Natation : comment être au top le jour J ?

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Photo de Serena Repice Lentini sur Unsplash The Conversation

Natation : comment être au top le jour J ?

Laurent Bosquet, Université de Poitiers

Les championnats du monde de natation qui viennent de se tenir à Fukuoka étaient la dernière grande répétition internationale avant les Jeux olympiques de Paris 2024. Au-delà de Léon Marchand, qui a commencé à écrire sa légende, ils ont confirmé le grand potentiel de plusieurs nageurs et nageuses de l’équipe de France, qui peuvent raisonnablement viser une finale olympique. C’est le cas par exemple de Maxime Grousset, Yohan Ndoye Brouard, Marie Wattel ou Pauline Mahieu.

Tout l’enjeu consiste maintenant à optimiser les différents aspects de leur préparation afin de s’y présenter avec la capacité de performance la plus élevée possible, ce qui est la condition sine qua none pour espérer gagner une médaille. L’une des clés pour y parvenir est une stratégie bien connue des sportifs et sportives de haut niveau : l’affûtage.

Par définition, l’affûtage est une diminution de la dose d’entraînement au cours d’une période de durée variable. Son objectif est de diminuer la fatigue physiologique et psychologique accumulée lors des cycles d’entraînement précédents et d’optimiser in fine la performance. Cette période d’affûtage repose sur l’hypothèse selon laquelle la performance sportive est déterminée en très grande partie par la différence entre le niveau de condition physique et le niveau de fatigue.

L’idée sous-jacente est que chaque entraînement influence conjointement ces deux dimensions. Ainsi, un individu qui s’entraîne beaucoup bénéficiera d’un certain nombre d’adaptations qui vont lui permettre d’atteindre un niveau de condition physique élevé, mais son niveau de fatigue le sera tout autant. D’un point de vue empirique, les sportifs constatent effectivement que ce n’est pas dans les périodes de charges d’entraînement les plus élevées qu’ils sont les plus performants. A l’inverse, un individu qui ne s’entraîne pas, ou qui cesse de s’entraîner, sera de fait beaucoup moins fatigué, mais son niveau de condition physique sera assez faible, ou en diminution, un scénario qui au final nuit à la capacité de performance.

Des athlètes affûtés

Tout l’enjeu de la période d’affûtage consiste donc à identifier la dose d’entraînement qui permettra de diminuer au maximum le niveau de fatigue, sans réduire celui de la condition physique. Les paramètres que l’entraîneur peut manipuler dans ce but sont assez limités, et très classiques. Nous trouvons bien évidemment l’intensité d’exercice, mais également la durée des exercices, la fréquence des séances d’entraînement, et la durée de la période d’affûtage.

Une compilation des études scientifiques réalisées ces 20 dernières années a permis d’établir la stratégie qui en moyenne donne les meilleurs résultats : il s’agit d’une diminution progressive de 40 à 60 % du volume d’entraînement pendant une période de deux semaines, tout en conservant l’intensité des exercices et en modifiant avec parcimonie la fréquence des entraînements. Cela signifie, qu’en moyenne, les nageurs et les nageuses de l’équipe de France ne s’entrainent plus qu’une douzaine d’heures par semaine au lieu des 22 à 28 heures habituelles, pendant une période de 10 à 14 jours.

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Avec cette stratégie, le gain moyen de performance se situe aux alentours de 2 %. Cela pourrait paraître dérisoire si l’histoire de la natation n’était parsemée de confrontations épiques au cours desquelles la différence entre la première et la seconde place a été bien inférieure à cela. L’un des grands moments de la natation française a été la victoire d’Alain Bernard au 100 m nage libre des Jeux olympiques de Pékin, en 2008. Au cours de la finale, il a devancé l’Australien Eamon Sullivan de 11 centièmes de seconde, ce qui correspond à un écart de 0,23 %. Le brésilien Cesar Cielo et l’américain Jason Lezak, qui ont tous les deux pris la troisième place, sont arrivés à 46 centièmes d’Alain Bernard, soit une différence de 0,97 %. Un gain de performance compris entre 1 et 2 % peut donc avoir un impact majeur sur la carrière d’un sportif de haut niveau, surtout s’il arrive au bon moment !

La victoire d’Alain Bernard aux JO de Pékin en 2008.

C’est là que réside toute la difficulté, car la stratégie d’affûtage qui consiste à diminuer le volume d’entraînement par deux est celle qui donne les meilleurs résultats… en moyenne. Or les entraîneurs le savent pertinemment : un sportif de haut niveau est tout sauf une moyenne. Cela signifie simplement que cette stratégie constitue un modèle de départ, qu’il convient ensuite d’individualiser. Simple à dire, beaucoup plus complexe à mettre en œuvre.

