement et l’intimité sont uniques dans le répertoire de Bob, qui le résume le mieux :
« Emancipate yourself from mental slavery
None but ourselves can free our minds […]
Won’t you help to sing these songs of freedom
‘Cause all I ever have : Redemption songs, Redemption songs
(« Emancipez-vous de l’esclavage mental
Personne d’autre que nous-mêmes ne peut libérer nos esprits […]
Ne m’aiderez-vous pas à chanter ces chants de liberté ?
Parce que c’est tout ce que j’ai jamais eu : des chants de rédemption, des chants de rédemption »)
Le vecteur du message, c’est un style musical spécifique, le reggae, une musique dont le premier objectif est de saisir le corps, de littéralement faire vibrer physiquement – comme Marley vibre de son histoire et du message qu’il veut transmettre. Dans les sound systems jamaïcains, on dit que si le son est bon, une bouteille de bière ne peut tenir debout.
Le reggae, c’est une musique profonde avec des basses lourdes, fondamentales dans le mix, des basses qui semblent manifester l’enracinement, les « roots ». Le reggae, c’est aussi ce côté syncopé, ce contretemps qui prend à contrepied, qui entraîne et qui déstabilise. Et c’est ce côté « raw », un peu rude, « brut de décoffrage », qui accroche et peut-être grince un peu – comme la voix si singulière de Bob Marley. Dans le film, on voit les Wailers présenter au producteur Coxsone Dodd ce qui sera leur tout premier tube,
La forme musicale même constitue ainsi un véhicule idéal pour ce message. D’ailleurs, partout où le reggae a porté, ceux qui l’ont entendu se le sont approprié, pour y poser leur propre volonté d’émancipation.
Mais Bob Marley aurait-il perdu en authenticité en cherchant à toucher le plus large possible, aux quatre coins du monde, avec un message plus universel et une forme de reggae « international » nourri d’influences extérieures ? Le film montre par exemple l’arrivée de Junior Marvin, un guitariste rock qui avait collaboré avec Stevie Wonder, aux cheveux lissés – loin des canons du reggae rasta jamaïcain ! – sur la suggestion du producteur Chris Blackwell, du label Island, celui qui propulse Bob Marley et les Wailers sur la scène internationale.
En 1974, pour la sortie du premier album international solo de Bob, il y a débat sur le titre : Knotty Dread ou Natty Dread, des dreadlocks « noueuses » ou « élégantes » ? Pour un Jamaïcain, cela se prononce pratiquement de la même manière, mais une fois porté à l’écrit, la connotation n’est pas la même… Dans les deux cas, Bob Marley tranche : oui pour Junior Marvin, pour accrocher un public qui vient du rock, et ce sera « Natty Dread » – des dreadlocks élégantes, certes, mais qui chantent
Une des meilleures illustrations de cette ouverture de Bob Marley à un large public sans compromission du message originel est probablement l’histoire du titre et de la pochette de l’album Survival. Celui-ci devait originellement s’intituler Black Survival, mais Bob Marley a préféré lui donner une dimension plus universelle en omettant le « Black ». Cependant la pochette de l’album montre ce Survival écrit sur la représentation d’un navire négrier, encadré des drapeaux de tous les pays africains. Un message universel, oui, mais dont l’origine et la puissance proviennent d’une histoire et d’une souffrance particulières – celles des descendants des Noirs esclavisés déportés d’Afrique.
Thomas Vendryes tient à remercier Audrey Bangou pour sa précieuse contribution à la conception et à la relecture de ce texte.
Thomas Vendryes, Maître de conférence au Département de Sciences Humaines et Sociales de l'ENS Paris-Saclay, Centre for Economics at Paris-Saclay (CEPS), École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Le film Priscilla, de Sofia Coppola, sorti tout récemment, s’appuie sur l’autobiographie de celle qui fut l’épouse du « King » pendant six ans, et dresse un portrait en creux du chanteur. Depuis sa disparition, en 1977, un récit notamment livresque a été élaboré et massivement diffusé, qui raconte la vie et l’œuvre d’Elvis.
Nathalie Heinich a rendu compte de l’« hagiographisation de la biographie » du peintre Vincent Van Gogh. On observe un traitement très semblable de la vie de Presley.
