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Sur les réseaux sociaux, les adolescents se distraient mais partagent aussi des solutions. Samuel Borges Photography / Shutterstock

Grandir avec Internet : les atouts de la culture participative pour les ados

Sur les réseaux sociaux, les adolescents se distraient mais partagent aussi des solutions. Samuel Borges Photography / Shutterstock
Sara Osuna-Acedo, UNED - Universidad Nacional de Educación a Distancia

Le développement des technologies numériques et les changements socioculturels induits ont encouragé les adolescents à évoluer dans des environnements virtuels.

Leur connexion permanente et la dépendance supposée aux smartphones et aux réseaux numériques qui en résulte suscitent la méfiance, voire l’inquiétude, de ceux d’entre nous qui n’ont pas grandi dans une situation similaire. Mais il existe une autre façon d’analyser et de comprendre le phénomène : jamais dans l’histoire de l’humanité les jeunes n’ont été aussi désireux de participer à la culture de leur temps et n’ont eu autant d’occasions de le faire.

Le goût pour l’utilisation des technologies numériques est une caractéristique des jeunes générations, qui considèrent l’Internet en général, et les réseaux sociaux et les technologies mobiles en particulier, comme leur terrain d’action naturel. Leurs relations sociales s’organisent de manière autonome dans différents groupes sur des plates-formes comme TikTok, Instagram, YouTube, WhatsApp,où ils partagent des récits numériques.

La population adolescente développe ses stratégies virtuelles de partage, résolution de problèmes, développement de tâches, construction collaborative de connaissances et promotion de canaux de communication dynamiques. De même, elle manifeste ouvertement une tendance à l’apprentissage informel sur les réseaux sociaux, ce qui les transforme en sujets interactifs, éveillés et socialement numériques.

Créativité numérique

L’adolescence s’autonomise dans l’espace numérique et s’approprie une autorité suffisante pour participer à l’intelligence collective, comme le disait Lévy.

Avec le développement des technologies numériques, les adolescents ont vu les portes s’ouvrir à la création, et ont été contraints de le faire pour éviter d’être exclus par leurs pairs.

Ainsi, les jeunes générations réalisent des processus qui vont un pas au-delà de la créativité, on peut parler d’« intercréativité », où ils unissent deux concepts très importants dans leurs relations avec leurs pairs, la créativité et l’interactivité. Dans cette perspective de communication horizontale, ils peuvent développer leurs propres apprentissages et contribuer à la construction de la connaissance commune.

Les adolescents ont besoin de faire partie de groupes sociaux pour modifier leur environnement et, en même temps, enrichir et faire mûrir leur monde intérieur. C’est ainsi que se manifeste leur capacité à se positionner de manière intercréative par rapport à la réalité qui les entoure.

À cet âge, la sphère sociale prend une importance vitale, et ils prennent modèle sur les héros médiatiques qu’ils suivent, tels que les youtubers et autres influenceurs.

Les écrans multiples ouvrent la voie à une culture participative, en exerçant des récits collaboratifs pour créer et exprimer des opinions et des sentiments, assumer des responsabilités et prendre des décisions dans un scénario transmédia.

N’oublions pas qu’un récit transmédia se développe sur plusieurs plates-formes et que chaque texte constitue un nœud d’information spécifique qui est précieux pour l’ensemble du message.

Un accompagnement nécessaire

Le peu d’éducation aux médias que les jeunes reçoivent pèse surtout jusqu’à présent sur le développement de compétences leur permettant d’interpréter de manière critique les messages diffusés par les médias.

Aujourd’hui, cependant, les pratiques transmédias dans les contextes de la jeunesse exigent non seulement une analyse critique du discours, mais aussi l’incorporation de la narration transmédia et la capacité et la compétence de gérer le flux d’informations qu’ils reçoivent.

Par ailleurs, certains adolescents ne sont pas pleinement conscients des risques liés à la participation à certains espaces numériques : non seulement en termes de sécurité et de contrôle, mais aussi en termes de gestion des conflits interpersonnels qui en découlent.

