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Données personnelles : comment nous avons peu à peu accepté d’en perdre le contrôle

La génération née entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990, plus optimiste face au développement des technologies abandonne probablement plus facilement une part de contrôle sur ses données personnelles. Unsplash, CC BY
Yoann Nabat, Université de Bordeaux

Dans quelle mesure les différentes générations sont-elles plus ou moins sensibles à la notion de surveillance ? Un regard sur les personnes nées au tournant des années 80 et 90 montre que ces dernières abandonnent probablement plus facilement une part de contrôle sur les données personnelles et n’ont sans doute pas eu totalement conscience de leur grande valeur.


Peut-être qu’à l’approche des Jeux olympiques de Paris, avez-vous vaguement protesté lors de la mise en place d’un fichier vidéo algorithmique ? Et puis avez-vous haussé les épaules : un fichier de plus. Peut-être par résignation ou par habitude ? Comme d’autres, vous avez peut-être aussi renseigné sans trop vous poser de questions votre profil MySpace ou donné votre « ASV » (âge, sexe, ville) sur les chats Caramail au tournant des années 1990-2000 et encore aujourd’hui vous cliquez quotidiennement sur « valider les CGU » (conditions générales d'utilisation) sans les lire ou sur « accepter les cookies » sans savoir précisément ce que c’est.

En effet, peut-être, faites-vous partie de ce nombre important d’individus nés entre 1979 et 1994 et avez-vous saisi au vol le développement de l’informatique et des nouvelles technologies. Et ce, sans forcément vous attarder sur ce que cela impliquait sur le plan de la surveillance des données que vous avez accepté de partager avec le reste du monde…

World Wide Web

Pour se convaincre de l’existence de cette habitude rapidement acquise, il suffit d’avoir en tête les grandes dates de l’histoire récente de l’informatique et d’Internet : Apple met en 1983 sur le marché le premier ordinateur utilisant une souris et une interface graphique, c’est le Lisa.

Puis le World Wide Web est inventé par Tim Berners-Lee en 1989, 36 millions d’ordinateurs sont connectés à Internet en 1996, Google est fondé en 1998 et Facebook est lancé en 2004. L’accélération exponentielle d’abord des machines elles-mêmes, puis des réseaux et enfin du partage de données et de la mobilité a suivi de très près les millennials.

La génération précédente, plus âgée, a parfois moins l’habitude de ces outils ou s’est battue contre certaines dérives initiales, notamment sécuritaires. La suivante, qui a été plongée immédiatement dans un monde déjà régi par l’omniprésence d’Internet et des réseaux, en connaît plus spontanément les risques (même si elle n’est pas nécessairement plus prudente).


Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ? Notre nouvelle série « Le monde qui vient » explore les aspirations et les interrogations de ceux que l’on appelle parfois les millennials. Cette génération, devenue adulte au tournant du XXIe siècle, compose avec un monde surconnecté, plus mobile, plus fluide mais aussi plus instable.

À lire aussi : Les amis, notre nouvelle famille ?


Un certain optimisme face à l’informatique

Probablement du fait de ce contexte, la génération née entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990 est aussi celle qui est la plus optimiste face au développement des technologies.

Cet état de fait apparaît d’autant plus clairement que la « génération Z », plus jeune, est marquée généralement par une plus grande apathie voire un certain pessimisme notamment quant au devenir des données personnelles.

En effet, aujourd’hui, les plus jeunes, déjà très habitués à l’usage permanent des réseaux sociaux et aux surveillances de toute part, se trouvent très conscients de ses enjeux mais font montre d’une forme de résignation. Celle-ci se traduit notamment par le « privacy paradox » mis en lumière par certains sociologues et qui se traduit par une tendance paradoxale à se réclamer d’une défense de la vie privée tout en exposant très largement celle-ci volontairement par l’utilisation des réseaux sociaux.

A contrario, cette confiance en la technologie se manifeste spécialement par une forme de techno-optimisme, y compris lorsqu’il s’agit de l’usage de données personnelles. Cet état d’esprit se traduit dans de nombreux domaines : lorsqu’il s’agit de l’usage des données de santé par exemple ou plus généralement quant à l’utilisation des technologies pour régler des problèmes sociaux ou humains comme le réchauffement climatique.