Ce récit emprunte à la fois au récit héroïque, au récit légendaire et épique, au récit hagiographique, et le raconte en héros mythique et civilisateur, en saint, mais aussi – en dépit de sa gloire et de son succès – en artiste maudit, martyr et sacrifié.
Ce récit a pour auteurs des journalistes, des fans, des musiciens, des proches du chanteur (collaborateurs, coiffeur, cuisinière, gardes du corps, membres du cercle familial ou de la « cour » du chanteur, la fameuse Memphis Mafia…). L’étude de 55 biographies d’Elvis Presley m’a permis d’aller à sa rencontre, sans préjuger de sa réalité ou des libertés prises avec la réalité.
Le malheur de Presley débute avec les persécutions, les rejets et les condamnations qui accompagnent les premiers pas du chanteur sur scène. Le rocker paie un lourd tribut au fait de rompre avec les canons esthétiques de l’époque, incarnés par les crooners. Leurs chansons sont douces, mélodieuses, romantiques, quand celles de Presley sont rythmées, agressives, voire violentes. La diction du jeune chanteur, à l’accent sudiste, qui avale certains mots, ahane, contraste avec celle, claire et nette des crooners. Son comportement sur scène – il se déhanche, se « tortille » – est aux antipodes de celui des chanteurs de l’époque, autrement plus sobre. La tenue de scène de Presley, avec ses vestes voyantes aux couleurs vives, rompt également avec le style vestimentaire strict et soigné des hommes de spectacle de l’époque, tout comme sa coupe de cheveux, qui fera des émules, mais occasionnera bien des sarcasmes.
Presley voit se dresser sur sa route, avec une extrême véhémence, une série de juges et de contempteurs, parmi lesquels les critiques (journalistes, critiques spécialisés), les marchands (disc-jockeys, programmateurs radio, présentateurs TV) et une partie du public, ou encore les institutions politique, religieuse, judiciaire, scolaire.
Les plus virulents sont sans conteste les « critiques », dont les articles sont abondamment cités par les biographes. Ils dénoncent à la fois l’absence de sens musical, la diction défaillante, le style vocal de Presley, réduisant ses performances de chanteur à d’« horribles hurlements humains », des « reniflements », des « harangues de bas étage », et déplorant une « agression pour les oreilles américaines ».
Les journalistes soulignent de surcroît le caractère « obscène »,« monstrueux », « pornographique », « exhibitionniste », « scandaleux » des performances du chanteur, et érigent la non-conformité aux canons esthétiques de l’époque en perversion, en monstruosité obscène et scandaleuse.
Marginaux, Elvis et sa musique deviennent menace dangereuse. La critique fustige le « délinquant », s’alarme du succès grandissant de cet « ennemi du peuple », « maniaque sexuel » et « antiaméricain », qui corrompt la jeunesse.
La condamnation s’étend à l’industrie musicale, elle aussi corrompue et corruptrice, coupable d’une « exploitation artificielle et malsaine » de la jeunesse, et surtout aux premiers admirateurs de Presley, obscènes, crédules, naïfs, médiocres, aliénés et incultes, à l’image de cet « auditeur moyen [qui] commence à se tortiller comme les petites créatures grouillantes qu’on observe au microscope dans un jambon pourri ».
L’ensemble du cercle des marchands (membres de l’industrie du disque, programmateurs de salles de concert, présentateurs d’émissions de radio et de télévision) rejette et dénonce le chanteur. Les termes de péché, de honte, d’indécence, d’obscénité, de pornographie, de bêtise, de perversion, de monstruosité, de scandale, d’exhibition témoignent de la virulence de la condamnation.
Certains animateurs de radio brûlent les disques d’Elvis, d’autres refusent de les programmer, d’autres encore lui conseillent d’abandonner toute velléité de poursuivre une carrière musicale. Il en est qui tentent de « créer une organisation destinée à éliminer les artistes de la décadence et du malheur ». Dénonciations et condamnations s’accompagnent en effet de mesures restrictives et préventives, mais aussi de censures, d’interdictions, d’autodafés.
Les institutions, garantes de l’ordre moral et des règles établies, censurent le chanteur et engagent une vaste campagne de prévention contre les méfaits de son œuvre. Des municipalités interdisent à Presley de se produire dans leur enceinte. Des personnalités politiques, des sénateurs, des maires dénoncent publiquement et officiellement le caractère obscène, immoral, et dangereux du chanteur.
