Ma nuit avec une animatrice du téléphone rose

Erotique

Elle attend en tailleur sur son lit, pull noir et pantalon de jogging, pour être à l’aise, mais « lingerie fine en dessous, pour [se] mettre dans l’humeur ».

Sarah (prénom d’emprunt) est un peu stressée ce jour-là. Il y a de quoi. Elle laisse entrer quelqu’un chez elle, dans son intimité. Pour la première fois, une inconnue (c’est moi) va la regarder travailler. Est-ce qu’elle restera naturelle ? D’habitude, elle se sent protégée derrière son numéro surtaxé, anonyme, bien à l’abri dans sa petite ville cossue et un peu paumée de la frontière allemande.

Finalement, ça va.

« Je veux toucher tes seins.
– Oh vas-y tire mes seins, j’adore quand on tire mes seins, en plus, ils pointent, si tu les voyais... Oh oui, oh Alex, oh encore.
– Je veux te bouffer le cul aussi.
– Alors je me mets à quatre pattes devant toi, j’écarte bien mon cul et j’attends juste ta langue.... Oh oui, enfonce bien ta langue. [Gémissements.] »

Chaque mois, Sarah fait l’amour par téléphone à plus de 1 000 personnes environ (pour près de 3 000 appels). Elle est animatrice de téléphone rose. On dit aussi hôtesse ou opératrice, mais elle préfère « animatrice, comme au temps du Minitel ». Son entourage proche est au courant. Mais pas au-delà, pour protéger sa famille :

« Je sais que les gens peuvent être méchants. Mais ce n’est pas par honte, surtout pas. Les présentateurs radio aussi devraient avoir honte dans ce cas. Après tout, ce n’est que de la voix. »

La nuit, Sarah devient Cléo

« Je ne suis pas une sorcière, tu vois », s’amuse-t-elle à mon arrivée dans son appartement bien tenu et chaleureux.

Plutôt petite et menue, Sarah, 43 ans, en fait bien dix de moins. Elle est jolie aussi et elle le sait : sur ses sites, elle met de vraies photos d’elle, un peu retouchées, et prises par un photographe professionnel car « il faut bien enjoliver les choses, non ? » Sarah aime jouer, et rigoler. Elle dit « délirer ».

La nuit, elle est Cléo, son personnage de téléphone rose et son pseudo. Pour se préparer, d’habitude, elle fait du yoga. Puis elle peigne ses perruques, sort ses accessoires et sa décoration. Met un peu de musique pour créer sa « bulle ». Elle travaille dans une chambre. Mais pas la sienne. Une manière de séparer la « vie réelle » de sa vie au téléphone, de « faire la part des choses ».

La pièce est simple : un matelas au sol, son ordinateur sur une chaise, et ses téléphones, cinq en tout :

« Avant, j’en avais six mais je me perdais. »

A minuit, elle se connecte sous le pseudo de CleoB ou de MissCléo, sa version dominatrice ; sa voix change en fonction.

« Mais chaque fille a sa voix, son personnage à elle. A un moment, on me demandait de jouer trois ou quatre personnages, trans, salope, dominatrice... j’étais perdue ! J’écrivais mes descriptions sur des bouts de papier mais je n’y arrivais pas. En plus, certains habitués qui faisaient le tour des réseaux reconnaissaient ma voix. Je ne peux jouer que Cléo. »

Cléo comme Cléopâtre :

« Mon modèle : une femme très séduisante, qui a été la maîtresse de Marc Antoine et de César, puis qui les a lâchés tous les deux quand elle en a eu marre ! Bim ! »

Rires gênés et bâillements

Le téléphone sonne. Premier appel de la nuit. C’est un inconnu, Jean (prénom d’emprunt). Pendant 45 minutes, Sarah monologue (ou presque). Il faut poser les lieux et les personnages. Elle commence par se décrire, demander à Jean à quoi il ressemble, et où il est. Puis : « Tu veux que je te rejoigne ? » C’est laborieux. Jean n’est pas bavard. Il se contente de malheureux « ah ouais ».

Cléo réprime des rires gênés et quelques bâillements. Elle lève les yeux au ciel, fait mine de jeter le téléphone au loin. Une fois qu’elle a raccroché, elle qualifie Jean de « vrai lourd ».

Quel que soit le client, c’est toujours un jeu de rôle. Le scénario s’écrit à deux. La parole performative : dire, c’est faire.

« Mon travail, c’est pas juste faire “ oh oui, oh oui, baise-moi ” au téléphone, ce serait trop facile. »

C’est aussi très explicite. Il y a de tout. Certains, « les petits coups vite fait », l’appellent juste pour jouir, comme ils regarderaient un porno, « et ça, tu le sens tout de suite dans la voix, alors tu vas droit au but ». D’autres encore cherchent à se confier quand ils sont tristes. Et c’est parfois plus dramatique :

« Un jour, un mec m’a appelée en me disant qu’il était malheureux et qu’il allait se jeter du haut d’un pont. Je ne l’ai pas cru, puis j’ai entendu des gens qui lui criaient d’arrêter. »..

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