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Taylor Swift, l'icône pop qui influence la technologie

Taylor Swift en août 2023, à Los Angeles, lors de sa tournée « Eras ». Flickr/Paolo Villanueva, CC BY
Oihab Allal-Chérif, Neoma Business School

Le 19 avril, Taylor Swift a sorti son onzième album Tortured Poets Department, qui bat tous les records. Elle avait déjà à son actif celui de l’album le plus streamé sur Spotify en 24 heures, ses albums Midnights et 1989 étant maintenant respectivement en deuxième et troisième place. Elle est actuellement la première artiste à occuper les 14 premières places du Billboard Hot 100, après être devenue la première à occuper les dix premières places en 2022 avec son précédent album. Le 2 avril, Taylor Swift est également entrée dans le classement Forbes des milliardaires uniquement grâce à sa musique, ce qui est exceptionnel pour une artiste. Sa tournée Eras se poursuit et elle sera en France du 9 au 12 mai pour quatre concerts à Paris La Défense Arena.

Décryptage du Eras Tour de Taylor Swift.

Recordwoman absolue des albums classés N°1, Taylor Swift n’est pas seulement une chanteuse populaire et créative : c’est une artiste engagée et militante qui lutte pour changer certaines mauvaises pratiques des entreprises de la tech. Elle est aussi une inventeuse qui révolutionne l’industrie musicale et crée une nouvelle relation avec son public. Sa capacité à être en phase avec la société et la technologie a contribué à son succès exceptionnel. C’est sans doute ce qui a conduit à sa désignation comme personnalité de l’année 2023 par le magazine Times.

L’amour-haine pour les plates-formes de streaming

Taylor Swift n’hésite pas à utiliser sa notoriété et son influence pour mettre en place un rapport de force avec les géants du numérique, les studios de cinéma, et les professionnels de la musique.

Si son dernier album est le premier au monde à atteindre 300 millions de streams en une seule journée, Taylor Swift n’a pas toujours eu de bonnes relations avec les plates-formes musicales, surtout gratuites. Fin 2014, Taylor Swift a retiré tout son catalogue de Spotify, Deezer, Google Play, Amazon Music et Tidal, pour manifester son mécontentement concernant le niveau de rémunération des artistes. Elle ne reviendra qu’au début de l’année 2018.

Pourtant, la consommation de la musique se faisait, et se fait toujours, essentiellement gratuitement via YouTube ou SoundCloud, sans parler du piratage. Bien que sa décision de boycott la prive de millions de dollars de revenus annuels, elle l’assume et explique défendre les jeunes artistes pour lesquels gagner 0,00029 dollar par écoute est inacceptable. Dans une tribune pour le Wall Street Journal, elle dénonce la valeur trop faible accordée à la musique par les services de streaming.

Une plus grande transparence sur les droits d’auteurs et certaines nouvelles règles comme le délai de deux semaines avant que les nouveaux titres soient accessibles, de même que les contraintes d’écoute pour les abonnés non payants ont contribué au retour de Taylor Swift sur ces plates-formes. La lutte de la chanteuse aura donc favorisé l’émergence d’un modèle de streaming plus juste. En 2023, Taylor Swift est devenue l’artiste mondiale de l’année de Spotify avec plus de 26 milliards d’écoutes sur la plate-forme.

Taylor Swift est l’artiste la plus écoutée sur Spotify en 2023.

Lors du lancement d’Apple Music en 2015, Taylor Swift a annoncé qu’elle allait refuser que son album 1989 soit accessible sur la plate-forme de streaming qui avait prévu un essai gratuit de trois mois au cours desquels les droits de propriété intellectuelle ne seraient pas payés aux interprètes, auteurs, compositeurs et producteurs. À la suite de sa lettre ouverte sur Tumblr où elle dit très clairement « Nous ne vous demandons pas d’iPhones gratuits. Ne nous demandez pas de vous fournir notre musique sans compensation », Apple est revenu sur sa décision et a décidé de verser les droits d’auteurs pendant la période d’essai. Taylor Swift deviendra ensuite l’ambassadrice de la plate-forme.

L’innovation technologique au cœur des concerts

La tournée « The Eras Tour » de Taylor Swift est la plus lucrative de tous les temps, ayant déjà rapporté plus d’un milliard de dollars. Le spectacle de trois heures trente, qui rassemble une quarantaine de titres et nécessite 50 camions, a même causé un tremblement de terre de magnitude 2,3 à Seattle. Sa scénographie très élaborée se compose d’un écran géant et de trois scènes avec des plates-formes mobiles connectées par une rampe, le tout recouvert d’écrans pour générer des effets visuels. Viennent s’ajouter des projecteurs, des lasers, des lance-flammes, des canons à fumée, des feux d’artifice… dans une surenchère technologique.

