Pneumonies infantiles à mycoplasmes : de quoi s’agit-il, et pourquoi une telle épidémie ?

Santé

Pneumonies infantiles à mycoplasmes : de quoi s’agit-il, et pourquoi une telle épidémie ?

Image de prostooleh sur Freepik

The Conversation

Pneumonies infantiles à mycoplasmes : de quoi s’agit-il, et pourquoi une telle épidémie ?

Cécile Bébéar, Université de Bordeaux

Depuis cet automne, les admissions aux urgences d’enfants et de jeunes adultes victimes de pneumonies sont anormalement élevées. La bactérie Mycoplasma pneumoniae est soupçonnée de jouer un rôle non négligeable dans cette situation. Directrice du Centre National de Référence des IST bactériennes, et chef du service de bactériologie CHU de Bordeaux, le Pr Cécile Bébéar nous dit tout ce qu’il faut savoir sur cette bactérie atypique et sur les raisons de l’épidémie en cours


The Conversation : Les mycoplasmes sont des bactéries particulières. Pourriez-vous nous les présenter brièvement ?

Cécile Bébéar : Les mycoplasmes font partie des plus petits êtres vivants connus. Ce sont en particulier les plus petites bactéries capables de se répliquer de façon autonome, autrement dit sans parasiter d’autres cellules.

Il existe des mycoplasmes capables d’infecter la plupart des êtres vivants, des animaux aux plantes en passant par les êtres humains. Mais elles ne circulent généralement pas d’une espèce vivante à l’autre, les différentes sortes de mycoplasmes étant spécifiques d’un hôte donné.

Contrairement aux autres bactéries, les mycoplasmes sont dépourvus de paroi. Cela leur confère un aspect polymorphe, et surtout les rend insensibles à certains antibiotiques très employés, comme les ?-lactamines (une classe d’antibiotique qui comprend notamment la pénicilline et ses dérivés, comme l’amoxicilline), très utilisées en première intention dans les infections respiratoires.

Autres points importants à souligner : les mycoplasmes sont très fragiles, et survivent très mal dans l’environnement. Enfin, certaines espèces sont très difficiles à cultiver en laboratoire, ce qui complique les diagnostics.

The Conversation : Chez l’être humain, quels problèmes posent ces bactéries ?

C.B. : Les mycoplasmes sont capables d’adhérer aux cellules épithéliales, qui recouvrent notamment nos voies respiratoires ou notre tractus uro-génital. De ce fait, certaines espèces sont à l’origine d’infections respiratoires ou d’infection génitales.

Toutefois, la majorité des mycoplasmes ne pose pas de problème : sur les 17 espèces connues comme étant capables d’infecter l’être humain, seules cinq peuvent provoquer des maladies.

C’est le cas de Mycoplasma genitalium (le plus petit mycoplasme connu), qui est à l’origine d’infections sexuellement transmissibles (IST). Celles-ci se traduisent par des problèmes au niveau des voies génitales basses (cervicites chez la femme, urétrite chez l’homme), pouvant parfois évoluer vers des infections génitales hautes pouvant présenter un risque pour la fertilité des patients (salpingites et endométrites chez la femme, épididymites chez l’homme).

Soulignons que, comme toutes les IST, les infections à Mycoplasma genitalium sont en augmentation, non seulement dans certaines populations cibles telles que les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes ou les travailleurs et travailleuses du sexe, mais aussi chez les jeunes, en raison du recul de l’usage du préservatif.

Trois autres espèces de mycoplasmes présentes dans le tractus génital peuvent aussi poser problème : Mycoplasma hominis, Ureaplasma parvum et Ureaplasma urealyticum. Il s’agit de pathogènes opportunistes, qui peuvent, lorsque le système immunitaire dysfonctionne, provoquer des infections extra-génitales (contrairement à Mycoplasma genitalium, ces espèces ne sont pas sexuellement transmissibles). Elles peuvent migrer vers les articulations, entraînant des arthrites, et sont parfois à l’origine d’infections respiratoires chez certains nouveau-nés.

Enfin, une espèce, Mycoplasma pneumoniae, est à l’origine d’infections respiratoires.

The Conversation : Qui est concerné par les infections à M. pneumoniae ?