L’intégration des technologies numériques dans la classe au quotidien, avec l’approche connectiviste de Siemens, nous permet d’expérimenter des propositions d’apprentissage basées sur les jeux vidéo, la réalité augmentée, le métavers ou les différentes productions narratives transmédia qui invitent à la création et favorisent des canaux idéaux pour l’autonomisation des adolescents.

Il est courant que les générations précédentes considèrent les adolescents comme immatures et incapables d’accepter et de s’intégrer dans le “monde des adultes”. Mais les jeunes d’aujourd’hui ont montré plus que jamais qu’ils ont les ressources nécessaires pour établir des relations avec les autres dans ce monde social numérique. Cependant, ils ont besoin de conseils d’experts en matière d’éducation aux médias pour éviter les éventuelles manipulations dont ils peuvent être l’objet.

Sara Osuna-Acedo, Profesora Catedrática de Universidad - Comunciación y Educación, UNED - Universidad Nacional de Educación a Distancia

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Qu’est-ce qui nous rend accros à TikTok ?

Ti Vla / Shutterstock
Patricia Durán-Álamo, Universidad de Alcalá; Pablo Gutiérrez-Rodríguez, Universidad de León et Pedro Cuesta-Valiño, Universidad de Alcalá

L’environnement numérique dans lequel nous baignons, et en particulier les réseaux sociaux, ont complètement transformé la façon dont nous interagissons.

Facebook, Twitter, Instagram et WhatsApp sont des plates-formes sur lesquelles utilisateurs communiquent non seulement avec leurs amis et leur famille, mais aussi avec des marques et des organisations publiques, créant un écosystème qui fait désormais partie de la société.

Dans ce contexte et au cours des dernières années, TikTok – un réseau social lancé en septembre 2016 par l’entreprise chinoise ByteDance pour le marché non chinois dont l’objectif est de créer et de partager de courtes vidéos – s’est positionné comme l’une des applications les plus utilisées dans le monde, notamment auprès des jeunes. En effet, elle est devenue l’application la plus téléchargée dans le monde en 2020 et aux États-Unis elle a réussi à dépasser Instagram en termes de popularité auprès de la génération Z. Ces données démontrent la croissance rapide de l’industrie des plates-formes qui proposent le visionnage et la création de vidéos de courte durée.

La popularité de ces outils en fait un phénomène d’étude ; l’une des approches les plus courantes des réseaux sociaux, tant dans le milieu universitaire que dans le monde professionnel, est celle de l’adhésion. Il s’agit de savoir comment, dans le monde numérique, on gère l’engagement des utilisateurs, en les motivant à passer de plus en plus de temps sur une plate-forme.

Qu’est-ce qui nous attire ?

Des recherches antérieures ont montré que trois variables influent directement sur le nombre d’heures qu’un utilisateur passe sur ces plates-formes, c’est-à-dire le degré d’attachement qu’il leur porte.

La première variable étudiée est l’existence d’une motivation constante, comprise comme celle qui conduit l’utilisateur à continuer à utiliser la plate-forme et qui est une extension de la demande pour le réseau social. Cette motivation constante est directement liée à la satisfaction éprouvée lors de l’utilisation des réseaux sociaux, ainsi qu’à celle générée par la réception de commentaires positifs, de likes ou d’autres récompenses dans cet environnement.

Les utilisateurs cherchent à partager du contenu et aussi à se sentir validés. Hs You/Flickr, CC BY-ND

Le deuxième moteur de l’utilisation des médias sociaux est le désir de partager des expériences. Lorsque nous utilisons les médias sociaux, nous ne cherchons pas seulement à consommer du contenu. Nous voulons aussi la créer, car par cet acte de partage nous générons un sentiment d’appartenance à la communauté, en apportant nos contributions. Si la collaboration au sein de la communauté est encouragée, les utilisateurs développent une plus grande adhésion et une plus grande utilisation de la plate-forme.