La priorisation de valeurs différentes

Cet optimisme est aussi visible lorsqu’il s’agit d’évoquer les fichiers policiers ou administratifs. S’il n’existe pas de données précises sur l’acceptation des bases de données sécuritaires par chaque tranche d’âge, il n’en demeure pas moins que la génération des 30-45 ans n’est plus celle de l’affaire Safari dont l’éclatement, après la révélation d’un projet de méga-fichier par le ministère de l’Intérieur, a permis la naissance de la CNIL.

Cette génération a, au contraire, été marquée par des événements clés tels que les attentats du 11 septembre 2001 ou la crise économique de 2009.


La CNIL fête ses 40 ans.

Ces événements, et plus généralement le climat dans lequel cette génération a grandi et vit aujourd’hui, la conduisent à être, d’après les études d’opinion récentes, plus sensible aux questions de sécurité que d’autres. Elle entretient ainsi un rapport différent à la sécurité, moins encline à subir des contrôles d’identité répétés (qui sont bien plus fréquents chez les plus jeunes) mais plus inquiète pour l’avenir et plus sensible aux arguments sécuritaires.

Cet état d’esprit favorise en conséquence une plus grande acceptation encore des fichiers et aux dispositifs de sécurité qui sont perçus comme des outils nécessaires à l’adaptation aux nouvelles formes de délinquance et de criminalité, par exemple à l’occasion de l’organisation des futurs Jeux olympiques et paralympiques en France ou rendus utiles pour permettre la gestion d’une pandémie comme celle du Covid-19.

De l’acceptation à l’accoutumance

Les deux phénomènes – optimisme face au développement des technologies et sensibilité à la question sécuritaire – sont d’autant plus inextricables qu’il existe un lien important entre usages individuels et commerciaux des technologies d’une part et usages technosécuritaires d’autre part. En effet, les expériences en apparence inoffensives de l’utilisation récréative ou domestique des technologies de surveillance (caméras de surveillance, objets connectés, etc.) favorisent l’acceptabilité voire l’accoutumance à ces outils qui renforcent le sentiment de confort tant personnel que sécuritaire.

La génération des trentenaires et quadra actuelle, très habituée au développement des technologies dans tous les cadres (individuels, familiaux, professionnels, collectifs, etc.) et encore très empreinte du techno-optimisme de l’explosion des possibilités offertes par ces outils depuis les années 1990 est ainsi plus encline encore que d’autres à accepter leur présence dans un contexte de surveillance de masse.

Cet état d’esprit favorise en conséquence une plus grande acceptation encore des fichiers et aux dispositifs de sécurité qui sont perçus comme des outils nécessaires à l’adaptation aux nouvelles formes de délinquance et de criminalité. Maxim Hopman/Unsplash, CC BY-NC-ND

La pénétration très importante de ces dispositifs dans notre quotidien est telle que le recours aux technologies même les plus débattues comme l’intelligence artificielle peut sembler à certains comme le cours normal du progrès technique. Comme pour toutes les autres générations, l’habituation est d’autant plus importante que l’effet cliquet conduit à ne jamais – ou presque – remettre en cause des dispositifs adoptés.

L’existence de facteurs explicatifs

Partant, la génération des 30-45 ans, sans doute bien davantage que celle qui la précède (encore marquée par certains excès ou trop peu familiarisée à ces questions) que celle qui la suit (davantage pessimiste) développe une forte acceptabilité des dispositifs de surveillance de tous horizons. En cela, elle abandonne aussi probablement une part de contrôle sur les données personnelles dont beaucoup n’ont sans doute pas totalement conscience de la grande valeur.

Au contraire, les réglementations (à l’image du Règlement général sur la protection des données adopté en 2016 et appliqué en 2018) tentant de limiter ces phénomènes sont parfois perçues comme une source d’agacement au quotidien voire comme un frein à l’innovation.

Sur le plan sécuritaire, l’acceptabilité de ces fichages, perçus comme nécessaires pour assurer la sécurité et la gestion efficace de la société, pose la question de la confiance accordée aux institutions. Or, là encore, il semble que la génération étudiée soit moins à même de présenter une défiance importante envers la sphère politique comme le fait la plus jeune génération.

