Quand les vibromasseurs étaient censés soigner

Santé

Dans les années 1930, le vibromasseur était un appareil ménager comme les autres. Fiona Hanson/PA Images via Getty Images

The Conversation

Quand les vibromasseurs étaient censés soigner

Dans les années 1930, le vibromasseur était un appareil ménager comme les autres. Fiona Hanson/PA Images via Getty Images
Kim Adams, New York University

À l’heure du féminisme « pro-sexe », les éloges de la capacité orgasmique des vibromasseurs se multiplient. Dans sa bande dessinée Oh Joy Sex Toy, Erica Moen les décrit comme « totalement englobants, comme le serait une couverture faite d’électricité qui passerait dans vos veines pour les parcourir, générant des orgasmes dont vous ne vous seriez pas crue physiquement capable ». Aujourd’hui, ces machines vont souvent de pair avec la masturbation et la sexualité féminines.

Pourtant, pour les ménagères américaines des années 1930, le vibromasseur n’avait rien de sexuel. Fonctionnant avec le même type de moteurs que les mixeurs et les aspirateurs, il ressemblait à n’importe lequel de leurs autres appareils ménagers. Ce n’était ni plus ni moins qu’une nouvelle technologie basée sur l’électricité.

Avant que les coûts de production des moteurs de ces appareils ne diminuent, les fabricants vendaient généralement un moteur unique sur lequel venaient s’adapter des accessoires séparés, qui étaient changés au gré de l’activité ménagère à accomplir. Il pouvait s’agir de poncer du bois, de se sécher les cheveux, ou… de guérir certaines affections grâce aux vibrations d’origine électriques.

J’ai en effet découvert, durant mes recherches sur l’histoire médicale de l’électricité, que les vibromasseurs figuraient en bonne place dans l’arsenal des charlatans du début du XXe siècle, aux côtés de divers autres remèdes excentriques, tels que les ceintures de batteries galvaniques ou les électrothérapies.

Vibrer pour la santé

Le premier vibromasseur électromécanique était un appareil appelé « percuteur » inventé par le médecin britannique Joseph Mortimer Granville à la fin des années 1870 ou au début des années 1880. Granville pensait que les vibrations alimentaient en énergie le système nerveux humain. Il a développé le percuteur pour l’utiliser en tant qu’appareil médical, afin de stimuler les nerfs malades.

À l’époque, le consensus médical était que l’hystérie était une maladie nerveuse. Cependant Granville refusait de traiter les malades de sexe féminin parce que, expliquait-il, il ne voulait pas « être berné […] par les caprices de l’état hystérique » lorsqu’il s’agissait d’évaluer l’efficacité de son appareil. Le vibromasseur a donc initialement été une thérapie réservée aux hommes. Il a ensuite rapidement quitté la sphère de la pratique médicale.

Puis est arrivé le début du XXe siècle. À cette époque, l’électricité commençait à envahir les maisons, mais ses bénéfices n’étaient pas aussi évidents qu’aujourd’hui : elle était chère et dangereuse. Cependant, elle était aussi synonyme de modernité, et source d’excitation. Les appareils électriques tels que les machines à coudre et les machines à laver sont progressivement devenus des marqueurs de la classe moyenne en développement. Et les vibromasseurs ont commencé à entrer dans les foyers, d’abord en tant que simples appareils ménagers.

Ils étaient avant tout considérés comme une manifestation supplémentaire de cette scintillante nouvelle technologie, qui faisait miroiter aux consommateurs l’image d’un mode de vie moderne et électrique. Tout comme, plus tard, dans les années 1960, les banques offriraient des grille-pains pour inciter les potentiels clients à ouvrir un compte, dans les années 1940, la Rural Electrification Administration distribuait des vibromasseurs gratuitement pour encourager les agriculteurs à électrifier leurs maisons. Ces appareils électriques n’étaient alors pas encore considérés comme des jouets sexuels. Toutefois, leurs utilisateurs, quel que soit leur âge, se voyaient promettre grâce à eux toutes sortes de soulagements…

De la poudre de Perlimpinpin qui vibre

Les vibromasseurs étaient censés apaiser les douleurs des ménagères fatiguées, et donc leur faciliter les tâches ménagères. Appliqués sur les dos fatigués et les pieds douloureux, ils permettaient, soi-disant, de revigorer le corps des travailleurs. Maintenus sur la gorge, ils soignaient la laryngite, sur le nez, ils soulageaient la pression des sinus ; et ils agissaient aussi tout ce qui pouvait poser problème entre les deux, bien entendu. Mais ce n’est pas tout : ils stoppaient les cris des enfants malades, car on prêtait à leurs vibrations le pouvoir de calmer l’estomac des bébés souffrant de coliques. On pensait même qu’ils pouvaient aider à guérir les os brisés. Et, selon certains, ils pouvaient stimuler la pousse des cheveux chez les hommes atteints de calvitie…

Une publicité parue en 1910 dans le New York Tribune affirmait que « la vibration bannit les maladies comme le soleil bannit le brouillard ». En 1912, le vibromasseur New Life de Hamilton Beach était accompagné d’un guide d’instruction de 300 pages intitulé Health and How to Get It (« La santé, et les moyens de l’obtenir ». Celui-ci proposait des remèdes à tous les maux, de l’obésité à l’appendicite en passant par la tuberculose et le vertige.

Une publicité de 1913 pour le vibromasseur White Cross dans le New York Tribune. Wikimedia

Comme on s’en doute en consultant ces publicités, ces allégations médicales relevaient du charlatanisme. Pourtant, ces « remèdes électriques » se sont vendus par millions.

