Retraites : le prix de l’ambiguïté

Politique

Emmanuel Macron n’a pas su trancher entre l’aile gauche de sa majorité et ses ministres de droite et son projet de réforme des retraites est aujourd’hui devenu illisible, ce qui ne peut que renforcer la mobilisation du 5 décembre.

Editorial du « Monde ». La mobilisation, jeudi 5 décembre, contre la réforme des retraites s’annonce massive. Au blocage annoncé des transports s’ajouteront des manifestations qui promettent d’être importantes car les principaux syndicats, à l’exception de la CFDT, appellent les salariés du public comme du privé à se mobiliser. Le dépôt de préavis de grève « illimitée » à la RATP, « reconductible » à la SNCF, laisse penser que le mouvement pourrait durer.

Un an après le début de la crise des « gilets jaunes », Emmanuel Macron a pris le risque d’une nouvelle crispation sociale dont il ne maîtrise pas l’issue. Le gouvernement se dédouane en arguant que chaque réforme des retraites a engendré un mouvement de contestation. C’était particulièrement vrai en 1995 lorsque Alain Juppé, alors premier ministre, a tenté, en vain, de réformer les régimes spéciaux, et en 2003 lorsque François Fillon a décidé d’aligner la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des salariés du secteur privé. Mais ce constat n’excuse en rien les maladresses de l’exécutif depuis que le président de la République a décidé de mettre en œuvre sa promesse de candidat : remplacer les 42 régimes existants par un système universel par points, où chaque euro cotisé ouvrirait les mêmes droits.

Lorsqu’il était en campagne, Emmanuel Macron avait présenté sa réforme comme un projet de société : l’objectif était de pérenniser le système par répartition, dans lequel les actifs paient pour les retraités, en sécurisant les premiers, qui connaissent des parcours professionnels de moins en moins linéaires. Dans son versant optimiste, la réforme devenait une ode au libre choix : chaque heure de travail ayant la même valeur dans le public et dans le privé, chacun pouvait construire sa carrière comme il l’entendait, voire s’arrêter à l’âge de son choix.

Pas de débat de société

C’était sans doute utopique, mais il y avait là matière à un débat de société mêlant deux dimensions : la solidarité entre les générations et le rapport au travail, alors que l’espérance de vie a progressé en moyenne de quatorze ans au cours des soixante dernières années. L’impopularité du système actuel de retraite jouait en ce sens : 90 % des Français le jugent fragile, 85 % inégalitaire, 73 % coûteux pour les actifs, selon un sondage IFOP paru en octobre 2018. Or, toute cette dimension sociétale a disparu. Des mots techniques comme « systémique », ou « paramétrique » l’ont supplantée. Le projet est devenu opaque et sujet à suspicion.

Le travail préparatoire, mené pendant deux ans, semblait pourtant prometteur. A son terme, Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire à la réforme des retraites, pouvait se targuer d’avoir conservé tous les partenaires sociaux à la table de la concertation. Les choses se sont envenimées lorsque le débat est devenu public. Rien n’a été vraiment mis à plat : ni les inégalités existantes, ni les bouleversements que la réforme allait engendrer. La proclamation qu’elle serait « équitable » a fait croire qu’il n’y aurait que des gagnants, ce qui était évidemment faux.

Plus grave, Emmanuel Macron s’est retrouvé ballotté entre l’aile gauche de la majorité, qui défend l’esprit de la campagne de 2017, et les ministres de droite, qui veulent d’abord équilibrer, par une mesure d’âge, le système actuel, alors que le Conseil d’orientation des retraites prévoit de 8 milliards à 17 milliards d’euros de déficit à l’horizon 2025. Au lieu de trancher vite la querelle, le président a laissé prospérer l’ambiguïté. Il en paie aujourd’hui le prix : son projet est devenu illisible.


Source : Retraites : le prix de l’ambiguïté



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