Demeurent très probablement encore d’autres facteurs explicatifs qu’il reste à explorer au regard d’une génération dont l’état d’esprit relativement aux données personnelles est d’autant plus essentiel que cette génération est en partie celle qui construit le droit applicable aujourd’hui et demain en ces matières.

Yoann Nabat, Enseignant-chercheur en droit privé et sciences criminelles, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Parce qu'elles prennent l'esprit au dépourvu, les ruptures de cadre sont des facteurs potentiels de dégradation des relations sociales. (Shutterstock)

Faire le mauvais buzz sur les réseaux sociaux, ça vous tente ? Voici comment !

Parce qu'elles prennent l'esprit au dépourvu, les ruptures de cadre sont des facteurs potentiels de dégradation des relations sociales. (Shutterstock)
Sylvie Genest, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Faire l’objet d’une popularité négative et incontrôlable sur Internet, c’est-à-dire « faire le mauvais buzz », ça peut arriver à n’importe qui, même aux gens les mieux intentionnés.

C’est manifestement ce qui est arrivé aux trois personnes dont je présente ici les cas embarrassants, avec le projet de décrypter les raisons de leur mauvaise fortune. Mon objectif n’est pas de mettre en cause la valeur de leurs idées ou de leurs combats (féminisme, LGBTisme ou antispécisme), mais plutôt d’examiner leurs stratégies de communication à partir de mon point de vue d’artiste anthropologue.

Plus spécifiquement, je souhaite mettre en lumière les effets de cadrage qui les ont desservies et que je soupçonne être la principale cause de l’énorme dégât de commentaires désobligeants qui ont été formulés à leur endroit, avec atteinte à leur réputation sur les réseaux sociaux.

Construit sur les fondements de mon étude du changement d’état d’esprit, cet article s’intéresse aux ruptures de cadre provoquées par des communicateurs malhabiles ainsi qu’aux répercussions psychiques de leurs prestations sur l’humeur d’internautes mal préparés à cette expérience.

La « théorie des cadres » en communication

Les techniques de cadrage et de recadrage soutenues par les principes fondamentaux de la communication sont utilisées en psychiatrie, en thérapie familiale, en publicité, en arts et en gestion médiatique des comportements sociaux ou privés, principalement.

La théorie générale qui sous-tend ces différentes applications est souvent attribuée au sociologue Erving Goffman, dont la pensée sur le sujet fait l’objet du livre intitulé « Les cadres de l’expérience ». Le principe central de cette théorie est que « nous réagissons différemment aux messages ou aux choix que l’on nous soumet en fonction de la manière dont on nous les présente ».

La théorie des cadres est toutefois antérieure aux travaux de Goffman. Elle prend racine dans l’œuvre de l’anthropologue Gregory Bateson et de ses partenaires de l’École de Palo Alto. Cette équipe de recherche a établi des rapports significatifs entre pathologies de la communication et pathologies des relations sociales.

C’est sous le nom de « syndrome trancontextuel » que Bateson a regroupé les réactions émotives et psychiques observées chez des personnes confrontées à l’expérience brutale d’une rupture de cadre – ou d’une « transgression » des contextes de communication – lorsque celle-ci se produit dans le cours d’un échange significatif. C’est cette épreuve cognitive à la fois troublante et risquée que parodie avec humour la scène suivante construite sur le modèle de la « caméra cachée ».

Si les ruptures de cadre peuvent provoquer le rire lorsqu’elles sont mises en scène, elles peuvent aussi entraîner la perplexité, la colère ou même la souffrance psychique lorsqu’elles se produisent dans la réalité.

Trois buzz négatifs

Les trois vidéos qui suivent présentent des cas d’espèce dont les conséquences sur les internautes sont facilement discernables grâce à la présence visible de commentaires, d’apartés et de réactions exprimées au moyen de mèmes, comme celui que constitue le rire culte de l’humoriste espagnol El Risitas.

Le premier cas est celui d’une entrevue donnée par Typhaine D, une militante dont l’apostolat est de promouvoir une langue « féminine universelle ».