Taylor Swift crée des images associées à ses musiques dans la foule grâce à des bracelets distribués aux spectateurs. La technologie LED de PixMob a aussi été utilisée par plusieurs artistes en 2022 comme Coldplay (« Music of the Spheres World Tour »), Lady Gaga (« Chromatica Ball »), Imagine Dragons (« Mercury World Tour »), The Weeknd (« After Hours til Dawn Tour ») et Bad Bunny (« The World’s Hottest Tour »). Dès 2015, pour son « 1989 World Tour », Taylor Swift est une des premières à utiliser ces effets visuels, déjà très populaires dans la K-pop. Depuis, elle les intègre systématiquement à ses concerts, avec des fonctionnalités nouvelles à chaque tournée.

Comment fonctionnent les bracelets LED utilisés aux concerts de Taylor Swift ?

Le dispositif s’appuie sur des fréquences radio, des signaux infrarouges ou le Bluetooth pour transmettre aux bracelets les couleurs qui forment des images dynamiques dans le public sans passer par la géolocalisation. Le public devient donc une extension du show dont il est cocréateur pour une expérience encore plus interactive. En tant que pionnière dans cet usage des bracelets LED, Taylor Swift a largement influencé les autres artistes qui l’ont adopté ensuite, tout comme la NBA pour les matchs de basket et la NHL pour ceux de hockey.

Taylor Swift a utilisé la reconnaissance faciale – autorisée dans tous les états sauf l’Illinois – lors de ses concerts américains pour la protéger des harceleurs. Les spectateurs passent par des kiosques qui sont capables de vérifier leur identité en moins d’une seconde. En plus de la dimension sécuritaire, la vidéosurveillance algorithmique permet d’établir des statistiques sur le profil des spectateurs des concerts. Les données démographiques sont collectées et exploitées à des fins marketing. Bien entendu, cet usage pose de nombreuses questions éthiques, même s’il s’agit d’événements privés. Malgré certaines menaces, la reconnaissance faciale reste interdite en France, y compris pendant les prochains Jeux olympiques.

Pour le film de sa tournée, Taylor Swift a eu recours à L.A. Drones, une entreprise spécialisée dans les prises de vues aériennes d’événements. La dynamique et l’esthétique des plans sont époustouflantes et ont favorisé le succès du film, proposé dans les cinémas d’une centaine de pays pour offrir aux fans qui n’auraient pas pu y assister en live un show hyperimmersif.

Taylor Swift | The Eras Tour (Taylor’s Version) – Bande-annonce officielle | Disney+

Taylor Swift a aussi innové en distribuant elle-même le film en partenariat avec la chaîne de salles de cinéma AMC, sans passer par un studio comme c’est l’usage. Taylor Swift : The Eras Tour est le concert filmé le plus rentable jamais diffusé au cinéma. Ce film bat le record de vente de billets en 24 heures d’AMC en 103 ans d’existence. Le film a également été projeté au Tech Interactive, renommé « Swift Interactive » pour l’occasion, un cinéma en forme de dôme avec un écran enveloppant de 840 mètres carrés et 13 000 watts de son surround numérique pour être au plus près des conditions réelles du concert.

Réalité augmentée et réalité virtuelle

Les « swifties » (comme se nomment les fans de la chanteuse) contribuent à l’accélération de l’adoption de nouvelles technologies comme la réalité augmentée et la réalité virtuelle. Depuis plus d’une décennie, Taylor Swift s’appuie sur les innovations technologiques pour faire évoluer la façon dont on consomme de la musique et en particulier pour stimuler la vente d’objets physiques face à la domination du digital.

Dès 2012, l’application officielle de Taylor Swift utilisait la réalité augmentée pour permettre à ceux qui faisaient l’acquisition de son album Red d’obtenir du contenu exclusif en 3D. Ce type d’expérience interactive ravit les fans qui se sentent privilégiés, modernes et complices de la star. Leur niveau d’engagement et de loyauté est donc significativement plus élevé.

En 2014, pour l’album 1989, Taylor Swift s’est associée à American Express pour lancer l’application Taylor Swift Blank Space Experience. Grâce à leur smartphone, les « swifties » sont emmenés dans un monde virtuel réplique du décor du clip de la chanson « Blank Space », où ils peuvent interagir avec des personnages et des objets qui représentent des souvenirs et révèlent des photos et des histoires.

Taylor Swift Blank Space Experience, une exploration à 360° d’un monde virtuel.

Pour sa tournée « Reputation » en 2018, Taylor Swift a proposé à ses fans une autre application en partenariat avec Glu, The Swift Life, elle aussi basée sur la réalité augmentée, pour leur donner accès à des filtres personnalisés, à des jeux associés à chaque chanson, et à des visites virtuelles des coulisses.

En 2022, pour l’album Midnights, Taylor Swift noue un partenariat avec Snapchat et l’entreprise BLNK pour développer des lentilles de réalité augmentée qui projettent les « swifties » à Londres ou à New York afin d’y vivre une expérience basée sur l’imagerie de l’artiste. Toutes ces innovations permettent à Taylor Swift de donner plus d’originalité et de valeur aux albums physiques, CDs ou vinyles, et donc d’en augmenter significativement les ventes. En 2023, Taylor Swift a reçu le Prix de l’Innovation aux iHeartRadio Awards pour sa contribution continue à l’industrie musicale.