C.B. : Cette espèce infecte plutôt les enfants âgés de 5 à 10 ans, et les adultes jeunes. Parmi les personnes à surveiller, il faut aussi mentionner les personnes immunodéprimées, ainsi que les individus souffrant de drépanocytose, une maladie génétique qui affecte les globules rouges.

Chez les enfants, l’infection se traduit la plupart du temps par une trachéobronchite avec une toux fébrile, une fièvre (qui peut durer jusqu’à une semaine), puis une toux résiduelle. Habituellement, l’infection régresse spontanément.

Elle est généralement confondue avec une infection virale, notamment parce qu’elle n’est pas diagnostiquée. En effet, la seule méthode diagnostique actuellement remboursée est la sérologie (analyse de sang visant à rechercher des anticorps dirigés contre M. pneumoniae). Or, cette procédure est relativement lourde : il faut réaliser deux prises de sang, à 15 jours d’intervalle, ce qui n’est pas pratique. L’autre solution diagnostique est basée sur l’emploi de méthodes moléculaires (PCR), mais cette approche onéreuse n’est pas remboursée en laboratoire de ville (hors nomenclature, le coût d’une telle analyse est de 65 euros).

Cette situation est réellement problématique. En effet, il arrive que les infections à M. pneumoniae dégénèrent en pneumonie. Dans ce cas, la fièvre et la toux persistent, et s’accompagnent d’un essoufflement de plus en plus important, avec des difficultés à respirer. Certains signes extrarespiratoires, notamment cutanés, peuvent aussi être observés.

Or, les infections à M. pneumoniae constituent la seconde cause de pneumonie chez l’enfant : en période épidémique, elles peuvent représenter de 30 à 50 % des pneumonies bactériennes infantiles. Plus grave, selon la littérature, 5 à 6 % des patients hospitalisés peuvent développer une méningo-encéphalite, suite à une réaction immunitaire inappropriée.

D’où l’importance d’améliorer le diagnostic.

The Conversation : Comment se produit la transmission ?

C.B. : M. pneumoniae ne se transmet pas facilement : la contamination se fait par gouttelettes respiratoires, lors de contacts étroits, ce qui explique que les épidémies se produisent dans des contextes fermés, à l’école, sur des bateaux, dans des internats, dans des casernes…

La durée d’incubation est d’une à trois semaines, et des travaux ont montré que la bactérie était excrétée sur une période de 2 à 8 jours avant l’apparition des symptômes.

En l’absence de traitement antibiotique, la contagiosité peut être longue, et durer jusqu’à 14 semaines après l’infection. En outre, 20 % des formes sont asymptomatiques (mais les personnes infectées sont malgré tout contagieuses).

En revanche, normalement, en 72 h de traitement antibiotique bien suivi, les malades ne sont plus contagieux.

The Conversation : Quels antibiotiques sont efficaces ? Existe-t-il des risques de résistance ?

C.B. : Puisque les antibiotiques ciblant la paroi bactérienne ne fonctionnent pas contre les mycoplasmes, trois grandes classes sont utilisables : les macrolides, les tétracyclines et les fluoroquinolones.

Le problème est que les tétracyclines ne peuvent pas être utilisées avant 8 ans à cause de la coloration dentaire qu’elles induisent, et que les fluoroquinolones sont généralement contre-indiquées chez l’enfant.

Restent donc les macrolides, qui sont le traitement recommandé lorsque l’origine virale de la pneumonie a été écartée, et que trois jours de traitement par amoxicilline (un antibiotique efficace contre le pneumocoque – Streptococcus pneumoniae, une autre bactérie causant des pneumonies) n’ont pas abouti à une amélioration.

The Conversation : Une seule classe d’antibiotique utilisable sans contre-indication chez l’enfant, c’est peu. Existe-t-il un risque d’apparition de résistance ?

C.B. : Oui : dans le cas de M. pneumoniae, la résistance aux macrolides s’est développée au cours des années 2000, initialement plutôt en Asie du Sud-Est. En tant que laboratoire expert, nous avons suivi son émergence en France.