L’effet déjanté de ses prestations, que ce soit dans la vidéo ci-dessus ou dans une

, est une conséquence de sa manière d’enchevêtrer des cadres discursifs réciproquement incompatibles sans avoir l’air de s’en apercevoir : celui du débat d’idées et celui de la comédie burlesque. Pour les personnes qui en ressentent les effets, il en résulte un paradoxe qui les coince entre des émotions contradictoires, comme en témoignent les commentaires laissés sous ses vidéos :

  • ???? Franchement, j’ai beaucoup ri ! Puis après je me suis souvenu que cette personne existe pour de vrai et qu’elle n’est pas internée en psychiatrie…

  • ????????? Il n’y a pas de mot assez fort pour décrire le malaise que j’ai éprouvé durant cette vidéo…

  • ???? Je n’ai pas su définir si c’était de l’humour ou un exposé féministe. Je ne sais pas s’il faut que je pleure ou que je rigole ?

Le deuxième cas concerne Arnaud Gauthier-Fawas, responsable d’une association militante pour les droits des personnes LGBT.

Le paradoxe avec lequel il faut composer ici est à la fois d’ordre perceptif (comme dans une illusion d’optique) et cognitif (comme lorsque deux visions du monde s’opposent). L’échange auquel on assiste est déconcertant parce qu’il met en doute notre capacité d’évaluer la réalité sur la seule base de nos perceptions : bien qu’on puisse être d’avis que Gauthier-Fawas présente bien l’apparence d’un homme blanc, il faut réviser notre estimation en conséquence de l’arbitraire de son identité psychique : « Je ne suis pas un homme, monsieur ! Je ne suis pas blanc ! » L’effet surréaliste qui en résulte pour l’observateur est comparable à celui qu’entraîne la contemplation du célèbre tableau de Magritte, La trahison des images (1928).

Le troisième et dernier cas s’alimente à la source de plusieurs performances médiatiques de Solveig Halloin, activiste végétaliste se portant, entre autres, à la défense des animaux d’abattage.

Le mode paradoxal sur lequel s’exprime cette militante – notamment lorsqu’elle affirme « se battre pour que la violence cesse » – garantit à lui seul l’apparition du syndrome de Bateson chez ses interlocuteurs. En sublimant la cause animale qu’elle défend, Solveig Halloin franchit le seuil critique qui relie le profane au sacré, forçant dès lors une promiscuité de sens choquante entre élevage et holocauste. Cela appelle des commentaires acides à lire sous plusieurs de ses

.

Trois cadres rompus

Ces trois cadres rompus de la communication entraînent des réactions à classer dans des catégories distinctives du syndrome transcontextuel de Bateson. Le premier cas – qui fait sauter les frontières entre le sérieux du débat et le jeu du théâtre – exploite les effets déroutants d’un changement de règles qui survient en plein cours d’un événement social significatif. Les personnes qui s’aventurent sur un tel terrain doivent savoir qu’elles entreprennent un jeu sans fin, c’est-à-dire un jeu « qui ne peut pas engendrer de l’intérieur les conditions de son propre changement ».

Le deuxième cas – qui abolit les différences entre la carte des perceptions et le territoire de l’expérience – exploite les effets pervers d’un changement de niveau d’abstraction non maîtrisé.

Le troisième cas – qui culbute le sacré dans la cour du profane et vice-versa – exploite les effets catastrophiques d’un changement de paradigme, lequel commande une conversion irréversible de l’humanité tout entière. Ce dernier type de rupture peut causer des troubles psychiques d’une très grande gravité.

Les réseaux sociaux comme « méta cadre » de communication

Parce qu’elles prennent l’esprit au dépourvu, les ruptures de cadre sont des facteurs potentiels de dégradation des relations sociales. Lorsqu’on les envisage dans le « méta cadre » des réseaux sociaux, toutefois, leurs conséquences pathologiques se trouvent diminuées par les ripostes créatives de personnes (youtubeurs, tiktokeurs, instagrameurs et autres influenceurs) pratiquant l’art de la métacommunication, c’est-à-dire l’art de « communiquer sur la communication ».

Grâce à la mise en abîme que leurs « vidéos de réaction » accomplissent dans nos esprits – c’est-à-dire grâce à des « vidéos de vidéos » dans lesquelles on peut observer des « réactions humaines à des réactions humaines » – notre sort collectif sur les réseaux sociaux s’en trouve amélioré par la présence de dispositifs nous indiquant comment nous conduire en cas de rupture de cadre : Attention ! Indignez-vous ici ! Riez maintenant ! Soyez méfiant en tout temps !

