Les femmes et les hommes sont-ils égaux face au télétravail ?

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Les femmes et les hommes sont-ils égaux face au télétravail ?

46% des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35% des hommes. Pickpic, CC BY-SA
Gabrielle Schütz, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay et Céline Dumoulin, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Près de 4 ans après le début de la pandémie mondiale de Covid-19, au cours de laquelle le télétravail s’est particulièrement développé, l’enquête de l’Observatoire du télétravail de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT, publiée le 6 décembre dernier, permet de dresser un état des lieux. Il en ressort notamment que les femmes se montrent particulièrement adeptes de cette forme de travail, alors même qu’elle se décline pour elles de manière moins favorable.

Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souhaiter télétravailler davantage. Rien d’étonnant, puisqu’en réduisant les temps de transport, le télétravail offre la perspective d’une meilleure articulation des temps professionnels et familiaux, dont la gestion repose principalement sur les femmes qui effectuent la majeure partie du travail domestique avant comme pendant la pandémie.

Mais cette aspiration des femmes au télétravail est également intimement liée aux conditions d’exercice de l’activité professionnelle en présentiel. Sur site, elles bénéficient en moyenne de moins de libertés dans l’organisation de leur temps de travail, pouvant moins souvent que les hommes modifier elles-mêmes leurs horaires ou s’absenter en cas d’imprévu, y compris à poste équivalent. Le télétravail leur promet ainsi une plus grande autonomie.

Enfin, dans la mesure où elles occupent plus souvent que les hommes des métiers en contact avec le public et sont plus exposées à effectuer du « travail émotionnel » avec la clientèle ou les collègues, le télétravail peut leur apparaître plus encore qu’aux hommes comme un moyen de se ménager des plages de travail avec moins d’interruptions et plus de concentration. Les télétravailleuses sont d’ailleurs plus nombreuses que les télétravailleurs à considérer que cette forme de travail leur permet de gagner en efficacité et une meilleure productivité, tout en étant moins sensibles qu’eux aux éventuelles déperditions d’information.

Le télétravail, plus contraignant au féminin

Plus désiré par les femmes, le télétravail reste paradoxalement plus contraignant au féminin qu’au masculin. Plusieurs raisons à cela : les femmes disposent d’abord de moins de latitude pour faire valoir leurs souhaits et contraintes dans la mise en place de leur télétravail. Les choix du nombre de jours de télétravail hebdomadaire et de leur répartition sur la semaine leur sont plus souvent imposés qu’aux hommes (24 % pour les femmes et 13 % pour les hommes).

Ensuite, durant une journée de télétravail, les femmes sont plus souvent contraintes de respecter des plages horaires fixes durant lesquelles elles sont joignables (53 % contre 41 % des hommes), quel que soit leur niveau hiérarchique. Elles peuvent dès lors moins facilement que les hommes profiter du télétravail pour s’organiser en adaptant leurs horaires (22 % n’en ont pas la possibilité contre 12 % des hommes). Les conséquences sur le rythme de travail leur sont par ailleurs plus défavorables avec un travail plus dense en télétravail – 46 % des femmes prennent moins de pauses en télétravail qu’en présentiel contre 35 % des hommes.

A contrario, si la moitié des répondants (femmes comme hommes) déclarent profiter du temps gagné dans les transports pour le consacrer au repos et à leur famille, les hommes se démarquent en déclarant davantage que le télétravail leur permet de consacrer du temps à leurs loisirs (44 % des hommes pour seulement 28 % des femmes) et/ou de travailler plus (39 % des hommes contre 31 % des femmes).

Le télétravail se solde donc pour les femmes par des journées pas forcément plus longues mais plus intenses, d’autant plus qu’elles restent moins bien équipées par leurs entreprises et qu’elles sont plus souvent concernées que les hommes par des difficultés techniques qui rendent leur activité moins fluide et plus hachée (problèmes de connexion, de matériel, d’applications numériques).

Carence d’information

Enfin, l’enquête de l’Observatoire du télétravail a pointé que les salariés sont trop rarement consultés lors de réorganisations des espaces de travail accompagnant la mise en place du télétravail (passage en « open space » ou en « flex office »).

Cette carence d’information s’observe également au niveau de l’organisation du travail. Un tiers seulement des salariés considèrent que la mise en place du télétravail a été décidée en concertation avec l’équipe. Les femmes semblent encore plus éloignées de ces prises de décisions : elles déclarent plus fréquemment que les hommes ne pas savoir comment le travail en équipe en distanciel a été organisé (28 % contre 21 % des hommes), ni si un dispositif de surveillance à distance de leur travail existe (47 % contre 39 %).

Les femmes sont donc à la fois plus contraintes par le télétravail et moins informées sur sa mise en place, ce qui témoigne de la place qu’elles occupent dans les politiques de télétravail des organisations.

Le télétravail a souvent « mauvais genre »

L’accès des femmes au télétravail reste relativement récent. Si elles télétravaillent aujourd’hui à même hauteur que les hommes et même un peu plus, pendant longtemps le télétravailleur type était un homme, cadre, qui travaillait à distance de manière occasionnelle et le plus souvent informelle, dans des arrangements interpersonnels au cas par cas.

Avant la pandémie encore, le télétravail occasionnel prédomine sur le télétravail régulier : il reste l’apanage des cadres et demeure plus masculin. Il a fallu la crise sanitaire et la multiplication des accords de télétravail pour que les femmes accèdent plus largement au télétravail, en particulier les femmes non-cadres, qui occupent des positions de professions intermédiaires ou d’employées dans des métiers de bureau.

Cette forte féminisation et cette relative démocratisation du télétravail ne se font pas sans heurts. Les enquêtes ethnographiques au long cours menées par l’une de nous montrent que les politiques de télétravail menées par les organisations ne sont pas neutres du point de vue du genre. Alors que le télétravail est en théorie destiné à toutes et tous, elles en dessinent des figures plus ou moins désirables et légitimes, marquées par des stéréotypes.

Dans un certain nombre d’organisations, le télétravail est mis en place à reculons, du fait d’obligations réglementaires ou de la crise sanitaire. Il est conçu comme une politique sociale très (trop) favorable aux salariés qui risque de peser sur la productivité. À bien y regarder, le soupçon pèse d’abord sur les femmes et les mères de famille, suspectées d’être peu engagées et de vouloir télétravailler le mercredi pour garder leurs enfants, d’autant plus lorsqu’elles occupent des postes à peu de responsabilités.

Dans ces organisations, les hommes hésitent plus à recourir à un dispositif qui a « mauvais genre », tandis que les femmes qui le font sont stigmatisées et restent très contrôlées, leur travail à distance étant attentivement scruté.

Dans d’autres organisations, une orientation plus organisationnelle est donnée au télétravail, abordé au contraire comme un signal de modernité et une opportunité pour mettre en place de « nouveaux modes de travail ». La figure implicite du télétravailleur est plutôt celle du « bon manager », qui fait confiance à ses équipes et leur donne de l’autonomie.

Pour autant, cette figure, construite au « masculin-neutre », peine à se décliner aux échelons hiérarchiques inférieurs, structurellement plus féminisés. L’accès au télétravail y demeure souvent plus compliqué – on rechigne par exemple à accorder du télétravail aux assistantes, que l’on aime garder sous la main – et sa pratique peut là aussi être plus restreinte en termes de nombre de jours accordés ou de possibilités d’adapter ses horaires.

Gabrielle Schütz, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay et Céline Dumoulin, Ingénieure de recherche, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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