Enfin, dans le cas des plates-formes qui offrent la possibilité de générer du contenu vidéo, la capacité à produire des vidéos de qualité est également prise en compte. On s’aperçoit qu’au fur et à mesure que les utilisateurs sentent qu’ils ont une réelle capacité à créer du bon contenu en format vidéo, ils ont tendance à faire un usage plus constant du réseau social.

Des différences en fonction des générations

Compte tenu de ce qui précède et du fait que ceux qui passent le plus de temps sur ces réseaux sont les générations Y (les millennials) et Z, nous avons mené une recherche pour analyser si et dans quelle mesure ces variables influençaient leur utilisation de TikTok. Au total, 1419 représentants de la génération Y et 882 de la génération Z (des personnes nées entre 1995 et 2011) ont participé.

Plusieurs variables influencent notre tendance à devenir accro à certaines applis. Shingi Rice/Unsplash

Après notre étude, nous avons constaté que si tout le monde affirme que les trois variables influencent directement l’adhésion à la plate-forme, le poids de chaque variable varie selon la génération. Alors que les millennials montrent une relation forte entre le niveau d’engagement et la possibilité de partager des comportements ou de créer des vidéos, la génération Z fait état d’une relation plus forte avec la possibilité de recevoir systématiquement des motivations pour l’utiliser davantage.

En examinant le cas de TikTok, il faut noter que l’influence de la capacité perçue de la communauté à créer de telles vidéos est également démontrée. Si les utilisateurs sentent qu’ils ont la capacité de créer du bon contenu sur TikTok, parce que les autres le valident, ils seront plus attachés à la plate-forme.

On peut donc conclure que les comportements de partage, la possibilité de créer des vidéos et le renouvellement constant de la motivation influencent directement l’adhésion à TikTok pour ces deux générations.

Il a été démontré que la variable qui influence le plus l’adhésion générée par ce type de plate-forme vidéo est la possibilité de partager le contenu. Le désir des utilisateurs de le faire, ainsi que de vivre d’autres expériences ou de recevoir un retour d’information les amène à faire un usage plus constant de TikTok. Ces résultats soulignent la nature purement sociale de ce type de plate-forme.

Il est essentiel de comprendre ce qui influence directement le sentiment d’attachement des utilisateurs des réseaux sociaux, non uniquement pour développer des stratégies de publicité, de marketing et de communication plus performantes, mais aussi afin d’atténuer et de traiter les effets négatifs – tels que la dépendance – qui peuvent résulter de leur utilisation.

Patricia Durán-Álamo, Profesor del Departamento del Área de Comercialización e Investigación de Mercados en la UAH, Universidad de Alcalá; Pablo Gutiérrez-Rodríguez, Profesor de Marketing, Universidad de León et Pedro Cuesta-Valiño, Profesor de Marketing, Universidad de Alcalá

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Environ trois quarts des tweets négatifs envoyés aux opérateurs télécoms restent sans suite. Lukasbieri/Pixabay, CC BY-SA

Cinq conseils pour obtenir une réponse à votre réclamation client sur Twitter

Environ trois quarts des tweets négatifs envoyés aux opérateurs télécoms restent sans suite. Lukasbieri/Pixabay, CC BY-SA
Matthijs Meire, IÉSEG School of Management et Steven Hoornaert, IÉSEG School of Management

Un colis non livré, un compte bancaire bloqué, une déconnexion du service Internet… La numérisation accrue des services s’accompagne d’une augmentation des réclamations des clients. Par exemple, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ont enregistré une hausse du nombre de plaintes de 37 % en 2020 par rapport à 2019, puis de 14 % l’année suivante. Actuellement, les interruptions du réseau Internet se multiplient encore dans de grandes villes comme Paris ou Grenoble.

Les médias sociaux comme Twitter ou Instagram permettent plus facilement que jamais de partager nos opinions, nos rencontres mais aussi nos réclamations envers les entreprises. Celles-ci devenant publiques, les organisations deviennent extrêmement prudentes lorsqu’elles traitent les problèmes pour éviter de perdre des clients et de détourner d’autres consommateurs vers des marques concurrentes. Qu’il s’agisse de la publication d’avis négatifs ou de messages incendiaires qui deviennent viraux, les entreprises ont donc tout intérêt à répondre à ces messages pour éviter tout impact négatif supplémentaire sur leurs marques.