Un modèle de marketing d’influence

Taylor Swift est un cas d’école de communication multicanal cohérente qui s’appuie sur un grand nombre de plates-formes et de technologies combinées pour donner une image faite pour paraître la plus authentique possible. La carrière de Taylor Swift a connu un essor très rapide en s’appuyant sur une maîtrise parfaite des réseaux sociaux et sur la consolidation progressive d’une relation intime avec sa communauté de fans.

Elle développe un puissant storytelling pour captiver son audience, transmettre des messages engagés, cultiver son originalité et construire sa légende. Star iconique, elle s’adapte continuellement aux nouvelles tendances de la technologie et anticipe même certaines évolutions pour rester à la pointe de l’innovation. Elle joue sans cesse avec les codes de la pop culture et avec son image pour créer le mystère et la frénésie autour de ses projets.

Taylor Swift utilise aussi les réseaux sociaux pour diffuser un discours militant concernant la diversité, l’inclusion, l’égalité, et la protection de l’environnement, sans craindre de faire face aux controverses. Elle fédère sa communauté autour de ces valeurs partagées, ce qui se traduit en une mobilisation sans faille. Cependant, son engagement lui vaut d’être la cible de très nombreuses fake news et théories complotistes. Les « swifties » et leur icône pop pourraient bien [jouer un rôle décisif dans les prochaines élections présidentielles]https://theconversation.com/2024-taylors-version-taylor-swift-et-les-elections-americaines-224015) américaines.

Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Le metal : un style musical masculin ?

Festival Metal Cultures à Guéret, 2017. Corentin Charbonnier
Christophe Guibert, Université d'Angers

L’exposition « Metal. Diabolus in musica » à la prestigieuse Philharmonie de Paris contribue à l’évidence à accroître la notoriété et la légitimité de la musique metal (entendue au sens large). Au-delà de cette manifestation singulière et innovante, la musique metal en France reste toujours associée à des stéréotypes tenaces, notamment liés au genre ; le champ médiatique, notamment, tend à restreindre la musique metal à un univers typiquement masculin.

Les enquêtes « Les pratiques culturelles des Français » réalisées par le ministère de la Culture permettent de relativiser l’engouement pour la musique metal et le hard rock en France. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles ce genre musical est quasi-absent des offres musicales à la télévision et sur les principales ondes radiophoniques, mais avec, paradoxalement, un festival pour le moins notoire et réputé, le Hellfest dans la région nantaise. Seuls 4 % des Français en 1997 et 7 % en 2008 écoutent « le plus souvent » de la musique metal et du hard rock (contre, par exemple, 68 % pour la catégorie « chansons et variétés françaises » en 2008). Les hommes, plus que les femmes, indiquent apprécier ce style musical en 2008 : 11 % des hommes déclarent écouter « le plus souvent » du metal/hard rock contre seulement 4 % des femmes.

Au sein du public du festival Hellfest, l’un des plus gros festivals français, les festivalières ne représentaient que 3 % du public lors de la première édition de 2006 selon les organisateurs. Si, lors de l’enquête statistique menée par nos soins en 2011, les femmes ne représentaient que 18 %, la proportion de festivalières en 2015 (lors d’une seconde enquête) était de plus de 24 % puis 27 % en 2022 (données recueillies par C. Charbonnier), ce qui témoigne d’un processus continu de féminisation.

Des représentations sexistes et hétéronormées

De nombreuses raisons expliquent la surfréquentation masculine aux dépens des festivalières. Au-delà d’un univers musical produit par des hommes en direction d’un public singulièrement masculin, les médias généralistes ne sont pas sans effet sur les processus de catégorisation et d’étiquetage ayant pour directe conséquence le maintien de l’ordre genré. La sortie internationale de l’album du groupe australien AC/DC en décembre 2014 conforte l’attachement du heavy metal et du hard rock à un univers masculin. C’est bien une journaliste de France Info qui, à l’époque, soulignant les puissants jeux de guitares des musiciens, évoque métaphoriquement « un album avec des riffs testostéronés ».

Depuis la première édition en 2006, une minorité d’artistes de sexe féminin composent, tout ou partiellement, les groupes à l’affiche du Hellfest et encore plus rares en sont les « têtes d’affiche » féminines. Pour l’édition 2018, seule une dizaine de groupes sur près de 160 ont dans leurs rangs au moins une femme et un seul est composé uniquement de femmes (le groupe américain L7. Benjamin Barbaud, le responsable et fondateur du Hellfest, précise :

« On a toujours plus ou moins été dans ces moyennes et on ne va pas se cacher que cette musique, cette culture a toujours été à dominante masculine. »

Un style « naturellement » masculin

Dans la musique metal, la force de l’ordre masculin, symboliquement dominant, se voit donc au fait qu’il se passe de justification. Le metal est un style qui apparaît comme étant « naturellement » masculin. Même si, évoquant la chanteuse Joan Jett, l’article intitulé « Les femmes au pouvoir » du quotidien Ouest-France en 2018 dénote du ton généralement observé dans la presse : « l’agressivité musicale n’a rien à voir avec la testostérone », le propos, mobilisant les clichés, est plus coutumier dans la suite de l’article, en attestent les manières de décrire la « charismatique » chanteuse du groupe Nightwish, la « sculpturale chanteuse Alissa White-Gluz » du groupe Arch Enemy ou le « charme » de L7.