Par leur capacité à recadrer les communications cabossées, ces méta vidéos confirment – au grave détriment de malheureux attiseurs de rumeurs – l’une des plus belles hypothèses de Bateson : « chaque fois qu’on introduit une confusion dans les règles qui donnent un sens aux relations importantes, on provoque une douleur et une inadaptation qui peuvent être graves. Or, si on peut éviter ces aspects pathologiques, l’expérience a des chances de déboucher sur la créativité ».

Sylvie Genest, Professeure à la Faculté des arts, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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ChatGPT est très symbolique de ce régime socio-économique que le philosophe André Gorz a qualifié de capitalisme cognitif. Pexels, CC BY-NC

Comment ChatGPT change notre rapport au monde

ChatGPT est très symbolique de ce régime socio-économique que le philosophe André Gorz a qualifié de capitalisme cognitif. Pexels, CC BY-NC
Claire Lobet-Maris, Université de Namur

Le 30 novembre 2022, la société Open AI lançait ChatGPT déclenchant un foisonnement de débats et de questionnements. Le rapport à la « réalité » qu’entretient notre société explique en partie l’émergence et le succès d’intelligence artificielle comme ChatGPT.

À la fin des années 70, l’économiste Harry Braverman soulignait déjà que l’informatique contribuait à accentuer la distance entre la main et l’esprit signant la disparition progressive de gestes et de savoirs traditionnels comme de certains métiers manuels. L’informatique, nous le comprenions déjà, allait transformer notre rapport à la réalité, telle une membrane ou une interface qui s’interpose entre nous et le monde pour nous dire ce qui compte et ce qui vaut.

Ce que nous ne savions pas à l’époque, c’est que ces membranes ou interfaces, autrefois maîtrisables et intelligibles dans des programmes qu’on parvenait encore à expliquer et à discuter, allaient devenir de plus en plus intelligentes et obscures. Avec les systèmes d’IA, comme celui qui supporte ChatGPT, la membrane perd en contrôle.

Une délégation de plus ?

La sociologue Madeleine Akrich propose de considérer la technologie comme un acteur à qui on décide de déléguer des tâches. Ce terme de délégation est intéressant car que déléguons-nous à ChatGPT ? On lui confie la tâche de répondre à nos questions en fouillant des milliards de données pour trouver la « bonne information ». En ce sens, ChatGPT ne fait qu’un pas de plus dans les délégations que nous avons déjà confiées aux machines.

Mais peut-être est-ce un pas de trop car en utilisant la métaphore du délégué pour penser ChatGPT, ce que nous acceptons, c’est de confier la recherche d’information – et partant, notre rapport au monde – à un délégué dont on ne sait ni ce qu’il interroge, ni comment il fonctionne. C’est comme si on acceptait de confier son sort à un parfait inconnu dont on ne sait rien. Il y a là l’installation progressive d’un régime de vraisemblance où la distinction entre matérialité des faits et fabrication des faits par l’algorithme s’obscurcit, nous amenant dans un monde où plus rien ni personne ne peut être sûr.

En effet, l’incertitude liée à l’inflation informationnelle que nous connaissons depuis des décennies avait déjà tissé le lit de ce régime de post-vérité fait de fake news et de grands complots. Ce rapport troublé à la vérité des faits est ce qui permet évidemment toutes les manipulations, puisque ces textes produits sans discernement ne se heurtent plus ni à la consistance du réel que la philosophe Hannah Arendt qualifiait de « matérialité factuelle », ni à l’âpreté du débat.

Avec des outils comme ChatGPT, nous ne sommes plus qu’« au bord du monde », comme le dirait l’urbaniste et essayiste Paul Virilio, à sa toute dernière extrémité. La réalité n’est plus qu’un reste, un résidu…

Individualisme de masse

Ce régime de vraisemblance est d’autant plus critique qu’il nous prend individuellement. De fait, le deuxième rôle que nous confions à ce « délégué » est de répondre à « nos » questions en « tenant compte » de nos réactions et avis, nous enfermant progressivement, par ce système d’apprentissage, dans une boucle de renforcement. À titre d’exemple, en suggérant dans la conversation avec ChatGPT que vous adorez les romans de Louis-Ferdinand Céline ou que vous les détestez, vous aurez deux appréciations totalement différentes de l’écrivain.