Les représentants de la sphère juridique et policière entrent en action. La brigade des mineurs menace Elvis et lui intime l’ordre de modifier son jeu de scène. Un juge déclare à propos de l’un des disques de Presley, qu’il « portait jusque dans les foyers sa charge de crime, de violence et de sexe ». Un concert d’Elvis est filmé par des policiers cherchant à réunir les preuves de son exhibitionnisme afin de le mettre en état d’arrestation. D’autres sont annulés.
L’institution scolaire condamne à son tour le chanteur. Certains directeurs d’établissement interdisent à leurs élèves de se rendre aux concerts de Presley et renvoient les récalcitrants. Des professeurs dénoncent publiquement le rocker et son influence néfaste sur les jeunes générations.
L’institution religieuse n’est pas en reste et développe dans sa condamnation les thèmes de l’immoralité, l’obscénité, la dangerosité[9]. Les déclarations véhémentes du corps clérical se multiplient ; elles vilipendent la « décadence spirituelle », la « pourriture morale », la « foi en la malhonnêteté, la violence, le vice et la dégénérescence » incarnés par Elvis Presley.
La singularité du chanteur est ainsi constituée en perversité, obscénité, pornographie, anti-américanisme, vice, folie, dégénérescence. Ses concerts sont comparés à « ces abominables réunions sans frein que les nazis organisaient pour Hitler »… son œuvre, « musique de Nègre » et musique « communiste », est accusée de conduire la jeunesse américaine « sur le chemin de la dépravation, de la délinquance, du crime. La « déviance » du King le rend victime d’une véritable persécution, d’une campagne nationale de diabolisation et de dénigrement particulièrement agressive : « […] À Nashville, on pendit Elvis en effigie. À Saint Louis, on le brûla in abstentia […] ».
Si les débuts sont difficiles, la suite ne l’est pas moins.
Les biographes de Presley racontent son existence comme un long calvaire et font état de son martyr, de sa souffrance, de son dévouement à autrui. La dimension pathétique, christique, qui caractérise la figure de la sainteté, apparaît clairement dans les récits consacrés à la vedette. La vie d’Elvis comme celle du Saint est tout entière transformée en autosacrifice : « À la fin, Elvis avait tellement donné qu’il n’avait plus rien à donner ».
Il sacrifie sa santé physique. Tournées incessantes, séances répétées d’enregistrement de disques, de tournage de films, Elvis mène « une vie absolument folle, grisante, harassante. Pas le temps de dormir, pas le temps de manger, pas le temps d’aimer sérieusement. La route, les trains, les avions, les foules, l’hystérie ». La vie sur la route, lors des tournées, est une vie dure, « exténuante », sans répit ni repos, avec trop de « pression », et trop peu de sommeil. La traversée des États-Unis, de ville en ville, de salle de concert en salle de concert, est décrite comme un véritable chemin de croix. Ni la fièvre, ni la grippe, ni les déchirures musculaires, ni les maux de gorge ne parviennent à le détourner de sa « mission ». Ni les médecins, ni son père ne peuvent s’opposer à son sacrifice pour des fans, éperdument reconnaissants. Épuisé, malade, le chanteur souffre d’hypertension, de problèmes digestifs, d’un glaucome, de maux de dos, présentés comme autant de symptômes d’un véritable martyr, d’une existence infernale, d’une vie de « bagnard » au service de son manager, de l’« entertainment business », mais surtout de ses fans.
Presley sacrifie également sa santé morale. Tournées et concerts répétés le condamnent aux dépressions et à la consommation de médicaments. Dévoué corps et âme à son public, consacré à son œuvre, il devient dépendant de produits toujours plus nombreux, « esclave de la drogue », au bord de l’épuisement moral, voire de la folie.
Il fait aussi le sacrifice d’une forme de normalité, de son aspiration à un bonheur tranquille : il ne peut assister aux offices religieux, ni emmener sa fille se promener dans un parc, ni flâner avec un ami, ni même simplement développer avec ses contemporains des rapports normaux. Il sacrifie son mariage qui ne résistera pas aux tournées et aux succès et sa vie privée, découvrant « que le prix à payer pour la gloire [est] une absence totale et brutale de vie privée. Où qu’elle aille, la star se [fait] assaillir par ses fans ». Presley ne peut plus être ni un époux, ni un père, ni un ami, ni un homme « normal », destiné à consacrer sa vie à ses fans et au rock’n’roll, comme le Saint dédiant son existence à Dieu.
