Pourquoi les médicaments antirhume vasoconstricteurs doivent être retirés du marché

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Pourquoi les médicaments antirhume vasoconstricteurs doivent être retirés du marché

François Chast, Université Paris Cité

L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a publié le 22 octobre 2023 un communiqué indiquant que des infarctus du myocarde et des accidents vasculaires cérébraux (AVC) pouvaient se produire après utilisation de médicaments vasoconstricteurs destinés à soulager les symptômes du rhume.

L’Agence indiquait que le risque était très faible. Mais, dans la mesure où ces événements pouvaient se produire dans le cadre d’une faible exposition, c’est-à-dire même en ne prenant qu’une faible dose et sur une durée limitée, elle en déconseillait l’utilisation. Et ce d’autant plus que ces médicaments ne sont pas indispensables.

Ne faudrait-il pas aller plus loin et retirer du marché tous ces médicaments vasoconstricteurs contre le rhume ? Pourquoi prendre un risque sanitaire majeur, même s’il est rare, pour un simple « nez bouché » ?

Des comprimés disponibles en pharmacie sans ordonnance

Les médicaments concernés sont majoritairement administrés par voie orale (comprimés ou gélules). Ils associent souvent un vasoconstricteur qui vise à désencombrer le nez (la pseudoéphédrine) à un antalgique destiné à soulager la douleur et l’inconfort (paracétamol, ibuprofène) et/ou à un antihistaminique qui est un antiallergique (doxylamine, chlorphénamine, diphénhydramine, triprolidine). Parmi les spécialités pharmaceutiques désormais « à éviter » selon les recommandations de l’ANSM, figurent les médicaments mentionnés ci-dessous.

À noter qu’ils sont disponibles en pharmacie sans ordonnance, ce qui laisse libre cours à une utilisation inappropriée.

Le rhume guérit spontanément en 7 à 10 jours

En pratique, des gestes simples aident à soulager l’inconfort lié aux symptômes du rhume, sachant qu’il guérit spontanément, sans traitement donc, en 7 à 10 jours :

  • Humidifier les fosses nasales avec des solutions de lavage : sérum physiologique, eau de mer…

  • Boire suffisamment ;

  • Dormir la tête surélevée ;

  • Maintenir une atmosphère fraîche (18-20 °C) et aérer régulièrement les pièces.

Des décennies d’alertes sur les effets cardiovasculaires de la pseudoéphédrine

L’« insécurité thérapeutique » concernant le vasoconstricteur pseudoéphédrine est connue depuis longtemps. Les effets cardiovasculaires de cette molécule ont été décrits dès 1929. Les risques toxiques liés à son administration ont été mis en lumière en 1965 et précisés une quinzaine d’années plus tard.

Pourtant une étude pharmaco-toxicologique produite en 1980 dédouanait la pseudoéphédrine de tout risque toxique en indiquant que si l’administration de 15 mg ou 30 mg de pseudoéphédrine n’avait pas d’effet significatif sur les modèles pharmacologiques de rhinite induite, la dose de 60 mg était efficace et bien tolérée. Des augmentations significatives du pouls et de la pression artérielle systolique (et non diastolique) n’étaient observées qu’à des doses supérieures à 60 mg.

C’est en 1984 qu’une alerte sérieuse était lancée dans la revue médicale de référence JAMA (Journal of the American Medical Association) : la pseudoéphédrine et l’éphédrine, une molécule de la même famille, sont considérées comme des stimulants de la famille des amphétamines et sont, pour l’auteur de cette mise en garde, à l’origine de crises d’hypertension artérielle et de troubles du rythme cardiaque.

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On peut aussi citer cette étude réalisée dans la région de New York, en 2004 à partir d’autopsies montrant que les causes de la mort, après exposition à cette famille de molécules, impliquaient souvent des pathologies cardiovasculaires (hypertrophie ventriculaire gauche ou maladie coronarienne).

L’année suivante, plusieurs alertes sur les dangers de la pseudoéphédrine mettaient également en cause ce médicament dans la mort d’enfants âgés de moins de 12 mois. Dans la majorité des cas, la pseudoéphédrine a été désignée comme cause directe du décès ou comme principal facteur contribuant au décès. Pour les auteurs de cette étude, l’administration à des nourrissons de ces médicaments contre le rhume pouvait, dans certaines circonstances, être une pratique dangereuse et, dans certains cas, conduire à un décès.

