Le « non-coté », un nouvel eldorado pour les épargnants ?

Economie

Derrière l’objectif annoncé de réorienter les placements des Français vers l’économie productive, les gouvernements successifs et les professionnels du secteur multiplient les efforts et les initiatives pour inciter les épargnants à financer les PME non cotées en Bourse.

Le « non-coté », ou « private equity » dans sa version anglaise, les investisseurs n’ont plus que ce mot à la bouche. Avec la baisse de rémunération des placements classiques, comme les livrets, la méfiance vis-à-vis de la Bourse, l’univers feutré du « non-coté », peu mis en avant par les banquiers, attire de plus en plus d’épargnants. Surtout parmi les plus fortunés.

« Environ 60 % des personnes interrogées pensent augmenter la part du private equity grâce à des fonds d’investissement en 2019 », expliquait récemment Rémi Béguin, administrateur de l’Association française de family office (AFFO), en présentant le dernier sondage d’OpinionWay auprès des gérants de fortunes membres de cette association. Les investissements non cotés étaient déjà les plus représentés en 2018 dans le patrimoine des grandes fortunes, à hauteur de 21 % des clients de l’AFFO. 

« Le private equity désigne tous les titres de sociétés qui ne sont pas cotées en Bourse, explique Frédéric Zablocki, fondateur d’Entrepreneur Venture. Cela recouvre une grande diversité d’investissements, avec des niveaux de rendement et de risques très variables, le plus souvent dans des PME, mais pas seulement. » Entre les fonds de rachat d’entreprises rentables avec l’effet de levier du crédit, les fameux LBO (Leverage Buy Out), et les fonds d’amorçage de jeunes pousses innovantes, les performances et les difficultés de revente n’ont cependant rien à voir.

Effrayées par les contraintes et les coûts d’une cotation en Bourse, les petites et moyennes entreprises (PME) en quête de capitaux font de plus en plus appel à ces différents types de financement direct auprès des épargnants. Ces derniers peuvent alors souscrire des augmentations de capital leur octroyant des actions nouvelles de la société, directement ou par l’intermédiaire de fonds d’investissement.

Il existe aussi de grandes entreprises non cotées faisant appel à ces financements « privés » sur les marchés financiers. C’est le cas, par exemple, du géant français du cloud OVH ou du confiseur américain Mars. En investissant dans ces sociétés non cotées, les actionnaires espèrent accompagner leur croissance pour en toucher les fruits, sans les soubresauts des marchés, même si leur revente est aussi plus délicate.

Non seulement ces incitations à l’investissement en PME procurent toutes des avantages « à l’entrée », c’est-à-dire une réduction immédiate de ses impôts, mais aussi un bonus « à la sortie », puisque les plus-values éventuelles sont largement exonérées d’impôt.

Plus risqués et souvent bloqués de longues années, ces placements ont pourtant du mal à percer auprès du grand public, malgré les coups de pouce de l’Etat. Depuis plus de vingt ans, les gouvernements multiplient en effet les dispositifs pour inciter les épargnants à investir dans les PME. En 1997, c’est d’abord la création des FCPI (fonds communs de placement dans l’innovation), sous l’impulsion du secrétaire d’Etat de la recherche d’alors, François d’Aubert.

Elle est suivie en 2003 par le lancement des FIP (fonds d’investissement de proximité),proches des FCPI sauf que l’investissement en jeunes pousses innovantes est remplacé par des PME régionales. La même année 2003, Renaud Dutreil, secrétaire d’Etat aux PME, annonce un « triplement de l’avantage fiscal lié à l’investissement direct dans une société qui permettra à un foyer de déduire jusqu’à 10 000 euros de son impôt sur le revenu ».

La loi Dutreil d’août 2003 accorde une réduction d’impôt sur le revenu correspondant à 25 % de la souscription au capital d’une PME, jusqu’à 40 000 euros pour un couple. Elle reste en vigueur aujourd’hui, même si le taux de réduction d’impôt a été ramené à 18 %, comme pour les FIP et FCPI, en 2012. En 2007, c’est l’apothéose.

La loi TEPA (en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat), promulguée par Nicolas Sarkozy,accorde cette fois une réduction d’impôt sur la fortune (ISF) correspondant à 75 % des sommes investies dans des PME en direct, plafonnée à 50 000 euros. En clair, un investissement de 10 000 euros en PME par les plus fortunés ne leur coûte que 2 500 euros, net de réduction fiscale !

Martingale de la défiscalisation

Bien que la réduction d’ISF ait été rabotée à 50 % de l’investissement en PME en 2011, cette martingale de la défiscalisation a fortement marqué le microcosme des placements en PME, jusqu’à sa disparition avec la suppression de l’ISF en 2017. Non seulement ces incitations à l’investissement en PME procurent toutes des avantages « à l’entrée », c’est-à-dire une réduction immédiate de ses impôts, mais aussi un bonus « à la sortie », puisque les plus-values éventuelles sont elles-mêmes largement exonérées d’impôt, subissant seulement les prélèvements sociaux.

Résultat, les carottes fiscales fonctionnent à plein tube : les capitaux collectés par les FIP et FCPI s’envolent de 68 %, entre 2012 et 2017, pour dépasser 1 084 millions d’euros en 2017. Du jamais-vu depuis l’euphorie de 2008, quand les souscriptions avaient bondi à 1 180 millions d’euros grâce au vote de la loi TEPA, selon l’Association française de la gestion financière (AFG).

« Retirer l’incitation ISF est un drame absolu », déplore un intermédiaire en financement de PME. Il est vrai que son fonds de commerce s’écroule depuis 2017, avec la suppression de l’ISF et de son coup de pouce aux placements PME. En 2018, les souscriptions de FIP et FCPI sont divisées par trois, à 355 millions.

Malgré quelques efforts des professionnels du capital-risque pour le promouvoir, le plan d’épargne en actions (PEA)-PME ne parvient pas à prendre le relais. Créé en 2014, en réponse à une demande des lobbys du capital-risque relayée dans le rapport « Dynamiser l’épargne pour financer l’investissement et la compétitivité » (2013), des députés Karine Berger et Dominique Lefebvre, ce compte-titres à fiscalité allégée ne trouve pas son public.


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