Grâce à l’ADN, rencontre avec une famille « française » du Néolithique

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Représentation d'une des habitantes de la communauté. Images peintes par Elena Plain, Fourni par l'auteur

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Grâce à l’ADN, rencontre avec une famille « française » du Néolithique

Représentation d'une des habitantes de la communauté. Images peintes par Elena Plain, Fourni par l'auteur
Maïté Rivollat, Université de Bordeaux et Adam "Ben" Rohrlach, University of Adelaide

À partir des restes de près de 100 individus retrouvés dans la nécropole française de la commune de Gurgy (Yonne) vieille de 6 700 ans, nous avons reconstitué deux vastes arbres généalogiques préhistoriques révélant ainsi de nouvelles informations sur une communauté du Néolithique (5e millénaire avant J.-C.).

Nos nouveaux résultats, publiés aujourd’hui dans Nature, montrent un groupe d’agriculteurs préhistoriques qui vivaient au sein d’un réseau formé de plusieurs communautés.

Ce groupe s’est installé à Gurgy en apportant avec lui les ossements d’un « père fondateur », établissant ainsi une lignée sur sept générations, structurée par les hommes.

Ces derniers restaient dans la communauté alors que les femmes se déplaçaient vers d’autres groupes pour fonder de nouvelles familles.

Il n’est pas si facile de comprendre les comportements sociaux des sociétés passées

Il y a environ 9 000 ans, le « mode de vie néolithique » s’est répandu de l’Anatolie (la grande péninsule composée principalement de l’actuelle Turquie) vers l’Europe occidentale, transporté par de grandes migrations humaines.

De chasseurs-cueilleurs nomades, les gens se sont sédentarisés et ont commencé à cultiver. Avec la capacité de produire et de stocker de la nourriture supplémentaire, les Néolithiques ont développé de nouveaux fonctionnements sociaux fondés sur la richesse, la gestion des terres et l’accès aux ressources, formant notamment des hiérarchies sociales.

Les sépultures anciennes peuvent nous en apprendre beaucoup sur la manière dont les hommes préhistoriques traitaient leurs morts. Cependant, il a toujours été difficile pour les chercheurs de comprendre comment ces sociétés se comportaient au quotidien. Ces difficultés sont dues à l’absence de documents écrits et à des données matérielles qui peuvent être difficiles à interpréter (réseaux d’échanges de matières premières ou de biens manufacturés, etc.).

Le Bassin parisien est bien connu pour ses structures funéraires monumentales (longs tertres funéraires construits pour des personnes importantes). En parallèle, il n’y a que de rares sites regroupant des sépultures sans monument, qui sont possiblement les habitants « normaux » de la région, et le site de Gurgy représente la plus grande de ces nécropoles non monumentales. L’étude de ces sépultures est un moyen de comprendre qui étaient ces gens, enterrés plus simplement.

Photographie de la femme GLN270A (à droite, pas de résultats génétiques) avec laquelle les os longs de l’ancêtre principal GLN270B du grand arbre généalogique (à gauche) ont été ré-enterrés. Stéphane Rottier, Fourni par l'auteur

Nous avons échantillonné majoritairement les os pétreux (la partie la plus dense de l’os temporal dans laquelle se situe l’oreille interne), élément osseux qui préserve le mieux l’ADN ancien dans le corps humain, et nous avons appliqué les méthodes les plus récentes d’obtention de l’ADN ancien. Parmi ces techniques, celle dite de la « capture » permet d’accéder à de l’ADN plus dégradé sur un grand nombre d’individus. Elle cible des portions spécifiques et informatives du génome, permettant de comparer ces mêmes régions d’un individu à l’autre sans avoir besoin de la totalité du génome.

Nous avons également utilisé des techniques spécialisées et novatrices pour estimer le degré de parenté de ces individus. Grâce à l’échantillonnage de presque tous les individus de cette nécropole de Gurgy, nos nouveaux résultats révèlent ainsi deux grands arbres généalogiques qui ouvrent une fenêtre sur la vie des membres de cette communauté préhistorique.

Un réseau de communautés

Dès la fouille du site, nous avons observé que les tombes ne se chevauchaient pas, ce qui signifie qu’il y avait peut-être des marques sur le sol (un peu comme les pierres tombales utilisées aujourd’hui). Cela suggérait également que des personnes étroitement liées savaient où leurs proches étaient enterrés.

