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Bienvenue dans l’ère de la haute pâtisserie
Nathalie Louisgrand, Grenoble École de Management (GEM)La pâtisserie, douceur réconfortante et régressive aux effluves d’enfance, c’est ce « péché mignon », qui n’a pas vocation à nous nourrir mais à faire plaisir. En ces temps de morosité et d’inquiétude, le gâteau promet une parenthèse de légèreté.
La pâtisserie française, forte de trois siècles de tradition et de pratiques, est devenue une référence mondiale, maîtrisée par des artisans d’excellence. Elle a même accédé ces dernières années au statut de produit de luxe. Mais un luxe qui reste abordable comparé au coût d’un dîner dans un restaurant étoilé, un plaisir accessible. En quelques années seulement, la pâtisserie française a atteint un niveau esthétique et gustatif de plus en plus raffiné, à tel point que l’on parle de « haute pâtisserie » comme on parle de haute couture. Mais quels en sont les codes, les origines, et comment s’explique le succès de ces pâtisseries d’exception ?
Pierre Hermé, inventeur du concept de haute pâtisserie
Pierre Hermé a été le premier pâtissier en France à s’associer, dès 1993, à l’architecte designer Yan Pennor’s, auquel il demande une forme simple et spectaculaire pour son gâteau au chocolat au lait. C’est ainsi que naît l’emblématique « cerise sur le gâteau ».
En 1997, il fonde avec l’ancien publicitaire et expert en communication Charles Znaty ce qui deviendra le groupe Pierre Hermé Paris. Leur idée est alors de créer une marque de luxe dans le domaine de la pâtisserie, où cela n’existe pas. A l’époque, personne ne croit en ce concept. C’est ainsi que celui qui, au départ, n’aimait pas les macarons va en faire son produit phare. Il le réinvente, moins sucré, introduit de nouveaux goûts, souvent de saison, associe des textures et des saveurs très originales pour l’époque, par exemple le mariage de la framboise et du litchi avec des pétales de roses dans son désormais iconique Ispahan, travaille sur les doubles garnitures, sur les inclusions comme le chocolat à la fleur de sel, et crée ainsi, année après année, de nouvelles associations.
Pour celui que le magazine Vogue a surnommé « le Picasso de la pâtisserie » et qui est aujourd’hui l’un des plus reconnus de sa profession, y compris à l’étranger, le goût est essentiel. Il a ainsi simplifié l’apparence des gâteaux, enlevé tous les décors inutiles afin de se concentrer sur les émotions procurées par les saveurs et les textures.
Pierre Hermé a ainsi révolutionné la pâtisserie en modifiant ses codes et en y transposant ceux de la mode. C’est à lui que l’on doit les termes de collection, de ligne, de lancement. Il est l’inventeur du concept de « haute pâtisserie », repris depuis par de nombreux chefs pâtissiers, de Christophe Michalak à Cyril Lignac jusqu’à Yann Couvreur et Nina Métayer. Or ce concept repose sur des codes très précis.
Produits de qualité, esthétique et service
Si les premiers éléments déjà évoqués sont la créativité dans les goûts, les formes et les textures, en haute pâtisserie la qualité des produits est désormais primordiale. En effet, face à des consommateurs de plus en plus avertis et demandeur de transparence dans un secteur qui ne l’était pas toujours (concernant la quantité de sucre, de gras, de colorants), les pâtissiers mettent davantage en lumière la provenance de leurs matières premières et les ingrédients qu’ils utilisent. Nina Métayer explique ainsi qu’elle connaît l’origine de sa farine et de son beurre ainsi que les artisans avec lesquels elle travaille, tandis que Jessica Préalpato précise qu’elle évite au maximum la crème, le beurre, les mousses et le sucre afin de proposer des produits de saison travaillés dans leur totalité, de la façon la plus brute possible.
Ensuite, l’esthétique est un élément clé, car la pâtisserie se déguste d’abord avec les yeux. L’environnement dans lequel les gâteaux sont proposés joue donc un rôle essentiel. C’est ainsi que dans des boutiques, qui peuvent vendre simplement un monoproduit comme c’est le cas avec les Eclairs de Génie de Christophe Adam, le minimalisme règne, aussi bien en termes de design que de couleurs. Peu de produits sont présentés, parfois sous des cloches en verre, tels de véritables bijoux à déguster, par exemple à la Pâtisserie des rêves de Christophe Conticini.
Une fois ces petits bijoux choisis, ils sont disposés dans des emballages sublimes – semblables à des écrins – qui ont souvent été imaginées par des artistes. Cet emballage-écrin fait partie intégrante de l’expérience haut de gamme. C’est un canal de communication à part entière et il est même souvent le support d’une image de marque clairement identifiable, par exemple le renard de Yann Couvreur. Enfin, la haute pâtisserie implique aussi un service de qualité. Comme dans toutes les boutiques de luxe, les vendeurs se doivent d’être aux petits soins pour leurs clients.
La haute pâtisserie 2.0
Depuis l’avènement des réseaux sociaux, la haute pâtisserie, si séduisante visuellement, est visible partout sur le web. Les représentants de la nouvelle génération de pâtissiers de luxe (parmi lesquels on retrouve Cédric Grolet, François Perret, Amaury Guichon, Nina Métayer ou Jessica Préalpato) ont intégré dès leurs débuts ces nouveaux codes et offrent une signature travaillée, un « storytelling », une mise en scène de leur travail ou de leur vie personnelle.
Avec Instagram en particulier, créer un nouveau bijou sucré signifie songer à son nom, sa photogénie, son pouvoir de séduction. La communication digitale apporte ainsi une formidable visibilité, et est devenue un atout de croissance fondamental, car elle permet de fidéliser la clientèle et d’atteindre de nouveaux publics.
Les limites ont-elles été dépassée ?
La pâtisserie de luxe n’a jamais autant été mise en avant qu’aujourd’hui. Et pourtant l’offre reste très parisienne, malgré une renommée mondiale. Pour déguster ces petits bijoux, les clients venus du monde entier sont prêts à patienter dans de longues files d’attente et à y mettre le prix (une bûche signature d’un grand chef pâtissier coûte entre 90 et 200 euros).
Mais cet univers est aussi devenu très concurrentiel et pour se démarquer il faut parfois « faire le buzz » sur les réseaux sociaux. Au point même de provoquer, de créer un sentiment de rejet plutôt qu’une attirance visuelle. C’est le sujet de la polémique qui a eu lieu suite aux photos de la dernière bûche de Noël du très célèbre chef pâtissier Cédric Grolet, vendue au prix de 95 euros. Nommée « Bonhomme des neiges » cette bûche été moquée pour son aspect assez basic, très éloignée de ses gâteaux raffinés en trompe-l’œil qui ont fait la renommée du grand pâtissier. La surmédiatisation de la pâtisserie de luxe ne risque-t-elle pas, à terme, de lui faire du tort et de la détourner de ses intentions premières ?
Nathalie Louisgrand, Enseignante-chercheuse, Grenoble École de Management (GEM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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