Ici aussi ce qui permet à ChatGPT d’exister et de se loger dans les différents plis de la société, c’est qu’il s’inscrit dans un terreau social bien présent que Paul Virilio nomme « l’individualisme de masse ». Par ce terme, il désigne la capacité des médias informatiques avancés « à traiter tête par tête nos mentalités ». En fait, nous dit-il, toutes ces technologies ne font qu’ouvrir la voie à la « télécommande universelle », une métaphore qui permet de penser ces applications qui ne laisseront plus à l’individu « de temps perdu, autrement dit de temps libre pour la réflexion, l’introspection prolongée ».

« L’individualisme de masse » permet à ChatGPT d’exister et de se loger dans les udifférents plis de la société. Pexels, CC BY-NC

La vitesse à laquelle opère ChatGPT contribue, pour reprendre ses termes, à « une sorte d’illusion stroboscopique qui brouille toute perception et donc toute véritable connaissance ». Notre esprit y était déjà bien préparé « habitué au zapping […] à l’association sauvage de sa navigation sur Internet […] il se contente de glaner çà et là des informations par butinage des lambeaux figés de sens ». Ceci pose la question de comment peut se faire et avancer une société dans un tel individualisme volatile et pointilliste.

Marchandise fictive

Ce nouveau délégué qu’est ChatGPT est très symbolique de ce régime socio-économique que le philosophe André Gorz a qualifié de capitalisme cognitif. Dans ce régime, comme le résument bien les philosophes italiens Toni Negri et Carlo Vercellone « l’enjeu central de la valorisation du capital porte directement […] sur la transformation de la connaissance en une marchandise fictive ».

Rappelons que pour l’économiste Karl Polanyi, une marchandise répond à deux critères : être produit (critère de production) pour la vente (critère de validation). Ces connaissances ne sont pas des marchandises, elles font partie du commun et c’est le propre du capitalisme cognitif de privatiser à la fois leur accès et leur exploitation.

Ce régime considère la connaissance comme un stock regorgeant de données qu’il s’agit de fouiller et d’exploiter, enfermant progressivement la connaissance dans une boucle où plus rien ne se crée et où tout devient exploitation et gestion. À l’instar d’autres systèmes industriels ayant exploité la terre et la nature jusqu’à l’épuiser, des systèmes comme ChatGPT peuvent également participer à un appauvrissement de notre culture, transformant par bouclage et renforcement ce bien commun qu’est la connaissance en un vaste fournisseur d’inepties et inerties.

Au-delà de l’épuisement de la connaissance et de la culture, ces outils d’IA recèlent en eux un risque de perte généralisée de notre rapport au réel. Ainsi, nous dit Paul Virilio, « après l’accident de la substance, nous inaugurons avec le siècle qui vient un accident sans pareil, accident du réel », véritable « dé-réalisation, conduisant adultes et adolescents vers un monde parallèle sans consistance, où chacun s’accoutume peu à peu à habiter l’accident d’un continuum audiovisuel indépendant de l’espace réel de sa vie ».

Cet accident est tout en abîme puisqu’il s’agit à la fois de perdre pied par rapport à la matérialité des faits mais aussi de ne plus pouvoir reprendre pied du fait du caractère autonome et dès lors peu contrôlable de ces technologies dites intelligentes.

Habiter le monde : vers une écologie grise

En 1960, dans « L’œil et l’esprit », le philosophe Maurice Merleau Ponty écrivait « La science manipule les choses et renonce à les habiter. Elle […] ne se confronte que de loin en loin avec le monde actuel. »

Face à ChatGPT, on lirait certainement chez Paul Virilio, comme chez André Gorz, une même invitation à retrouver la voie sensible du savoir, à renouer avec l’expérience touchante du monde vécu. Savoir et comprendre nous rappellent ces auteurs n’est pas connaître. Savoir et comprendre nécessitent de se confronter au monde, de le toucher, de le sentir, de l’appréhender autrement que dans la platitude des écrans. Là, nous dit Paul Virilio, le sens du réel et de sa finitude se perd et toutes les vérités deviennent possibles.

