Les maths pour les garçons, le français pour les filles ? Comment les stéréotypes de genre se perpétuent à l’école

France

Image par Gerd Altmann de Pixabay

The Conversation

Les maths pour les garçons, le français pour les filles ? Comment les stéréotypes de genre se perpétuent à l’école

Margault Sacré, Université Clermont Auvergne (UCA); Audrey Imberdis, Université Clermont Auvergne (UCA); Carine Souchal, Université Clermont Auvergne (UCA) et Marie-Christine Toczek, Université Clermont Auvergne (UCA)

Les stéréotypes de genre s’invitent-ils dans les préférences scolaires des élèves français ? Une étude conduite en 2005 montrait qu’ils orientaient fortement les perceptions que les élèves de CM2 (10-11 ans) ont des disciplines scolaires. Ainsi, les garçons avaient tendance à valoriser les cours de mathématiques et d’éducation physique et sportive, alors que les filles valorisaient les cours de français et les travaux de lecture et d’expression écrite. Comment les choses ont-elles évolué depuis ?

Si les textes de l’Éducation nationale promeuvent l’égalité des genres, ils restent peu contraignants et n’engagent pas à des actions concrètes au niveau de l’école et de la formation des enseignants. La publication de rapports annuels sur la réussite des filles et des garçons et celle du travail de Xavier Gauchard sur les enjeux et leviers liés aux inégalités laissent à penser que cette tendance à l’immobilité pourrait se renverser, dans un contexte de prise de conscience globale sur les stéréotypes de genre.

Stéréotypes de genre et choix d’orientation scolaire

Sur les réseaux sociaux, plusieurs mouvements d’ampleur ont émergé, avec notamment #MeToo, sensibilisant la population à la discrimination et à l’injustice sociale. Des études sur l’impact de ce mouvement menées en Argentine, en Australie et aux États-Unis révèlent que le mouvement a offert une tribune aux voix des femmes et à l’organisation de regroupements féministes.

D’autre part, au niveau de la recherche en éducation, de plus en plus d’études menées tentent d’expliquer pourquoi, bien que les filles réussissent mieux à l’école, elles se retrouvent dans les filières moins prestigieuses à l’université. En effet, les jeunes femmes choisissent majoritairement des domaines d’études liés à la littérature, aux sciences humaines et à la santé plutôt que les filières STIM (Sciences, Technologies, Informatique, Mathématiques). En retour, l’écart salarial entre les sexes reste prononcé : dans les pays de l’OCDE, avec un diplôme de l’enseignement supérieur, les femmes gagnent en moyenne 74 % du salaire des hommes.

En somme, depuis 2005, une conscientisation des dégâts liés aux inégalités et aux stéréotypes de genre est observée à un niveau social et culturel. On attendrait de ce phénomène qu’il donne aux individus, de tous genres, davantage de possibilités de poursuivre leurs intérêts indépendamment des attentes de la société, et, peut-être à un stade initial, une bifurcation dans la perception des disciplines scolaires par les filles et les garçons.

Pour examiner cette hypothèse, nous avons réitéré l’enquête, 15 ans après, pour examiner l’évolution des perceptions des élèves de CM2 des disciplines scolaires. Les résultats obtenus sont décrits dans le tableau ci-dessous :

À quelles disciplines les filles et les garçons accordent-ils le plus d’importance en 2005 et en 2020 ?

Par ailleurs, dans une question complémentaire lorsqu’on demande aux élèves de classer les disciplines par ordre d’importance, les garçons répondent les mathématiques en premier et le français en second. L’inverse est observé pour les filles.

Malgré la médiatisation plus grande de ces problèmes liés aux stéréotypes, dans les classes, le statu quo semble toujours d’actualité.

Le rôle des enseignants dans la réplication des stéréotypes

Les stéréotypes de genre jouent un rôle dans la manière dont les enseignants adaptent leurs pratiques aux besoins des élèves. De manière générale, leurs attentes seront moins élevées en STIM pour les filles que pour les garçons, conduisant à des attitudes différenciées selon le genre de leurs élèves.