Grâce au croisement de différentes approches génomiques et anthropologiques, nous avons pu reconstituer deux des plus grands arbres généalogiques jamais réalisés à partir d’une nécropole préhistorique. L’un des arbres généalogiques relie 63 individus sur sept générations, tandis que l’autre relie 12 individus sur cinq générations.

Interprétation artistique du grand arbre généalogique de Gurgy avec des portraits dessinés à la main
Les portraits peints des individus sont basés sur des traits physiques (pigmentation) estimés à partir de l’ADN (lorsqu’il est disponible), ainsi que sur l’âge et le sexe génétique. Les carrés en pointillés (génétiquement masculin) et les cercles (génétiquement féminin) représentent les individus qui n’ont pas été trouvés sur le site ou qui n’ont pas fourni suffisamment d’ADN pour l’analyse. Images peintes par Elena Plain ; reproduites ici avec l’autorisation de l’Université de Bordeaux/UMR 5199 PACEA

L’exploration de ces arbres généalogiques a révélé une claire tendance à la descendance via la lignée masculine (appelée patrilinéarité). Il s’agit d’une pratique selon laquelle chaque génération est presque exclusivement liée à la génération précédente par l’intermédiaire de son père biologique et que les statuts sont transmis d’une génération à la suivante.

Nos résultats suggèrent également la pratique de la virilocalité à Gurgy. Cela signifie que les fils sont restés là où ils sont nés et ont eu des enfants avec des femmes extérieures à Gurgy.

En appliquant sur les dents les analyses isotopiques du strontium, qui s’attachent à déterminer la mobilité au cours de la vie d’un individu grâce à la signature chimique de l’environnement enregistrée par les tissus lors de leur croissance, nous avons confirmé que les femmes exogènes (non reliées génétiquement au reste de la communauté) ont une origine non locale.

Il est intéressant de noter que certaines des femmes « nouvellement arrivées » n’avaient qu’un lien de parenté distant, voire inexistant, les unes avec les autres, ce qui signifie qu’elles viennent d’un large réseau de communautés.

Enfin, nous avons également observé que les descendantes adultes de la lignée principale de Gurgy n’étaient pas enterrées sur le site, impliquant qu’elles avaient probablement quitté le groupe pour rejoindre elles-mêmes d’autres communautés voisines (à partir d’un certain âge).

Un père fondateur

Nous avons également découvert la tombe du « père fondateur » du cimetière : un homme dont presque tous les membres du principal arbre généalogique sont issus.

Nous avons remarqué que cet individu avait été déplacé de l’endroit où il avait été inhumé à l’origine et qu’il avait été réinhumé à Gurgy (aux côtés d’une femme dont nous n’avons pas pu obtenir l’ADN). Seuls ses os longs (de ses bras et de ses jambes) ont été apportés, et il a dû représenter un ancêtre important pour les premiers arrivés dans ce nouveau lieu de sépulture de la communauté.

Nous avons observé qu’un groupe entier, composé de plusieurs générations, est arrivé à Gurgy dès le début. Ce groupe a dû quitter une précédente nécropole, laissant derrière lui les enfants décédés en bas âge et absents de Gurgy dans les premières générations, mais emportant tout de même les restes de l’ancêtre fondateur. De même, dans les dernières générations de Gurgy, nous avons observé de nombreux enfants sans parents enterrés sur place. Ainsi, comme le groupe fondateur, ces dernières générations ont quitté Gurgy, ensemble, laissant derrière elles leurs propres enfants. Par conséquent, Gurgy n’a probablement été utilisé que pendant 3 à 4 générations, soit environ un siècle.

Cette recherche représente un point de départ pour l’étude interdisciplinaire de l’organisation sociale des sociétés préhistoriques, car ces grands arbres généalogiques permettent de nouvelles interprétations de la vie et des pratiques sociales des communautés préhistoriques.

Au fur et à mesure que nous découvrirons et analyserons ces nécropoles, nous pourrons peut-être comparer et opposer les pratiques sociales d’une région à l’autre et d’une époque à l’autre, ouvrant ainsi une véritable nouvelle fenêtre sur notre passé.

Maïté Rivollat, Archaeologist, Université de Bordeaux et Adam "Ben" Rohrlach, Mathematics Lecturer and Ancient DNA Researcher, University of Adelaide

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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