Les succès et gloire d’Elvis Presley le condamnent au retrait du monde. Ce motif de l’isolement est omniprésent dans la vie du chanteur sous la plume de ses biographes. Dépeint comme un enfant solitaire, marginal, Elvis apparaît ensuite comme souffrant d’une profonde solitude. Entouré pourtant d’une immense cour, composée de proches, d’amis, de membres de sa famille, de collaborateurs, de personnels, la « Memphis Mafia », il affirme lui-même : « Parfois je suis très seul. Je suis seul en plein milieu de la foule ». Personne ne parvient à combler cette solitude, ni sa femme, ni celle qui lui succédera, pas davantage ses « millions de fans » ni tous ceux qui l’aiment.
La célébrité et la gloire de Presley sont évidemment responsables de son isolement, de « son existence de prisonnier ». L’immense amour dont il est l’objet le condamne à une vie d’ermite. Les fans à qui il a voué son existence sont les propres bourreaux malheureux du King. Cette solitude, rançon de la gloire, participe de la vocation d’Elvis, et est responsable, selon certains biographes, de la fin tragique du chanteur, « mort d’une overdose de solitude », comme le soulignent plusieurs de ses biographes[36].
Elvis Presley est également présenté comme un être parfaitement inadapté à un monde auquel il n’appartient pas réellement. Irresponsable, incapable d’autonomie, trop sensible, trop fragile, trop hors du commun, trop génial, trop extraordinaire, il ne peut évoluer normalement dans un monde ordinaire. Tour à tour enfant immature, infirme impotent, fou pathologique, il est pris en charge par une succession de tuteurs et tutrices, sa mère, son manager le « Colonel Parker », les membres de la Memphis Mafia, les femmes de sa vie… Cette inaptitude à la vie sociale apparaît notamment dans le portrait d’Elvis en enfant vulnérable et immature : « il a un besoin éperdu d’amour. Très souvent, il la cherche (sa maîtresse) dans le noir. Il lui demande d’agir comme sa mère. Il l’appelle maman, et elle le traite comme un enfant, presque comme un bébé. Elle l’aide à s’habiller et elle le fait manger. Comme sa mère l’aurait fait s’il était malade ».
Le mal-être, l’inaptitude au bonheur et l’incapacité à mener une vie sociale normale se traduisent par les nombreux accès de rage destructrice. Presley détruit voitures, postes de télévision, bijoux, guitares, chambres d’hôtel. Il constitue, armé de l’une de ses nombreuses armes, un véritable danger pour lui-même et pour ses proches. Ses colères sont indescriptibles et particulièrement spectaculaires. Elvis est alors parfaitement incontrôlable : « Il entrait dans des rages folles quand les choses ne marchaient pas comme il voulait. Il démolissait un plafond. Il tirait dans tous les coins ». Cette folie destructrice se retourne contre lui. Le thème de l’autodestruction est récurrent et largement développé dans le récit biographique. Les auteurs dressent le bilan dramatique d’une vie tout entière consacrée aux autres et véritablement sacrifiée. Ils évoquent « l’échec d’une vie personnelle » ou encore « une vie gâchée avant d’être vécue », « un long et douloureux suicide ».
La légende de Van Gogh est devenue, explique N. Heinich, le mythe fondateur de l’artiste maudit, dont « la déchéance présente atteste la grandeur future en même temps qu’elle témoigne de la petitesse du monde (la société) coupable de ne pas le reconnaître ». On relit l’histoire de l’art à travers les motifs de l’incompréhension et du martyr et on découvre que l’œuvre d’art naît au prix de terribles souffrances, qu’il existe « une rupture fatale entre le génie et la société », responsable des malédictions qui s’abattent sur les artistes, de Van Gogh à Rembrandt, de Goya à Delacroix, de Toulouse-Lautrec, à Utrillo… Ce paradigme s’applique à l’histoire du rock dont Elvis Presley est le premier grand « maudit » (même si son « destin tragique » intervient après celui d’autres figures du rock). On retrouve, dans sa biographie, les motifs propres aux artistes maudits, incompréhension, persécution et rejet, sacrifice, isolement, mal-être, autodestruction, qui donnent corps aux dimensions tragique, pathétique, sacrificielle de l’existence, comme aux topiques (mélancolie, pauvreté, persécution) constitutives du malheur.