De nombreuses entreprises s’efforcent donc de saisir et de répondre à un plus grand nombre de réclamations en ligne. Les services de relation client s’appuient notamment pour cela sur des outils de veille permettant de capturer des tweets ou encore des solutions d’intelligence artificielle qui leur suggèrent des réponses et/ou envoient des messages automatiques.

Cependant, notre récente étude parue dans The SAGE Handbook of Social Media Marketing montre que plus de 75 % des tweets négatifs envoyés à ces entreprises restent sans réponse, soit une augmentation de plus de 50 % par rapport à 2015. Pour cette étude, nous avons collecté sur Twitter près de 20 000 réclamations adressées à trois grands opérateurs télécoms américains en seulement un mois. Naturellement, la question se pose donc de savoir ce que les consommateurs eux-mêmes peuvent faire pour attirer l’attention des entreprises et obtenir une réponse.

« Hé Paul, peux-tu me passer le lait ? »

Dans notre recherche, nous avons cherché à savoir quelles caractéristiques du message entraînent une probabilité plus élevée de réponse de la part de l’entreprise. Dans la section suivante, nous examinons cinq conseils qui permettent de maximaliser les chances d’obtenir une réponse sur Twitter :

1. Utilisez le @

La façon dont nous nous adressons à quelqu’un a un impact sur notre capacité à attirer son attention. Par exemple, si vous dites « tu peux me passer le lait ? » au lieu de « Hé Paul, tu peux me passer le lait ? », il est clair que le second message s’adresse à la personne de manière plus directe. Dans cet exemple, Paul est plus susceptible de répondre au second message qu’au premier.

Nous pouvons appliquer ce même concept aux médias sociaux. Plus le destinataire est interpellé directement, plus les chances d’obtenir une réponse augmenteront. Une mention de compte (@) aura ainsi plus de poids qu’un hashtag (#) qui sera lui-même plus efficace qu’une simple mention dans le texte.

Toutefois, évitez d’en abuser, car en ajoutant trop d’éléments, vous réduisez à nouveau la probabilité d’obtenir une réponse. En effet, l’entreprise peut considérer que vous ciblez plusieurs profils.

2. Envoyez un message à tonalité négative

Les entreprises veulent éviter d’être associées à des tweets négatifs. En effet, des recherches antérieures ont montré que ces messages étaient susceptibles d’impacter négativement leurs performances. En outre, les interactions des clients en ligne peuvent donner lieu à une « tempête de feu » lorsque d’autres utilisateurs se joignent au plaignant dans leur critique.

Les entreprises peuvent donc choisir de concentrer leurs réponses sur ces tweets négatifs. Notre analyse confirme d’ailleurs cette tendance puisque nous montrons que les messages négatifs ont 66 % plus de chances de recevoir une réponse contre 17 % pour un message positif.

3. Restez authentique

L’authenticité et la sincérité jouent un rôle important sur les médias sociaux. Nous constatons ainsi que les phrases très longues et formelles sont considérées comme moins authentiques et donc moins susceptibles de recevoir une réponse ferme. Vous devez donc vous assurer que votre message soit spontané et court pour attirer l’attention de l’entreprise.

4. Posez une question

Le premier conseil, « Hé Paul, peux-tu me passer le lait ? » nous amène au quatrième conseil : une bonne méthode pour obtenir une réponse est de poser une question précise. Par exemple, « Pouvez-vous m’aider avec mon interruption de service ? ». Cela incite en effet l’entreprise à vous répondre. Cette méthode apparaît en outre plus polie et augmente ainsi les chances de recevoir une réponse de l’entreprise.

5. Ne vous emballez pas !

Les consommateurs frustrés ou agacés utilisent souvent des mots qui traduisent leur colère, voire des jurons, ou écrivent des mots en majuscules afin de dramatiser leurs émotions. Si ces tweets ont tendance à recevoir plus de mentions « like », de commentaires et de partages, ils ont cependant moins de chances de recevoir une réponse de la part de l’entreprise. À éviter, donc.