Et pour cause : sur le marché américain, la forme la plus classique de charlatanisme médical était celle des « remèdes secrets » (« patent medicine »), des concoctions à la composition protégée par brevet, disponibles en vente libre, et censées guérir certains maux. Dépourvues d’effets thérapeutiques, elles contenaient généralement principalement de l’alcool et de la morphine, mais on pouvait parfois y trouver des ingrédients encore plus nocifs, comme le plomb et l’arsenic.

Le gouvernement fédéral a commencé à réglementer la vente de ces « médicaments » sous brevet après l’adoption, en 1906, de la loi Pure Food and Drug Act. Les vibromasseurs et autres électrothérapies n’étant alors pas concernés par la nouvelle loi, ils ont pris la part de marché laissée vacante par les concoctions médicales interdites. Le vibromasseur White Cross a remplacé le sirop apaisant de Mme Winslow en tant que remède « maison » populaire, bien que rejeté par l’establishment médical.

En 1915, le Journal of the American Medical Association écrivait que le « commerce des vibromasseurs est une illusion et un piège. S’il a un quelconque effet, il est psychologique ». Ce commerce était considéré comme dangereux par les experts non pas parce qu’il était obscène, mais parce qu’il s’agissait d’un mauvais traitement. La possibilité, reconnue par les médecins, que le vibromasseur soit aussi utilisé pour la masturbation constituait seulement une preuve supplémentaire du charlatanisme de cette thérapie.

La tête du moteur du vibromasseur Shelton, fabriqués par General Electric au début du XX? siècle, avec divers accessoires. Science & Society Picture Library/SSPL

Un remède à la « maladie masturbatoire »

Hallie Lieberman, spécialiste des jouets sexuels, souligne que presque tous les fabricants de vibromasseurs du début du XXe siècle proposaient des accessoires phalliques qui « auraient été considérés comme obscènes s’ils avaient été vendus en tant que godemichés ».

Présentés comme des dilatateurs rectaux ou vaginaux, ces appareils étaient censés guérir les hémorroïdes, la constipation, la vaginite, la cervicite (inflammation du col de l’utérus) et d’autres maladies localisées au niveau des organes génitaux et de l’anus. Hamilton Beach, par exemple, proposait un « applicateur rectal spécial » pour « un coût supplémentaire de 1,50 dollar » et recommandait son utilisation pour le traitement de « l’impuissance », des « hémorroïdes » et des « maladies rectales ».

Les deux plus grands spécialistes de l’histoire des vibromasseurs, Rachel Maines et Hallie Lieberman, affirment que les vibromasseurs ont toujours été secrètement utilisés dans des buts sexuels. Cependant, je ne suis pas d’accord avec eux. Les vibromasseurs étaient bien des appareils médicaux populaires, et l’une de leurs nombreuses utilisations médicales visait à guérir les maladies liées aux dysfonctionnements sexuels. Cette utilisation était un argument de vente, pas un secret, à une époque où la rhétorique anti-masturbation était de mise.

Des accessoires spéciaux pour vibromasseurs, comme l’applicateur rectal, proposaient des traitements douteux pour des maladies douteuses. Il s’agissait de remèdes pour des affections prétendument causées par « une masturbation calamiteuse et prédominante ».

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Au début du XXe siècle, l’idée que la masturbation était liée à certaines maladies était assez répandue. On pensait par exemple qu’elle provoquait l’impuissance chez les hommes et l’hystérie chez les femmes. Certaines formulations de cette époque sont d’ailleurs parvenues jusqu’à nous, telle celle qui affirme que la masturbation rend sourd (ou aveugle, selon les pays…).

Il est impossible de savoir comment les gens utilisaient réellement les vibromasseurs. Mais un certain nombre de preuves suggère que leur emploi se faisait dans le cadre de traitements « médicaux », et non dans celui d’une masturbation « pécheresse ». Même si les utilisateurs de ces appareils accomplissaient des actes vus aujourd’hui comme de la masturbation, eux-mêmes ne considéraient pas qu’ils se masturbaient. Et donc, ils ne se masturbaient pas…

Dans les années 1980, l’image du vibromasseur a changé dans l’esprit du public. Barbara Alper/Archive Photos via Getty Images

Repenser l’histoire du vibromasseur

Pendant la majeure partie du XXe siècle, les vibromasseurs sont restés d’inoffensifs objets vendus par des charlatans. Le mensuel féminin Good Housekeeping, destiné aux femmes au foyer, a même validé certains modèles, jusque dans les années 1950. Lorsque la révolution sexuelle a déferlé sur l’Amérique dans les années 1960, les vibromasseurs étaient des appareils démodés, majoritairement tombés dans l’oubli.

Puis sont arrivées les années 1970. À cette époque, des militantes féministes radicales ont transformé le vibromasseur, qui n’était plus que la relique d’une domesticité révolue, en un outil de libération sexuelle pour les femmes. Dans les ateliers de Betty Dodson consacrés au bodysex, les vibrations électriques ont alors transformé « les sentiments de culpabilité liés à la masturbation en sentiments de célébration, de sorte que la masturbation est devenue un acte d’amour de soi ». Elle et ses « sœurs » ont adopté les vibromasseurs comme une technologie politique, capable de convertir des femmes au foyer frigides et anorgasmiques en êtres sexuels puissants, pouvant à la fois avoir des orgasmes multiples et détruire le patriarcat…

Kim Adams, Postdoctoral Lecturer in English, New York University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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