Les médias spécialisés se situent dans un registre sémantique similaire où « la grâce », « le charme », « l’élégance », « l’émotion », etc., caractérisent les pratiques et les consommations féminines. Alors que les techniques, l’intensité et les performances musicales masculines sont mises en avant, le hors-série consacré au Hellfest dans le magazine spécialisé Rock Hard en 2010 multiplie les propos normatifs et sexistes à l’endroit des corps des rares femmes artistes :

« La prestation du quintet le [groupe Delain] ne répond pas à toutes nos espérances. Bien sûr la charmante Charlotte Wessels, souriante, élégante et plutôt bien en voix, malgré quelques fausses notes, sait parfaitement jouer de son charme pour envoûter la gent masculine. »

Le hors-série de 2011 confirme le constat :

« Le temps n’est pas au beau fixe, mais cela n’empêche pas nos quatre sympathiques Suédoises de Crucified Barbara d’investir la scène en short et bas résille, pour le plus grand plaisir des nombreux mâles venus les écouter (qui a dit “mater : ?). Il faudrait vraiment faire la fine bouche pour ne pas se laisser séduire par le set énergique (mais aussi les jolis minois, il faut bien l’avouer). »

Mais au-delà des discours qui tendent à assigner des rôles sociaux adossés au genre dans l’univers de la musique metal, qui sont les festivalières du Hellfest ? Que recherchent-elles et comment en sont-elles arrivées à investir cet univers culturel où les dispositions masculines sont socialement valorisées d’une part et qui ne leur est a priori pas familier d’autre part ?

L’origine des goûts féminins en matière de musique metal

La supposée « docilité féminine » et la supposée « violence » du metal sont des catégories essentialisées qui apparaissent bien dans les systèmes de représentations des festivalières. Les processus de socialisation sont bien évidemment à la base des goûts culturels des apprentissages scolaires ou encore des activités sportives.

Ces enquêtes attestent la permanence de l’influence parentale des goûts culturels adolescents, malgré la relative diversité des instances socialisatrices à mesure de l’avancée en âge notamment. Les modes de socialisations à l’écoute de différents styles de musique prennent appui sur de multiples sources : famille, amis, réseaux sociaux, médias, etc. Les relations personnelles sont toutefois les plus importantes dans la découverte et l’écoute de la musique. Les socialisations relatives aux musiques metal sont également « plurielles ».

Si la sphère amicale est la plus importante dans la diffusion des goûts musicaux, des variations nettes existent entre festivalières et festivaliers. Les socialisations familiale et conjugale notamment sont très structurantes dans l’agencement des goûts chez les festivalières. L’écoute du metal et la fréquentation du Hellfest impliquent la construction et le renforcement de dispositions « inversées », c’est-à-dire construites « à contre-normes ».

Parallèlement à l’influence des amis, les femmes qui assistent au Hellfest ont été socialisées par la sphère familiale et conjugale masculine tandis que l’inverse (festivaliers influencés par des femmes) est statistiquement plus rare. Les festivalières déclarent ainsi avoir découvert les musiques « extrêmes » auprès de leur père à hauteur de 17,5 % d’entre elles contre 11,6 % pour les festivaliers ; à 15,3 % auprès de leur(s) frère(s) contre 12,5 % pour les festivaliers ; mais surtout à 18 % auprès de leur conjoint contre seulement 1,1 % pour les festivaliers.

Des consommations musicales genrées

Au-delà des sources d’influences, les goûts en matière de musique metal varient enfin entre festivalières et festivaliers. Ces goûts s’expriment à l’aune de systèmes de valeurs genrées et illustrent une permanence des hiérarchies hétéronormées. En effet, les styles de metal les plus « rapides » musicalement, joués les plus « fort » et au sein desquels les voix gutturales sont les plus « violentes » sont davantage appréciés par les festivaliers que les styles plus « lents », « mélodiques » voire « symphoniques » et « lyriques ».

Ainsi, « thrash metal », « death metal » et « grind metal » sont statistiquement nettement plus écoutés régulièrement par les hommes tandis que « symphonic metal », « gothic metal » et « folk metal » sont plus appréciés des femmes. Le « glam metal », et sa diffusion sur les radios de type « Hard FM » aux États-Unis notamment, a ainsi contribué à rendre socialement acceptable l’univers de la musique metal auprès d’un public féminin jusque-là très peu représenté statistiquement.