Mêmes tendances dans la banque et la livraison

Notre recherche a été menée à l’origine dans le secteur des télécommunications, mais nous avons pu reproduire les résultats dans d’autres secteurs telles que la livraison de colis et les enseignes bancaires. Bien que les taux de réponse soient un peu plus élevés dans ces secteurs, il reste crucial de rendre son tweet visible en utilisant les cinq astuces mentionnées ci-dessus.

Les réseaux sociaux comme Twitter ont facilité les possibilités de formuler des réclamations envers les entreprises. World’s Direction/Flickr, CC BY-SA

Si l’on prend nos cinq astuces ensemble, les messages avec une communication directe, sous une forme négative, montrant de l’authenticité, sous la forme d’une question, et avec une excitation limitée, apparaissent les plus susceptibles de recevoir une réponse ferme. Donc, la prochaine fois que vous avez un problème avec votre service Internet, écrivez « @monFAI, ma connexion Internet ne fonctionne pas. Pouvez-vous envoyer un technicien pour la réparer ?“ plutôt que « JE DÉTESTE MON FAI, encore une fois pas de service. C’est clair qu’ils ne se soucient pas de leurs clients ».

Parmi ces cinq conseils, notons que le premier, un message adressé à un interlocuteur clairement désigné, constitue le facteur le plus crucial – même si les entreprises ont les moyens techniques de repérer l’ensemble des messages qui les mentionnent. Dans notre échantillon, celles-ci obtiennent une réponse dans 44 % des cas (et même 52 % des cas pour le secteur de la livraison de colis), alors que le taux de réponse aux messages dans lequel le destinataire n’est pas clairement identifié ne dépasse pas 6 %.

Notre recherche peut donc aider les clients à augmenter leurs chances d’obtenir une réponse à leur plainte, mais elle présente aussi des avantages pour les entreprises. En effet, il est plus facile pour l’entreprise de suivre les messages qui leur sont directement adressés. Les messages sans animosité restent par ailleurs moins republiés, ce qui réduit les risques de critiques qui deviennent virales.

Matthijs Meire, Assistant Professor of Marketing Analytics, IESEG School of Management (LEM-CNRS 9221), IÉSEG School of Management et Steven Hoornaert, Professeur en marketing digital, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Capture d'écran du jeu proposé avec l'achat d'une canette de soda. YouTube

Quand boire des pixels devient possible

Kenza Marry, Université de Caen Normandie

Tandis que l’on assiste à l’avènement des métavers et des NFT, les frontières entre le monde digital et le monde matériel se brouillent davantage avec le lancement début mai d’une édition limitée de Coca-Cola au « goût de pixels » : le Coca-Cola Byte. Selon la marque, le produit « invite à explorer le goût que pourraient avoir les pixels avec une expérience Coca d’une nouveauté rafraichissante nouveauté tout en étant délicieusement familière ». Ainsi, pour la somme de 14,77 dollars, il est possible de s’offrir deux canettes de la boisson et un sticker « commémoratif » (terme employé par la marque sur son site).

Quel est le goût d’un pixel ?

Selon le site de la marque, le soda propose une expérience gustative offrant « une mise en bouche lumineuse évoquant le démarrage d’un jeu vidéo suivie d’un goût rafraîchissant qui en fait un parfait compagnon de jeu ». Le ton est donné : la boisson s’adresse aux adeptes des jeux vidéo et adopte les codes et le vocabulaire du « gaming ».

L’achat du coffret donne accès à un mini-jeu en réalité augmentée développé pour l’occasion et le lancement s’accompagne d’un espace aux couleurs du produit crée dans le jeu Fortnite. De façon plus empirique, le Coca-Cola Byte propose un goût proche de son plus classique cousin, le Coca Zero, tout en étant plus pétillant.