Les biographes transforment la vie de loisir de la star, dominée par la réussite, le succès, la gloire et la fortune (par ailleurs largement soulignés, documentés et illustrés), en une vie de souffrances et en un long calvaire parsemé d’épreuves.
Après le rejet et l’incompréhension coupable (injures, railleries, persécutions multiples, condamnations, autodafés, censures) d’une société injuste et aveugle, c’est le succès, la réussite, la fortune, l’adulation et la gloire qui sont causes du malheur et signes de la malédiction : « Il y a un vieux cliché qui parle du piège du succès, et il est possible qu’Elvis ne puisse y échapper. Artiste accompli, il est rongé par sa propre image, par l’étendue de son public, par la dimension de sa gloire, par la mystique de sa propre présence ».
C’est là une modernisation du motif du martyr opéré par le traitement biographique de Presley, qui meurt du trop-plein d’amour, de succès et de réussite, de gloire et de richesse. La bohème et le chemin de croix subissent également un changement significatif, avec pour décors les hôtels de luxe, les villas de millionnaires, renfermant pourtant la même souffrance. Le motif de l’isolement, propre au saint et à l’artiste maudit est lui aussi modernisé. La prison dorée, la cage de verre, le palais-prison (la demeure d’Elvis à Graceland) remplacent le lieu exigu, la grotte de l’ermite, la cellule de l’ascète. On y retrouve les mêmes souffrances, la même solitude tragique, les mêmes frustrations et dépressions. Les lunettes noires, les limousines aux vitres teintées, les gardes du corps sont autant de déclinaisons de cet exil forcé.
Avec la mise en récit de la vie de Presley s’élabore l’image archétypale et fondatrice de la rock star et plus globalement de la star « maudite ». Le « paradigme Presleyen » est appliqué à de nombreuses stars. En témoigne l’étude des biographies de Dalida, Edith Piaf, Claude François, Michael Jackson, James Dean, Marilyn Monroe, Diana Spencer…
L’« enfance sacrifiée » est un motif récurrent. Le jeune âge est présenté comme une période de souffrance, marqué par la misère affective, économique, sociale, psychique, comme si le destin fabuleux, le talent et les qualités exceptionnelles trouvaient leur source dans les blessures de l’enfance (solitude, abandon, perte d’un parent, mauvais traitement, pauvreté, misère…). De cette enfance misérable et malheureuse, les vedettes conservent blessures et séquelles qui ne cicatriseront jamais, et expliqueront vulnérabilité et complexes, désespoir et mal-être, quête effrénée d’amour et vocation.
Puis le martyr se poursuit, succès et misère affective, gloire et épreuves font de ces stars des héros et héroïnes de tragédie et de leur vie un long calvaire, un chemin de croix sans fin. Les drames et les tragédies, les épreuves et malheurs, les pertes et abandons se succèdent dans ces existences pathétiques, ponctuées de nombreux sacrifices et marquées par l’inaptitude au bonheur et à la vie sociale, par les addictions, les dépressions, les accidents, les conduites autodestructrices, les tentatives de suicide, ou les suicides, la combinaison d’un récit ascensionnel et d’une tragédie avec le sacrifice, l’autodestruction et la mort pour résolution… On retrouve, de façon presque systématique, les rejets, persécutions et condamnations d’un corps social coupable, le drame de l’isolement nécessaire et de la profonde solitude.
Depuis le suicide de Marilyn Monroe, en 1962, on sait la star insatisfaite et dépressive, habitée par un « tourment intérieur. Sa vie est une quête inassouvie, une errance dramatique. Avec James Dean, Marlon Brando, Marilyn ou Elvis, apparaissent les héros adolescents qui, devenus adultes, demeurent des « héros problématiques ». C’est dans la réussite sociale, mais dans « l’échec du vivre » qu’ils se détruisent ou se suicident, nous révélant la vanité de tout succès, la solitude que cache la gloire, le gouffre qui sépare le bonheur d’une vie de divertissements et de loisirs, nous invitant à relire les destins de stars comme autant de tragédies et de malédictions.
