La revanche sucrée des pâtissiers

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La revanche sucrée des pâtissiers

Nathalie Louisgrand, Grenoble École de Management (GEM)

Depuis une dizaine d’années, et tout particulièrement depuis l’avènement des réseaux sociaux, les pâtissiers attirent le grand public et font parler d’eux. Ils misent de plus en plus sur les médias, les réseaux sociaux et le marketing pour cultiver la dimension « cool » voire « sexy » de la pâtisserie – si photogénique – et pour être reconnus en France et à l’international. C’est ainsi que sur Instagram Cédric Grolet est suivi par 8,8 millions de « followers », Cyril Lignac 3,3 millions, Christophe Michalak 1 million, Yann Couvreur près de 500 000, Nina Métayer 265 000, Claire Heizler 184 000 et Jessica Prealpalto près de 100 000. Leurs créations, qui mettent nos cinq sens en éveil, nous offrent des parenthèses régressives et réconfortantes dans un quotidien souvent anxiogène.

Ces pâtissiers travaillent dans des palaces, dans des restaurants étoilés ou ont leurs propres boutiques en France ou à l’étranger, et voyagent dans le monde entier. Ils revisitent les classiques de la pâtisserie avec de nouvelles recettes originales et savoureuses, publient des livres de recettes ou leurs mémoires.

Certains se sont fait connaître grâce à des émissions culinaires comme Qui sera le prochain grand pâtissier ? d’autres grâce à des concours comme La coupe du monde de pâtisserie. Le 25 octobre dernier, lorsque la Française Nina Metayer est devenue la première femme à recevoir le titre de meilleure pâtissière du monde par l’union internationale des boulangers et pâtissiers, tous les médias ont salué cet exploit.

L’engouement autour de la profession est incroyable et transforme les pâtissiers en stars. Cela sonne comme une revanche, tant ces derniers sont restés longtemps au second plan de la gastronomie française. Le chef Thierry Marx se souvient qu’il n’y a pas si longtemps, ils n’avaient pas leur place dans le monde des cuisiniers et qu’ils se faisaient traiter de « mange-farine ». Le chef Michel Guérard, MOF pâtissier, ajoute qu’on les surnommait aussi les « gnoleux », en référence à la gnole, une planche de bois sur laquelle ils étalaient les pâtes au Moyen Âge, avant de se remémorer le dédain partagé par de nombreux cuisiniers à leur égard.

Or, l’histoire des pâtissiers est constituée de moments d’ombre et de lumière, et de personnages qui ont, de tout temps, contribué à son excellence et à son rayonnement international.

Une mauvaise réputation au Moyen Âge

Si les tout premiers pâtissiers sont appelés les « obloyers » ou « oubloyers », du nom de « l’oublie » petite pâtisserie cérémonielle, c’est au XIIIe siècle que des textes font référence au terme « pâtissier » – celui qui fait la pâte – même si la profession n’est pas encore officiellement reconnue. À l’époque et jusqu’au XIXe siècle, la pâtisserie comprend des pâtes cuites, salées ou sucrées, pouvant être garnies de viande, d’abats, de poisson, de fromage, de fruits, mais aussi des préparations à base de lait, d’œufs, de crème. C’est en 1440 que les premiers statuts de la corporation sont déposés. La réputation des pâtissiers d’alors n’est pas très bonne, car ils sont soupçonnés d’utiliser des ingrédients de mauvaise qualité. Patrick Rambourg explique d’ailleurs que plusieurs articles des statuts interdisent l’usage d’aliments non consommables :

« Les flans doivent se préparer avec du lait non tourné et non écrémé, les tartes et les tartelettes avec du bon fromage, non puant et non moisi. »

Cependant, il faudra encore de nombreuses années aux pâtissiers pour donner une image positive de leur profession.