Trois décennies plus tard, les festivalières n’écoutent pas exactement les mêmes sous-genres de musique metal et ne fréquentent pas les mêmes scènes du Hellfest (chacune des six étant dédiée à un ou des sous-genres musicaux). Si les résultats de l’enquête de 2015 réalisée par nos soins indiquent que trois quarts des festivalières et des festivaliers déclarent à égalité fréquenter les scènes principales (« mainstage »), le public féminin est sous-représenté sur les scènes « altar » et « temple » (dédiées aux « death », « black », « grind » et « doom »).

Au-delà des goûts musicaux, les démarcations entre les pratiques masculines et féminines au Hellfest, telles que les danses, sont parfois poreuses. Le circle pit consiste à danser en rond face à la scène au rythme de la musique, à l’invite du chanteur qui harangue le public. Les corps y sont violentés et les chutes sont courantes. Des festivalières y participent parfois comme l’illustre le cliché ci-dessous. Leur présence contribue à rendre hétérogènes les gestes et usages corporels symboliquement codés et perçus comme étant masculins. Les pratiques de ces festivalières contestent et réinterprètent les usages genrés du public du Hellfest.

La présence de plus en plus affirmée des femmes sur le plan quantitatif au sein du public du Hellfest participe à la contestation et la subversion de l’ordre hétéronormatif. Cela alimente le brouillage des genres et rend plus perméable les frontières de la musique metal en France : dorénavant, la musique metal « se conjugue aussi au féminin ».

Christophe Guibert, Sociologue, Professeur des universités, Université d'Angers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Musique et IA : une partition injouable ?

De quelle façon l’IA peut-elle bouleverser le monde de la création musicale ? Paul JF Fleury. Image générée avec DALL·E 2 et Stable Diffusion., Fourni par l'auteur
Paul J. F. Fleury, Université Rennes 2

L’année 2023 fut marquée par une couverture médiatique considérable autour de l’IA, avec notamment l’arrivée de ChatGPT, Midjourney, et en musique, les deepfakes musicaux, et autres

. La chanson « Heart on My Sleeve » en est l’exemple le plus retentissant, puisqu’on y entend Drake et The Weeknd, sans qu’aucun des deux ne l’ait enregistré. Leurs voix ont en effet été imitées grâce à l’IA, avec une précision qu’on aurait du mal à différencier des originales. La qualité du morceau, la popularité des deux artistes et la bulle médiatique autour de l’IA l’ont rendu viral très rapidement avant qu’il ne soit retiré des plates-formes de streaming.

« Heart on My Sleeve », Ghostwriter (2023).

D’aucuns y voient un signe avant-coureur des problèmes soulevés lorsqu’une innovation technique se développe de manière erratique, sans que le droit nécessaire pour réglementer son usage ne soit en place. D’autres perçoivent les débuts d’une transformation sans précédent de tous les aspects du fait musical : sa pratique, sa production, sa consommation, son économie, ses univers sociaux et son esthétique.

Une pratique de plus en plus accessible

La pratique de l’IA musicale, issue de la recherche en informatique musicale, est depuis les années 2010 rendue de plus en plus accessible. Des start-up se sont emparées de la recherche pour développer des outils de composition automatique, et les diffuser sur le marché. Les GAFAM ne tardent pas à suivre, avec Google qui développe sa suite d’outils baptisée Magenta, puis MusicLM, un text-to-audio similaire à MusicGen développé par Meta. Ces applications permettent de générer des fichiers audio de musique sur la base de prompts, à la manière de Midjourney ou DALL-E.

Les outils actuels s’inscrivent dans la continuité du virage numérique et rendent la production musicale plus accessible, mais subsiste encore le problème de la boîte noire : leur fonctionnement reste encore pour le grand public un mystère. Bernard Stiegler pointait du doigt la prolétarisation des savoirs numériques, et la musique par IA n’est en cela pas en reste : la majorité des utilisateurs de ces outils ne savent pas comment ils sont conçus.

Musique symbolique et génération audio

D’un point de vue purement technique, on distingue deux domaines dans l’IA musicale, la génération de musique symbolique et la génération audio. La génération symbolique permet de générer des partitions musicales ou des séquences de notes. Par exemple,

permet de générer automatiquement des chorals de Bach. La génération audio permet de générer de la musique directement sous forme de fichier audio, comme avec les text-to-audio Stable Audio ou Riffusion. Dans les deux cas, l’approche la plus généralisée est l’utilisation de techniques basées sur les
.

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L’application de la génération audio est large : création de musique, synthèse vocale, suppression du bruit, ou encore restauration audio. Grâce à ces techniques, les Beatles ont pu exploiter la voix du défunt John Lennon pour terminer leur dernière chanson. Jusqu’à présent, la qualité de l’enregistrement de Lennon était trop mauvaise pour être utilisée. Les techniques de séparation audio ont permis d’extraire la voix des bruits parasites.

Quelles conséquences pour le secteur musical ?

