Tuberculose : une bonne alimentation pourrait réduire de moitié le nombre d’infections

Santé

Image par Devon Breen de Pixabay

The Conversation

Tuberculose : une bonne alimentation pourrait réduire de moitié le nombre d’infections

Yogan Pillay, Stellenbosch University et Madhukar Pai, McGill University

Nous savons depuis des siècles que la tuberculose est une maladie sociale. Elle s’épanouit dans les contextes de pauvreté, sous l’influence de nombreux facteurs tels que la malnutrition, l’insalubrité des logements, la surpopulation, les lieux de travail délétères. Elle prospère également en raison de la stigmatisation qu’elle génère.

En 2021, l’Organisation mondiale de la Santé estimait qu’environ 2,2 millions de cas de tuberculose étaient attribuables à la sous-alimentation, 0,86 million à l’infection par le VIH (virus de l’immunodéficience humaine), 0,74 million à des troubles liés à la consommation d’alcool, 0,69 million au tabagisme et 0,37 million au diabète (la même année, l’institution estimait que 10,6 millions de personnes avaient développé la maladie, ndlr_

Cependant, la connaissance de ces déterminants sociaux ne se traduit pas toujours en actions concrètes et en progrès tangibles. En Inde, des scientifiques ont mené un nouvel essai visant à déterminer l’effet de la supplémentation nutritionnelle sur les nouveaux cas de tuberculose dans les ménages d’adultes atteints de tuberculose pulmonaire. Les résultats de ces travaux, publiés dans la revue médicale The Lancet, indiquent que le fait de fournir des paniers alimentaires aux foyers dont certains membres sont atteints de tuberculose pourrait contribuer grandement à prévenir et à atténuer la maladie.

Contre la tuberculose, il n’existe pas de solution miracle

Depuis la pandémie de COVID, la mortalité et l’incidence de la tuberculose ont augmenté au niveau mondial. La tuberculose a ainsi repris la tête du classement des maladies infectieuses les plus meurtrières pour l’humanité. En 2021, 1,6 million de personnes en sont décédées . En Afrique, l’incidence de la maladie est élevée (212 pour 100 000 habitants), tout comme son taux de létalité, en raison notamment de l’importance de l’épidémie de VIH qui sévit sur le continent.

Pour lutter contre la tuberculose, les spécialistes ont souvent été tentés de chercher des solutions miracles du côté du secteur biomédical. Cette approche, concernant une pathologie influencée par de nombreux facteurs sociaux, constitue un frein à d’éventuels progrès.

La malnutrition est une importante cause de tuberculose

Dans de nombreux pays, et notamment en Afrique du Sud , des études ont démontré que les patients admis à l’hôpital suite à une infection par le bacille de la tuberculose souffraient de malnutrition.

Ce terme, qui désigne toute forme de problème nutritionnel, recouvre non seulement les carences en nutriments (plus spécifiquement désignés par l’expression « sous-alimentation » (ou « sous-nutrition »), mais aussi la suralimentation et l’obésité. S’il est attesté que la nutrition de nombreux patients souffrant de tuberculose est mauvaise, des preuves récentes ont également révélé que la sous-alimentation joue un rôle clé dans la survenue de cas de tuberculose au sein de leurs foyers.

Dans le cadre de l’essai RATIONS (« Reducing Activation of Tuberculosis by Improvement of Nutritional Status », ou « réduire l’activation de la tuberculose par l’amélioration de l’état nutritionnel »), les scientifiques ont recruté 10 345 participants parmi les proches de 2 800 patients atteints de tuberculose pulmonaire (vivant au sein de leurs foyers). Les participants ont été répartis en deux groupes, puis les scientifiques ont remis des paniers alimentaires selon différentes modalités.

• Tous les patients atteints de tuberculose se sont vus remettre chaque mois un panier de 10 kg contenant du riz, des légumineuses, du lait en poudre et de huile), ainsi que des multivitamines, pendant 6 mois ; • Les membres de la famille ont reçu des paniers alimentaires selon deux modalités : dans l’un des groupes, 5 kg de riz et 1,5 kg de légumineuses par personne et par mois ont été fournis. Dans l’autre groupe, aucun panier n’a été procuré.

Les résultats obtenus indiquent que le fait de procurer de la nourriture a, en quelque sorte, agi comme un « vaccin » dans cet essai, puisque cela a permis de réduire le risque que les membres du ménage ne développent la tuberculose. En effet, l’amélioration de la nutrition des membres de la famille des patients atteints de tuberculose pulmonaire a réduit toutes les formes de tuberculose de près de 40 %. La tuberculose infectieuse a quant a elle reculé de près de 50 % .