L’apport des scientifiques pour la performance

C’est à cette étape qu’interviennent les scientifiques du projet D-day. Ce consortium financé par l’agence nationale de la recherche et l’agence nationale du sport regroupe plusieurs institutions nationales telles que le centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’institut national du sport de l’expertise et de la performance (INSEP), l’institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), la fédération française de natation (FFN) et l’université de Poitiers, qui pilote ce projet. L’objectif de cette équipe de 16 scientifiques que j’ai le plaisir de coordonner est d’accompagner l’équipe de France de natation pour optimiser les trois dernières semaines qui précèderont les Jeux olympiques de Paris 2024.

Pour y parvenir, quatre grandes étapes ont été identifiées puis planifiées sur une période de 4 ans. La première a consisté à développer un tableau de bord individuel dont l’objectif est de catégoriser le niveau de fatigue cumulée des nageurs et des nageuses de l’équipe de France trois semaines avant les grandes compétitions. À partir de là, la seconde étape a logiquement consisté à identifier les stratégies qui permettent de diminuer au maximum ce niveau de fatigue, sans altérer le niveau de condition physique.

La plupart du temps, la simple manipulation de la dose d’entraînement suffit. Cependant, lorsque le niveau de fatigue cumulée est très élevé, ce qui est souvent le cas 3 à 4 semaines avant les grandes compétitions internationales, la seule diminution du volume d’entraînement ne suffit pas, ou alors il faudrait qu’elle atteigne un niveau qui expose les nageurs et les nageuses à un risque de déconditionnement physique. Dans ce cas, la meilleure stratégie est de coupler la diminution du volume d’entraînement à l’utilisation de méthodes de récupération.

Dans le cadre du projet D-day, nous avons décidé de cibler les méthodes qui semblent avoir un impact sur le sommeil, comme la cryostimulation, l’immersion en eau chaude ou en eau froide, ou encore les matelas thermorégulants. Plus précisément, l’objectif des études expérimentales qui ont été menées était de vérifier l’effet bénéfique de ces méthodes sur la qualité et la quantité de sommeil des athlètes et de mettre en lumière les modalités d’utilisation les plus efficaces. Une stratégie d’éducation au sommeil adaptée aux sportifs de haut niveau a également été développée (Pasquier et coll., 2022).

Vous vous demandez certainement ce qui fonctionne le mieux. Si ces méthodes ont toutes un impact réel sur la qualité et la quantité de sommeil, chacune d’elle présente des avantages et inconvénients, et peut s’avérer plus ou moins efficace selon les personnes. Au final, ce sont donc tout autant les aspects logistiques que les préférences des nageurs et des nageuses qui vont guider nos propositions.

Les deux à trois dernières semaines qui précèdent les compétitions majeures génèrent beaucoup d’anxiété, tant pour les nageurs et les nageuses que pour leurs entraîneurs. Ils peuvent donc être réticents à l’idée d’apporter des modifications à une stratégie de préparation terminale qu’ils ont construite progressivement et dans laquelle ils ont confiance, quand bien même elle peut éventuellement être améliorée. L’objectif de la troisième étape est donc de faciliter l’appropriation de la démarche proposée par les scientifiques du projet D-day. Cela implique d’interroger les membres de l’équipe de France sur leurs habitudes et leurs croyances en matière de récupération, et d’identifier les déterminants psychologiques qui leur permettront d’adopter des nouveaux comportements.

Le niveau de performance, l’historique de blessures ou le profil psychosociologique jouent par exemple un rôle très important. Cela suppose également de s’intéresser aux spécificités des femmes, tant du point de vue psychologique que dans leur réponse physiologique aux interventions proposées.

La quatrième et dernière étape, qui est en cours, est de mettre en place la démarche globale avant les grands évènements qui jalonnent la route vers les Jeux olympiques (championnats de France, championnats d’Europe de Rome, championnats du monde de Fukuoka et de Doha), afin de l’améliorer progressivement et de disposer d’une version optimisée avant l’été 2024.

Au total, le projet D-day a mobilisé 175 nageurs et nageuses de haut niveau pendant les deux premières étapes expérimentales, et 61 nageurs et nageuses potentiellement sélectionnables en équipe de France pendant la troisième étape. Si le bilan sportif ne pourra être dressé qu’à l’issue des Jeux olympiques de Paris 2024, les applications extrasportives sont déjà nombreuses. Les outils d’estimation du niveau de fatigue et les interventions destinées à le diminuer peuvent être utilisés avec d’autres populations telles que les personnes qui souffrent de maladies chroniques, ou celles qui sont exposées à l’épuisement professionnel.

Laurent Bosquet, Professeur des Universités en sciences du sport, Université de Poitiers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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