Que dire de la transformation de l’économie de la production musicale ? Est-ce qu’avec le développement d’entreprises proposant la fabrication automatisée sur mesure de musique, la place des musiciens est menacée ? En effet, grâce à la portabilité croissante et à l’accessibilité des technologies, il est de plus en plus facile de produire de la musique de qualité professionnelle. Aujourd’hui, les utilisateurs de l’application Boomy, par exemple, peuvent sélectionner quelques paramètres et générer en quelques secondes un instrumental qu’ils peuvent ensuite réarranger, remanier ou sur lequel ils peuvent enregistrer une voix. L’application SongStarter de BandLab peut quant à elle générer un morceau à partir de paroles et d’émojis.

La composition automatisée et facilitée par l’IA va engendrer un afflux massif de musique très rapidement, et les professionnels de l’industrie de la musique s’en inquiètent. Notamment lorsque des analystes financiers prédisent une dilution des parts de marché. La génération personnalisée de musique en temps réel, proposée par certaines start-up, est déjà à l’œuvre dans l’industrie du jeu vidéo ou encore de la relaxation.

Par ailleurs, la synthèse vocale par IA est déjà utilisée par les auteurs professionnels pour placer leurs productions auprès d’artistes de grande envergure. La pratique déjà courante était d’engager des interprètes imitant la voix de gros artistes pour leur vendre une chanson. Aujourd’hui, les maisons de disque se servent de l’IA pour montrer aux artistes-stars ce que donnerait la chanson avec leur propre voix posée dessus. C’était d’ailleurs ce à quoi était destinée au départ « Heart on My Sleeve ». Enfin, la séparation des sources permettrait aux maisons de disques détenant des albums ayant été enregistrés avant le mixage multi-pistes de vendre les parties individuelles d’un morceau, d’une voix chantée ou des parties uniquement instrumentales, pour le cinéma ou la publicité par exemple.

Des enjeux juridiques

Les enjeux juridiques liés à l’IA musicale sont des questions de propriété intellectuelle. La question du droit d’auteur relatif à l’IA se joue à deux niveaux. Les bases de données servant à nourrir les algorithmes peuvent-elles être des œuvres protégées par le droit d’auteur ? Peut-on considérer le résultat obtenu comme une œuvre de l’esprit ?

Les juristes répondent que le droit de la propriété intellectuelle protège des réalisations de formes mais pas un style ou une manière de créer. Ainsi, l’IA se contente d’emprunter le style sans jamais retenir la forme d’une œuvre, elle déconstruit le contenu pour en extraire les tendances, et les reconstruire. Pour ce qui est de ces questions, les institutions prennent les devants, comme la Sacem en 2019, qui a reconnu officiellement AIVA, un programme d’IA musicale, comme compositrice de l’album Genesis.

Le droit semble ne s’emparer que maintenant de ces questions. Universal Music Group et d’autres sociétés musicales poursuivent une plate-forme d’intelligence artificielle appelée Anthropic PBC pour avoir utilisé des paroles de chansons protégées par le droit d’auteur pour « entraîner » son logiciel. Il s’agit du premier procès important dans ce qui devrait être une bataille juridique clé sur l’avenir de l’intelligence artificielle musicale.

Dans le même ordre d’idées, un projet de loi intitulé « No Fakes Act » a été déposé au Sénat américain. Il vise à empêcher la création de « répliques numériques » de l’image, de la voix ou de la ressemblance visuelle d’un artiste sans son autorisation. La plate-forme YouTube a annoncé peu après qu’elle donnerait aux labels la possibilité de supprimer les contenus « synthétiques », tout en exigeant des créateurs de AI covers qu’ils signalent leurs contrefaçons.

L’IFPI (International Federation of the Phonographic Industry) a interrogé 43 000 personnes dans 26 pays et est parvenue à la conclusion que 76 % des personnes interrogées « estiment que la musique ou les voix d’un artiste ne devraient pas être utilisées ou ingérées par l’IA sans autorisation », et 74 % pensent que « l’IA ne devrait pas être utilisée pour cloner ou usurper l’identité d’un artiste sans autorisation ».

Imitation ou création ?

Quelle valeur esthétique peut-on accorder à la musique créée par IA ? Les œuvres musicales créées par IA sont les témoins de l’usage de techniques d’apprentissage automatiques fonctionnant par l’exploitation de volumes importants de données. Ces œuvres sont donc indissociables des jeux de données qui ont servi à leur fabrication.

Dans la lignée des œuvres musicales utilisant l’emprunt, la citation ou bien les samples, il faut considérer la dimension réinterprétative, réadaptative, voire même imitative de la musique générée par IA. Dans la continuité de la rétromanie, décrite par Simon Reynolds pour décrire la constante réinterprétation des codes de la musique passée dans la production contemporaine, l’IA permet de rendre cette réinjection du passé beaucoup plus réaliste. En témoigne cette dernière chanson des Beatles utilisant la voix du défunt John Lennon, enregistrée des décennies auparavant. C’est le concept d’hantologie, développé par Derrida et repris par Mark Fisher, qui résonne à travers ces morceaux faisant revenir le passé dans le présent.