Enfin, une revue Cochrane publiée en 2016 a fait le point sur la « balance bénéfices/risques » des décongestionnants nasaux. La méta-analyse a inclus 1800 patients ayant un rhume. Les malades ont été traités, soit par une dose unique, soit pendant une courte période (1 à 10 jours). Il n’a pas été possible de tirer de conclusion tranchée sur l’efficacité des décongestionnants nasaux administrés en dose unique. Leur administration réitérée suggère un effet positif modeste sur la congestion nasale mais il ne semble pas possible de tirer des conclusions définitives.

Certes, cette étude n’a pas permis de montrer que les décongestionnants nasaux augmentaient le risque d’effets indésirables cardiovasculaires à court terme. Toutefois, si les infarctus du myocarde et les accidents vasculaires cérébraux dus à l’administration de pseudoéphédrine n’ont pas été mesurés de manière significative lors de cette méta-analyse, c’est parce qu’on se retrouve devant la problématique de la détection des événements indésirables rares ou très rares, sur des cohortes limitées de patients.

Il aurait fallu une série de plusieurs dizaines de milliers de malades pour observer un phénomène significatif, ce que seules les observations de pharmacovigilance dans la vraie vie permettent. Une simple étude ne permet pas de conclure sur l’absence de risque.

Un argument supplémentaire est apporté par les enquêtes de tératogenèse qui suggèrent que la pseudoéphédrine pourrait provoquer des malformations sur l’embryon.

Des propriétés vasoconstrictrices mais aussi une augmentation de la pression artérielle

Comme son homologue l’éphédrine, la pseudoéphédrine fait partie des molécules de la famille des alcaloïdes, extraits d’un arbuste asiatique du genre Ephedra (le Ma-Huang chinois). Ces deux substances ont les mêmes propriétés pharmacologiques. Mais les effets de l’éphédrine sont plus puissants que ceux de la pseudoéphédrine, raison pour laquelle l’éphédrine n’est aujourd’hui utilisée que par des anesthésistes-réanimateurs pour le traitement des baisses de tension (hypotensions) qui peuvent survenir au cours d’interventions chirurgicales.

Les deux alcaloïdes présentent des propriétés stimulantes, qui sont mises à profit dans de nombreux compléments alimentaires « stimulants » : ils facilitent l’exercice physique et suppriment la sensation de fatigue.

Dans la pratique, ce qui « justifie » l’utilisation de la pseudoéphédrine dans le traitement du rhume, ce sont ses propriétés vasoconstrictrices, qui ont, comme corollaire une augmentation de la pression artérielle. Comme la majorité des décongestionnants, la pseudoéphédrine agit en stimulant certains récepteurs (les récepteurs ?1-adrénergiques) qui induisent la vasoconstriction du système vasculaire nasal. La conséquence est une réduction de l’inflammation de la muqueuse et de la sécrétion de mucus.

Malheureusement, les effets de la pseudoéphédrine ne se limitent pas aux vaisseaux du nez. La vasoconstriction, c’est-à-dire le phénomène de diminution du diamètre des vaisseaux sanguins, est observée au niveau du nez mais également sur l’ensemble du système cardiovasculaire. Ceci est de nature à provoquer une augmentation de la pression artérielle potentiellement dangereuse sur un « terrain » fragile.

Retirer du marché les décongestionnants à la pseudoéphédrine en comprimés

C’est pour cette raison qu’il est conseillé aux personnes souffrant d’hypertension artérielle d’éviter la pseudoéphédrine. Outre l’hypertension, les effets secondaires courants comprennent insomnie, anxiété, étourdissements, nervosité, etc.

En conclusion, il est donc temps de prendre la décision qui s’impose quand un médicament sans grand intérêt présente des risques rares mais réels. Il faut retirer du marché tous les décongestionnants contenant de la pseudoéphédrine, sous forme de comprimés.

François Chast, Professeur de pharmacie, Université Paris Cité

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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