Au-delà de l’épuisement de la connaissance et de la culture, ces outils d’IA recèlent en eux un risque de perte généralisée de notre rapport au réel. Pexels, CC BY-NC

L’ère industrielle nous a conduit au réchauffement climatique. L’ère artificielle pourrait nous conduire à un réchauffement des esprits, une perte généralisée du « sens de l’orientation » où notre rapport au monde, aux autres et à nous-mêmes deviendrait incontrôlable. Il est évident, nous dit Paul Virilio, que cette perte d’orientation inaugure une crise profonde qui affectera nos démocraties.

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Face à ce défi majeur, le concept d’écologie grise de Paul Virilio est une invitation à politiser ce qui arrive au « réel », à notre culture, c’est-à-dire à notre rapport au monde, tout comme l’écologie verte l’a fait depuis bien longtemps avec la nature.

L’écologie grise nous invite à reprendre fermement et sérieusement la main démocratique sur le développement de ces technologies. Sans cette fermeté, souligne Paul Virilio en reprenant Hannah Arendt : « Il se pourrait que nous ne soyons plus jamais capables de comprendre, c’est-à-dire de penser et d’exprimer les choses que nous sommes cependant capables de faire. »

Claire Lobet-Maris, Professeure senior sociologie du digital et créativité, Université de Namur

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Comment créer un logo en ligne

Aujourd'hui, il est essentiel d'avoir un logo professionnel pour votre entreprise ou votre marque. Cependant, tout le monde ne dispose pas des ressources nécessaires pour embaucher un designer graphique pour créer leur logo. Si vous êtes dans cette situation, ne vous inquiétez pas ! Il est possible de créer un logo en ligne facilement et à moindre coût. Dans cet article, nous vous donnerons quelques conseils pour créer un logo en ligne.

1. Choisissez un outil de conception de logo en ligne

Le premier conseil que nous pouvons vous donner est de choisir le bon outil de création de logo en ligne. Il existe de nombreuses options disponibles sur Internet, telles que Canva, Adobe Spark et LogoMaker. Ces outils ont une variété de modèles, de polices et d'images de stock qui peuvent être utilisés pour créer un logo personnalisé. Assurez-vous de choisir un outil qui correspond à vos besoins et à votre budget.

2. Réfléchissez à votre concept de logo

Avant de commencer à concevoir votre logo, réfléchissez à la manière dont vous souhaitez que votre entreprise soit perçue. Votre logo doit refléter les valeurs et l'image de marque de votre entreprise. Par exemple, si vous vendez des produits écologiques, vous voudrez peut-être utiliser des couleurs telles que le vert et le brun dans votre logo pour refléter cette image.

3. Utilisez des images de haute qualité

Lorsque vous choisissez des images pour votre logo en ligne, assurez-vous de choisir des images de haute qualité. Les images floues ou pixelisées ne donneront pas une bonne impression aux clients potentiels. Assurez-vous également que les images que vous utilisez sont libres de droits d'auteur pour éviter toute violation de droits d'auteur.

4. Soyez original

Lorsque vous créez votre logo, assurez-vous qu'il est unique et original. Évitez d'utiliser des modèles génériques ou des images couramment utilisées. Votre logo doit vous aider à vous démarquer de la concurrence.

5. Évitez les polices compliquées

Lorsque vous choisissez une police pour votre logo, assurez-vous qu'elle est facile à lire. Les polices compliquées peuvent être difficiles à lire, ce qui peut rendre votre logo moins efficace. Choisissez une police simple mais professionnelle pour votre logo.

6. Utilisez des couleurs appropriées

Les couleurs que vous utilisez dans votre logo en ligne sont également importantes. Choisissez des couleurs qui reflètent l'image de marque de votre entreprise et qui sont cohérentes avec votre site web et votre matériel marketing. Évitez d'utiliser trop de couleurs différentes car cela peut rendre votre logo en ligne trop chargé.

7. Testez votre logo

Une fois que vous avez créé votre logo en ligne, testez-le sur différents supports tels que des cartes de visite, des bannières publicitaires et des sites web. Assurez-vous que votre logo est clairement visible et facile à lire sur ces plateformes.

En fin de compte, créer un logo en ligne n'est pas difficile si vous suivez ces conseils simples. Assurez-vous de prendre le temps de réfléchir à votre concept de logo avant de commencer à concevoir, et choisissez les bonnes images, polices et couleurs pour votre design. Avec un peu d'effort, vous pouvez créer un logo professionnel qui aidera votre entreprise à se démarquer de la concurrence.