Mais comment une œuvre fabriquée par un outil qui reproduit, imite, peut-elle être originale ? Si elle ne se contente que d’imiter, on peut tout au plus saluer la fidélité avec laquelle elle imite, ainsi que son caractère innovant. Si la fin de l’originalité et de l’expressivité musicale est souvent crainte, l’on répond qu’en effet, ces notions doivent être remises en question. Il s’agit simplement de placer l’originalité ailleurs dans le processus créatif. Des artistes comme Oneothrix Point Never ou

s’emparent de ces techniques avec une distance critique, comme de vrais moyens de servir leur subjectivité, pour proposer des œuvres singulières à l’expressivité émotionnelle forte.

Paul J. F. Fleury, Doctorant en musicologie, Université Rennes 2

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Avec son album country, Beyoncé questionne la dimension raciale des genres musicaux aux États-Unis

A Paris, un affichage sauvage pour annoncer la sortie du nouvel album de Beyoncé, Act II - Cowboy Carter, le 29 mars 2024. Photo SZ / The Conversation, CC BY-NC
Elsa Grassy, Université de Strasbourg

Un coup d’État musical. C’est ainsi qu’on pourrait décrire le succès des deux derniers titres de Beyoncé,

et
, sortis lors du SuperBowl, en amont d’un nouvel album sorti le 29 mars (Cowboy Carter), et qui, depuis, caracolent l’un et l’autre en tête des classements des ventes et des écoutes en streaming.

Coup d’État, parce que ces premiers extraits de Cowboy Carter et les codes visuels qui l’entourent indiquent clairement que le deuxième « acte » de la trilogie entamée en 2022 avec l’éponyme Renaissance est une réappropriation de la country, genre qu’on associe souvent à une Amérique blanche conservatrice et parfois même raciste, sexiste et identitaire.

Les réactions qui ont entouré cette sortie révèlent à quel point, aux États-Unis, les genres musicaux, unités structurantes de l’industrie musicale, comprennent une dimension raciale, ce qui explique que Beyoncé soit la seule femme noire à s’être hissée à la première place du Hot Country 100 du magazine Billboard.

Résistance de l’industrie musicale

Il faut dire que l’arrivée de ces singles ne fut pas sans remous. Dès leur sortie, des internautes rapportaient sur Twitter que des stations de radio spécialisées dans la country refusaient de les diffuser,

, et que
,
.

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Si le distributeur Sony a rapidement rectifié le tir, en

, le flottement a suffisamment duré pour raviver de mauvais souvenirs. La première fois où Beyoncé s’était aventurée dans ce genre musical, avec
en 2016 (rappelons qu’elle a grandi au Texas, comme son père), le comité des Grammys avait refusé que le titre puisse concourir dans la catégorie « country »
. Mais c’est surtout le spectre de l’épisode « Old-Town Road » qui ressurgit.

Le précédent Lil Nas X

Rappel des faits : fin mars 2019, ce morceau de Lil Nas X monte à la 19e place du classement country de Billboard, avant d’en être exclu abruptement. Le magazine explique son geste dans un communiqué, arguant que la chanson ne « contient pas assez d’éléments de la country d’aujourd’hui » pour rester dans ce classement.

La justification ne passe pas : depuis les années 2000, ce genre est très influencé par le rap, au point que le country-rap, ou « hick hop », s’est glissé en haut des charts et dans les répertoires de stars comme

ou
.

Ce ne serait donc pas le rap qui « gênerait » musicalement, et la sortie

, dans laquelle Lil Nas X est accompagné par le chanteur de country (et père de Miley) Billy Ray Cyrus, fait son entrée sans aucun problème dans le classement des titres joués sur les radios country, pourtant extrêmement allergiques à l’innovation.

Cela semble suggérer que les rappeurs peuvent accéder aux charts country, à condition qu’ils soient chaperonnés par un chanteur blanc. L’historien Charles Hughes résume alors la situation dans le Los Angeles Times : « Quand les gens se plaignent du fait que la country vire pop, ce qu’ils veulent souvent dire, c’est qu’elle est trop noire ».

Aux origines de la country

Vue de France, cette déclaration pourrait paraître exagérée. Pourtant elle reflète tout à fait les mécanismes qui ont présidé à la création de la country comme genre musical au début du XX? siècle. Ceux-ci sont inséparables de la mise en place d’une ségrégation musicale entre, d’un côté, les « race records » regroupant les musiques « noires » (blues, gospel et jazz, entre autres) et, de l’autre, ce qui deviendra la country, appelée alors « hillbilly music » ou « old-time tunes » présentée elle comme blanche, par opposition.

Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’un état de fait, mais d’une construction, orchestrée par deux groupes professionnels : les folkloristes et l’industrie musicale.

Les premiers recherchent, dans des endroits qu’ils estiment reculés, la trace de traditions préservées du monde moderne, à l’image de l’Américain John Lomax ou de l’Anglais Cecil Sharp, qui considérait que la musique des Appalaches avait mieux conservé le génie de la race anglo-saxonne (lire : « blanche ») que l’Angleterre industrielle de la fin du XIX? siècle.