Après Presley, le motif du rejet et de l’incompréhension combiné au succès précoce et spectaculaire domine les récits de vie des vedettes de rock, de Little Richard aux États-Unis ou de Johnny Hallyday en France, des Rolling Stones aux sages Beatles, de Bowie aux punks, de Madonna à Prince, des groupes de hard rock, de « grunge », de rap, aux groupes de techno…
La malédiction résume les existences de ces stars, comme semblent l’attester les morts prématurées de tant d’entre elles. Je citerais, à titre d’exemple, entre de nombreux autres, Buddy Holly, Eddy Cochran à la fin des années 1950, plusieurs des représentants du triste club 27 qui rassemble ces rock stars mortes à l’âge de 27 ans (parmi lesquelles Robert Johnson, Brian Jones, Jim Morrison, Jimi Hendrix, Janis Joplin, puis Kurt Cobain, Amy Winehouse…) dans les années 1970, John Lennon, Sid Vicious (Sex Pistols), Bon Scott (AC/DC), Bob Marley, Ian Curtis (Joy Division), dans les années 1980, Michael Hutchence (INXS), Jeff Buckley, Tupac Shakur, Notorious Big, Freddie Mercury (Queen) ou Stevie Ray Vaughan dans les années 1990, ou plus récemment Michael Jackson et prince, jusqu’aux rappeurs des dernières années, qui incarnent le mieux à présent ces disparitions aussi tragiques que précoces (Marc Miller, Lil Peep, Aka, Juice Wrld, XXXTentacion, DMX, Prodigy, Nate Dogg…)
Plus que les disparitions précoces, ce sont les causes directes de nombre de ces décès qui paraissent témoigner de la malédiction dont souffrent les stars comme de leur martyr. Il s’agit en effet bien souvent d’actes d’autodestruction (excès d’alcool ou de drogue), ou de suicides, ou de plus en plus, avec les rappeurs, d’assassinats…
Ce texte est une synthèse remaniée d’un chapitre d’un ouvrage « Le culte Presley » publié aux PUF en 2003
Gabriel Segré, Maître de Conférences HDR, Sociologie de l'art, culture et médias, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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Quelle pourrait être la signature musicale des années 2000 ? Loin de voir émerger un mouvement caractéristique, elles sont plutôt marquées par le bouleversement des modes de production et de consommation, permis par l’avènement des outils numériques et d’Internet. Désormais, on « fabrique » plus facilement sa musique, et musiciens comme mélomanes puisent avec gourmandise dans l’immense catalogue des musiques passées mis à disposition. Le spectacle vivant trouve toute sa place dans cette évolution, en témoignent les impressionnantes tournées d’artistes comme Beyoncé ou Taylor Swift.
De Daft Punk au rappeur marseillais Jul, qui a émergé bien plus tard, nombre de groupes et de musiciens emblématiques ont puisé dans les outils numériques pour réinventer la production musicale. Il faut dire que ces outils se sont démocratisés à la vitesse grand V dans les années 2000, décennie au cours de laquelle l’avènement d’Internet a facilité l’échange d’informations de nature diverse (texte, images, son) avec le monde entier. Le rapport à la musique des mélomanes âgés aujourd’hui de 30 à 45 ans, appartenant à la génération dite Y, en fut bouleversé.
Durant la décennie précédente, d’autre évolutions majeures avaient eu lieu. Citons le disque compact (1982), permettant une fidélité de restitution du son enregistré supérieure aux disques vinyles ou cassettes audio, ou encore le synthétiseur
Ces technologies ont permis de renouveler, en premier lieu, le hip-hop et la musique électronique, et plus largement, l’ensemble des musiques populaires.
L’art des DJ s’était alors déplacé de l’usage des platines (analogiques) à celui de l’échantillonneur (ou sampleur), que le philosophe Ulf Poschardt, l’un des premiers à étudier sérieusement la « culture DJ », qualifie de « caisse de disques numérique ».