Au-delà de ces résultats, l’amélioration de la nutrition pourrait également protéger contre d’autres affections (telles que l’anémie, la diarrhée et les infections respiratoires), mais ces points n’ont pas été évalués par cet essai.

Un second article scientifique lui aussi basé sur les résultats de l’essai RATIONS a révélé que près de la moitié de l’ensemble des patients souffraient d’une grave sous-alimentation .

Ces résultats ont aussi révélé qu’une prise de poids précoce, survenant au cours des deux premiers mois de l’essai, était associée à une réduction de 60 % du risque de mortalité due à la tuberculose. Une probabilité de succès plus élevée du traitement et une prise de poids plus importante faisaient également partie des avantages. Durant les six mois qu’a duré la période de suivi, le taux de succès a été remarquable, puisqu’il a atteint les 94 %.

Fournir de la nourriture aux patients

Quel a été le montant de cette intervention ? Les paniers, livrés jusque dans les zones rurales par les équipes sur le terrain, coûtaient 13 USD (dollars américains) par patient atteint de tuberculose, tandis que ceux fournis aux membres de leurs foyers revenaient à 4 dollars. Dès avant la mise en place de l’essai RATIONS, le gouvernement indien avait reconnu la nécessité d’apporter un soutien nutritionnel aux personnes atteintes de tuberculose. En 2018, il avait lancé le « Nikshay Poshan Yojana »  : dans le cadre de ce programme, chaque patient atteint de tuberculose reçoit une incitation financière de 6 dollars par mois durant la durée du traitement antituberculeux (hors complications, celui-ci s’étale généralement sur 6 mois).

Des données récentes suggèrent que bien que le programme améliore les taux d’achèvement du traitement chez les patients atteints de tuberculose en Inde, les paiements auxquels ils sont éligibles leur sont souvent versés en retard. Il donc nécessaire d’améliorer l’efficacité du programme, afin de que les financements leur parviennent en temps voulu.

L’essai RATIONS suggère que la fourniture directe de paniers alimentaires peut constituer une stratégie alternative efficace. De nombreux pays, dont l’Inde, fournissent déjà à leurs populations vulnérables des céréales à prix subventionnés, grâce à des programmes de sécurité sociale basés sur des distributions publiques . Utiliser ces canaux existants pour fournir des rations alimentaires supplémentaires aux personnes atteintes de tuberculose tout en adaptant les sources de protéines fournies (en fournissant diverses légumineuses et céréales) est une stratégie qui mériterait d’être explorée. Cette approche pourrait également avoir des effets positifs sur d’autres maladies telles que le diabète.

Quelles implications pour l’Afrique du Sud, particulièrement touchée ?

Selon l’OMS, l’Afrique du Sud fait partie des pays dans lesquels « le fardeau de la tuberculose est élevé » .

Que signifient ces résultats pour l’Afrique du Sud ? Statistics South Africa a révélé qu’en 2021, 2,6 millions de Sud-africains ne bénéficiaient pas d’un accès suffisant à la nourriture. En outre, 1,1 million d’autres personnes déclaraient avoir que leur accès à la nourriture était « gravement » insuffisant. Dans ce contexte, on estime que plus de 683 000 enfants de moins de cinq ans ont connu la faim cette année-là.

Cette situation, qui conjugue présence importante de la tuberculose et problèmes nutritionnels, constitue un cocktail particulièrement délétère justifiant la mise en place d’un soutien nutritionnel aux populations pour prévenir la maladie. Dans un pays où les niveaux d’inégalité sont élevés , la mise en place d’avantage sociaux à destination des personnes atteintes de tuberculose et des membres de leurs foyers est essentielle si l’on veut être capable de réduire la prévalence de la maladie et atteindre les objectifs de développement durable fixés pour 2030 .

La distribution de médicaments destinés à prévenir et soigner les infections ainsi que de vaccins est aussi nécessaire, tout comme l’emploi d’outils moléculaires permettant d’établir des diagnostics précoces. Mais il faut garder à l’esprit que ces outils ne peuvent à eux seuls mettre fin à l’épidémie. Pour y parvenir, les malades de la tuberculose doivent bénéficier des avantages sociaux dont ils ont besoin, et qui constituent un droit humain fondamental.

Yogan Pillay, Extraordinary Professor in the Division of Health Systems and Public Health, Stellenbosch University et Madhukar Pai, Canada Research Chair of Epidemiology & Global Health, McGill University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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