Une étude de 2009 comparait les résultats en mathématiques des élèves à un test standardisé et aux notes attribuées par l’enseignant. Les résultats montrent que les garçons performants au test standardisé sont surévalués par l’enseignant et qu’à l’inverse, les filles performantes sont sous-évaluées.

Même si ces attitudes et attentes différenciées ne sont pas conscientisées par les enseignants, elles ont un effet important sur les comportements des élèves : « Elles alimentent la confiance des garçons dans leurs capacités en mathématiques et sapent la confiance des filles, qui hésitent à s’engager dans des formations scientifiques ».

Ainsi, dans notre étude, nous questionnons également la perspective enseignante sur la question de l’importance des disciplines scolaires pour les élèves. Tout d’abord, nous avons demandé aux enseignants de classer les différentes disciplines par ordre d’importance pour les élèves.

À cette question, hommes et femmes placent les cours de français en premier lieu et les cours de mathématiques en second. Mais, ce résultat est assorti d’une nuance… Nous leur avons demandé quelle discipline ils pensaient avoir le plus d’importance pour les filles, et pour les garçons. À cette seconde question, nous constatons que les enseignants et enseignantes offrent une réponse différenciée. Les cours de français et d’arts seraient plus importants du point de vue des filles et les cours de mathématiques et de sciences seraient plus importants du point de vue des garçons.

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Les réponses obtenues varient donc selon le genre des élèves, mais pas selon le genre de la personne interrogée, signifiant que les hommes et les femmes partagent la même vision des choses. Les résultats sont similaires à ceux obtenus 15 ans plus tôt et suggèrent que les représentations des enseignants sont toujours conformes aux stéréotypes de genre.

Enrayer le cercle vicieux des stéréotypes

Ouvrir les filières STIM aux filles et aux femmes permettrait d’augmenter le vivier de talents et le potentiel d’innovation dans ces domaines. Plus d’individus, plus de compétences !

Par ailleurs, la voix des femmes dans ces domaines est sous-représentée, leurs perspectives ne sont ni entendues, ni même, parfois, connues. Si les perspectives des femmes, et d’autres groupes minoritaires, sont ignorées ou négligées dans la recherche et l’innovation, cela peut conduire à des produits qui ne répondent aux besoins et attentes que d’une partie de la population.

Une société qui se veut égalitaire et démocratique devrait prendre au sérieux ce principe fondamental qu’est l’égalité entre les filles et les garçons. En effet, l’absence des filles en STIM perpétue les inégalités hommes-femmes puisque les emplois en STIM offrent souvent des salaires plus élevés et des opportunités d’avancement professionnel. Il est clair que la promotion de la diversité des genres dans les filières STIM est nécessaire pour parvenir à une égalité sociale et créer une société plus juste.

D’après la théorie sociale cognitive de l’orientation professionnelle, nos choix de carrière sont influencés par notre perception de ce que l’on est capable d’accomplir (efficacité personnelle) et de ce que l’on va en retirer (attentes de résultats). Les études montrent que, à compétence égale, les femmes ont généralement un plus faible sentiment d’efficacité personnelle en ce qui concerne les STIM que les hommes. Ce n’est donc pas leur intérêt pour les STIM, ni leurs compétences qui sont en cause, mais bien leur sentiment d’efficacité personnelle.

Un facteur fort à l’origine de ce faible sentiment d’efficacité personnelle est la persistance des stéréotypes de genre liés aux compétences des individus. Ainsi, un levier fondamental pour encourager les filles à s’orienter vers les filières STIM serait de sensibiliser et de former les enseignants à l’égard des stéréotypes de genre, et d’aborder des problèmes qui sont involontairement perpétués par les enseignants eux-mêmes.


Cet article a été co-écrit avec Carine Souchal.

Margault Sacré, Docteure en sciences psychologiques et de l'éducation, Université Clermont Auvergne (UCA); Audrey Imberdis, Conseillère pédagogique EPS et chercheuse associée, Université Clermont Auvergne (UCA); Carine Souchal, Chercheuse associée au laboratoire ACTé, Université Clermont Auvergne (UCA) et Marie-Christine Toczek, Professeure des universités, Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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