Le sampling s’était alors imposé, progressivement et non sans heurts, dans le paysage musical. Déclinaison technologique d’une longue tradition de l’emprunt musical, il consiste à créer de nouvelles œuvres à partir de fragments de musique enregistrée.
Lorsque la génération née dans les années 1980 se met à créer sa propre musique, elle dispose de ce nouvel environnement technologique. L’ordinateur personnel des années 2000 est devenu individuel, portable et plus puissant.
Il peut désormais intégrer tous les outils nécessaires à la création musicale. Les stations audionumériques, logiciels spécialisés en création musicale, permettent d’enregistrer, d’arranger, de jouer des instruments virtuels, d’appliquer des effets, de mixer et masteriser.
Il devient possible de réaliser chez soi toutes les étapes de la production d’une œuvre musicale enregistrée, quel qu’en soit le style, pour un coût et avec des compétences limitées – une entreprise jusque-là impossible ou très compliquée sans l’appui d’une maison de disques.
Le logiciel Auto-Tune, un effet virtuel destiné à être utilisé sur ces stations audionumérique, est l’un marqueurs sonores les plus caractéristiques de la musique des années 2000 et 2010. Commercialisé à partir de 1997 par Antares, Auto-Tune fut conçu à l’origine pour corriger discrètement les imperfections d’intonation vocale : en somme, il permet de chanter (plus) juste.
Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ? Notre nouvelle série « Le monde qui vient » explore les aspirations et les interrogations de ceux que l’on appelle parfois les millennials. Cette génération, devenue adulte au tournant du XXI siècle, compose avec un monde surconnecté, plus mobile, plus fluide mais aussi plus instable.
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Cette fonctionnalité s’est rapidement généralisée dans les studios professionnels, contribuant à accroître l’intolérance à la moindre fausseté au risque d’aseptiser – encore davantage – la pop mainstream.
Mais Auto-Tune marque surtout son époque par un usage détourné, expérimenté d’abord par Cher dans quelques passages de sa chanson «
En exagérant l’effet, ces artistes ont obtenu (et assumé) une déformation sonore typiquement numérique qui donne à la voix un son robotique comparable à celui d’un vocodeur (un instrument de synthèse vocale utilisé notamment par Kraftwerk ou les Daft Punk). Cette sonorité typique s’est généralisée, non sans controverse, jusqu’à devenir une norme dans le rap et la pop urbaine des années 2010.
Mis à part l’Auto-Tune, les premiers sampleurs et les synthétiseurs à modulation de fréquence, peu d’outils musicaux numériques ont un son spécifique, révélateur de leur nature.
Une large part des applications du numérique consiste plutôt à « modéliser » ou « émuler », c’est-à-dire à imiter le son, l’interface et le comportement de machines classiques, souvent analogiques.
Un instrument comme le Clavia Nordstage, très répandu sur les scènes professionnelles des années 2000-2010, illustre bien ce paradoxe : sa conception numérique alliant modélisation et échantillonnage lui permet de jouer tous les sons « classiques » de la musique populaire des années 1950 à 1990, des
Dans Retromania, l’influent critique britannique Simon Reynolds regrette que les années deux mille, si longtemps demeurées le symbole de l’horizon futuriste, ne soient au final qu’une synthèse de « toutes les décennies précédentes à la fois ».
Le retour en grâce du disque vinyle et, dans une moindre mesure, de la cassette audio, illustrent bien cette nostalgie. En dénonçant l’« anarchivage », un archivage anarchique et systématique permis par des outils de stockage et de consultation en ligne comme YouTube, Reynolds met le doigt sur une autre caractéristique de la génération née dans les années 1980 : elle a grandi avec toutes les références musicales possibles à sa disposition, sur des CD-rom gravés, des disques durs puis directement en streaming.
La facilité d’accès et de manipulation de ces multiples fichiers musicaux a mené à un paroxysme de la culture de l’emprunt : le sampling et les remixes se sont généralisés, juxtaposant des sources toujours plus hétéroclites et improbables. Citons par exemple le goût inattendu de certains rappeurs pour Charles Aznavour, qui a été abondamment samplé !
De nouveaux instruments à interface percussive sont inventés : composés de nombreux pads jouables au doigt, ils sont couplés à un ordinateur pour « jouer » des fragments sonores comme on jouerait des notes sur un piano.