Ce lancement de produit, aussi intrigant soit-il, relève avant tout d’une démarche marketing. Coca-Cola s’approprie le langage et les codes du digital pour s’adresser à une cible (vraisemblablement celle des gamers) et s’en attirer les faveurs. Il n’est évidemment pas réellement question de connaître soudain le goût des pixels mais de découvrir l’interprétation que la marque en fait dans le cadre d’une opération marketing. Pourtant, le simple fait qu’une marque envisage « le goût des pixels » comme une proposition attrayante et compréhensible ne peut que nous interroger sur les frontières entre le monde digital et le monde matériel.

Hybridation du monde digital et du monde matériel

En donnant la possibilité de « goûter des pixels », le Coca-Cola Byte illustre une hybridation dans les codes du digital et de la matérialité. On observe en effet un nombre croissant d’incursions d’un monde dans l’autre et la frontière entre les deux semble plus poreuse que jamais.

Avec le développement de la présence d’Internet dans nos vie quotidiennes s’est mise en place une digitalisation croissante d’éléments jusqu’alors matériels. C’est notamment ce que l’on nomme la consommation virtuelle digitale (Digital Virtual Consumption), qui nous a amenés à remplacer peu à peu nos albums de photos de famille par des dossiers sur nos ordinateurs, nos collections de DVDs par des fichiers de films, puis des abonnements à des plates-formes de streaming et même nos relevés bancaires par des e-mails.

Jusque récemment, ces objets digitaux étaient considérés comme ayant fondamentalement moins de valeur que des objets matériels. Le développement rapide et massif du phénomène des jetons non fongibles (non-fungible tokens, ou NFT) vient profondément remettre en question cette hypothèse d’une valeur toujours inférieure des objets digitaux. En garantissant à l’objet digital une unicité et en lui accordant le statut d’œuvre d’art, les NFT donnent à des objets digitaux une valeur (symbolique et monétaire) bien supérieure à certaines œuvres d’art bien matérielles.

Mais la digitalisation ne passe pas seulement par la transformation d’objets matériels en objets digitaux. On observe également l’intervention du digital au sein même du monde matériel, par le biais de la réalité augmentée notamment, qui en transforme la perception. On se souvient par exemple du phénomène de Pokémon Go qui a pris une ampleur inattendue pendant l’été 2016 (et qui, malgré un net ralentissement, bénéficie encore aujourd’hui d’une large communauté d’adeptes) en amenant des millions de personnes, dans le monde entier, à guetter l’apparition de créatures virtuelles dans des lieux bien réels, à travers l’objectif révélateur de leur smartphone. Ainsi, avec la réalité augmentée, des éléments virtuels apparaissent sous nos yeux, dans le monde matériel. Dans un esprit similaire, il est aujourd’hui possible de se rendre dans une boutique physique pour réaliser des achats virtuels.

L’entreprise Meta a ainsi ouvert un Meta Store début mai en Californie pour permettre aux utilisateurs du métavers Horizon World lancé par la maison mère de Facebook d’acheter des accessoires virtuels pour leurs avatars.

Goûter à l’immatériel

Le Coca-Cola Byte, lui, va à l’encontre de ces deux types d’hybridation du monde digital et du monde matériel. Jusque-là, il a été question de digitaliser le monde matériel ou d’importer le digital en son sein. Avec ce lancement de produit, la marque propose une tout autre démarche : celle de rendre le digital sensible, de lui donner une dimension sensorielle.

En offrant aux consommateurs et consommatrices de goûter à l’immatériel, Coca-Cola propose une expérience de brouillage sensoriel et de matérialisation du digital. Certes, il s’agit avant tout d’une démarche commerciale mais il est aussi possible d’y voir les éléments d’un questionnement plus profond. Digital, virtuel, immatériel, numérique versus physique, réel, matériel, analogue… Est-il encore pertinent de penser ces deux mondes comme étant opposés ? Il convient peut-être aujourd’hui de repenser ces concepts pour mieux en saisir la porosité et les nombreuses hybridations.

Kenza Marry, Docteure en sciences de gestion - Laboratoire NIMEC, Université de Caen Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.