Nouveaux profs : ces enseignants qui viennent du monde de l’entreprise
Sylvie Dozolme, Université Clermont Auvergne (UCA)Émaillée d’incertitudes, d’isolement et de télétravail, la crise du Covid a conduit un certain nombre d’actifs à s’interroger sur leurs projets de vie et accru un mouvement déjà bien engagé, celui des reconversions professionnelles. Le baromètre Unédic de mars 2022 mentionne que 30 % des actifs en emploi sont en cours de changement de métier ou envisagent de le faire. Pour les personnes demandeuses d’emploi, la proportion atteint 54 %.
Parmi ces cadres, ces ingénieurs, ces infirmiers, commerciaux ou banquiers, certains rejoignent les bancs des formations aux métiers du professorat. Un choix qui peut sembler à contre-courant à l’heure où l’on s’alarme d’une pénurie de candidats aux concours. Un récent rapport sénatorial sur « la crise d’attractivité du métier d’enseignant » note que le « nombre d’inscrits au concours de l’enseignement du second degré a diminué de plus de 30 % en quinze ans, passant de 50 000 candidats présents en 2008 à 30 000 en 2020 ».
Ces aspirants à une reconversion vers l’enseignement représentent-ils une opportunité pour une Éducation nationale qui peine à séduire les nouveaux diplômés du supérieur ? De quels atouts disposent-ils pour réussir dans ce métier, du fait de leurs précédentes expériences professionnelles, et que peuvent-ils leur apporter ?
Une envie de transmettre
Penchons-nous d’abord sur les motivations qui animent ces personnes ayant connu une première vie professionnelle avant de devenir enseignants. Une série d’entretiens auprès de personnes ayant effectué une reconversion permet de distinguer quatre grandes tendances dans cette envie de bifurquer.
Une partie d’entre eux, comme Ivan, 37 ans (les prénoms ont été modifiés) invoquent le goût ou la passion pour une matière connue à l’université. Peu épanoui dans son ancien métier, qu’il ne considérait que « comme une roue de secours, un moyen de remplir le frigo », cet ancien livreur-conditionneur a passé le CAPES d’espagnol.
Pour d’autres, c’est le désir de travailler avec les jeunes et de les aider dans leur construction identitaire qui joue. « Ce que j’aime beaucoup, c’est le fait de pouvoir accompagner mes élèves, les éduquer, les instruire […] d’avoir un rôle social », raconte ainsi Virginie, 34 ans, ingénieure agronome qui a choisi de devenir enseignante en biotechnologie en lycée professionnel.
À travers une reconversion, il peut s’agir aussi de rendre au système éducatif français ce qu’il a pu donner. À 56 ans, Yasmine développe un sentiment de générativité, tel que décrit par Erik Erikson. « J’ai tellement reçu de l’Éducation nationale que, au fond de moi-même, il n’y avait pas d’autre choix que de partager ce que j’ai reçu, raconte-t-elle. […] C’est mon moteur ». Pour cela, elle a laissé son emploi de secrétaire de direction et est devenue enseignante de français-anglais en lycée professionnel.
Enfin jouent les avantages réels – ou idéalisés – du métier d’enseignant. « J’ai travaillé 10 ans au commissariat à l’énergie atomique, dans la gestion […] jusqu’à mes deux enfants. J’ai fait neuf ans de congé parental parce que j’ai cinq enfants. […]. J’ai fini par me rendre à l’évidence, il me fallait un poste avec des vacances scolaires », note Gabrielle, 45 ans, contrôleur de gestion, devenue professeure documentaliste.
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Ces raisons correspondent à celles qui sont aussi invoquées par les enseignants débutants directement issus de l’enseignement supérieur, tout comme est partagée la revendication d’une vocation.
Pour Pauline, 29 ans, détentrice d’un CAPES histoire-géographie, l’envie d’enseigner remonterait à l’enfance : « je faisais l’école à mes poupées, pour apprendre mes leçons généralement ». En attendant de pouvoir concrétiser son projet professionnel de petite fille, elle a occupé des emplois de guide de châteaux touristiques et d’ASH en milieu hospitalier.
Si, contré par les vicissitudes de la vie, le projet se trouve repoussé temporellement, il y a toujours un élément déclencheur qui vient remémorer cette envie d’enseigner : un licenciement, le décès d’un proche, la naissance d’un enfant, un accident domestique, professionnel de la circulation…
Un réinvestissement de l’expérience
Nous retrouvons donc un ensemble de motivations tout à fait légitimes à l’entrée dans le métier d’enseignant pour ces anciens professionnels du secteur privé. Pour autant, chacun d’eux dispose d’un vécu professionnel, plus ou moins présent selon la durée de cette première activité, qui induit naturellement une posture pouvant différer des autres enseignants débutants.
Plus âgés lorsqu’ils prennent leur premier poste d’enseignant, ces débutants affichent, face à leurs élèves, une distanciation que les autres débutants ont parfois du mal à avoir. Ils ne sont pas les « grands frères, copains […] animateurs extrascolaires » tels que Gelin, Rayou et Ria l’évoquent pour les jeunes enseignants. Leur tenue vestimentaire, leur langage, leur posture, tout les rend similaires à leurs collègues expérimentés.
Pourtant, le passage d’un statut d’expert dans leur précédent emploi à débutant dans celui d’enseignant fragilise leur identité professionnelle et les conduit à tendre vers deux positions plutôt opposées.
Soit ils revendiquent face à leurs élèves, leurs collègues et l’institution ce vécu professionnel. Pierre, 33 ans, commercial, titulaire du CAPLP économie-Gestion-Vente, indique clairement vouloir « construire mes cours à partir de mon expérience professionnelle », ces différents postes occupés correspondant à beaucoup de points du référentiel baccalauréat professionnel dans lequel il enseigne.
Soit ils la dissimulent, voire tronquent la vérité. Ainsi, Ivan, se présentant à son chef d’établissement et à ses collègues, évoque « une expérience dans le privé ». Tout l’auditoire pense à une expérience dans un établissement scolaire privé. Il ne les a pas démentis : « la confusion m’arrange ».
Le lien entre l’ancien métier et la discipline enseignée contribue donc fortement à créer ces résurgences de l’ancien passé professionnel. Ce vécu pourrait donc être une plus-value non négligeable pour le système éducatif français et, in fine, pour les élèves en face de ces débutants atypiques.
Cependant, pour acquérir les compétences attendues telles que définies par le bulletin officiel du 25 juillet 2013 et préparer le concours, une formation de deux ans en INSPÉ (Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation) est désormais nécessaire. Or, les congés de formation sont souvent que d’une année ce qui rend très compliqué, voire impossible, de se reconvertir dans de bonnes conditions, pour des personnes ayant charge de famille et devant rembourser des crédits. Une situation à repenser sous peine de se priver d’un intéressant vivier de vocations ?
Sylvie Dozolme, Formatrice et responsable de master à l'INSPE, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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