La génération Y a contribué à un ébranlement majeur de l’économie de la musique : la chute vertigineuse des ventes de disques entre 1999 et 2012. Les fondements de cette crise sont directement liés à la révolution numérique.
Le format de compression MP3, inventé en 1993, qui permet de réduire considérablement la taille des fichiers musicaux, le succès de Napster, l’un des premiers services de partage de fichiers de pair à pair (peer-to-peer) à partir de 1999, et la démocratisation de l’informatique personnelle et des connexions Internet à haut débit à la fin des années 1990, ont permis conjointement de généraliser le partage gratuit, incontrôlé et illégal de fichiers musicaux à grande échelle.
Cette génération a connu la joie de pouvoir découvrir n’importe quelle musique gratuitement après quelques minutes de téléchargement, de transporter partout l’équivalent d’une discothèque entière sur un
Elle a vu également se multiplier les messages moralisateurs des pouvoirs publics et de l’industrie musicale dénonçant sans grands effets les affres du piratage. Malgré le semblant de compensation apporté par les faibles revenus du téléchargement légal puis des services de streaming par abonnement,le marché de la musique enregistrée a perdu plus de 40 % de sa valeur au cours des années 2000.
Il s’est opéré de ce fait une inversion des pôles de l’industrie musicale. Jusqu’aux années 2000, les tournées de concerts étaient envisagées comme une forme de promotion du disque, véritable produit vendu par les artistes. Désormais, c’est la musique enregistrée, peu rentable, qui sert de produit d’appel au spectacle vivant, plus rémunérateur.
Au cours des dernières années, les entreprises exploitant le spectacle vivant musical ont acquis un pouvoir économique considérable, à l’instar du leader du marché Live Nation. Et pour cause : ce sont à la fois le nombre de places vendues (+10 %), leur prix (+5 %), et le chiffre d’affaires global des tournées de concert (+16 %) qui ont progressé rapidement au cours des années 2010, au point de représenter 80 % des revenus des 50 artistes les mieux rémunérés (les chiffres donnés concernent uniquement l’année 2017).
Ainsi, cette année encore, la tournée de Taylor Swift a battu des records économiques historiques et les ventes de places pour les concerts français de Beyoncé ont été soldées en quelques minutes.
Toujours sur le plan économique, la révolution numérique a favorisé l’émergence de l’artiste-entrepreneur. Les progrès de l’informatique musicale ont permis à de nombreux musiciens des années 2000 et 2010 de produire leur musique en toute indépendance financière et artistique, mais aussi de se faire connaître et d’interagir avec le public directement sur Internet via de nombreuses plates-formes en ligne généralistes (MySpace, puis Facebook, Instagram, TikTok) ou plus spécialisées (SoundCloud, Bandcamp), de réaliser leurs projets les plus coûteux grâce au financement participatif, et de diffuser et vendre internationalement leur musique enregistrée en streaming ou en vente par correspondance. C’est par exemple ce qu’a fait Radiohead, proposant une participation libre pour son album In Rainbows, en 2007. De nombreux artistes moins célèbres leur ont emboîté le pas.
Pour résumer, le rapport à la musique de la génération Y aura été marqué, comme bien d’autres aspects de leurs vies d’adultes, par le bouleversement de la révolution numérique.
Les technologies numériques ont engendré une révolution d’usage, plus que réellement esthétique : l’accessibilité facilitée à la quasi-intégralité de la matière sonore préexistante.
Alors que la critique guettait une révolution musicale comparable à celles du rock’n’roll et de la culture DJ dans les générations précédentes, les années 2000 ont créé la surprise en se tournant vers le passé, ou plutôt vers des passés mêlés, imbriqués et juxtaposés à l’outrance. Au paroxysme de la culture de l’emprunt, qui se décline visuellement dans les mèmes et les gifs des réseaux sociaux, c’est l’idée même de la modernité, une certaine conception de l’auteur unique et identifié, qui est mise à mal.
Dans le même temps, la création de musique enregistrée s’est libérée des contraintes économiques et démocratisée au point de devenir pour beaucoup un loisir. Elle a perdu au passage de sa valeur, une évolution qui a contribué à redessiner les contours de la filière musicale, recentrée sur le spectacle vivant.
Sébastien Lebray, musique (populaire), Université de Strasbourg
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.