Nouvelles techniques et création des classiques de la pâtisserie

Dès le XVIIIe siècle, les pâtissiers – qui travaillaient jusqu’alors dans les grandes maisons aristocratiques – s’établissent, principalement à Paris, où ils ouvrent des établissements, élégants et raffinés, qui attirent la bonne société parisienne. Dans les décennies qui suivent, leur nombre et leur renommée vont croissants, et leurs techniques progressent de façon spectaculaire. Au siècle suivant, de nombreux gâteaux, comme l’éclair, le Saint-Honoré ou la religieuse sont inventés et deviendront des classiques de la pâtisserie française. Parmi les pâtissiers les plus renommés de l’époque, on peut citer Nicolas Stohrer, célèbre pour ses babas, ou plus tard, Chiboust, créateur de la crème éponyme.

Mais le plus célèbre et le plus inventif d’entre eux reste sans conteste Antonin Carême (1784-1833). Considéré comme le premier véritable théoricien de la pâtisserie moderne – qu’il a simplifiée – grâce à son ouvrage Le pâtissier royal parisien (1815), il a créé les premières pièces montées en choux, pâte d’amande et sucre, ornementales, parfois monumentales, inspirées de sa passion pour l’architecture et qui ont contribué à sa renommée internationale. Il formera par la suite Jules Gouffé (1807-1877), inventeur du livre de cuisine moderne avec des recettes indiquant les ingrédients à utiliser, leur quantité et les temps de cuisson. C’est cette codification qui permit la diffusion et la reconnaissance de la pâtisserie française.

Les fantasques compositions d’Antonin Carême, dessinées par Jules Gouffé.

Alors que les chefs sortent peu à peu de leur cuisine dès la seconde moitié du XXe siècle, les pâtissiers demeurent les grands oubliés. De plus, les journalistes et critiques gastronomiques n’accordent que peu d’importance à leur travail. Pour eux, un bon repas s’arrête au fromage et ils ne voient pas la nécessité de s’intéresser aux desserts. Il est vrai qu’alors la pâtisserie française demeure figée dans des codes très classiques avec des gâteaux riches en sucre, en crème et en beurre.

Deux grands pâtissiers vont alors se distinguer dans les années 70. Gaston Lenôtre (1920-2009) surnommé « le pâtissier du siècle », est le premier pâtissier à devenir une véritable vedette en France. Créateur visionnaire de la pâtisserie moderne, il a supprimé les desserts trop gras et sucrés, utilisé des matières premières de qualité, innové avec l’usage des mousses, de la meringue et des fruits ce qui a apporté fraîcheur et légèreté à ses desserts comme en témoigne son Schuss, créé en 1968 à l’occasion des JO de Grenoble et qui demeure un de ses desserts les plus célèbres.

Le second est moins connu du grand public mais sa contribution à l’évolution de la pâtisserie française n’en demeure pas moins importante. Yves Thuries, est compagnon du Tour France et double MOF Pâtisserie-Traiteur et Glacier-Confiseur en 1976. Désireux de transmettre son savoir au plus grand nombre, son encyclopédie en 12 volumes Le livre de recettes d’un compagnon du tour de France, publiée à partir de 1977, est devenue un ouvrage de référence pour les pâtissiers du monde entier. Il est aussi fondateur de la célèbre revue professionnelle Thuries Magazine en 1988, dans lequel les recettes sont expliquées « pas à pas ».

L’ère de la reconnaissance

Par la suite, Philippe Conticini révolutionne en 1994 les desserts avec l’invention de la verrine permettant la construction verticale des desserts. Mais Pierre Hermé va encore plus loin. Il est le premier à faire appel à des spécialistes du design, du marketing et de la communication. Grâce à ses recettes originales et esthétiques, il a permis aux desserts d’adapter les codes des créations « haute couture » avec des saisons, des collections et a créé un véritable empire avec ses célèbres gâteaux signature comme l’Ispahan.

Depuis le début du XXIe siècle, le succès des grands pâtissiers ne se dément plus. Ils rivalisent de talent aussi bien dans les accords de saveurs que dans l’esthétique de leurs créations. Restée longtemps parent pauvre de la gastronomie, la pâtisserie française est désormais connue, reconnue et plébiscitée à travers le monde et l’histoire de ses chefs nous montre qu’ils n’ont cessé de l’améliorer au fil du temps.

Nathalie Louisgrand, Enseignante-chercheuse, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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