Les seconds, après le succès financier inattendu du disque de Mamie Smith « Crazy Blues » en 1920, se lancent à la conquête du public noir, puis du public rural, jusqu’alors négligés par Tin Pan Alley, la machine à hits new-yorkaise, entre la fin du XIX? siècle et le début du 20?.

A une époque où les disques servent avant tout à stimuler les ventes de phonographes dans les magasins de meubles, ségrégués, l’industrie musicale pense qu’elle augmentera ses bénéfices en concevant une offre racialement ciblée.

Les Afro-Américains exclus progressivement de la country

Cela ne se fera qu’au prix de nombreuses manipulations. Les folkloristes les rêvent comme une population protégée de la modernité et de sa corruption, mais les musiciens ruraux du Sud, quelle que soit la couleur de leur peau, ont un répertoire très large et jouent souvent ensemble, y compris la variété de l’époque.

Qu’à cela ne tienne : comme les folkloristes, le personnel des maisons de disques fait le tri, n’enregistrant que ce qui semble traditionnel et correspond à l’origine ethnique des artistes. Lorsque le morceau ne colle pas, mais qu’il est trop bon pour être rejeté, on maquille l’origine des artistes en leur donnant des pseudonymes.

Progressivement, les diverses médiations de la musique – image, textes, pratiques – excluent les Afro-Américains de l’univers de la country, consolidant ainsi une division raciale arbitraire, à laquelle se conforment les musiciens par nécessité économique. Elle se poursuivra sous diverses formes, plus discrètes, après la Seconde Guerre mondiale.

C’est donc cette composante raciale du genre que taquine la sortie de Cowboy Carter, en réclamant le droit à la country des artistes afro-américains et, par là-même, leur légitimité à revendiquer une identité sudiste, mouvement associé au « hee haw agenda » – onomatopée qui imite le hi-han de l’âne et qu’on retrouve dans bon nombre de chansons country – dont on trouve un écho dans la résurgence de la figure du cowboy noir et des productions culturelles récentes comme le film Nope de Jordan Peele.

Il est un peu triste de penser qu’il aura suffi d’un coup de baguette magique de Beyoncé pour ouvrir le mainstream aux artistes afro-descendants et surtout afro-descendantes qui, depuis un mois, ont vu les chiffres de leur streaming enfler considérablement, après des décennies d’efforts.

Les choses avaient commencé à bouger sous l’influence du mouvement Black Lives Matter, avec la création du Black Banjo Reclamation Project par exemple, puis avec les prises de conscience entourant le meurtre de George Floyd en 2020 et, la même année, la mort de Charley Pride, une des seules stars noires du genre.

Sous cette impulsion, en 2021, la journaliste musicale et manager afro américaine autoproclamée « perturbatrice de la musique country » Holly G créait le Black Opry, un site dédié à augmenter la visibilité de la country noire. Signe qu’une dynamique s’était mise en place, le New York Times consacrait un article à la nouvelle génération d’artistes folk et country noirs en novembre dernier.

En finir avec le mythe d’une country exclusivement blanche

Aussi Beyoncé a-t-elle pris soin de s’entourer d’artistes reconnus dans le genre, dont certains militent depuis des années pour que le mythe d’une country exclusivement blanche explose.

En témoigne la présence de Robert Randolph à la guitare hawaïenne sur « 16 Carriages » et de Rhiannon Giddens au banjo et à l’alto sur

.

Titulaire d’un prix Pulitzer pour l’opéra Omar et de la très prestigieuse « Genius Grant » de la MacArthur Foundation pour son travail de vulgarisation historique, cette multi-instrumentaliste

est devenue en une vingtaine d’années, depuis ses débuts avec les
, puis en solo et au sein de Our Native Daughters, la figure de proue du mouvement de réappropriation de la country noire, et
.

Créé dans les Caraïbes par les Africains réduits en esclavage, cet instrument, lorsqu’il arrive aux États-Unis, est clairement identifié comme afro-américain et le reste

, où les minstrels blancs s’en emparent pour caricaturer les noirs américains dans leurs spectaclesen blackface.

Henry Ossawa Tanner, The Banjo Lesson, 1893.

A partir de ce moment-là, avant même la country, le banjo devient un signifiant du Sud blanc,

. La réappropriation du banjo par Giddens tient donc de l’exorcisme : elle joue elle-même
, celui qu’on entend au début de « Texas Hold’Em », et grâce à elle, de nombreux artistes noirs comme Kaia Kater,
et Amythyst Kiah ont réinvesti cet instrument, malgré les stéréotypes qui lui sont associés.

Reste à savoir si l’effet Beyoncé aura des répercussions durables sur la popularité des artistes country afro-descendants, en les installant une fois pour toutes dans le mainstream, et s’il débouchera sur des récompenses musicales dans ce genre dont les frontières sont si bien gardées. Sachant que « Texas Hold’Em » et « 16 Carriages » ont plus de succès sur les plates-formes de streaming que sur les ondes des radio country, les jeux ne sont pas encore faits, bien que les cartes soient déjà clairement sur la table.

Elsa Grassy, Maîtresse de conférences en études états-uniennes, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.