Aux alentours de 2012, cette résistance était de l’ordre de 10 % dans notre pays. À cette époque, en effet, une importante épidémie d’infection à M. pneumoniae sévissait au niveau mondial, et les macrolides étaient largement utilisés.

Il faut savoir que 10 % constitue un seuil critique : quand il est dépassé pour une classe d’antibiotiques donnée, on considère généralement qu’il faut arrêter de l’utiliser en première intention. Heureusement, dans les années qui ont suivi, la résistance de M. pneumoniae aux macrolides a diminué en France. Elle est actuellement d’environ 3 %, ce qui reste gérable.

Les problèmes de résistance aux macrolides n’ont pas cependant régressé partout : avant la pandémie de Covid-19, dans certains pays d’Asie, elle pouvait atteindre les 70 % (au Japon), voire 80 % (en Chine)…

Cette situation s’explique par le fait que les macrolides peuvent être utilisés à tout âge de la vie, et possèdent de surcroît des propriétés anti-inflammatoires ainsi qu’une bonne efficacité au niveau pulmonaire et urogénital. Pour toutes ces raisons, ils ont été extrêmement prescrits pour traiter les infections respiratoires, ou des infections génitales, voire digestives.

Or, les mycoplasmes sont dépourvus de certains systèmes de correction des erreurs de l’ADN : ce sont donc des bactéries qui mutent beaucoup. Le sur-usage (et le mésusage) des macrolides a rapidement mené à la sélection de souches de M. pneumoniae moins sensibles à ces antibiotiques. Heureusement, pour l’instant, aucune résistance aux tétracyclines et aux fluoroquinolones n’a été décrite chez ce mycoplasme.

**The Conversation : Selon Santé publique France, le nombre de pneumonies chez l’enfant et les jeunes adultes est depuis cet été très supérieur à ce qu’il était en 2021 et en 2022 dans notre pays. Est-on sûr que M. pneumoniae est en cause ?

C.B. : Bien que l’on ne sache pas précisément quelle proportion de la vague de pneumonies actuelles est due à M. pneumoniae, certains indices semblent l’incriminer (aux côtés, probablement, d’autres pathogènes).

En effet, les résultats des analyses sérologiques réalisées en laboratoire de biologie médicale de ville révèlent que le taux de positivité, tous âges confondus, des tests à Mycoplasma pneumoniae a commencé à augmenter durant l’été dernier, alors qu’il était nul au printemps. Sa progression s’est accélérée à partir de début octobre, jusqu’à atteindre fin novembre un niveau très supérieur à celui de 2019 à la même période, en particulier chez les enfants de 5 à 14 ans.

Par ailleurs, à l’hôpital, le nombre de détections par PCR a lui aussi progressivement augmenté depuis fin juillet, puis cette augmentation s’est accrue en octobre. Fin novembre, le taux de positivité des tests PCR était près de 4 fois supérieur à celui observé à la même période en 2019. Après une diminution fin novembre, une augmentation semblait à nouveau observable mi-décembre (mais les données doivent encore être consolidées).

On peut donc affirmer que nous sommes bien face à une épidémie à M. pneumoniae, une situation qui ne s’était plus produite en France depuis 2016.

The Conversation : Connaît-on les raisons de cette épidémie ?

C.B. : Il faut savoir que les épidémies à M. pneumoniae fonctionnent par cycle de 3 à 7 ans.

Cette cyclicité s’explique par la façon dont M. pneumoniae nous infecte. À sa surface, la bactérie possède de nombreux exemplaires d’une protéine appelée adhésine qui, comme son nom l’indique, lui permet d’adhérer aux cellules épithéliales tapissant nos voies respiratoires.

Micrographie électronique à balayage de bactéries M. pneumoniae. Les éléments utilisés pour la fixation sont indiqués par des flèches noires.
Micrographie électronique à balayage de bactéries M. pneumoniae. Les éléments utilisés pour la fixation sont indiqués par des flèches noires. Krause, D. C., and D. Taylor-Robinson « Mycoplasmas which infect humans » American Society for Microbiology, CC BY

Schématiquement, cette protéine existe sous deux types principaux, l’adhésine de type I et l’adhésine de type II (chacun pouvant comporter diverses variations). Les bactéries Mycoplasma pneumoniae possèdent des adhésines de l’un ou l’autre type.

Lorsqu’une épidémie est causée par une bactérie possédant des adhésines de type I, les personnes infectées développent des anticorps contre cette adhésine. La population s’immunise donc progressivement ; au bout d’environ 18 mois, elle se retrouve protégée contre l’infection par les bactéries porteuses d’adhésines de type I, et l’épidémie régresse.

Toutefois, ces bactéries ne disparaissent pas : elles continuent à circuler à bas bruit dans la population. Or, à un moment donné va se produire un phénomène appelé « switch antigénique » : les bactéries vont changer le type de leurs adhésines, passant d’adhésines de type I à des adhésines de type II. À ce moment, l’épidémie va reprendre dans la partie de la population qui ne possède pas d’anticorps contre ces « nouvelles » adhésines. D’où l’effet de cycle de ces infections…

Micrographie électronique à transmission d’un anneau trachéal de hamster infecté par M. pneumoniae, montrant l’association étroite de la structure d’attachement à l’épithélium de l’animal (flèche). J.L. Jordan et D.C. Krause, tiré de Ken B. Waites et Deborah F. Talkington « Mycoplasma pneumoniae and Its Role as a Human Pathogen », American Society for Microbiology, CC BY

The Conversation : Des cycles qui ont par ailleurs été modifiés par la pandémie de Covid-19…

C.B. : Oui, car les mesures barrières mises en place pour contenir le SARS-CoV-2 ont aussi protégé les populations contre d’autres infections, notamment celles à M. pneumoniae.

Jusqu’à cet été, nous n’avions pas vu réapparaître cette bactérie, que nous surveillons attentivement. C’était étonnant, car d’autres infections respiratoires virales ou bactériennes étaient déjà revenues dès la fin de 2022, avec le relâchement des mesures sanitaires.

Mais aujourd’hui, il est clair qu’un nouveau cycle épidémique commence, dans un contexte où une partie de la population est « naïve », puisqu’elle n’a pas développé d’anticorps ces dernières années. C’est probablement une des raisons qui explique l’ampleur de l’épidémie actuelle.

Des études de séroprévalence menées par des collègues ont d’ailleurs montré que les niveaux d’anticorps dirigés contre M. pneumoniae étaient moins importants dans la population qu’auparavant.

The Conversation : C’est un point important, qui prête souvent à confusion : cette baisse d’immunité au niveau populationnel n’est pas le reflet d’un moins bon fonctionnement de nos systèmes immunitaires, qui auraient été « affaiblis » par les mesures barrières…

C.B. : Absolument pas. Ce qui s’est passé, c’est qu’une partie de la population, protégée par les mesures barrières, n’a pas été confronté à M. pneumoniae et n’a donc pas eu l’occasion de développer des anticorps. C’est le cas des jeunes enfants, de ceux qui sont un peu plus grands, et de certains adultes.

Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faut bannir les mesure barrières, bien au contraire ! L’idée selon laquelle « si on met un masque, on ne va plus s’immuniser » est fausse : le masque permet d’éviter de contaminer les autres, et de limiter la hauteur de la vague épidémique. Car si l’épidémie à M. pneumoniae flambe actuellement, c’est avant tout parce que l’on laisse circuler la bactérie…

Aujourd’hui, les recommandations sont toujours les mêmes : porter le masque lorsqu’on est enrhumé, se laver les mains souvent, éternuer dans son coude, s’assurer que l’on est à jour dans ses vaccins contre la grippe et le Covid-19. Et, si l’on est une personne fragile, mettre un masque lorsque l’on doit passer du temps dans un endroit confiné, avec d’autres personnes, en particulier dans les transports en commun.

Bref, il s’agit de continuer à appliquer les règles d’hygiène respiratoire qui ont fait leurs preuves durant la pandémie, en permettant de limiter non seulement la circulation des pathogènes et l’ampleur des épidémies d’infections respiratoires, mais aussi d’autres infections, comme les gastro-entérites par exemple. Des règles que l’on a peut-être eu tendance à oublier un peu trop rapidement…

Cécile Bébéar, Professeur, chef de service du laboratoire de Bactériologie du CHU de Bordeaux, directrice du Centre National de Référence des IST bactériennes, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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